ACTU
Quantic Drame
par Nicaulas,
email @nicaulasfactor
Nos plus anciens lecteurs savent qu'entre Factornews et Quantic Dream (ou du moins le duo à sa tête, David de Gruttola et Guillaume de Fondaumière), c'est une longue histoire tumultueuse au cours de laquelle nous avons souvent dégainé la carte de l'humour. Mais ce dont il est question ici n'a rien de drôle. Dans trois articles publiés simultanément (1), Canard PC, Mediapart et Le Monde se sont penchés sur les conditions de travail et les pratiques managériales en cours chez Quantic Dream. Et c'est pour le moins fort peu reluisant.
Certes, le studio parisien semble être (récemment) devenu un bon élève en ce qui concerne le paiement des heures supplémentaires, et la plupart des employés interrogés décrivent des équipes composées en grande partie de gens compétents, agréables et qui se serrent les coudes, y compris et surtout lors des périodes de crunch. Pour le reste...
Il y a d'abord la montagne de photomontages orduriers réalisés par un des plus anciens employés, délégué du personnel qui plus est, et qui ont débouché sur des procédures aux prud'hommes à la demande de salariés contestant la manière dont ils ont quitté l'entreprise suite à cette accumulation d'insultes. Sexisme, homophobie, racisme, humour scato, grossophobie, insultes directes et violentes, tout y passe et à chaque fois avec les visages (et parfois les noms) des employés visés. Plusieurs montages étaient visibles dans l'open space, et une grande partie d'entre eux étaient accessibles à tous via une mailing list. L'intégralité du service informatique, cible préférentielle, finira par quitter l'entreprise, excédée par la gestion du problème par Quantic Dream. David Cage est d'ailleurs lui-même décrit par certains employés, anciens comme actuels, comme amateur de blagues très limites (sexistes, racistes et homophobes notamment).
Travers classique de l'industrie (Gamekult y a consacré un article récemment et Canard PC s'apprête à le faire), le crunch est également pointé du doigt. Au moment où nous parlons, les équipes tourneraient à 70 heures par semaines environ pour livrer Detroit à temps. La pratique, sans surprise, est habituelle : Beyond aurait nécessité une année complète de crunch pour voir le jour, Heavy Rain a laissé des traces et même Farenheit avait déjà été bouclé avec difficulté. Ces heures supplémentaires sont aujourd'hui toutes payées, mais pendant longtemps le studio a entretenu la confusion parmi ses employés (2), avec des crédits d'heures supplémentaires payées à l'avance, incitant donc à les réaliser, sous peine de devoir rembourser le trop-perçu. Plus globalement, c'est donc une culture absurde du présentéisme et de l'heure supplémentaire qui est pointée du doigt, une pression informelle s'exerçant sur les employés ne faisant pas d'heures. Il ne s'agit évidemment pas d'un problème spécifique à Quantic Dream, ni même à l'industrie du jeu vidéo d'ailleurs, mais ce n'est pas une raison pour ne pas le pointer du doigt.
Troisième gros problème : les pratiques RH, voire les libertés parfois prises avec le Code du Travail. Pas toujours très bien payés pour un job à Paris (en 2017, les salaires minimaux d'entrée -hors heures supplémentaires- chez Quantic Dream étaient à peine supérieurs au SMIC), les salariés sont surtout à la merci de pratiques plus que limites en ce qui concerne la rupture des contrats. Pour les CDI et les longs CDD, une pratique courante semble être de mettre en scène un désaccord avec les employés avec des documents antidatés, pour pouvoir enclencher une rupture transactionnelle sur laquelle Quantic ne paye pas de charges. Le tout avec la bénédiction des délégués du personnel. Et quand il s'agit de garder un employé dont le CDD arrive à échéance, pas de chichi non plus : les RH organisent une réunion informelle avec le salarié pendant laquelle le contrat est déchiré pour en signer un nouveau, avec une échéance plus lointaine.
Des pratiques répandues jusqu'en haut de la pyramide, comme le pointent avec malice les trois articles : Guillaume de Fondaumière lui-même en a bénéficié. En 2016, un terrible et profond désaccord l'aurait opposé à David Cage, et ce dernier lui a alors signifié son licenciement, que l'intéressé conteste, tout ça par écrit. Une rupture transactionnelle est engagée, un accord à l'amiable est signé. Fondaumière touche 60 000€ bruts de dédommagement en plus des indemnités légales, pour un total de 100 000€ bruts. Mais à la fin de son préavis de licenciement, il est réembauché à un poste plus important, avec au passage une augmentation mensuelle de 2 000€ bruts. Le désaccord ne devait pas être si terrible. Six autres employés auraient bénéficié d'une procédure similaire au même moment, et leurs sept lettres de contestation sont identiques, laissant peu de doute sur le caractère systématique et standardisé de la pratique.(3)
Plus globalement, plusieurs salariés anciens et actuels déplorent l'absence de contre-pouvoirs au sein de Quantic Dream : RH, comité d'entreprise, délégués du personnel, tous seraient proches de la direction, de David Cage en particulier, laissant les employés démunis lorsqu'il s'agit de faire face à des problèmes ou des pratiques borderline. La création récente du STJV n'est d'ailleurs peut-être pas étrangère à la libération de la parole des travailleurs du jeu vidéo, et nous sommes à peu près certains que dans les prochains mois d'autres studios, d'autres pratiques, d'autres problèmes structurels de cette industrie seront à leur tour mis sous les projecteurs.
Dans un court communiqué, Quantic Dream a démenti en bloc le contenu des trois articles.
Vous aurez remarqué que tous les articles cités dans cette news sont payants. On ne soulignera jamais assez l'intérêt d'une presse libre et autonome financièrement, encore plus lorsqu'il s'agit d'enquêter sur ce genre de pratiques et de problèmes. On vous encourage donc vivement à vous abonner, ou à acheter les articles ou les magasines concernés à l'unité, afin de permettre aux rédactions de poursuivre leur travail en toute indépendance.
(1) Notons au passage que CPC et Mediapart travaillent actuellement main dans la main sur une série d'articles consacrés à l'industrie, Quantic Dream étant leur seconde publication après un dossier introductif dans le CPC n°372.
(2) Confusion également entretenue au sujet de la répartition des bénéfices sur les ventes des jeux. Renégociés à chaque projet, les montants des royalties perçus par les employés sont crachés par un tableur prenant en compte un grand nombre de critères. Pour Detroit, il n'y aurait pas encore d'accord.
(3) La légalité de la procédure est cependant difficilement contestable.
Certes, le studio parisien semble être (récemment) devenu un bon élève en ce qui concerne le paiement des heures supplémentaires, et la plupart des employés interrogés décrivent des équipes composées en grande partie de gens compétents, agréables et qui se serrent les coudes, y compris et surtout lors des périodes de crunch. Pour le reste...
Il y a d'abord la montagne de photomontages orduriers réalisés par un des plus anciens employés, délégué du personnel qui plus est, et qui ont débouché sur des procédures aux prud'hommes à la demande de salariés contestant la manière dont ils ont quitté l'entreprise suite à cette accumulation d'insultes. Sexisme, homophobie, racisme, humour scato, grossophobie, insultes directes et violentes, tout y passe et à chaque fois avec les visages (et parfois les noms) des employés visés. Plusieurs montages étaient visibles dans l'open space, et une grande partie d'entre eux étaient accessibles à tous via une mailing list. L'intégralité du service informatique, cible préférentielle, finira par quitter l'entreprise, excédée par la gestion du problème par Quantic Dream. David Cage est d'ailleurs lui-même décrit par certains employés, anciens comme actuels, comme amateur de blagues très limites (sexistes, racistes et homophobes notamment).
Travers classique de l'industrie (Gamekult y a consacré un article récemment et Canard PC s'apprête à le faire), le crunch est également pointé du doigt. Au moment où nous parlons, les équipes tourneraient à 70 heures par semaines environ pour livrer Detroit à temps. La pratique, sans surprise, est habituelle : Beyond aurait nécessité une année complète de crunch pour voir le jour, Heavy Rain a laissé des traces et même Farenheit avait déjà été bouclé avec difficulté. Ces heures supplémentaires sont aujourd'hui toutes payées, mais pendant longtemps le studio a entretenu la confusion parmi ses employés (2), avec des crédits d'heures supplémentaires payées à l'avance, incitant donc à les réaliser, sous peine de devoir rembourser le trop-perçu. Plus globalement, c'est donc une culture absurde du présentéisme et de l'heure supplémentaire qui est pointée du doigt, une pression informelle s'exerçant sur les employés ne faisant pas d'heures. Il ne s'agit évidemment pas d'un problème spécifique à Quantic Dream, ni même à l'industrie du jeu vidéo d'ailleurs, mais ce n'est pas une raison pour ne pas le pointer du doigt.
Troisième gros problème : les pratiques RH, voire les libertés parfois prises avec le Code du Travail. Pas toujours très bien payés pour un job à Paris (en 2017, les salaires minimaux d'entrée -hors heures supplémentaires- chez Quantic Dream étaient à peine supérieurs au SMIC), les salariés sont surtout à la merci de pratiques plus que limites en ce qui concerne la rupture des contrats. Pour les CDI et les longs CDD, une pratique courante semble être de mettre en scène un désaccord avec les employés avec des documents antidatés, pour pouvoir enclencher une rupture transactionnelle sur laquelle Quantic ne paye pas de charges. Le tout avec la bénédiction des délégués du personnel. Et quand il s'agit de garder un employé dont le CDD arrive à échéance, pas de chichi non plus : les RH organisent une réunion informelle avec le salarié pendant laquelle le contrat est déchiré pour en signer un nouveau, avec une échéance plus lointaine.
Des pratiques répandues jusqu'en haut de la pyramide, comme le pointent avec malice les trois articles : Guillaume de Fondaumière lui-même en a bénéficié. En 2016, un terrible et profond désaccord l'aurait opposé à David Cage, et ce dernier lui a alors signifié son licenciement, que l'intéressé conteste, tout ça par écrit. Une rupture transactionnelle est engagée, un accord à l'amiable est signé. Fondaumière touche 60 000€ bruts de dédommagement en plus des indemnités légales, pour un total de 100 000€ bruts. Mais à la fin de son préavis de licenciement, il est réembauché à un poste plus important, avec au passage une augmentation mensuelle de 2 000€ bruts. Le désaccord ne devait pas être si terrible. Six autres employés auraient bénéficié d'une procédure similaire au même moment, et leurs sept lettres de contestation sont identiques, laissant peu de doute sur le caractère systématique et standardisé de la pratique.(3)
Plus globalement, plusieurs salariés anciens et actuels déplorent l'absence de contre-pouvoirs au sein de Quantic Dream : RH, comité d'entreprise, délégués du personnel, tous seraient proches de la direction, de David Cage en particulier, laissant les employés démunis lorsqu'il s'agit de faire face à des problèmes ou des pratiques borderline. La création récente du STJV n'est d'ailleurs peut-être pas étrangère à la libération de la parole des travailleurs du jeu vidéo, et nous sommes à peu près certains que dans les prochains mois d'autres studios, d'autres pratiques, d'autres problèmes structurels de cette industrie seront à leur tour mis sous les projecteurs.
Dans un court communiqué, Quantic Dream a démenti en bloc le contenu des trois articles.
Vous aurez remarqué que tous les articles cités dans cette news sont payants. On ne soulignera jamais assez l'intérêt d'une presse libre et autonome financièrement, encore plus lorsqu'il s'agit d'enquêter sur ce genre de pratiques et de problèmes. On vous encourage donc vivement à vous abonner, ou à acheter les articles ou les magasines concernés à l'unité, afin de permettre aux rédactions de poursuivre leur travail en toute indépendance.
(1) Notons au passage que CPC et Mediapart travaillent actuellement main dans la main sur une série d'articles consacrés à l'industrie, Quantic Dream étant leur seconde publication après un dossier introductif dans le CPC n°372.
(2) Confusion également entretenue au sujet de la répartition des bénéfices sur les ventes des jeux. Renégociés à chaque projet, les montants des royalties perçus par les employés sont crachés par un tableur prenant en compte un grand nombre de critères. Pour Detroit, il n'y aurait pas encore d'accord.
(3) La légalité de la procédure est cependant difficilement contestable.