TEST
Lost Records: Bloom & Rage (Tape 1)
Développeur / Editeur : DONTNOD
Après une preview très personnelle d’une démo qui m’a beaucoup touchée, il allait de soi que la responsabilité du test allait me revenir. Je vais annoncer la couleur tout de suite : mon premier avis reste inchangé sur cette première partie de la version publique. Aussi, je vous invite à aller lire la préversion avant de continuer. Je vais essayer ici d’approfondir les quelques détails que j’avais survolés et les changements opérés dans cette version finale.
Lost Records: Bloom & Rage est le dernier né de Don’t Nod et plus précisément de ses studios montréalais. L’association de la marque Don’t Nod à ce projet a du sens dans la mesure où l'on a affaire à un jeu narratif découpé en deux épisodes (Tape 1 et Tape 2). La seconde étant prévue pour avril, le reste du test se limitera à la Tape 1.Les bases du gameplay seront évidentes à quiconque a déjà posé les mains sur un jeu narratif. Cependant, le titre se déroule sur deux temporalités distinctes, la première dans le présent qui se joue en vue subjective et la deuxième dans les années 90 qui adopte une perspective à la troisième personne. Dans les deux cas, on joue le personnage de Swan, une cinéphile en cours de déménagement depuis les États-Unis vers le Canada.
En jeu, cela se traduit par la présence d’un caméscope, qui va servir à beaucoup de choses : lampe torche, collectible, dispositif narratif et quelques fois vecteur d'interaction. On peut le sortir dans à peu près toutes les situations qui ne sont pas des conversations en appuyant sur R1. Plusieurs zones vont alors s’afficher et nous demander de faire plusieurs prises d’un sujet. À ce propos, j'ai été agréablement surprise que le gyroscope de ma DualSense soit pris en compte. Il apporte à la fois un côté tangible à la caméra au poing dénuée de stabilisateur et permet d’improviser naturellement des angles débullés (ou Dutch angle). La possibilité de s’accroupir qui n’était pas présente dans la démo constitue également un ajout bienvenu.
Trop punk pour mettre des intertitres, vous n'aurez que des images

Le fameux caméscope.
Cependant, cette mécanique fait un appel du pied à la créativité du joueur et il est un peu frustrant de constater que les fonctionnalités du caméscope s'arrêtent à peu près là (avec un flash et un zoom en plus). J’aurais beaucoup aimé jouer avec des filtres à densité neutre, température de couleur, courbe de gamma, ISO/ASA, F-Stop, gels, etc. Même si certaines de ces possibilités se seraient avérées anachroniques, le fait que la plupart d’entre elles restent coincées dans le mode photo alors que le caméscope représente une mécanique centrale dans le jeu me donne un goût de potentiel non réalisé. Du reste, dans un dialogue, Swan mentionne justement qu’elle a du mal à comprendre la différence entre ISO et F-Stop, ce qui montre son intérêt d’apprendre et d'expérimenter avec l'appareil.
Le mode photo est, quant à lui, plutôt honnête, sans faire partie de mes préférés. Quelque chose en moi me fait dire que cette frustration trouve son origine dans mon amour de la cinématographie et de la photographie. Cependant, même si c’est la cinéphile en moi qui chipote, je continue d'entretenir l'espoir que l’équipe ajoutera certaines de ces fonctionnalités d'ici à la sortie de la Tape 2. S'il vous plaît Don’t Nod. ( •᷄ . •᷅ㅅ)

Un environnement fort beau et sombre qui donne envie de le prendre en photo.
Notre protagoniste, Swan, enregistre les images dans un processus créatif de fabrication des souvenirs. Chacun de ses plans se range dans un dossier associé, puis un menu de pause nous propose de choisir lesquelles de ces images seront retenues dans chacun de nos courts métrages. De manière un peu triste, le jeu est encore une fois limité dans cette fonctionnalité et ne permet pas de manuellement assigner un plan à un souvenir. Il impose aussi un nombre de prises et ne permet pas de couper le début ou la fin des clips.
Encore une fois, la cinéphile en moi ne peut s’empêcher de penser que c’est une occasion manquée d'apporter un peu plus de verbe dans ce qui constitue déjà manifestement une intention ludique, laquelle est par ailleurs louable car elle favorise l'identification avec le personnage principal et communique son amour à la fois pour le médium cinéma et pour ses amies. Ce qui me donne une transition toute faite, au-delà de ces frustrations, relativement mineures, soyons honnêtes, de parler de ce qui manque et tout ce qui fait le sel de cette expérience narrative.
Sans trop tourner autour du pot, la thématique centrale de la narration est la sororité, laquelle va passer à travers la cinéphilie de la protagoniste, mais aussi le punk, qui est essentiel dans la définition des personnages principaux que sont Kat, Nora et Autumn. Elles ont chacune différentes facettes “punk” en elles. Kat, sous ses airs de gamine, est politisée, bouillonnante, voire même parfois brutale. Nora apporte le côté cool, je-m’en-foutiste, jamais limitée par les conventions sociales. Autumn quant à elle, est celle qui a envie d’améliorer son entourage, de laisser une marque.
Grâce aux deux temporalités mentionnées plus haut, le titre va montrer comment ces personnages ont changé. Cela dit, je ne vais pas rentrer dans les détails sur la timeline du présent parce que le jeu prend son temps pour distiller la caractérisation de ses protagonistes et que je ne veux rien divulgâcher. Je vais quand même laisser filtrer un tout petit détail : mon gaydar avait raison durant la preview et certains membres de ce groupe ont commis des actes de lesbianisme.
Toujours pas d'intertitre

Les besties en plein tournage.
Au-delà du groupe, de la notion de personne à la marge et d'altérité, le punk est aussi bien présent dans les groupes cités (beaucoup de Riot grrrl avec des formations comme Bikini kill, mais pas que). Ma culture musicale des années 90 étant limitée, je n’ai clairement pas pu saisir d’autres références au-delà de celles purement cinématographiques, lesquelles sont présentes par brouettes entières, les deux étant liées par une envie de culture alternative.

Pour revenir à l’image, si sa force et sa flexibilité mécanique sont limitées, son potentiel narratif par contre, est bien utilisé à son plein potentiel. Le processus d’enregistrement apporte beaucoup dans le signifiant narratif. C’est quelque chose que j’avais déjà écrit dans ma préversion, mais je vais en remettre une couche : la caméra sert à beaucoup de choses.
Quelques fois, elle est évocatrice du format en citant directement Blair Witch. D’autres fois, l’action de regarder est vecteur de réaction. La capture d’images apporte aussi une notion de mémoire qui est probablement la plus importante dans le jeu, dans la mesure où l’un de ses sujets principaux est la sororité et le souvenir qu'on en a. C’est pour moi une mécanique ludique et pertinente, malgré les quelques limitations citées plus haut.
La seule chose que j'aurais à reprocher est l'absence d'une interface en arbre de choix à l'instar de celle introduite dans Detroit: Become Human, plutôt qu'un simple chapitrage. Cela étant, c'est un manquement présent dans la plupart des jeux narratifs.

Moi aussi Autumn, moi aussi...
L’architecture entre les temporalités du présent et du passé est drastiquement différente entre le jeu final et la démo et cela m’a touchée d'une autre façon. La version preview m’avait tiré les larmes en me donnant un petit bout d’une enfance que je n’ai jamais eue et que j’aurais aimé connaître.
Cette Tape 1, à l’opposé, s’ouvre sur le présent et passe beaucoup de temps à montrer qu’il s'agit de souvenirs en processus de reconstruction. L’appréhension de ces souvenirs (chez Swan et dans son groupe d’amies) se teinte d'une émotion exprimée par les personnages quand il les évoquent et en discutent dans le présent. On comprend alors vite qu’il y a quelque chose d’amère qui se cache derrière tout ça. Le sujet du déménagement de Swan vers le Canada vient aussi apporter une impression de suspension dans le temps d'un instant particulier, comme une envie de s’échapper dans cette bulle avec ces personnages qu’on aime, qui me parlent tellement et avec qui j’ai envie de passer du temps.
Quelque part, cette démo à la Gamescom 2024 a créé ces souvenirs. J’avais très envie de retrouver ces protagonistes, comme on retrouve des amies. En les redécouvrant ici, avec cette nouvelle lumière, j’ai passé le jeu à avoir peur de les quitter. Ces rappels que le titre donne, que cet espace de bonheur est temporaire, m’ont donné une sorte d'appréhension de la suite, malgré ses moments de beauté. Maintenant, j’aimerais notamment parler d’un twist et de la fin avec laquelle j’ai quelques problèmes, mais pour des raisons évidentes, je ne le ferai pas ici. Mais ce sont des sujets que j’aborderai sûrement au moment de la sortie de la Tape 2.

Ok bon là j'avoue, celle-là elle est gratuite.
La démo Gamescom m’avait déjà essorée en allant me chercher sur un terrain très personnel. Cette Tape 1, qui en plus arrive après mon changement de traitement hormonal et me rend beaucoup plus émotionnelle, se trouve avoir une tonalité qui vient me miner les larmes et produire un dégât des eaux d’origine faciale. En espérant que j'aurai fini d'éponger avant la sortie de la Tape 2 le 15 avril.
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