TEST
South Park : l'Annale du Destin, une autre stratégie de l'échec.
par Nicaulas,
email @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Ubisoft
Le Bâton de la Vérité, le South Park d'Obsidian, était une belle surprise de 2014, notamment parce qu'il retranscrivait à merveille l'univers et l'humour de la série. Mais il avait également des défauts, comme des combats trop nombreux, une ergonomie douteuse à mi-chemin entre le clavier et la manette, et une overdose de références vers la fin de l'histoire. Le jeu n'appelait pas vraiment de suite, mais son succès commercial a poussé Ubisoft à tenter le coup, confiant cette fois-ci le bébé à son studio de San Francisco. Il ne restait plus qu'à espérer que les problèmes susmentionnés soient corrigés...
Évacuons d'emblée la question des doublages français : certes, Ubisoft a les mains un peu sales dans cette histoire de précommande, mais comme il est possible de basculer d'une langue à l'autre depuis les options sans avoir à télécharger un patch ni même revenir au menu principal, c'est du détail. On vous conseille quand même d'essayer les voix françaises quelques instants, histoire de rigoler un coup face au ridicule de la situation : on a demandé à des acteurs d'imiter des acteurs qui sont eux-mêmes dans une sorte d'imitation des voix américaines et dont les voix sont dans la tête de tous les fans depuis 20 ans. Le résultat est hilarant... pendant 30 secondes. Si vous vous étiez déjà demandé ce que donnerait un épisode de South Park doublé par votre petit cousin qui répète "Je vous emmerde et je rentre à ma maison." en boucle en postillonnant pour (mal) imiter Cartman, vous avez votre réponse.Le jeu se place dans la droite lignée du premier : il démarre même par une séquence de tutoriel où le Royaume de King Douchebag, notre personnage, se fait attaquer par de nouveaux méchants. Mais sous l'impulsion de Cartman et dans un brisage de quatrième mur complètement méta dont South Park a le secret, tous les enfants arrêtent de jouer aux elfes et aux magiciens pour se lancer dans une partie de super-héros. La franchise du Coon a besoin de faire grandir sa renommée pour prendre le pas sur les autres franchises, et Cartman lance donc ses troupes à la recherche d'un chat perdu dont le maître offre une récompense de 100$ à qui le retrouvera. Sauf que comme King Douchebag n'a pas de personnage de super-héros, on va redémarrer en bas de l'échelle, et sans XP. La nouvelle aventure va donc être de se créer une nouvelle fiche de personnage, sous la direction de Cartman, pardon, du Coon, qui la remplira au fur et à mesure des missions qu'il nous donne.
Viens te battre avec moi sur le damier de la baston.
Si les similitudes avec le Bâton de la Vérité sont légions, l'Annale du Destin contient une longue liste de petits ajouts et de modifications mineures. La plus visible reste les combats, qui se déroulent toujours au tour par tour mais ont pris une vague tournure "tactical". Quand une bagarre se déclenche, on choisit trois équipiers parmi ses alliés, les tours sont attribués à chaque allié ou ennemi (et non plus par équipe), à chaque tour on se déplace sur un damier et on peut déclencher des attaques selon son positionnement et celui des ennemis. Le résultat n'est pas foncièrement désagréable, mais une fois les rudiments du système assimilés, tout ça tourne très vite en rond. Il y a certes de nouveaux personnages et de nouvelles aptitudes qui se débloquent au fil de la progression dans l'histoire, mais rien qui vienne donner de la profondeur à tout ça. Sans compter que des petits détails s'avèrent horripilants à l'usage et puent la rustine d'équilibrage à plein nez, comme l'utilisation des items de soins qui consomment désormais un tour de personnage, ou le pet qui annule le dernier tour de l'ennemi.Le plus gênant reste le trop grand nombre de combats contre des ennemis standards, soit exactement le même défaut que dans le premier jeu, surtout que les attaques sont désormais accompagnées de petites cinématiques impossibles à skipper (celles des super sont insupportables). Pire : à l'époque les boss rattrapaient bien le coup en étant mémorables et plutôt funs à jouer. Désormais bien plus scriptés, ils sont plus prétextes à rythmer l'histoire qu'à proposer du challenge. On peut citer en exemple le boss de la boîte de strip-tease, dont le concept est littéralement "fonce tout droit en spammant ton attaque de charge pour ne pas te faire rattraper", mais comme c'est une noire obèse qui fait des attaques d'écrasement entre ses fesses, on est censé rigoler.
Touche à ton QTE, sens ton doigt.
Pour l'amélioration des combats, c'est donc plutôt raté. Tentons notre chance du côté de l'ergonomie. Niveau menus, le changement est cosmétique et pas très heureux : les sous-menus ont été remplacés par des icônes d'applis de smartphone, moins lisibles. Mais pour résoudre le problème de la gestion de la profondeur de champ du Bâton de la Vérité, l'Annale du Destin utilise un système de scanner qui met en évidence les éléments de décor interactifs et ouvre un menu contextuel pour ceux qui déclenchent des actions spéciales. C'est à la fois plus souple (les décors deviennent plus lisibles) et plus fastidieux, notamment parce que désormais les actions contextuelles nécessitent d'appeler un allié à la rescousse. Atteindre une plate-forme inaccessible en hauteur ne se fait plus avec la sonde alien, mais nécessite de scanner la zone, d'analyser la plate-forme, d'appeler l'Homme Cerf-Volant puis de résoudre un QTE. A. CHAQUE. PUTAIN. DE. FOIS.Et il n'y a pas que les boss et les combats qui sont scriptés et contraints par l'histoire : toute la ville de South Park, non, pire, littéralement tout le jeu vous fout des menottes et vous empêche d'avancer à votre guise. Au début de l'histoire, la quasi-totalité des chemins sont bloqués, vous obligeant à tracer tout droit vers votre objectif, et les quêtes annexes sont inexistantes. Par la suite, revenir dans une une zone déjà terminée via la quête principale passera par votre recherche du 100%: il ne restera que quelques quêtes FedEx et (beaucoup) de zones cachées pour vous motiver à y retourner.
J'suis fatigué, j'me sens pas bien, j'crois que je vais vous emmerder et rentrer à ma maison.
Donc, question ergonomie c'est plus ou moins la même chose que le premier jeu mais avec beaucoup moins de liberté laissée au joueur dans sa progression. Reste donc l'histoire et l'univers South Park…Soyons honnêtes : il s'agit toujours d'une excellente retranscription de l'univers de la série. La ville est bien reconstituée, c'est blindé de références, les vannes et les punchlines sont là…Il n'empêche que la bascule vers le pastiche de super-héros n'est pas très heureuse : l'arc narratif du Coon était déjà bien faiblard dans la série, et ne s'en sort pas beaucoup mieux en jeu vidéo. Certes, on retrouve des péripéties complètement connes, les aliens et les zombies nazis étant remplacés par d'autres idées très haut perchées. Mais le ressort comique principal sera "on est une franchise de super-héros et on veut faire plein de films comme le MCU en ajoutant des super-héros débiles" et tous les rebondissements ne serviront qu'à ajouter un nouveau héros au roster.Du coup, on anticipe très facilement comment le jeu et l'histoire vont avancer, en listant mentalement les personnages manquants à la check list South Park, et comme la structure globale n'a pas changé depuis le Bâton de la Vérité (deux groupes d'enfants ennemis doivent faire face ensemble à un complot plus important qu'eux)... Dans un jeu "story driven" comme on dit quand on donne des conférences à l'E3, manquer autant de variété et de surprises alors que dans le même temps on restreint le joueur à suivre l'histoire, c'est l'assurance de faire bailler les joueurs. En plus de ça, plusieurs blagues méta tombent totalement à plat, comme les voitures qui interrompent momentanément les combats quand ceux-ci se déroulent dans la rue, où l'utilisation des parents de South Park comme mini-boss pour allonger la sauce.
Maintenant, heureusement, je fais partie d'une secte radicale basée sur le thème de l'apocalypse et de l'éradication de l'espèce humaine par la sodomie.
Pour une suite qui n'avait pas vraiment de raison d'exister, l'Annale du Destin se foire donc là où on l'attendait au tournant. Reste, pour ne pas finir sur une impression trop négative malgré tout, que le jeu a quelques qualités. En premier lieu l'univers South Park, qu'on a déjà évoqué, et qui reste toujours aussi trash, bête et méchant même dans un scénario un peu plus faible. Mais aussi quelques bonnes idées éparpillées à droite ou à gauche. Il y a par exemple un système d'alignements multiples qui orientera notre personnage vers certains types d'attaques, le fait qu'on doive piocher dans un deck de capacités pour n'en garder que quatre, les deux points précédents combinés qui permettent à ceux qui le souhaitent de varier leur style de jeu au fur et à mesure de l'aventure, du crafting pas trop mal foutu ou encore un très riche système de runes ajoutant des buffs permanents à son personnage. Les bonnes intentions étaient là et si tout n'est pas réussi, loin s'en faut, on peut au moins reconnaître au jeu une vraie générosité.Sans être totalement mauvais, l'Annale du Destin s'avère bien trop laborieux et frustrant à jouer pour qu'on y prenne vraiment du plaisir. Beaucoup plus dirigiste et scripté que le Bâton de la Vérité, peinant à résoudre les défauts de son prédécesseur, il enferme le joueur dans une histoire pas très inspirée. Le jeu ne décolle jamais vraiment, malgré une bonne volonté évidente et beaucoup de petites tentatives de changer la formule d'origine.