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Abzû : Les petits poissons nagent aussi bien que les gros
Développeur / Editeur : 505 Games Giant Squid
Vous savez déjà sans doute tout ce qu'il y a à savoir sur Abzû, le premier bébé du studio Giant Squid sorti début août sur PC et PS4, et si ce n'est pas le cas, il n'est pas trop tard pour consulter la preview réalisée par Joule à l'occasion du dernier E3. Du coup, plutôt que de vous noyer sous un flot de détails, on a préféré laisser la parole à l'un des témoins directs de cette plongée poético-naturaliste.
Bonjour, je suis un poisson et j'ai une histoire à vous raconter.Je n'ai pas de nom, ça ne me servirait pas à grand chose d'en avoir un vu que mes congénères et moi ne sommes pas très bavards. Par contre, si vous y tenez, vous pouvez m'appeler Philippe, je trouve que ça sonne bien Philippe le poisson. Je suis un anchois, vous savez, l'une de ces petites bestioles que vous adorez détester. Votre sadisme vous pousse à nous pêcher, à nous rouler dans le sel, à nous faire cuire sur des pizzas puis à nous envoyer directement à la poubelle sans même prendre le temps de goûter à notre chair. Autant dire que vous les bipèdes, vous n'avez pas franchement la cote chez les anchois, pourtant mes récentes aventures m'ont amené à revoir mon jugement sur votre espèce.
Je venais d'échapper à l’appétit d'un gros mérou. Je n'ai pas eu le temps de pleurer sur la disparition de mes frères qui n'ont pas eu cette chance, notre banc ayant volé en éclat sous la violence de l'attaque. Je me retrouvais seul, livré à moi même au beau milieu d'une forêt d'algues. C'est alors que je l'aperçus, mon plongeur était tranquillement affairé à déterrer un étrange petit robot aquatique. Il ne m'a pas repéré, mais rien d'étonnant à cela, qui se soucie d'un petit anchois lorsque virevoltent tout autour de soi des labres californiens, des poissons-trompettes ou des chirurgiens jaunes ? C'est justement ma discrétion naturelle qui m'a permis de suivre ce visiteur insolite et d'en apprendre progressivement un peu plus sur son compte.
Ce n'était pas le premier plongeur que je voyais passer. D'autres l'avaient précédé, toujours en solitaire, mais ils ne m'avaient pas vraiment inspiré confiance. Certains donnaient l'impression de s'ennuyer fermement, d'autres nageaient le plus vite possible dans l'espoir j'imagine d'atteindre rapidement un but qui m'étais inconnu, enfin il y en avait qui fouillaient consciencieusement le fond pour essayer d'y dénicher de gros coquillages et des gisements de poissons. J'ai même cru comprendre que certains touristes comparaient en ronchonnant leur plongée à une promenade dans le désert ou à une brise fleurie, tout ça sous prétexte que c'était le même opérateur qui avait organisé leurs précédentes virées. Autant dire que je ne pense pas que ces blasés, ces excités et ces collectionneurs aient vraiment profité du voyage.
Mon plongeur, lui, était plutôt du genre calme et contemplatif. Il prenait son temps pour admirer la faune et la flore autour de lui. Assez régulièrement, il venait même s'asseoir sur d'étranges sculptures histoire de méditer. Il semblait alors se détacher de son corps pour venir au plus près de nous, à tel point que son esprit aurait bien pu fusionner avec celui des animaux marins qui l'entouraient. Ça avait l'air de lui plaire, il ressortait de ces séances avec un vague sourire aux lèvres, dans un entre deux assez difficile à qualifier, à la fois apaisé et un peu plus réveillé à la fois. C'est sans doute ce qui m'a plu chez lui et qui m'a donné envie de le suivre.
Et même pour un poisson comme moi, ce n'était pas toujours facile de ne pas le perdre de vue. Il se déplaçait avec une parfaite fluidité sous l'eau, bien plus rapidement et avec plus d'agilité que ceux de votre espèce. Il filait même parfois à toute allure en profitant de courants rapides. Heureusement pour mes nageoires, il prenait aussi le temps de faire des pauses, de s'amuser avec les plus gros poissons, les raies, les cétacés et les tortues. Il s'accrochait à eux, en profitait pour faire d'improbables tonneaux, je l'ai même vu tenter un saut au dessus des vagues, agrippé à une baleine bleue. Par contre, les rares fois où je l'ai vu sortir de l'eau, il semblait tout à coup gauche et désorienté, chaque pas lui pesait et il était visiblement pressé de retrouver le milieu aquatique. Je suis loin d'être un expert en la matière, mais ce n'est sans doute pas un humain comme les autres.
J'ai vraiment été bien inspiré de nager dans son sillage. En quelques galipettes il m'a embarqué pour des paysages sous-marins variés dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Du récif corallien aux profondeurs abyssales, j'ai eu droit à une véritable visite guidée de ce qui se fait de plus impressionnant dans les océans. Certains décors étaient un peu tristounets avant l'arrivée de mon compagnon, mais ce dernier parvenait toujours à entrer en communion avec une force capable de rendre aux lieux l'éclat qu'ils méritaient. C'était alors toujours un déluge de couleurs qui attirait immanquablement de nouveaux curieux. Je peux dire que je me suis fait pas mal d'amis pendant cette odyssée, j'ai même rencontré des espèces marines que je croyais éteintes, mais globalement je ne m'attardais jamais trop, de peur de perdre mon guide et de me retrouver seul. Ce n'est pas vraiment le grand blanc rôdant dans le coin qui me filait les chocottes, mais plutôt les étranges ruines vers lesquelles mon plongeur semblait inexplicablement attiré.
Maintenant je peux le dire, au fond de l'océan il y a vraiment des choses pas nettes qui se trament. Je ne parle pas seulement des blobfishs et de leur horrible frimousse, mais bien de ces vestiges inquiétants, traces d'une civilisation disparue qui avait visiblement la mauvaise habitude de marcher sur les plates-bandes des honnêtes poissons comme moi. Bien sûr, je reconnais que les bougres savaient réaliser de jolies mosaïques et qu'ils avaient un certain sens de la composition en matière d'architecture. Mais voilà, ils avaient aussi à leur disposition une technologie qui ne m'inspire vraiment pas confiance. Remarquez bien que je n'ai sans doute pas tout à fait compris de quoi il en retournait, après tout je ne suis qu'un poisson...
J'en viens d'ailleurs à la raison pour laquelle j'en suis réduit à vous raconter tout ça. Objectivement ce périple n'était pas bien long, et pourtant il a changé ceux qui l'ont entrepris. Quand j'ai fini par le quitter, mon plongeur ressemblait plus que jamais à un poisson, et moi un peu plus à l'un d'entre vous. Lui ça l'a allégé, moi ça a alourdi mon esprit d'une foule de nouvelles questions. J'ai bien essayé de partager mon expérience avec mes congénères, mais je n'ai récolté que leur mutique indifférence. Vous savez comment sont les poissons, pas moyen de raisonner avec eux, ils savent tout...
Difficile de sortir du bain après avoir fait trempette avec Abzû. Tous les défauts objectifs qu'on lui trouvera (trop court, pas assez original par rapport à Flower et à Journey...) ne pèsent pas bien lourd face à la douce quiétude qu'il peut vous apporter. C'est un jeu qui vous veut du bien, et rien que pour cette raison, on le remercie d'exister.