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Aniara : horreur cosmique et nihilisme positif
Dans la culture, les œuvres qui ne trouvent pas d’approbation publique peuvent soit planter un souvenir commun impérissable, bien que négatif, soit tomber dans l'oubli. Ma fâcheuse habitude de prendre la défense des mal aimés, par la force de leur présence culturelle, me place très souvent dans la première catégorie. Mais aujourd’hui, je vais défendre une œuvre appartenant au deuxième groupe. Cette fois-ci, on va parler cinéma.
Aniara est un film suédois de 2017 adapté d’un poème éponyme de 1953, qui s’est montré dans quelques festivals, puis a fait une sortie dans une poignée de pays (qui n'inclut pas la France). Après avoir rapporté l'énorme chiffre de 40 124 dollars au Box Office mondial (d’après IMDb), il termine sa vie en blu-ray/DVD. Son oubli est probablement dû à une sortie relativement confidentielle. Cela dit, sous ces airs de cinéma indépendant tout petit, se cache une oeuvre qui me fascine et me colle au crâne depuis que je l’ai vue.
L'ultime frontière.
Aniara est un film de science-fiction qui se passe dans un futur relativement proche où il est possible d’embarquer dans un vaisseau-monde pour migrer sur Mars et quitter la Terre en état de déréliction. Le voyage est long, mais relativement commun. Tout est donc fait pour une traversée tout confort. Le vaisseau est structuré comme un gros bateau de croisière avec ses différentes attractions, restaurants et autres agréments. L'appareil décolle et là, catastrophe, un débris spatial se trouve sur sa trajectoire. Sauf que nous ne sommes pas dans un film de naufrage : l’équipage modifie la course du vaisseau et évite l’impact…
Le regard profond de l'abysse
Bravo ! Les passagers sont sains et saufs et, normalement, vous devez vous demander pourquoi je vous ai raconté ce qui a l’air de constituer toute l'intrigue du film. Mais ce paragraphe ne correspond qu'aux dix premières minutes. L’accroche arrive juste après. Il se trouve qu’après sa déviation, le vaisseau se trouve dans l’incapacité de revenir sur sa trajectoire initiale et va désormais dériver dans l’espace sans jamais qu'on ne sache s'il pourra atteindre sa destination un jour. C’est à cet instant que le long métrage dévoile son sujet : cet “après” et surtout ce rien qu’il y a après. Ce rien dont je parle est central, omniprésent, grand, enveloppant. Un vide, une abysse, un néant qui s’installe brutalement, sans dire bonjour ni merci. Tout l’amour que j’ai pour ce film est résumé dans ce propos. Ce propos du rien. Cet infini qui se montre, à la fois cet absolu gigantisme écrasant qu’est l’univers, comme cette chose qui nous attend après une presque centaine d’années pour les plus chanceux.
PLS de crise existentielle.
À ce stade, vous devez vous dire : “Ça n'a vraiment pas l’air fun, pas sûr(e) d’avoir envie de le regarder”. Eh bien, le premier réflexe des passagers est d’éviter de regarder le vide en face et de se tourner vers les activités récréatives, qui prennent la forme d’une machine qui génère des sortes de rêves lucides relaxants. Celle-ci devient très vite un point de tension important dont le statut va évoluer durant le reste du film. Cette évolution va répondre directement au méta-commentaire sur le divertissement qu’on consomme (Blaise Pascal serait fier) et, par ce biais, nous oblige à regarder cette absence en face, ces distractions étant rapidement montrées comme une occupation vaine.
Solaire malgré tout
Je ne voudrais pas, cependant, que vous pensiez qu'il s'agit film dépressif et défaitiste. Il passe justement le plus clair de son temps à montrer des personnages qui essayent de trouver des voies de sortie et de vivre malgré cette présence écrasante. En dehors du divertissement qui est un cas particulier, le film propose aussi de parler de religion, d'amour ou de passion créative comme tentative de réponse. Grâce à ça, beaucoup de moments solaires se dégagent du métrage. À vous de voir si les réponses proposées sont adéquates.
Quand tu trouves du bonheur au milieu de cette froideur.
Cela étant, ne vous dites pas non plus qu’on va regarder le ciel étoilé d'un vide spatial pendant deux heures. Le film propose différentes directions pour nous aider à appréhender cet infini, lesquelles vont inscrire Aniara dans le domaine de l’horreur cosmique. L'oeuvre vient chercher ces thématiques de l’impalpable, du grand et de l'incompréhensible, tout en évitant l’écueil de tenter une représentation des monstres marquants par leur nature même à être indescriptibles, erreur que commettent des films comme Mist, Color Out of Space, The Void et quelques autres. L’impact est d’autant plus fort que ce vide existe aussi pour nous. Rien n’est à imaginer. Je pourrais continuer ma comparaison longtemps, mais pour ne pas arriver sur le terrain du divulgâchis, je vais m’arrêter ici.
Aniara fait cette chose que je trouve fascinante, qui est de m’asseoir pour me forcer à contempler ma propre fin, tout en m'enveloppant de sa froideur et de son absence de sens. En me plongeant dans son regard, j'y découvre une sorte de tranquillité. Une paix que je découvre après m’être habituée à sa présence pour continuer à vivre ma vie malgré tout.
J'aimerais de tout mon cœur vous dire de foncer voir Aniara (pour me faire ensuite insultée dans les commentaires à cause de la crise existentielle que j’ai réveillée en vous). Malheureusement, il est absent des différentes plateformes de streaming. Cependant, il est disponible à la location sur Apple TV et Prime.
J'aimerais de tout mon cœur vous dire de foncer voir Aniara (pour me faire ensuite insultée dans les commentaires à cause de la crise existentielle que j’ai réveillée en vous). Malheureusement, il est absent des différentes plateformes de streaming. Cependant, il est disponible à la location sur Apple TV et Prime.
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