ACTU
Magic Leap, la mauvaise blague à 2,5 milliards de dollars
par CBL,
email @CBL_Factor
Août 2018. Le casque de réalité augmentée (RA) Magic Leap One (ML1) sort. Le PDG de Magic Leap, Rony Abovitz, pense en vendre 100 000 la première année. La boite a levé plus de 2,5 milliards de dollars venant des Google, Andreessen Horowitz, Alibaba,... et a un partenariat avec AT&T aux US alors que le ML1 ne propose aucune connectivité à un réseau cellulaire.
Novembre 2018. Premier gros revers pour Magic Leap. C'est Microsoft qui remporte le contrat pour équiper l'armée de terre US en casques à réalité augmentée, un marché convoité par ML.
Décembre 2019. Selon plusieurs sources, Magic Leap aurait licencié des douzaines d'employés suite aux ventes faiblardes du ML1. Durant les six premiers mois de sa commercialisation, le ML1 se serait vendu à seulement 6000 exemplaires... Alors comment en est-on arrivé là ? Ayant utilisé le casque depuis août 2018, je pense avoir quelques éléments de réponse.
Mai 2019. C'est un jour comme un autre dans une boite de com' de Los Angeles. J'enfile le ML1 pour regarder les progrès de mon dev Unreal Engine 4. Forcément la batterie est à plat. Je branche donc le cable USB-C au cul du boitier et vais prendre un café. Je reviens et allume le bousin. Pendant environ 60s après avoir appuyé sur le bouton "Power", rien ne s'affiche à l'écran. Je ne sais pas vraiment si le casque boote et s'il n'était pas assez chargé. Je regarde le boitier et tente de déchiffrer ce que disent les diodes colorées à l'aide d'un manuel totalement surréaliste.
L'écran d'accueil s'affiche enfin à savoir une île-planète tout en 3d super jolie mais qui a déjà dévoré une partie de ma batterie. J'appuie sur la gachette de la manette et rien ne se passe. Le casque a décidé de ne plus la reconnaitre pour des raisons inconnues donc je la branche en filaire au cul du boitier. Elle comporte aussi plein de diodes colorées à la signification aussi cryptique que le boitier. Comme souvent, je clique sur le trackpad pour lancer mon appli et rien ne se passe car le trackpad de la manette n'est pas cliquable donc j'utilise la gachette. Au passage, le suivi de la manette n'est pas fantastique et il y a toujours un peu de délai malgré le fait que ce soit un système à base de champs magnétiques comme le Polhemus.
Le suivi des mains laisse aussi à désirer et si vous voulez des commandes vocales il faut implémenter le SDK de votre choix, celui de base ne proposant rien. Je pose sur le casque sur la table pour aller en réunion. Quand je reviens et que je remets le casque, le message "Trying to regain headpose" s'affiche car le casque a besoin de comprendre où il est alors qu'il n'a pas bougé. Si vous avez le malheur de vous éloigner un poil trop de la zone de départ, le positionnement dans l'espace est perdu pour de bon et vous devez scanner à nouveau la pièce. Avec ARKit, je peux me promener dans un parc et revenir à ma position initiale et mes ancres virtuelles seront toujours là. Et accessoirement, ARKit fonctionne à l'extérieur ce qui n'est pas le cas du ML1 vu qu'il utilise des capteurs infrarouges.
L'appli UE4 s'affiche. Le rendu est sympa mais les objets 3D semblent trembler quand je bouge. J'active les outils de debug et la raison devient rapidement apparente : le rendu ne tourne qu'à 30 FPS contre 60 espéré et le casque ne fait aucune interpolation. Pourtant je n'affiche pas des masses de polys. En regardant de plus près, je me rends compte que c'est le CPU qui souffre sa race car on a un peu forcé la dose sur les appels à l'API graphique. Le Nvidia Tegra X2 a beau avoir un GPU costaud, le CPU est assez faiblard.
Je vais demander à mon dev si y'a moyen d'améliorer les choses par exemple en passant à Vulkan. Il me répond en rigolant que c'est pire et qu'on ferait mieux de recoder le projet sous Unity car UE4 est trop lourd pour ce genre d'appareil. Il me dit aussi que le casque lui donne mal à la tête. Comme la moitié de la population, il est myope et on ne peut pas porter ses lunettes en même temps que le casque. Du coup, tout est flou pour lui. Je lui explique qu'il faut qu'on commande les lentilles spéciales adaptées à sa vision.
Dépité, je regarde ce qu'il y a sur Magic Leap World, la boutique d'applis du bousin. La réponse est simple : rien. Quasiment un an après le lancement, le contenu est quasi-inexistant. Il faut dire que Magic Leap a aussi rendu la publication d'applications compliquées avec un système débile de certificats et de validation par un testeur pire que sur iOS. Ah si, il y a la version Magic Leap d'Angry Birds qui est en ligne. Trop bien. La supposée killer app du casque, Dr. Grordbort's Invaders, développée en interne par Magic Leap est un shoot basique à peine meilleur que le RoboRaid de Microsoft sorti en 2016 sur HoloLens.
Le seul truc excitant du moment est une appli Game Of Thrones appelée The Dead Must Die: A Magic Leap Encounter. Mais pendant plusieurs mois, elle était disponible uniquement dans les boutiques AT&T. Sympa pour les types qui ont lâché 2300 dollars dans le casque. Magic Leap n'est pas le seul à galérer dans le monde des casques de réalité augmentée. Trois startups fabricant des casques de RA établies et bien financées ont bu la tasse cette année : Osterhout Design Group (ODG), Meta et Daqri. Elles ciblaient toutes les trois le monde professionnel mais au bout d'un moment il serait temps de se poser la question : est-ce que les gens sont vraiment intéressés par la réalité augmentée ? Est-ce qu'il y a un océan bleu pour la RA?
Cela fait maintenant onze ans que je bosse dans ce domaine et le seul truc qui semble intéresser les gens en matière de réalité augmentée sont les filtres à la con pour augmenter son visage en temps réel sur Snapchat/Facebook. La seule killer app de la RA est Pokémon Go et la partie RA n'est même obligatoire... Pourtant il doit y avoir un milliard de smartphones en circulation capable de faire de la RA. On nous explique que les lunettes de RA vont remplacer à terme les smartphones mais je n'y crois pas une seconde. On n'a toujours pas résolu les problèmes d'autonomie et d'interface utilisateur sans compter un détail tout con : beaucoup de gens ne veulent pas porter de lunettes car ils n'en ont pas besoin et ceux qui doivent en porter sont prêts à mettre des lentilles sur leurs yeux pour éviter d'en porter. Sans oublier les problèmes de violation de la vie privée...
Novembre 2018. Premier gros revers pour Magic Leap. C'est Microsoft qui remporte le contrat pour équiper l'armée de terre US en casques à réalité augmentée, un marché convoité par ML.
Décembre 2019. Selon plusieurs sources, Magic Leap aurait licencié des douzaines d'employés suite aux ventes faiblardes du ML1. Durant les six premiers mois de sa commercialisation, le ML1 se serait vendu à seulement 6000 exemplaires... Alors comment en est-on arrivé là ? Ayant utilisé le casque depuis août 2018, je pense avoir quelques éléments de réponse.
Mai 2019. C'est un jour comme un autre dans une boite de com' de Los Angeles. J'enfile le ML1 pour regarder les progrès de mon dev Unreal Engine 4. Forcément la batterie est à plat. Je branche donc le cable USB-C au cul du boitier et vais prendre un café. Je reviens et allume le bousin. Pendant environ 60s après avoir appuyé sur le bouton "Power", rien ne s'affiche à l'écran. Je ne sais pas vraiment si le casque boote et s'il n'était pas assez chargé. Je regarde le boitier et tente de déchiffrer ce que disent les diodes colorées à l'aide d'un manuel totalement surréaliste.
L'écran d'accueil s'affiche enfin à savoir une île-planète tout en 3d super jolie mais qui a déjà dévoré une partie de ma batterie. J'appuie sur la gachette de la manette et rien ne se passe. Le casque a décidé de ne plus la reconnaitre pour des raisons inconnues donc je la branche en filaire au cul du boitier. Elle comporte aussi plein de diodes colorées à la signification aussi cryptique que le boitier. Comme souvent, je clique sur le trackpad pour lancer mon appli et rien ne se passe car le trackpad de la manette n'est pas cliquable donc j'utilise la gachette. Au passage, le suivi de la manette n'est pas fantastique et il y a toujours un peu de délai malgré le fait que ce soit un système à base de champs magnétiques comme le Polhemus.
Le suivi des mains laisse aussi à désirer et si vous voulez des commandes vocales il faut implémenter le SDK de votre choix, celui de base ne proposant rien. Je pose sur le casque sur la table pour aller en réunion. Quand je reviens et que je remets le casque, le message "Trying to regain headpose" s'affiche car le casque a besoin de comprendre où il est alors qu'il n'a pas bougé. Si vous avez le malheur de vous éloigner un poil trop de la zone de départ, le positionnement dans l'espace est perdu pour de bon et vous devez scanner à nouveau la pièce. Avec ARKit, je peux me promener dans un parc et revenir à ma position initiale et mes ancres virtuelles seront toujours là. Et accessoirement, ARKit fonctionne à l'extérieur ce qui n'est pas le cas du ML1 vu qu'il utilise des capteurs infrarouges.
L'appli UE4 s'affiche. Le rendu est sympa mais les objets 3D semblent trembler quand je bouge. J'active les outils de debug et la raison devient rapidement apparente : le rendu ne tourne qu'à 30 FPS contre 60 espéré et le casque ne fait aucune interpolation. Pourtant je n'affiche pas des masses de polys. En regardant de plus près, je me rends compte que c'est le CPU qui souffre sa race car on a un peu forcé la dose sur les appels à l'API graphique. Le Nvidia Tegra X2 a beau avoir un GPU costaud, le CPU est assez faiblard.
Je vais demander à mon dev si y'a moyen d'améliorer les choses par exemple en passant à Vulkan. Il me répond en rigolant que c'est pire et qu'on ferait mieux de recoder le projet sous Unity car UE4 est trop lourd pour ce genre d'appareil. Il me dit aussi que le casque lui donne mal à la tête. Comme la moitié de la population, il est myope et on ne peut pas porter ses lunettes en même temps que le casque. Du coup, tout est flou pour lui. Je lui explique qu'il faut qu'on commande les lentilles spéciales adaptées à sa vision.
Dépité, je regarde ce qu'il y a sur Magic Leap World, la boutique d'applis du bousin. La réponse est simple : rien. Quasiment un an après le lancement, le contenu est quasi-inexistant. Il faut dire que Magic Leap a aussi rendu la publication d'applications compliquées avec un système débile de certificats et de validation par un testeur pire que sur iOS. Ah si, il y a la version Magic Leap d'Angry Birds qui est en ligne. Trop bien. La supposée killer app du casque, Dr. Grordbort's Invaders, développée en interne par Magic Leap est un shoot basique à peine meilleur que le RoboRaid de Microsoft sorti en 2016 sur HoloLens.
Le seul truc excitant du moment est une appli Game Of Thrones appelée The Dead Must Die: A Magic Leap Encounter. Mais pendant plusieurs mois, elle était disponible uniquement dans les boutiques AT&T. Sympa pour les types qui ont lâché 2300 dollars dans le casque. Magic Leap n'est pas le seul à galérer dans le monde des casques de réalité augmentée. Trois startups fabricant des casques de RA établies et bien financées ont bu la tasse cette année : Osterhout Design Group (ODG), Meta et Daqri. Elles ciblaient toutes les trois le monde professionnel mais au bout d'un moment il serait temps de se poser la question : est-ce que les gens sont vraiment intéressés par la réalité augmentée ? Est-ce qu'il y a un océan bleu pour la RA?
Cela fait maintenant onze ans que je bosse dans ce domaine et le seul truc qui semble intéresser les gens en matière de réalité augmentée sont les filtres à la con pour augmenter son visage en temps réel sur Snapchat/Facebook. La seule killer app de la RA est Pokémon Go et la partie RA n'est même obligatoire... Pourtant il doit y avoir un milliard de smartphones en circulation capable de faire de la RA. On nous explique que les lunettes de RA vont remplacer à terme les smartphones mais je n'y crois pas une seconde. On n'a toujours pas résolu les problèmes d'autonomie et d'interface utilisateur sans compter un détail tout con : beaucoup de gens ne veulent pas porter de lunettes car ils n'en ont pas besoin et ceux qui doivent en porter sont prêts à mettre des lentilles sur leurs yeux pour éviter d'en porter. Sans oublier les problèmes de violation de la vie privée...