ARTICLE
Prise Chaude : l’acte de tuer
Attention, à partir de maintenant, vous entrez sur le territoire du spoiler. Si vous n’avez pas terminé le jeu, faites demi-tour tout de suite.
Comme on l’a vu juste avant, c’est tout le jeu qui raconte quelque chose d’Ellie, quelque chose de nous aussi, vils animaux primitifs et violents que nous sommes. Mais The Last of Us va plus loin : il réussit l’exercice d’équilibriste d’épauler son gameplay grâce à une narration qui a fait couler beaucoup d’encre. Si je suis prêt à lire certains arguments critiquant l’ouvrage, je pense qu’on peut tous au moins saluer la démarche « jusqu’au-boutiste » de celle-ci.
Il y avait comme un air de tromperie pourtant, à la lueur de cette jaquette du jeu, qui ne montre que Ellie. Bien que le secret fut l’un de ceux qui se craquèlent bien promptement, voir Joël périr si vite, aussi tôt, est un moment fort, qui, pour un temps du moins, m’a mis dans le même état d’esprit que mon Ellie : allons tuer ces enfoirés.
Comme pour mieux nous donner envie de nous venger, l’œuvre nous fait également incarner sa meurtrière peu après le début du jeu. Abby, c’est son nom, en a déjà affronté des vertes et des pas mûres. En la contrôlant, on comprend qu’un désir de revanche l’anime et qu’elle est prête à tout pour atteindre Joël… et lui éclater le crâne. Par petites touches, on découvre qu’elle a un groupe de personnes auquel elle tient. Et le fait de l’avoir incarné ne fait que renforcer notre aversion contre elle. On va la traquer, et on va la détruire. Abby a tué Joël. Ellie va tuer Abby. Et on va l’accompagner jusqu’au bout pour ça. Pour un temps.
C’est à partir de là que le jeu commence vraiment. On trouve des polaroïds qui montrent le visage de ceux qui étaient dans la pièce au moment de la mort de notre figure paternelle. Et on remonte la liste. Un à un, on tue, souvent de sang-froid, tous les gens qui sont proches de notre ennemie. Quelque part ailleurs dans Seattle, Tommy, le frère de Joël fait de même. Pendant ces trois jours intenses, Abby est un fantôme, un objectif lointain pour laisser libre cours à la folie froide d’une Ellie qu’on ne reconnaît plus. Lorsqu’enfin on pense être proche d’Abby, c’est elle qui vient nous chercher, directement dans le cinéma qu’on occupe avec nos amis. S’ensuit une scène d’une rare tension… qui ne se dénouera que quinze heures plus tard.
Le fait de revoir, après les avoir tués avec Ellie, ces adversaires et y lire des personnes qui tentent de survivre, qui s’aiment et se déchirent, donne à toute cette seconde partie une couleur particulière. Comme un air de regret. Chose impossible au début, notre perception de Abby évolue et de la même manière que deux faces d’une même pièce, notre perception d’Ellie se dégrade.
Lorsqu’enfin, on retourne à ce moment de bascule, laissé en suspens, nos opinions ne sont plus les mêmes. Maintenant, la croisade d’Ellie nous semble bien moins juste, et la vengeance d’Abby bien plus compréhensible. On est partagé, et on ne veut abandonner ni l’une ni l’autre. Une fois de plus, Ellie perd, et Abby pardonne. Et une fois de plus, on pense que le jeu va pouvoir se terminer ici. On se satisfait même d’un épilogue magnifique et apaisant pour nos personnages. Sauf que non. Ellie désire encore se venger, elle qui vit dans la tourmente.
L’ultime partie de l’histoire, Santa Barbara, détonne. Là où la saga était toujours parvenue à rester dans l’argumentaire classique du « Tout le monde a ses raisons », elle manque parfois de discernement sur la dernière ligne droite. Les ennemis en face, une espèce de mélange entre esclavagistes et tortionnaires, méritent vraiment de mourir. Aussi peu de profondeur dans les adversaires m’a un peu déçu.
Lorsque Ellie retrouve Abby, rachitique, accrochée à un poteau au bord d’une plage, son premier réflexe est de l’aider à s’enfuir. Mais c’est plus fort qu’elle. Une dernière fois, elle pousse Abby à l’affrontement. En tant que joueur, cette lutte à mort était le climax absolu de l’expérience. Sur la page précédente, j’avais mentionné de manière schématique que l’histoire du jeu était celle de deux trains lancés à pleine vitesse l’un vers l’autre. Ce climax, c’est le moment de l’impact. En contrôlant Ellie, on frappe, encore, et encore. Jusqu’au moment où on s’apprête à tuer Abby. Les yeux dans le vague, on assiste, impuissant, à la création d’un nouveau cycle de vengeance et de violence. Sauf que non. Ellie, contre toute attente, décide d’épargner son adversaire, et brise enfin le cycle de violence.
Certes, l’histoire que Naughty Dog relate l’a déjà été dans d’autres médiums que le jeu vidéo. Mais à l’opposé de bien des concepts de game design pour lesquels le choix est LA caractéristique fondamentale du jeu vidéo, The Last of Us n’a jamais été un jeu dans lequel le joueur est décideur. En nous faisant subir la violence, puis incarner la vengeance, avant de nous la faire subir à nouveau, le petit dernier de Naughty Dog raconte quelque chose qui, si l'on cherche bien, a déjà été raconté, mais jamais de cette manière. Après s’être retrouvé dans cette machine à laver pleine de sang et de tripes, on en ressort lessivé, usé, mais avec une seule volonté : en parler et comprendre la perception des autres.
The Last Of Us : Part 2 est un jeu polarisant, n’hésitez pas à venir en débattre dans les commentaires, tant que tout se fait dans le respect ! Quant à moi, je retourne sur Paper Mario. Là-bas au moins les coups de marteau ne font que des confettis.
Comme on l’a vu juste avant, c’est tout le jeu qui raconte quelque chose d’Ellie, quelque chose de nous aussi, vils animaux primitifs et violents que nous sommes. Mais The Last of Us va plus loin : il réussit l’exercice d’équilibriste d’épauler son gameplay grâce à une narration qui a fait couler beaucoup d’encre. Si je suis prêt à lire certains arguments critiquant l’ouvrage, je pense qu’on peut tous au moins saluer la démarche « jusqu’au-boutiste » de celle-ci.
Ils ont tué *****, bande d’enfoirés !
Le grand coup de maître de Naughty Dog dans le contexte de sortie de ce second opus a été sans doute la capacité du studio à maintenir secret 90 % du jeu (à part quelques leaks stupides). Les vidéos montraient une Ellie vengeresse, prête à tout pour venger Dina, sa petite copine que l’on découvre dans ce second opus. Dans les bandes-annonces, c’est elle qui trouve la mort de manière brutale et démarre l’odyssée de sang qui sert de fil conducteur au titre.Il y avait comme un air de tromperie pourtant, à la lueur de cette jaquette du jeu, qui ne montre que Ellie. Bien que le secret fut l’un de ceux qui se craquèlent bien promptement, voir Joël périr si vite, aussi tôt, est un moment fort, qui, pour un temps du moins, m’a mis dans le même état d’esprit que mon Ellie : allons tuer ces enfoirés.
Comme pour mieux nous donner envie de nous venger, l’œuvre nous fait également incarner sa meurtrière peu après le début du jeu. Abby, c’est son nom, en a déjà affronté des vertes et des pas mûres. En la contrôlant, on comprend qu’un désir de revanche l’anime et qu’elle est prête à tout pour atteindre Joël… et lui éclater le crâne. Par petites touches, on découvre qu’elle a un groupe de personnes auquel elle tient. Et le fait de l’avoir incarné ne fait que renforcer notre aversion contre elle. On va la traquer, et on va la détruire. Abby a tué Joël. Ellie va tuer Abby. Et on va l’accompagner jusqu’au bout pour ça. Pour un temps.
C’est à partir de là que le jeu commence vraiment. On trouve des polaroïds qui montrent le visage de ceux qui étaient dans la pièce au moment de la mort de notre figure paternelle. Et on remonte la liste. Un à un, on tue, souvent de sang-froid, tous les gens qui sont proches de notre ennemie. Quelque part ailleurs dans Seattle, Tommy, le frère de Joël fait de même. Pendant ces trois jours intenses, Abby est un fantôme, un objectif lointain pour laisser libre cours à la folie froide d’une Ellie qu’on ne reconnaît plus. Lorsqu’enfin on pense être proche d’Abby, c’est elle qui vient nous chercher, directement dans le cinéma qu’on occupe avec nos amis. S’ensuit une scène d’une rare tension… qui ne se dénouera que quinze heures plus tard.
Changement de point de vue
anti-climax absolu, le jeu décide de changer notre regard en nous faisant vivre ces trois dernières journées à Seattle, mais du point de vue d’Abby. Au début, on râle, on ronchonne. On a presque l’impression d’avoir lancé un DLC avant d’avoir terminé le jeu de base. Puis petit à petit, comme on l’a fait avec Joël il y a une éternité, on s’attache au personnage. On saisit que tout le monde a ses raisons. On comprend Abby, son chemin de vengeance contre Joël. Et surtout, on regrette, l’une après l’autre, les morts qu’Ellie et Tommy ont causées. Peu à peu, ce sont tous les liens entre les individus des polaroïds qui se nouent, et notre estomac avec.Le fait de revoir, après les avoir tués avec Ellie, ces adversaires et y lire des personnes qui tentent de survivre, qui s’aiment et se déchirent, donne à toute cette seconde partie une couleur particulière. Comme un air de regret. Chose impossible au début, notre perception de Abby évolue et de la même manière que deux faces d’une même pièce, notre perception d’Ellie se dégrade.
Lorsqu’enfin, on retourne à ce moment de bascule, laissé en suspens, nos opinions ne sont plus les mêmes. Maintenant, la croisade d’Ellie nous semble bien moins juste, et la vengeance d’Abby bien plus compréhensible. On est partagé, et on ne veut abandonner ni l’une ni l’autre. Une fois de plus, Ellie perd, et Abby pardonne. Et une fois de plus, on pense que le jeu va pouvoir se terminer ici. On se satisfait même d’un épilogue magnifique et apaisant pour nos personnages. Sauf que non. Ellie désire encore se venger, elle qui vit dans la tourmente.
L’ultime partie de l’histoire, Santa Barbara, détonne. Là où la saga était toujours parvenue à rester dans l’argumentaire classique du « Tout le monde a ses raisons », elle manque parfois de discernement sur la dernière ligne droite. Les ennemis en face, une espèce de mélange entre esclavagistes et tortionnaires, méritent vraiment de mourir. Aussi peu de profondeur dans les adversaires m’a un peu déçu.
Casser le cycle
L’autre brillante idée du titre, c’est de nous tromper sur les raisons de la vendetta d’Ellie. On commence le jeu en pensant qu’elle se venge de Joël justement, car elle ne connaît pas son terrible, terrible secret. On comprend qu’elle était au courant de ça, mais qu’elle s’était disputée avec le vieil homme la veille de son départ. Finalement, au terme d’une scène belle à en pleurer, on se rend compte que les deux venaient de faire la paix sur leur passé commun. Ce n’est donc pas l’ignorance qui a guidé Ellie sur cette route sanglante, mais l’amertume d’un pardon trop tardif.Lorsque Ellie retrouve Abby, rachitique, accrochée à un poteau au bord d’une plage, son premier réflexe est de l’aider à s’enfuir. Mais c’est plus fort qu’elle. Une dernière fois, elle pousse Abby à l’affrontement. En tant que joueur, cette lutte à mort était le climax absolu de l’expérience. Sur la page précédente, j’avais mentionné de manière schématique que l’histoire du jeu était celle de deux trains lancés à pleine vitesse l’un vers l’autre. Ce climax, c’est le moment de l’impact. En contrôlant Ellie, on frappe, encore, et encore. Jusqu’au moment où on s’apprête à tuer Abby. Les yeux dans le vague, on assiste, impuissant, à la création d’un nouveau cycle de vengeance et de violence. Sauf que non. Ellie, contre toute attente, décide d’épargner son adversaire, et brise enfin le cycle de violence.
Certes, l’histoire que Naughty Dog relate l’a déjà été dans d’autres médiums que le jeu vidéo. Mais à l’opposé de bien des concepts de game design pour lesquels le choix est LA caractéristique fondamentale du jeu vidéo, The Last of Us n’a jamais été un jeu dans lequel le joueur est décideur. En nous faisant subir la violence, puis incarner la vengeance, avant de nous la faire subir à nouveau, le petit dernier de Naughty Dog raconte quelque chose qui, si l'on cherche bien, a déjà été raconté, mais jamais de cette manière. Après s’être retrouvé dans cette machine à laver pleine de sang et de tripes, on en ressort lessivé, usé, mais avec une seule volonté : en parler et comprendre la perception des autres.
The Last Of Us : Part 2 est un jeu polarisant, n’hésitez pas à venir en débattre dans les commentaires, tant que tout se fait dans le respect ! Quant à moi, je retourne sur Paper Mario. Là-bas au moins les coups de marteau ne font que des confettis.
Subir les évènements plutôt que les vivre est l’apanage du cinéma. Seulement, là où The Last of Us parvient à nous toucher, c’est en nous engageant dans cette spirale mortelle. Par attachement envers notre personnage, on est prêt à aller aussi loin qu’il le faudra, juste pour ne pas l’abandonner à sa rage aveugle. Alors certes, tout n’est pas parfait dans le titre. On termine le jeu en ayant, une fois de plus, tué la population d’une ville de l’Oregon. Mais au moins, pour une fois, ces pixels qu’on a supprimés paraissaient avoir leurs vies propres, leurs occupations, et ne semblaient pas être de simples modèles 3D dénués d’âmes. Rien que pour ça, le titre mérite d’être joué.