TEST
We Are OFK
par billou95,
email @billou_95
Quand le co-auteur de Hyper Light Drifter recrute pour son nouveau projet, il ne fait pas les choses à moitié. Teddy Dief s'est en effet entouré d'un collectif de talents qui ont bossé sur des titres comme Among Us, Kid A Mnesia, Cuphead et j'en passe. Et tout ça pour quoi ? Nous parler d'une bande de zoomers survivants dans la jungle urbaine de Los Angeles, leurs démons, leurs amours et leur quête du Graal des Graals, le fameux métier passion. Une recherche qui nous a tous animés au moins une fois dans notre vie.
Luca écrit à la pelle des bios pour des personnages de F2P mobiles, et c'est pas vraiment l'éclate. Un patron pénible qui lui donne des délais de livraisons intenables et une vie perso un peu chiante faite de déceptions amoureuses dès qu'il faut rencontrer ses rencards en vrai. Il y a bien ce doux rêve d'écriture musicale qui le taraude, mais il doute de son talent, entre ses problèmes d'insécurité personnelle et le fait qu'il n'a pas écrit depuis longtemps. Sa meilleure amie Itsumi, pianiste classique à ses heures perdues, fait dans la modération des utilisateurs, pour la même boite de jeux vidéo. Elle est surtout écoeurée par une direction qui ignore tous les petits employés, et par le fantôme de son ancienne relation qu'elle a quittée pour rejoindre L.A.Enfin, la conscience de tout ce petit groupe s'appelle Carter. Artiste spécialisée en effets spéciaux et conceptrice de chats holographiques à ses heures perdues, elle cache sous sa remarquable décontraction une étrange mélancolie... Tout ce petit monde va bientôt rencontrer Jey, une productrice de musique partagée entre la pression sociale imposée par ses parents et ses désirs professionnels. Un joli sac de noeuds qui vont se délier dans un visual novel moderne à l'occidentale, comprenez sous la forme d'une mini-série typée plateforme de streaming en 5 épisodes hebdomadaires à venir entre maintenant et la mi-septembre.
Le premier contact avec le jeu met en avant sa direction artistique à fond dans le minimaliste, mais pas trop. Comme dans son pendant narratif, We Are OFK jongle continuellement entre les extrêmes : une 3D low poly et des animations à peine efficaces qui font parfois grincer des dents. Mais des décors pastel typiques des posters américains des années 60 qui lui donnent un charme indescriptible. Le tout baigné par une lumière de côte pacifique ouest, idéale pour mettre en avant ses personnages dans des jeux d'ombres ou au beau milieu de sublimes décors suburbains. Le jeu est fier de son look à la croisée des chemins et conscient de ses faiblesses, il exploite à fond chaque scène à l'aide d'une caméra toujours juste, presque cinématographique. Des longs plans larges dans le désert californien à des plans derrière la vitre du café préféré de la bande façon Edward Hopper en passant par de légers travellings qui donnent de la vie à un jeu de genre souvent boudé pour sa rigidité.
Et si c'est vrai que les animations hachées font parfois pantins/animatroniques, les doubleurs du quatuor font quelque peu oublier cette technique perfectible. Il n'y a ici pas grand-chose à redire sur le jeu des acteurs choisis pour incarner les uns et les autres, peut-être à part ceux des seconds rôles qui ont plus tendance à réciter leur texte.
Mais au-delà de ces considérations purement techniques, ce qui nous intéresse dans un VN c'est surtout ce qu'il raconte. Ici, sous couvert de la poursuite du rêve de Luca, le coeur de la narration se déroule autour des relations entre les uns et les autres. Pour être tout à fait honnête, We Are OFK s'attarde finalement peu sur la création du groupe et la production de leurs titres. On retrouve bien en toile de fond la complexité de passer du statut d'inconnu à auteur/compositeur/interprète et tout le boulot autour de la création d'un album.
Mais dans les faits, le process créatif se retrouve à de trop rares occasions dans des conversations SMS entre Jey et Luca en vue de choisir LE tube de l'album par exemple. Les scénaristes ont délibérément choisi de développer les fêlures de chaque personnage dans l'un des épisodes du jeu. Une nouvelle génération silencieuse et frustrée qui doit composer en plus avec les défis d'une société constamment dans le jugement. Pas facile de lâcher un job au salaire confortable pour un métier passion et encore moins de faire avaler ça à sa famille ou à des rencontres occasionnelles. Et même si le jeu à parfois tendance à se lamenter sur lui-même (et par conséquent sur le joueur) comme un hipster qui vous déblatèrerait ses problèmes existentiels, il est assez juste dans ce qu'il raconte.
Avant de me lancer dans le test, je m'étais demandé si le propos de We Are OFK allait tiquer sur moi. Au final, si on met de côté le mièvre de certaines séquences, les personnages dépeints par le jeu retranscrivent bien cette anxiété sociale de plus en plus présente dans notre société. Le titre de la Team OFK met également bien en avant entre autres l'investissement à géométrie variable dans les relations professionnelles, amicales ou amoureuses, concept qui semble de plus en plus actuel. Et heureusement que le jeu à des choses à dire, parce que côté gameplay c'est un petit peu la douche froide. Ou plutôt We Are OFK assume parfaitement son concept de série TV "mais sur Switch", quitte à oublier les joueurs au fond du bus de la tournée. Sur un épisode de 50 minutes, on passera probablement 5 à 10 minutes max à appuyer sur un bouton pour faire défiler des SMS sur un smartphone ou choisir entre deux formulations qui veulent dire la même chose. Et à part quelques scènes où cliquer pour faire avancer des échanges froids par WhatsApp interposé est super efficace et raccord avec la narration, on ne fait en définitive pas grand-chose.
Seuls les excellents clips de fin d'épisode qui présentent chacun des 5 morceaux qui composent l'EP du groupe virtuel proposent un poil d'interactions supplémentaires : ramener des chats dans un refuge avec Itsumi, dégommer des astéroïdes assis sur un anneau de Saturne avec Luca, etc. Malheureusement, ces phases de jeu pur sont trop souvent d'une qualité médiocre, voire ratées et on y retrouve ces animations coupées à la serpe. On se contentera donc de profiter des très bons morceaux qui les accompagnent en gigotant le Joy-Con pour faire bouger des trucs et des machins sur l'écran au rythme du tempo.
Puisqu'on est à parler musique, on tire notre chapeau à Teddy Dief qui a carrément prêté sa voix à Luca et qui chante tous ces morceaux dont le très chouette Fool's Gold de l'épisode 2, peut-être notre titre préféré de l'album ! On regrette juste que les clips associés ne soient pas sous-titrés comme le reste. La VOSTFR étant aux abonnés absents, l'anglais n'aurait pas été de trop. Un second épisode sympathique après un pilote qui se perd dans les lamentations, mais c'est vraiment l'épisode 3 qui fait décoller la saison avec notamment ce qui reste le meilleur moment de narration de cette mini-série. Une première saison qui termine un peu comme une série Netflix avec plus de questions que de réponses.
On se demande bien où veut nous mener l'équipe derrière We Are OFK après avoir déroulé le clap de fin du season finale. D'un côté, lorsque le biopic virtuel ne tombe pas dans l'étalage de problèmes existentiels (en gros, passé l'épisode 1), il est convaincant à la fois dans sa mise en scène, ses dialogues et son doublage digne d'une mini-série TV. De l'autre, le titre se vautre dès qu'il tente de se prendre pour quelque chose de plus nerveux qu'un visual novel, et ça lui arrive plus d'une fois...