TEST
Do Not Feed the Monkeys : Ils sont si vils, laissez les singes de mon quartier
Développeur / Editeur : Frictional Games
Avant eux, avant leur logiciel mité, mon ordinateur et moi étions en liberté. Mais ils sont arrivés, et l'ordi est en surchauffe et moi en mauvaise santé. Car ils ont inventé surveillance et surveillés, et fichiers personnels et caméras cachées, et des règles absurdes pour mieux nous contrôler. Et c'est depuis lors qu'ils sont si policés, les singes de mon quartiers.
Il y a plusieurs façons d'aborder des sujets de société relativement graves dans un jeu vidéo. On peut, par exemple, les prendre le plus au sérieux possible, quitte à susciter l'indignation, la colère ou la tristesse chez les joueurs. Avec un peu de chance, le message que l'on porte finira ainsi par être délivré, par contre celui qui est devant son écran ne va pas forcément passer un bon moment. Une autre solution consiste à utiliser la dérision, à faire rire pour mieux être mordant. Ce n'est pas évident non plus de bien manier l'humour : il ne faut pas forcément en faire des caisses, varier les vannes pour tenir son public en haleine... Si on prend un sujet comme la surveillance de masse et la disparition progressive de la sphère intime, on pourrait dire qu'un titre comme Orwell joue plutôt la carte de la docte leçon réaliste là où Do Not Feed the Monkeys part complètement dans l'absurde. Les deux jeux n'ont finalement pas grand chose à voir et pourtant ils partent d'un même point de départ : nous mettre dans les bottes d'un utilisateur de PC lambda transformé en super-voyeur par le biais d'un logiciel dangereusement intrusif.
Couvrez ce singe, que je ne saurai voir
DNFM (désolé pour l’anagramme fort disgracieux mais bien pratique) semble pourtant commencer sur une base presque austère : vous venez d'adhérer à un club secret un peu étrange qui se donne comme objectif d'observer des primates en cage. Pour ce faire on vous donne accès au logiciel MonkeyVision et vous vous rendez compte qu'il amalgame en réalité différentes caméras de sécurité filmant vos compatriotes, les fameux singes. Pour faire partie du club on vous demande de suivre quelques règles : ne pas parler du club (forcément !), augmenter régulièrement le nombre de caméras connectées à votre logiciel, le nombre de cages si vous voulez, et bien entendu ne pas interagir avec les sujets observés, c'est à dire ne pas nourrir les singes.À partir de là, n'espérez pas rester toute la journée sagement assis sur votre chaise à reluquer vos cobayes, DNFM se charge de bien remplir votre emploi du temps. Tout d'abord, il y a trois facteurs de bien être à surveiller : la santé générale, la fatigue et la faim. Négligez l'un de ces points, et votre corps finira par lâcher. Il faut donc gérer son alimentation et son sommeil. Abuser du café par exemple vous maintiendra réveillé mais à la longue affaiblira votre santé, la junk food remplit plus vite l'estomac qu'un fruit mais il faut savoir se tenir à un certain équilibre alimentaire... Et surtout, qu'il s'agisse de faire ses emplettes, de payer son loyer ou de débloquer de nouvelles caméras, tout ou presque vous coûtera de l'argent. Il va donc falloir enchaîner les boulot minable pour réussir à joindre difficilement les deux bouts. De simulateur de voyeurisme, DNFM glisse alors dangereuse vers le simulateur d’esclavage...
Gagner sa monnaie de singe
Bien sûr il existe des astuces pour grappiller un peu d'argent. La plus simple consiste à revendre les colis plus ou moins louches que le facteur un peu paumé vous livre à la place de vos voisins. Ça aide, mais ça ne fait pas tout. Très vite vous allez comprendre qu'en transgressant un tout petit peu les règles, en vous servant des informations récoltées par les caméras, il y a aussi moyen d'arrondir significativement ses fins de mois. Et puis il y a les missions rémunérées données directement par le club. On peut par exemple vous demander le nom d'un « primate » logeant dans une « cage » particulière, ou son emplacement... En répondant juste, on se voit octroyer une petite prime non négligeable. Du coup, de simple observateur, vous devenez un véritable enquêteur, et c'est là que DNFM reprend à son compte des mécaniques de point'n click plus classiques.Le recoupement d'informations n'est pas une mince affaire. Il faut parvenir à suffisamment suivre en parallèle les conversations pour comprendre des situations très différentes et la plupart du temps complètement absurdes. Vous aurez aussi bien des lieux de travail que des cadres de vie intime, notez même que certaines caméras donnent sur des scènes totalement inexploitables, des sortes de culs-de-sac narratifs. Heureusement, vous disposez d'un précieux cahier pour vous aider. Les mots clefs des conversations s'affichent en jaune, il suffit de cliquer dessus ou sur les éléments du décors importants pour qu'ils viennent ensuite s'inscrire dans ses pages. C'est à partir de ces notes que vous allez ensuite pouvoir réaliser des recherches internet ou des déductions logiques.
Jeter un regard aux gorilles
Une partie de DNFM est relativement courte, comptez peut-être trois heures si vous ne vous égarez pas en route, mais à la fin de celle-ci vous n'aurez vu qu'une toute petite partie de ce que le jeu peut offrir. En effet, non seulement les caméras débloquées ne sont pas les mêmes d'une partie à l'autre, mais surtout vos interactions avec ce que vous y voyez peut avoir de multiples conséquences. Explorer tous ces mini-arcs narratifs ne sera pas une mince affaire. Il y a un petit côté Papers, Please dans la progression : on tente des choses au jour le jour, on en voit parfois les effets dans le journal du matin, et au pire on peut essayer d'autres embranchements en remontant à la sauvegarde de la veille. Le jeu nous pousse clairement à expérimenter, à pousser un peu le système pour aboutir à des révélations rocambolesques ou à des résolutions délicieusement sadiques.Difficile aussi de mettre de côté le fait que DNFM met constamment la pression au joueur, notamment en le maintenant dans un état d'insécurité financière et en faisant défiler le cours du temps de manière implacable. Bien sûr, il existe aussi un mode plus léger pour ceux qui voudraient juste découvrir les trames narratives à la cool, mais ce n'est pas comme ça qu'il a été pensé. Parce qu'il y a bien un but à tout cela, même en l'enrobant d'humour le message est assez implacable : vous avez beau vous croire au-dessus de cette masse que vous espionnez pour vous divertir, vous aussi vous n'êtes qu'un singe dans une cage, qu'un rouage d'une machine à déshumaniser à la chaîne. On rit certes, mais on rit jaune, et c'est finalement la plus grande réussite du titre.
Vous avez aimé Papers, Please pour son humour grinçant et sa capacité à nous plonger dans un quotidien implacable ? Ne cherchez pas plus loin, même s'il aborde un sujet radicalement différent, Do Not Feed the Monkeys est fait pour vous.