A Game of Thrones
The book of Mormont
L’histoire démarre tout juste avant l’intrigue des bouquins, alors que Robert Baratheon a encore ses miches sur le Trône de Fer et que Jon Arryn est encore vivant. Mais si le jeu n’hésite pas à se raccrocher aux livres, il propose une histoire parallèle, nous faisant incarner à tour de rôle Mors Westford et Alester Sarwyck. Le premier, vétéran de la Garde de Nuit au doux surnom de « Butcher », traque les déserteurs et les Sauvageons grâce à son pouvoir Zoman (il prend le contrôle de son chien), jusqu’au jour où des hommes de Jon Arryn, la Main du Roi, viennent le chercher pour retrouver une jeune fille en fuite. Alester est lui le fils aîné de Lord Sarwyck, seigneur de Puysaigues, et revient de Braavos après un exil volontaire de 15 ans pour assister aux funérailles de son père. Mal accueilli car devenu prêtre rouge de R’hllor, il doit faire face à une révolte des habitants bien trop organisée pour être spontanée, tandis que son frère est accusé du meurtre de leur père et que sa sœur Elyana est sur le point d’être mariée de force par la Reine, Cersei Lannister, à Vallar, bâtard de Lord Sarwyck (ce qui veut dire qu’elle va épouser son demi-frère, si vous avez suivi).
Alors oui, pour ceux qui n’auraient jamais ouvert l’un des copieux tomes du Trône de Fer ni jeté un œil à la série, cette avalanche de noms propres et ces deux intrigues qui n’ont a priori rien à voir peuvent être décourageantes dans un premier temps. Mais c’est en réalité le gros point fort du jeu : bénéficiant du background très riche de la saga, ainsi que des codes narratifs typiques de l’auteur (en gros, un chapitre=un personnage, et une forte propension aux intrigues qui se croisent), le scénario prend une belle ampleur, devenant réellement passionnant à suivre. Les dialogues sont très bien écrits, et prennent une place prépondérante, influant non pas sur le déroulement global du scénario, mais sur la manière de venir à bout des péripéties. Il n’est ainsi pas rare qu’on participe à plus de joutes verbales que de combats à l’arme blanche au cours d’un chapitre. A la place d’un jeu, l’histoire aurait pu donner lieu à un vrai bon roman de 400 pages s’intercalant parfaitement entre les premiers tomes. Cyanide se gargarise d’avoir travaillé directement avec Martin, et on serait bien tenté de les croire.
Witcher isn’t coming
Là où le bât blesse, c’est nettement plus sur les aspects purement vidéoludiques. Le jeu se veut être un RPG centré sur son système de combat tactique à pause active. En clair, en fonction des capacités et de l’équipement que vous avez débloqué en progressant de niveau, vous pouvez adapter vos coups à l’adversaire. Comme souvent avec les productions Cyanide, on repère quelques petits éléments novateurs qui laissent espérer que le jeu sortira du lot. Ici, il s’agit par exemple de l’obligation d’équilibrer son personnage en qualités et en défauts lors de sa création, de la « fausse » pause active (l’action ne s’arrête pas, elle est juste très ralentie) qui permet de préparer ses actions en étant malgré tout contraint par le temps, du pouvoir Zoman de Mors, de la possibilité de switcher entre les personnages de votre équipe pour combiner leurs capacités, ou encore une fois du système de dialogues qui laisse une certaine liberté au joueur tout en prenant un minimum en compte ses réponses. Pour prendre l’exemple du premier chapitre d’Alester, vous pouvez venir à bout de l’émeute par la négociation ou par le sang, faisant de toutes façons des heureux et des déçus quelle que soit la méthode.
Mais comme souvent avec les productions Cyanide, ces bons points ne compensent malheureusement pas totalement les écueils de gameplay. En premier lieu, le jeu a clairement été pensé pour console. Si vous jouez sur PC, vous pouvez oublier votre clavier/souris et brancher votre pad 360, les contrôles étant bien plus souples, notamment via l’utilisation de menus circulaires pour l’inventaire, les actions et les dialogues. Malgré cela, on pestera régulièrement contre l’absence de caméra automatique qui nuit considérablement à la lisibilité de l’action. Mais plus généralement, c’est tout l’aspect RPG qui déçoit. On passe d’une zone de jeu à l’autre par téléportation via une carte, et elles ont beau reproduire fidèlement les lieux importants de Westeros, elles sont étroites, rapides à explorer et proposent peu de contenus. On n’a pas vraiment l’impression d’être dans un RPG : quasiment pas de quêtes annexes, très peu de PNJ avec lesquels on peut dialoguer (autres que ceux qui font avancer la quête principale), beaucoup de portes fermées. La gestion de l’inventaire est peu intéressante, d’autant plus qu’il y a très peu d’objets à récupérer. Et, surtout, les combats sont mous, que ce soit face à un seul adversaire ou en mêlée. S’il est très plaisant de suivre les longs dialogues, on aurait tout de même apprécié qu’ils soient ponctués par un peu d’action brute. C’est particulièrement frustrant quand on dirige Mors, mastodonte maniant des armes à deux mains mais se battant comme une fillette anémiée. Clairement, le jeu aurait gagné à laisser de côté l’aspect combat tactique pour adopter un style un peu plus bourrin, par exemple en temps réel avec des boutons d’action, de capacités, et d’esquive.
I GoT few power
Niveau réalisation, l’utilisation de l’Unreal Engine 3 laissait présager un rendu visuel correct mais un peu daté, c’est malheureusement le cas. Les lieux et les personnages sont bien modélisés, on reconnaîtra ainsi aisément les visages de certains acteurs de la série, et en reprenant en partie l’esthétique de la série, le jeu offre des décors homogènes et assez plaisants. Bien que Cyanide ait commencé le développement avant l’adaptation télé, les décors sont tout à fait dans le ton et ceux qui suivent la série apprécieront de s’y balader plus ou moins librement. Les autres auront du mal à y voir autre chose qu’un RPG visuellement obsolète sans être trop moche, et ne pardonneront pas les lacunes techniques, notamment une animation très perfectible, des environnements étriqués, une faible profondeur de champ, quelques bugs de collisions et une redondance des skins de PNJ. Même la killcam, qui clôture les combats importants en prenant en compte l’arme équipée, n’est pas du plus bel effet.
En revanche, c’est avec grand plaisir qu’on entend le générique de la série, ainsi que de très bonnes compositions quoique un peu redondantes. Bonne surprise également que de retrouver les voix anglaises de quelques acteurs de la série dont les personnages apparaissent dans le jeu. Les doublages français tiennent la route eux aussi, et globalement l’environnement sonore a été bien travaillé, malgré quelques bugs audio qui rendent certains dialogues inaudibles, et certaines transitions sonores un peu abruptes, lors d’apparitions de cinématiques ou de changement de zones. Si Cyanide n’a de toutes évidences pas eu les capacités de réaliser un grand jeu, au moins se sont-ils bien approprié la licence pour proposer un contenu respectueux de l’œuvre originale.