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Travis Strikes Again : Suda sans sucre
par billou95,
email @billou_95
Développeur / Editeur : Marvelous Entertainment Grasshopper Manufacture Inc.
Support : Switch
Goichi Suda est un type fondamentalement passionné par le jeu vidéo. Très influencé par le mouvement punk des années 70, il pourrait bien être le plus occidental des développeurs japonais, bien loin devant le père de Metal Gear Solid. Mais surtout SUDA51 n'a peur de rien ni personne, aussi on n’est pas très étonné de le voir revenir sur Switch avec un titre qui traverse en dehors des clous au rouge en emmerdant tout le monde sur son passage : Travis Strikes Again: No More Heroes.
Je garde un vrai bon souvenir de nos échanges à la Gamescom 2013, le monsieur étant de passage en Europe pour la promo de Killer is Dead. Nous avions parlé de tout, sauf de son jeu pendant une petite demi-heure. Il s'était même autorisé une autocritique rare dans le milieu, surtout pour une figure japonaise. C'est dire s'il est lucide sur ses créations qui ne plaisent pas forcément à tout le monde. Cinq ans plus tard, son clone virtuel Travis Touchdown est de retour, prêt à jouer du sabre laser avec Badman, le père de Bad Girl découvert dans Killer Is Dead et bien décidé à venger l'assassinat de sa fille. Après une introduction rock'n roll comme le boss de Grasshopper Manufacture sait les faire, le tueur et son Némésis se retrouvent projetés dans une console de jeux vidéo maudite, la Death Drive Mk2. Ils devront à présent unir leurs forces pour défier les bugs du système et sortir victorieux de chacune des cartouches de jeux proposées.Le cerveau dérangé du producteur tokyoïte nous invite ici à un brunch de game designs entre clins d'oeil aux productions indépendantes internationales et hommages à l'arcade de son enfance. Le scénario n'est qu'un vaste prétexte pour nous faire voyager dans la culture vidéo ludique, de Pac-Man à Hotline Miami. On doit tout d'abord partir en quête d'une cartouche sphérique pour la Death Drive Mk2 dans un visual novel téléguidé à l'esthétique Amstrad CPC. Comme dans tout le reste du jeu, les dialogues y sont toujours fins, drôles et très bien traduits. Le créateur ne s'en cache jamais, il aime faire flirter ses héros avec le joueur, quitte à gravir le 4e mur et s'interroger sur l'absurdité des situations présentées. Vient ensuite le plat de résistance : la plongée dans chacun des six jeux vidéo maudits dirigés par l'énigmatique White Sheepman. Et c'est là que ça se complique.
Ne nous y trompons pas, s'il est bien question de genres de jeux différents à chaque cartouche insérée, on passera le plus clair de son temps à hacher menu des bugs en pagaille. Prenons par exemple Golden Dragon GP, le jeu de course en 3D fils de fer vous demandant de terminer différentes épreuves de dragster du futur (?!) : entre chaque course, il faudra participer au "nettoyage" de votre immeuble pour dégoter de nouvelles pièces à installer sur votre bolide. Et par nettoyage on entend... la même chose que demandée dans les ersatz de puzzle-game et de dungeon-crawler, à savoir progresser dans des niveaux organisés en arènes qui nous vomissent des tonnes d'ennemis à la tronche à trancher dans ce qui ressemble beaucoup trop aux anciennes productions du studio japonais, jusqu'à l'astiquage de Joy-Con nécessaire pour recharger son endurance.
Assassin de la matrice
Seule fantaisie, la caméra qui change d'angle d'un hack'n slash à l'autre mais on n’est pas dupes, Travis Strikes Again manque cruellement d'ambitions. Pourtant ces phases ne sont pas désagréables, les combats exclusivement au corps-à-corps offrent même un feeling satisfaisant lors des coups portés, le coup spécial du héros étant aussi très agréable à sortir lorsqu'on est entourés par une demi-douzaine d'ennemis. Seulement l'ensemble manque de vigueur. Les mécaniques tournent autour de puces techniques qu'on branche sur Travis, lui octroyant des pouvoirs spéciaux comme un coup puissant, une attaque à zone d'effet, un buff de support ou le rechargement progressif de sa barre de vie. On peut ainsi mapper des puces sur les 4 boutons du Joy-Con et sauvegarder une dizaine de configurations pour ensuite passer de l'une à l'autre en fonction des dangers rencontrés.L'idée est intéressante mais sous-utilisée, le sabre laser étant largement plus efficace que n'importe quelle puce de combat dans la plupart des cas, et ce malgré une jauge d'endurance qui baisse dès que l'on agite son gourdin. Et quand on ne perd pas son temps à trucider des sacs à PV inoffensifs toujours plus gros pendant de trop longues demi-heures sans aucune espèce de justification, on est déçu par les gimmicks de jeux insignifiants qui se plient en 30 secondes chrono. La formule visual novel, gimmick, action, mini-boss, gimmick, action, boss se répète en boucle jusqu'au point de non-retour, celui où le jeu nous tombe des mains. Et ce ne sont pas les collectibles tee-shirts du héros à l'effigie d'indés de l'amour (coucou Dandara) que l'on achète avec l'argent et des jetons glanés un peu partout sans chercher dans les niveaux qui nous feront y revenir.
Pour quelqu'un qui crie haut et fort son amour pour le jeu vidéo à l'occidentale, SUDA51 aurait bien fait d'analyser la structure desdits jeux et de s'en inspirer plutôt que de nous régurgiter un gameplay daté. S'il y a bien une chose qui est réussie dans le titre, c'est sa direction artistique. Du logo Death Drive Mk2 en fausse 3D des années 80 ultra classe aux séquences d'introduction en dessin animé ou carrément filmées avec des acteurs de série B puis passées derrière un filtre cradingue, tout contribue à faire de Travis Strikes Again un objet vraiment unique. En fait, on y retrouve instantanément la patte punk du papa de No More Heroes. D'ailleurs on est ici au-delà de la référence, l'auteur hurlant au travers de son pantin l'envie d'en faire un troisième épisode canonique. Mais encore une fois, si c'est pour se taper un gameplay âgé sans vraies nouveautés, il ferait mieux de s'abstenir.
Comme Adam Sandler fait des films pour sa bande de potes et tant mieux si accessoirement ça fait rire la plèbe, que ça vous plaise ou non Goichi Suda fait des jeux d'abord pour lui ! Derrière un enrobage ravissant mais aussi des mini-jeux franchement trop simplistes, Travis Strikes Again déroule hélas trop longuement la boucle de gameplay de No More Heroes, jusqu'à en écoeurer le joueur qui attendait autre chose qu'un plat réchauffé.