Resident Evil 4
Cabron !
Après pratiquement 10 ans à défaire les plans machiavéliques d'Umbrella et à blaster du zombie, Capcom décide que le coup de jeune passera aussi par le scénario. Exit Umbrella, le Virus T et Raccoon City : tout ceci vous sera brièvement résumé lors de la cinématique d'intro du jeu. Celà dit, l'orientation "série B", symbole de la franchise Resident Evil (et ceux qui se souviennent de l'intro du premier épisode, petit bijou de kitch, ne me contrediront pas sur ce point), n'est pas totalement absente du scénario : la fille du président des Etats-Unis a été enlevée, et des indices amènent les enquêteurs à penser que la gamine se trouverait dans un coin reculé d'Espagne. Et qui le President va-t-il envoyer pour secourir la chair de sa chair ? La Delta Force ? Détrompez-vous : c'est Leon S. Kennedy, ancien flic ayant survécu aux incidents de Raccoon City, qui va être chargé de secourir la jeune Ashley.
Le grand blond avec deux chaussures noires et un blouson d'aviateur se retrouve donc parachuté dans une coin reculé de la péninsule ibérique, avec son membre et son couteau, mais également un flingue et une poignée de balles. Après une très courte balade dans une forêt qu'on jurerait sortie du Projet Blair Witch, Leon arrive dans un petit village qui semble désert. Il entre alors dans la première bicoque qu'il croise et, en guise de comité d'accueil, tombe sur un autochtone peu bavard qui tente de lui planter une hache dans la tête. Leon va bien vite se rendre compte que le village n'est pas si désert que ça : d'autres paysans, tous vêtus de guenilles et de sabots, font rapidement leur apparition et vont tenter de raccourcir l'espérance de vie de notre sympathique héros à coups de fourches, de hachettes, de cocktails molotov ou encore de tronçonneuse. Et l'horreur ne fait que commencer.
Silent Evil ou Resident Ico ?
Après avoir initié le genre du survival horror sur consoles, ce "quatrième" Resident Evil semble avoir pioché un peu partout pour trouver son inspiration : chez la concurrence notamment, avec une ambiance qui fait par moment diablement penser au Silent Hill de Konami, mais également dans le Septième Art, avec quelques petits clins d'oeil à Massacre à la tronçonneuse, Delivrance, ou encore au film Resident Evil lors d'un court passage. Bien sûr, Resident Evil 4 ne renie pas non plus totalement ses origines, et on retrouvera donc quelques personnages rencontrés lors des précédents épisodes, ainsi que les célèbres machines à écrire pour sauvegarder et les plantes vertes, jaunes et rouges qui, à défaut de vous faire rigoler bêtement, raviveront votre barre de santé. De même, l'intrigue vous révèlera bien vite que ces mystérieux paysans aggressifs ne sont finalement pas si éloignés des zombies d'Umbrella...
Mais la comparaison s'arrête là. Resident Evil 4 est avant tout un jeu d'action, un vrai. Ici, pas question de compter ses munitions et d'économiser au maximum sur les plantes vertes ou les rubans encreurs. Le moindre ennemi que vous tuez se balade pratiquement toujours avec une boite de balles pour l'une de vos nombreuses armes. Pensez également à casser les caisses et les tonneaux que vous croisez, ils contiennent neuf fois sur dix de quoi nourrir votre flingue ou remonter vos points de vie. Oubliez également l'insupportable inventaire limité à huit emplacements où une boite de balles occupait autant de place qu'un lance-roquettes. L'inventaire est ici représenté sous la forme d'une valise, compartimentée en cases, où chaque objet occupe un nombre de cases dépendant de sa taille. À vous alors d'optimiser au mieux cet espace pour y mettre le plus d'équipement possible. Bien pensée également, la possibilité lorsque vous faites du rangement dans votre valise, de "sortir" quelques objets le temps de la réorganisation. Evidemment, si vous ne les remettez pas dans votre inventaire, ces objets seront perdus.
Et les évolutions de gameplay ne s'arrêtent pas là. Si le fait que le jeu soit entièrement en 3D n'est pas une première dans la série (Code Veronica était lui aussi tout de polygones vêtu), la perspective adoptée est elle plus originale. Leon est vu de dos, et se retrouve légèrement décalé sur la gauche de l'écran. Ca surprend un peu au début, mais on s'y fait très vite, et à aucun moment ce choix ne vient perturber l'action. Lorsque vous mettez votre arme en joue, la caméra vient alors se placer au niveau de l'épaule, exactement comme dans Splinter Cell, afin de faciliter la visée. Celle-ci est d'autant plus aisée que toutes vos armes sont équipées d'un viseur laser, bien pratique pour effectuer des headshots.
Mais puisque Leon commence l'aventure avec un petit pistolet uniquement, où va-t-il trouver tout cet armement, allant du fusil à pompe au lance-roquettes, en passant par le pistolet-mitrailleur et le fusil de snipe ? Chez un marchand ambulant, tout simplement. Parfaitement, vous trouverez de temps à autre sur votre chemin un marchand, qui pourra vous vendre tout ce dont vous avez besoin (à l'exception de munitions, mais comme je l'ai déjà dit, elles ne viennent à manquer que très rarement) en l'échange d'espèces sonnantes et trébuchantes. Vous trouverez tout au long du jeu des coffres remplis de Pesetas (oui, nos sympathiques peones ne sont pas encore passés à l'Euro), quand ce ne sont pas des pierres précieuses ou autres objets de valeur, qu'il faudra parfois combiner entre eux pour les rendre encore plus précieux. Oui, c'est absolument n'importe quoi, mais en même temps la série n'est pas à une incohérence près, et c'est même ce qui fait son charme. Et si vous pouvez acheter de nouvelles armes tout au long de l'aventure, vous aurez également la possiblité d'améliorer celles en votre possession, au niveau de la puissance de feu ou de la contenance du chargeur, par exemple. Et autant dire que vu ce qui va se dresser sur votre route, ça ne sera pas du luxe.
Toujours au registre des nouveautés, le scénario de Resident Evil 4 vous amènera à plusieurs reprises à contrôler deux personnages en même temps, à l'instar de ce que nous proposait Ico en son temps. Il faudra donc veiller sur Ashley, lui demander de vous suivre ou de vous attendre, la rattraper lorsqu'elle saute de trop haut, lui dire de se cacher, la soigner si elle venait à être blessée, et vite aller la récupérer si un ennemi la capture. Ces phases de jeu ne sont jamais contraignantes, la fillette ne se mettant jamais ou presque en travers de votre chemin.
On continue dans le registre des petites innovations qui vont bien, avec l'apparition de Quick Time Events. Popularisés par Shenmue, ils vous demanderont d'appuyer sur un ou plusieurs boutons, généralement dans un laps de temps très court, afin d'éviter l'attaque d'un ennemi ou un piège vous tombant sur la gueule. Ils permettent de conserver un état de tension constant, puisqu'il ne faudra jamais poser la manette, même pendant une cut scene. Ils seront également à l'origine d'un superbe combat entre Leon et une vieille connaissance.
Le reste du jeu est plus classique, d'une certaine manière, mais reste tout de même de très haute volée. On avance, on massacre des ennemis par paquets de douze, on résoud quelques énigmes niveau CE1 dans la grande tradition Biohazard (pousser des statues, collecter tel truc pour ouvrir telle porte, et même résoudre l'indispensable -et insupportable- jeu de taquin), et on affronte des boss bien souvent gigantesques. C'est du bon vieux shoot traditionnel, mais tellement bien foutu, et par moments tellement intense, qu'on ne s'en lasse jamais, et qu'on a toujours envie de continuer.
Bien évidemment, toutes ces bonnes intentions auraient été réduites à néant si la jouabilité n'avait pas été à l'avenant. Heureusement, là aussi Capcom signe un sans faute, et celle-ci s'avère tout ce qu'il y a de plus intuitive, avec l'utilisation de quelques combinaisons pour compenser le faible nombre de boutons du pad GameCube.
Et la GameCube revient à la vie
Mais Resident Evil 4, ce n'est pas qu'un gameplay parfaitement huilé, c'est aussi une réalisation d'orfèvre. Pour vous donner une idée, vous vous souvenez comme Resident Evil Rebirth, le remake du premier Biohazard sorti sur GameCube, était esthétique, avec ses personnages finement modélisés et ses décors détaillés à l'extrême ? Bon, ben Resident Evil 4, c'est pareil, mais en temps réel. Les personnages sont de toute beauté, bougent bien (on est loin des représentants balai-dans-le-cul des précédents épisodes), les décors sont superbement détaillés, et les divers effets spéciaux (éclairs, flammes, chaleur, brouillard...) sont criants de réalisme. Les cut scenes bénéficient d'une mise en scène de grande classe, avec par moment des effets de ralenti très cinématographiques, comme c'est la mode en ce moment. Alors pour pinailler, oui il y a bien par moments quelques textures un peu faiblardes par rapport au reste, des petits bugs de collision, sans parler d'un aliasing assez présent, mais rien qui vienne entacher le tableau. En toute franchise, on a du mal à croire que c'est vraiment la GameCube qui affiche tout ça, et le tout sans absolument aucune baisse du framerate. Resident Evil 4 est incontestablement ce qui se fait de mieux sur la console de Nintendo à l'heure actuelle, pour ne pas dire toutes consoles confondues.
La bande-son n'est pas en reste, avec des musiques assez rares en nombre, auxquelles Capcom a préféré des sons d'ambiance angoissants, comme il est d'usage dans les survival horror. Combinés aux superbes graphismes du jeu, ils participent à une réelle ambiance, stressante à souhait. Les voix (anglaises, sous-titrées en français) des protagonistes ne dénotent pas dans ce tableau idyllique, et tout ça sonne vraiment juste. Rien à redire de ce côté-là non plus.
Mais alors, bordel, que reprocher à ce Resident Evil 4 ? Pas grand-chose, à vrai dire, si ce n'est rien du tout. Impossible même de l'accuser d'être fini à peine commencé, puisque l'aventure vous tiendra en haleine une bonne vingtaine d'heures sans forcer, ce qui est du jamais vu pour un survival horror, et qui situe le jeu dans la tranche élevée des jeux d'action en général. Tout ce qu'on pourrait reprocher au jeu, c'est son scénario de série B, avec les mémos que vous trouverez en cours de chemin, terrifiants de crétinerie. Mais en même temps, Resident Evil, avec ses zombies et ses virus mutants, a toujours eu ce petit côté "grand n'importe quoi" si plaisant, qui avait malheureusement tendance à disparaître un peu plus à chaque nouvel épisode. Ici, le jeu a un aspect "too much" totalement revendiqué, ce qui fait qu'on s'y amuse vraiment, explosant de rire devant certaines situations réellement grand-guignolesques.
Non, le seul vrai défaut qu'on pourra lui trouver, c'est que ce jeu n'a de Resident Evil que le nom. Il ne subsiste plus rien du gameplay originel, et les grincheux y verront là une profonde dénaturation de la série. Mais quand on voit justement une série qui depuis près de dix ans n'a pas évolué d'un pouce, et qui subitement renaît de ses cendres, plus explosive que jamais, peut-on réellement qualifier ça de défaut ? Assurément non. Pour tout ça, pour avoir su faire évoluer un concept éculé, et pour nous avoir offert un jeu d'action d'une telle classe, il n'y a qu'une chose à dire : merci Capcom, et à très bientôt pour un nouvel épisode qu'on espère au moins aussi bon.