Project Zero 2 - Crimson Butterfly
Mio et Mayu sont dans un bateau
Jumelles blafardes que ne renierait pas le cinéma fantastique nippon, Mio et Mayu promènent leurs silhouettes longilignes entre les souches racornies d’un sous-bois lumineux. Il y’a comme un parfum de mystère qui plane et l’on devine les contours d’une sombre histoire de famille entre les deux nymphettes en jupe noire, mais nos doutes s’envolent au son d’un battement d’ailes de papillon écarlate. Celui là même qui emporte la douce Mayu dans les profondeurs ténébreuses de la forêt. La jeune fille est comme hypnotisée et ne répond pas aux appels de sa frangine, qui s’enfonce avec elle dans l’inconnu. Leur course s’achève à l’orée d’un village inquiétant nommé « Tous les Dieux ». Les pâles rayons d’une fin d’après midi ensoleillée ont laissé place au vent glacé de la nuit, faiblement éclairée à la lueur de quelques torches fatiguées. Les deux jumelles se prennent la main et franchissent l’entrée du village, dont les idoles de pierres qui en jalonnent les sentiers signalent en silence aux visiteurs qui les croisent qu’ils foulent une terre maudite.
Les papillons écarlates ont disparu, et Mayu avec. Mio est seule, livrée à elle-même dans les ruelles boueuses de « Tous les Dieux ». Ses premiers pas ne devraient pas poser de problème à la plupart des habitués du genre, qui ne prendront pas deux minutes pour retrouver leurs marques. Comme dans n’importe quel Silent Hill, les déplacements sont rigides, les angles de caméra fixes et l’on entame son périple en ramassant des objets qui traînent sur le sol, signalés par une étincelle bleue des plus inappropriées. Qu’importe, cela fait bien longtemps que l’on s’est rendu à ce genre d’usages. Toutefois, Crimson Butterfly ne se contente pas de régler son pas sur le celui de ses aînés et dispose d’un atout bien à lui, qui donne un éclairage saisissant à son histoire de fantômes damnés.
Un flash dans les ténèbres
Après quelques déambulations sous le toit d’une maison en ruine, la jeune fille entre en possession d’un objet mystérieux. La « Camera Obscura ». Sous ce nom à consonance occulte se cache un appareil photo à chambre noire doté d’un pouvoir unique. La Camera Obscura est en effet capable de tirer le portrait à n’importe quel fantôme passant dans le coin, et accessoirement de lui flanquer une bonne rouste. A la pointe de la technologie spectrale, l’objet dispose d’un capteur qui émet des signaux sonores lorsqu’un revenant pointe le bout de son nez ectoplasmique. Il faut alors tenter de repérer sa position en balayant l’espace et se dépêcher de lui flasher le visage avant qu’il ne nous saute à la gorge, tout avide qu’il est de nous sucer des petits bouts d’âme par les oreilles. La machine est bien évidemment améliorable, qu’il s’agisse de sa pellicule (puissance des dégâts infligés), de son diaphragme (taille de la zone d’effet) ou de sa vitesse d’obturation (rapidité de la prise de vue). Idée judicieuse qui dramatise terriblement l’impact de certaines scènes, nous obligeant à adopter le point de vue de la petite Mio lors d’attaques spectrales.
L’emploi de cette Camera Obscura est d’autant plus intéressant qu’il harmonise considérablement le gameplay du jeu, là ou la série des Silent Hill peine à offrir des séquences de combat dignes de ce nom. Le système de photographie est agréable à prendre en main et rend les affrontements critiques et angoissants. Il faut savoir que la distance entre un fantôme et votre objectif détermine le niveau de dégât qu’une pose peut lui infliger. Il n’est donc pas rare d’attendre le dernier moment pour déclancher sa prise de vue, quitte à se faire salement dérouiller à grands renforts d’effets graphiques terrifiants. Le cadre tremble, l’image se floue et il faut bien quelques secondes pour reprendre ses esprits. Proprement glaçant. L’aspect du jeu qui bénéfice le plus de cette réussite est incontestablement l’ambiance, dont on sent qu’elle a été le souci principal des développeurs. Autant dire qu’à ce niveau là, c’est du grand art.
Ni pour Nippon, bien au contraire
Crimson Butterfly est un jeu d’ambiance, de bout en bout. Ici, pas de considérations métaphysiques à la Silent Hill ou de délires technologiques façon Resident Evil. Le survival-horror de Tecmo n’a qu’un seul objectif, celui de nous faire trembler de peur par tous les moyens. L’ambiance morbide de ce village japonais médiéval maudit terrorise autant qu’elle fascine, et il faut féliciter le travail admirable réalisé sur le design et la bande-son, impeccables à chaque instant. Les planchers grincent, le vent siffle dans les gouttières et l’on se prend à admirer la beauté macabre de certaines scènes, qui nous rappellent sans cesse à l’extraordinaire culture ésotérique de l’archipel nippon. L’impression de battre des sentiers vieux de millénaires et d’assister à des cultes ancestraux donne le vertige et hypnotise littéralement, tels les battements d’aile de ces étranges nuées de papillons écarlates.
Crimson Butterfly n’est toutefois pas parfait, et l’on dénote deux fautes de goût particulièrement voyantes. La première concerne la lenteur du personnage, qui se traîne au ralenti pendant tout le jeu. C’est vraiment dommage, parce que les animations sont belles et fluides. Alors bon, on ne demande pas à une héroïne de Survival-Horror de courir le 100 mètre, mais il faut bien avouer que Mio est carrément molle du genou, sans compter que l’évolution au sein des décors est parfois laborieuse. On pourrait même dire que la manipulation du titre est carrément gênante, et il n’est pas rare de se prendre des murs ou de rester coincé quelques secondes dans un coin, sans compter que la gamine a parfois du mal à avancer dans la bonne direction lors d’un changement d’angle. Un héritage des premiers Resident Evil dont on se serait bien passé. Autre point critique, la durée de vie. Les jeux du genre ne sont jamais bien longs, et il est clair que Crimson Butterfly ne fera pas exception. Une huitaine d’heures à peine pour boucler la quête principale, c’est définitivement trop peu.
La battement d'aile du papillon
Ces menus défauts ne pèsent heureusement pas bien lourd sur l’expérience de jeu, et pour cause. Project Zero 2 n’est pas un jeu de gameplay. A vrai dire, la qualité principale de ce titre ne réside ni dans un concept révolutionnaire ni dans un dépoussiérage audacieux du genre, mais simplement dans le fait de savoir raconter une histoire passionnante avec talent. Un peu comme une bande de gosses assis en cercle autours d’un feu de bois, on écarquille les yeux en écoutant la fable morbide qui nous est contée, et l’on se prend à imaginer les récits les plus lugubres juste pour le plaisir de se glacer les sangs. Mêlant habilement vieilles légendes médiévales et histoires de fantômes, le jeu de Tecmo réussit à distiller une ambiance unique, à mi-chemin entre Ringu et Sinnui Yauman.
Bien que très classique, la mise en scène est inspirée, les décors sinistres à souhait, et il n’est pas rare de se sentir terriblement mal à l’aise lors de l’exploration de certaines bâtisses en ruine. Il faut dire que l’ambiance est remarquablement servie par des graphismes fins et torturés, qui plongent le joueur dans un décor de japon millénaire hanté par une colonie d’âmes en peine. De l’architecture générale du village aux intérieurs crades et délabrés des maisonnées sordides, il n’est pas un seul recoin de « Tous les Dieux » qui donne l’impression d’être en sécurité, aidé en cela par une caméra qui semble épier le joueur à chacun de ses déplacements. De la vraie flippe à la japonaise, à s’en relever la nuit.