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Bomb Rush Cyberfunk a compris le Concept De L'Amour
par Xavor2Charme,
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Développeur / Editeur : Team Reptile
“Understand! Understand! The Concept Of Love TIN TIN TIN” tel fussent les premiers mots prononcés par ma Xbox flambant neuve le 24 décembre 2002. Si je pressentais la claque esthétique, je ne m'attendais pas à vivre à 13 ans une claque sonore fondatrice pour mes goûts musicaux de la part de Jet Set Radio Future. Plus de 20 ans et zéro suite officielle plus tard, les néerlandais de Team Reptile réalisent leur rêve : créer un successeur à ce jeu culte pour de nombreux joueurs, Bomb Rush Cyberfunk !
Annoncé en juillet 2020 et sorti sur PC et Switch le 18 août 2023 (le premier septembre sur Playstation et Xbox), Bomb Rush Cyberpunk (BRC) fait suite aux deux Lethal League, jeu de versus de la Team Reptile où s'affirme déjà une direction artistique Jet Setesque. La team avait même embauché Hideki Naganuma, compositeur des Jet Set Radio (JSF), sur Lethal League Blaze pour un morceau. BRC se présente comme un hommage non dissimulé à Jet Set Radio Future (JSRF) : dans la riante mégalopole de New Amsterdam, nous déambulons de quartier en quartier en cel-shading avec notre crew pour les recouvrir de tags et défier les gangs adverses en écoutant de l’endiablé électro-funk-punk-rock.
"Oppan New Amsterdam Style!"
“Pourquoi un tel culte autour de JSR au point de vouloir en développer le troisième épisode avec une Cyber Moustache?” nous demandent les béotiens. Parce que je pense que ce jeu est une pierre angulaire d’un genre que je viens d’inventer: le Fashion Video Game ou le Jeu Vidéo Stylé (à faire valider par l’Académie Française).Un Jeu Vidéo Stylé tente d’amalgamer les tendances créatives de son moment (technologie, musique, design graphique, game design, mode etc.) pour produire un jeu résumant l’esprit du temps.
L’exemple originel, c’est Wipeout. Le jeu utilise le gameplay alors en vogue de Super Mario Kart, utilise la 3D naissante, ajoute une surcouche graphique futuriste avec l’aide de Designer Republic et l’accompagne avec des morceaux des Chemical Brothers et Orbital pour créer un jeu célébrant la culture club de 1995. Le tout a débouché sur un jeu unique, avec un gameplay particulier et doté d’un univers singulier. JSR et JSRF sont des Jeux Vidéo Stylés car ils sont des marqueurs du début des années 2000 en faisant des mélanges dans tous les sens pour créer un cocktail extrême: gameplay entre Tony Hawk et Collectathon, création et utilisation du cel-shading, mise en valeur des cultures urbaines japonaises, chara-design à la Taiyō Matsumoto, thématiques issues de Fight Club et ils accompagnent tout ça avec une bande-son ultra éclectique. Ca a donné des jeux à la fois uniques et résonnant totalement avec l’esprit foutraque du début du XXIe siècle. “Mazette !” s’écrièrent alors les amateurs éclairés de jeux vidéo de l’époque (nous étions encore loin de la déferlante indie et le moindre jeu un peu particulier était remarquable). Un petit culte se forma, avec de nombreux artistes continuant à rendre hommage à ces jeux. 2Mello, qui fait parti des compositeurs de BRC, composa carrément deux albums en hommage à Hideki Naganuma.
Les jeux stylés sont des marqueurs générationnels un peu niches car très radicaux et avant-gardistes. Splatoon est selon moi un des derniers représentant du genre mais on en retrouve des traces dans des jeux plus grand public comme Fortnite, Persona 5 ou plus récemment Street Fighter 6.
"Tu me fais grinder la tête..."
Bomb Rush Cyberfunk est-il donc un Jeu Stylé à part entière ou juste un hommage à une époque révolue ? Mais déjà c’est quoi BRC ?Le jeu raconte l’histoire de Faux, un des plus grands graffeurs de New Amsterdam, qui s’enfuyant de la gendarmerie locale avec un vandale du nom de Tryce, se fait décapiter par DJ Cyber à coup de vinyle. Tryce et son acolyte Bel récupèrent son corps et lui greffent une cybertête rouge: il devient Red et fait maintenant partie du Bomb Rush Crew. Le crew ambitionne d’être All City, c’est-à-dire de contrôler les 6 quartiers de New Amsterdam pour pour pouvoir battre DJ Cyber et récupérer la binette de Faux. Ce point de départ est assez étonnant, le jeu mettant au second plan les thématiques anti-système de JSR pour une réflexion sur l’identité et les racines.
Notre crew va donc arpenter les 6 quartiers pour y déloger la bande locale en respectant les règles de la rue dont les garants sont un trio d’anciens ayant connu Old Amsterdam. La structure du jeu est donc quasiment toujours la même pour chaque quartier:
- Gagner de la “Rep” en recouvrant les tags adverses.
- Défier les membres du gang local.
- Le gang se retranche dans ses quartiers et la police arrive pour une petite séance de baston.
- Bataille finale de scoring opposant le Bomb Rush Crew aux indigènes pour déterminer les nouveaux maîtres du quartier.
- Red tombe dans les pommes et une incroyable séquence onirique de plate-forme linéaire se lance. Ici, Team Reptile s’est éclaté.
Pour contrer cette répétitivité, Team Reptile compte sur la variété et l’architecture de plus en plus folle de ses environnements, la découverte de nouveaux morceaux ainsi qu’une durée de vie de 9h environ. Malgré tout, le jeu s'essouffle à cause d’un dernier quartier plus linéaire et beaucoup moins dingue que le précédent, exposant de plein feux la redondance des objectifs.
...mon combo à moi, c'est toi."
Nous réalisons cette conquête de New Amsterdam en courant, skatant, pédalant ou patinant à travers les niveaux en réalisant tricks, manuals, grinds et wallrides. Les différents moyens de transport ne changent globalement pas le ressenti du jeu et sont ici pour le style. Les combos permettent de prendre de la vitesse rendant la navigation particulièrement agréable en dépit de quelques problèmes d’appréciation des distances et de caméras. Nos Tony Hawk du turfu disposent aussi d’un boost horizontal faisant office de double-saut (ce boost ayant même une petite place dans l’histoire). Un fois arrivé près d’un spot, nous pouvons lancer la séquence de graf consistant à dessiner un motif avec le stick. Nous avons à notre disposition une bibliothèque de tags (qui s’étoffe en les trouvant dans l'environnement) et chacun dispose d’un motif spécifique pour le poser.Le jeu nous encourage à varier les tags comme les tricks, car tout comme les Tony Hawk, leur variation nous permet de remporter le plus de points. A cela s’ajoute un mégaboost se remplissant grâce à nos combos ou en ramassant des recharges. Combinez-le avec un trick et vous obtenez un multiplicateur de combo. Les membres du BRC peuvent en outre ranger d’une pression de bouton leur moyen de transport et continuer à pied. Ils perdent un peu en vitesse mais la direction se fait plus précise pour l’exploration et lça leur permet de se défendre contre la maréchaussée.
Plus le mobilier urbain sera dégradé, plus la police deviendra agressive selon une jauge comportant 6 niveaux symbolisés par des étoiles (oui exactement comme dans GTA). Si les premiers niveaux ne font débarquer que des bidasses incapables de nous attraper, le ton monte assez vite avec snipers, hélicos et mecha-flics. Les affrontements à base de coup de poing, coup de pieds, graffitis sont un peu brouillons mais finalement peu punitifs si on fait un peu attention. Si l’idée de mettre la pression dans l’exploration des quartiers est compréhensible, l’impossibilité de faire descendre cette jauge et la réapparition systématique des ennemis cassent un peu le flow proposé par le jeu et dans lequel j’avais envie d’être en permanence.
"Je lui dirai les flows bleus."
En effet, il est là le grand plaisir de BRC ! Le flow ! L’incroyable direction artistique du jeu combinée à une bande-son complètement dans le ton transcendent le gameplay de glisse bien aidé par un level-design tout entier à son service. L'enchaînement des tricks et des tags est ponctué à chaque fois de signaux sonores caractéristiques, la trainée jaune suivant le personnage renforce la sensation de vitesse, nous transformant en vaisseau de WipEout (encore lui) et le jeu est constellé de détails renforçant notre immersion. Le menu du jeu est symbolisé par un téléphone à clapet que le personnage sort de sa poche et consulte pendant qu’il ride. Ce GSM sert à la fois de carte, de bibliothèque de tag, de lecteur MP3 et de messagerie. Notre délinquant peut se mettre à danser n’importe où via un système d’emotes et s’il le fait sur une piste de danse, l’intégralité de notre gang débarque pour un jam où nous pouvons changer de personnage (il n’y a pas de différences de stats malheureusement). Cette volonté de ne jamais nous sortir du jeu via des menus extradiégétiques le rend extrêmement cohérent et hypnotisant, rendant la vie un peu triste une fois la console éteinte.Techniquement le jeu est propre, je n’ai eu qu’un seul bug en 10h. Du pop-in est à signaler et les niveaux sont un peu vides, trahissant un développement prioritaire pour la Switch. JSRF proposait des foules entières qui renforçaient l’impression de foutre le zbeul, les piétons s’écartant de notre passage en hurlant. Je l’ai testé sur Steam Deck, le jeu tourne à 60 fps toutafon avec quasi 4h de batterie.
"You won't break my Sweet Soul Brother!"
Alors, BRC ? Jeu Stylé à part entière ou simple hommage ? Et bien un peu des deux.Si le jeu singe Jet Set Radio Future en permanence, il en propose une relecture rééquilibrée, avec ses propres mécaniques, recadrant (peut-être même un peu trop) la progression. Le cel-shading et le design sont magnifiques et continuent à impressionner en 2023. Si vous voulez expérimenter pour la première fois le genre “Jet Set Radio” ou si vous voulez vous refaire un shoot electro-funky, n’hésitez pas.
Mais au niveau du style ? Eh bien je ne sais pas si vous le saviez mais la mode des années 2020 s'inspire énormément de la mode des années 2000 ! Musicalement certaines pistes ne seraient pas reniées par des artistes actuels comme Yaeji ou ceux du label PC Music et graphiquement les tags s’inspirent du design graphique d’aujourd’hui.
En outre, les décors, les costumes et les danses du concert de Beyonce auquel j’ai assisté en mai dernier auraient tout à fait leur place dans le jeu !
Le seul aspect qui maintient le jeu dans les années 2000 est son rapport au genre et à l’identité. Si le jeu parle de têtes qui passent de corps en corps, ils sont toujours du même genre, les garçons sont des garçons et les filles des filles. Pire, Solace, le seul personnage sortant des stéréotypes de genre, est traité de déviant par Tryce. Je pense que le jeu aurait gagné à embrasser une energie queer qui l’aurait fait passer un cap dans la direction artistique.
Malgré tout, si le titre était sorti en 2015, il n’aurait peut-être pas été si pertinent. BRC opère un trait d’union entre 2 générations. Est-ce que ça fait de lui un jeu Stylé ? Post-Stylé ? Meta-Stylé ? ou simplement Cyber-Stylé ?
Bomb Rush Cyberpunk, s’il ne sera jamais aussi définitif que ne l’était Jet Set Radio Future, tient totalement sa promesse : Le gameplay est affiné, l’ambiance sauvegardée et il parvient à être à la fois un trip nostalgique et contemporain. Les quelques défauts rappelant son statut de jeu indépendant ne devraient pas refroidir les amateurs de jeux fous, beaux, vifs et surtout Stylés !