TEST
Road 96
par billou95,
email @billou_95
Développeur / Editeur : Digixart Entertainment
Entre le musical et éthéré Lost In Harmony et un 11-11 Memories Retold qui jouait lui une toute autre partition, le studio DigixArt nous a déjà montré tout son amour pour la narration à grand renfort de bandes originales impactantes. Avec Road 96 il espère aller encore plus loin en proposant, attention, de saupoudrer son road trip narratif à la première personne du gros mot à la mode : génération procédurale.
Dans un pays qui ressemble quand même pas mal à la république bananière américaine sous l'ère Trump (mais qui aurait fait un retour vers le futur des années 90), Road 96 nous propose donc de suivre les aventures d'une poignée d'adolescents mutiques bien décidés à quitter un pays à la limite de la guerre civile.Pour ne rien arranger, les prochaines élections sont sur le point d'avoir lieu, ce qui attise les tensions au sein de la population. Et même si Tyrak, le président véreux en place, à une confortable avance face à sa rivale progressiste Florres, certains espèrent encore une bascule du pouvoir. Enfin, le groupe terroriste des Brigades Noires semble plus que jamais en activité. C'est dans ce contexte explosif que se déroule ce road trip narratif vers "la frontière" qui sépare Pétria de l'Eldorado virtuel d'une jeunesse désabusée. Ce faisant, le joueur rencontrera une foule de personnages d'une apparente banalité, mais dont les histoires s'entremêlent pour former un tout. Le but du jeu est donc non-seulement de faire sortir un maximum de gamins du pays, mais surtout de dénouer le sac de noeuds au coeur même du récit.
Rogue trip anti-Petriatique
Et le procédural là-dedans ? A chaque nouveau run (oui, vous avez bien entendu, run), on prendra en main un nouvel ado au profil aléatoire (sexe, âge, endurance, fric en sa possession) sur le bord d'une route plus ou moins éloignée de la frontière pour un nouveau road trip et de nouveaux enchainements de rencontres aléatoires qui mèneront pourquoi pas jusqu'à son salut... Road 96 mise tout sur ce concept casse-gueule (le rogue narratif) qui est il faut bien l'avouer en partie correctement exécuté. A chacun des runs qui vont constituer une partie, on alterne successivement entre deux types d'activités au fil de nos arrêts le long du chemin.D'un côté, des saynètes d'apparence anecdotiques qui mettent en avant des mini-jeux inspirés de l'âge d'or des jeux vidéo : partie de Pong dans un bar, aide au développement d'un clone de Tanks sur un simili-Palm, phases de pseudo point'n click pour aider un collègue prisonnier à s'enfuir, etc. On y trouve aussi des jeux de société (air hockey dans le QG des Brigades Noires, une petite partie de Puissance 4 assis pépère à l'arrière d'une voiture, bonneteau face à un arnaqueur dans un genre de Burning Man à la gloire de Tyrak).
Tout ça pour nous faire gagner ici un peu d'argent (nécessaire pour prendre le bus, appeler un taxi ou simplement se nourrir), là de quoi se restaurer à l'oeil et récupérer un poil d'endurance. Ou bien juste nous faire perdre du temps sur la route avec l'un ou l'autre des protagonistes de l'histoire et en apprendre ainsi plus sur leur quotidien ou sur Pétria. Face à cette douce gamification du récit, on tombera également sur des scènes clés qui feront elles avancer l'un des 7 arcs correspondant aux héros qui auront tous un rôle à jouer dans cette gigantesque pièce de théâtre. On se gardera bien de vous dévoiler la moindre indiscrétion sur l'un ou l'autre des personnages, mais vous vous doutez bien que vous aurez à composer avec des gens qui auront tous leur avis sur les élections et qui pourraient plus ou moins bien réagir à vos propos. En effet c'est là probablement la seule véritable proposition importante de ce visual novel interactif : on vous demandera régulièrement votre avis sur le foutoir dans le pays. De votre réponse découleront une partie des évènements suivants.
Et il faut bien l'avouer, le jeu peut être brillant dans les situations qu'il propose. Entre tranches de vies d'une banalité tout à fait crédible, séquences largement inspirées de 30 ans de road movies jusqu'à de vrais dilemmes personnels qui s'enchaînent sans transition, les développeurs ne manquent pas de talent pour nous raconter des histoires souvent passionnantes, parfois touchantes et presque jamais gnangnan. On parlera de la musique plus tard, mais les dialogues sont eux bien doublés, ce qui rajoute à l'immersion.
Par contre, on se rend aussi compte des limites de cette narration procédurale. Si on se laisse porter par l'histoire et qu'on joue notre personnage (on le rappelle un ado en fuite qui a tout intérêt à rester discret pour ne pas finir en prison) en suivant les règles, les dialogues s'enchaînent et tout semble normal. Mais si on veut jouer franc-jeu et avouer au premier flic qui passe qu'on souhaite quitter Pétria par tous les moyens, on se heurte à des enchaînements d'actions parfois illogiques ou peu réalistes. Autre problème récurrent, on pige beaucoup trop vite le "secret inavouable" de chaque héros. Tant et si bien qu'on se retrouve parfois devant des options de dialogues qui tombent à plat et on est obligés de jouer le jeu pour que le système nous propose finalement l'ultime option de dialogue qui déverrouille la grosse révélation en question.
L'A6b des enfants perdus
Enfin bref, si par chance, les pérégrinations de notre ado l'amènent jusqu'à la route 96, il pourra même tenter de sortir du pays, à condition d'être bien préparé. De nombreuses options s'offrent à lui, mais la liberté ne se gagne pas si facilement... Quelle que soit l'issue de cette fuite, le run se termine, le jeu nous propose de suivre les actualités télévisées qui relatent certains des évènements passés pendant le run (bien vu !) puis nous donnent un aperçu des derniers sondages et enfin une liste d'adolescents en fugue. On choisit notre nouvel avatar et c'est reparti pour un tour jusqu'au jour de l'élection qui est le dernier acte décisif du jeu (en gros une fois qu'on a épuisé toutes les options de sortie du territoire). Road 96 propose en plus de ces variations continuelles quelques éléments aléatoires supplémentaires (cycle jour/nuit, objets différents à dénicher dans les scènes).Si on peut faire pencher l'élection d'un côté ou de l'autre au fur et à mesure en imposant sa vision de Pétria à tout un chacun, on peut également faire augmenter l'abstention en taguant les affiches des deux candidats. Au menu des activités annexes, on compte également la chasse aux K7 audios et aux badges à déverrouiller lorsqu'on a vu toutes les scènes liées à un personnage, qui offrent quelques bonus négligeables (dont un qui oblige à installer le Omen Gaming Hub sur son PC pour être débloqué, heu...).
On le disait en introduction : DigixArt a une relation toute particulière avec la musique de jeu vidéo (merci pour ça !) et Road 96 ne fait pas exception à la règle. On retrouve sur sa mixtape des compositions originales de The Toxic Avenger, Cocoon, Robert Parker, Volkor X ou encore Daniel Gadd (mention spéciale à la voix de Sal sur le très doux Far From Home qui fait un bien fou à l'arrivée à la frontière) pour un ensemble qui apporte du coffre et de la puissance à l'histoire. Le genre de BO qui vous transporte et qui fait partie intégrante du voyage. C'est une vraie réussite. Du côté de la technique par contre, le jeu souffle le chaud et le froid. La direction artistique générale et certaines scènes offrent des vistas désertiques vraiment aguichantes, mais lorsqu'on y regarde de plus prêt, les textures sont souvent baveuses et les objets apparaissent trop prêt du joueur. C'est encore pire sur la version Switch que nous avons aussi pu prendre en main et qui se permet des chutes de framerate qui cassent l'immersion lors des séquences d'action plus "nerveuses".
On ne sort jamais indemne de l'exercice dangereux de la narration procédurale. Et Road 96 en fait les frais dès qu'il nous prend l'envie de sortir des sentiers battus par ses géniteurs. Malgré tout, il prouve une nouvelle fois les qualités indéniables du studio DigixArt lorsqu'il s'agit de raconter des histoires singulières sans en faire des caisses, et d'y adjoindre une bande originale décapante.