INTERVIEW
La Belle Games, label et la bête
par billou95,
email @billou_95
Toujours au boulot sur Eugenics, le studio La Belle Games a profité de la récente Paris Games Week pour dévoiler un projet coproduit avec Arte, une véritable plongée dans le Frankenstein original de Mary Shelley. Dans ce jeu qui dépeint la créature comme un enfant (à la différence de la vision populaire instaurée par le film fantastique des années 30), on traversera l'Europe dans la peau d'une Créature qui se façonnera au gré de ses rencontres. Le préquel La naissance d'un mythe devrait être disponible sous peu est déjà disponible ici et nous avons posé quelques questions à Laurent Checola pour en savoir un peu plus sur leur démarche créative.
Pouvez-vous nous parler de La Belle Games et vos démarches, entre happenings artistiques et jeu vidéo engagé ?L'objectif de La Belle Games est de créer des jeux vidéo à enjeux, traitant de thèmes suscitant la réflexion et l'engagement. Nous essayons donc de traduire ce principe dans nos productions : dans Eugenics par exemple, le joueur sera confronté à la manipulation du vivant ; dans Frankenstein, la question de l'étranger et de l'étrangeté de la Créature est fondamentale. Il en va de même pour les événements que nous organisons : la Mediajam, coorganisée par Mediapart, a permis, de façon inédite, de faire travailler ensemble des journalistes et des créateurs de jeux, quant à l'Urban Jam, elle mettait à l'honneur les cultures urbaines. Les frontières sont d'ailleurs poreuses entre les événements et les jeux : de fait, un prototype réalisé lors de la Mediajam, Le Fil rouge, est actuellement en cours de production.
Comment en êtes-vous arrivés à bosser sur ce projet ?
Pour le bicentenaire de la création de l'oeuvre de Mary Shelley, Thibaut de Corday, l'un des associés de La Belle, a proposé à Arte de réaliser un documentaire ainsi qu'un jeu pour l'accompagner. Avec Thomas Sandmeier, notre game designer, nous avons ensuite disséqué le roman pour imaginer des mécaniques de jeu fidèles à l'oeuvre originelle. Nous avons enfin réalisé un premier prototype avant de nous lancer dans la production proprement dite.
Où s'arrêtent les références à l'oeuvre originale de et où commence le travail de La Belle ?
Quand nous évoquons Frankenstein, nous avons immédiatement en tête le personnage incarné par Boris Karloff dans les années 1930. Mais en prenant pour point d'appui le roman originel, cela nous a permis de retrouver toute sa richesse, notamment narrative. Le Frankenstein de Mary Shelley n'est pas un huis-clos horrifique, mais un roman d'aventures romantique à travers toute l'Europe. Ce voyage prend également une valeur très symbolique pour la créature, en quête de ses origines. La psychologie de la créature est également centrale : c'est au départ un être virginal, qui commet le mal en réponse à la méchanceté des hommes. Cet élément est d'ailleurs la base de notre gameplay : les émotions de la créature évolueront en fonction de ses expériences dans chaque scène. Nous ne voulions toutefois pas faire de notre jeu une adaptation littérale, c'est pourquoi nous avons imaginé des scènes originales qui introduiront de nouvelles variétés de gameplay.
Et la retranscription graphique de cette naissance et des thèmes forts abordés dans l'aventure. Qu'est-ce qui vous a guidé dans sa création ?
Étonnamment, il y a peu de descriptions sur la créature dans le roman. Mais une chose est certaine, elle est repoussante et suscite le dégoût des hommes. Avec cette grande silhouette blanchâtre, imaginée par nos graphistes nous parvenons à la fois donner un aspect virginal et mystérieux à notre créature.
Le choix du point'n click narratif, nécessaire pour laisser le joueur s'approprier l'histoire à son rythme ?
Dans notre adaptation de Frankenstein, le joueur pourra visiter une vingtaine de saynètes, qui fonctionnent sur deux éléments de gameplay principaux. A l'échelle macro, les émotions de la créature transparaissent à l'écran : si la créature est en état de colère ou de peur, le paysage se modifie en conséquence. A l'échelle micro, nous souhaitons que les joueurs puissent prendre le temps de découvrir chaque scène, comme ils le souhaitent. C'est pourquoi chaque séquence disposera de micro-gameplays originaux. Dans notre prequel par exemple, la créature peut par exemple essayer d'attraper un faon. Il n'y a bien entendu aucune obligation de réaliser ces actions, mais elles contribuent à l'immersion dans l'atmosphère du jeu.
Aujourd'hui, vous sortez le préquel Frankenstein: Naissance d'un mythe. En quoi diffère-t-il du jeu final ?
Dans notre préquel, nous voulions présenter les circonstances pour le moins singulières de la genèse de l'oeuvre : une tempête climatique, un parterre de penseurs romantiques et une toute jeune auteure : Mary Shelley. C'est pourquoi notre préquel met d'abord en scène une discussion avec des réponses à embranchements multiples. Bien entendu, il ne s'agit pas là de choisir de bonnes ou mauvaises options : en fonction du choix des joueurs, les thèmes de la discussion évoluent de la politique à la religion en passant par le processus de création. Nous souhaitions aussi donner un avant-goût de notre jeu, où le joueur incarnera uniquement la créature. En terme de gameplay, nous passons alors à de l'exploration et de la découverte.
Quel est votre regard sur le genre du jeu vidéo narratif et ses différentes déclinaisons ?
Avec la profusion des contenus, BD, séries, films, etc. qui proposent des formes narratives originales, le jeu vidéo est pris à son tour dans cette spirale, ce qui est bon signe !