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Mini-dossier : la saga Resident Evil
Resident Evil (1996, 2002, 2016)
Le chef, le king, le grand manitou, le singe, le monument, celui qu’on ne présente plus et que je vais vous présenter quand même. Resident Evil premier du nom a traumatisé toute une génération de joueurs avec son ambiance glauque, ses monstres légendaires, ses puzzles sans queue ni tête et sa maniabilité qui donnait l’impression d’incarner un frigo. Mais quel frigo, mes amis, quel frigo !
À l’origine voulu comme un remake d’un survival 8 bits peu connu en Europe, Sweet Home, Resident Evil devait être un FPS, mais Mikami (dois-je vraiment vous présenter Shinji Mikami ?), conquis par Alone in the Dark, décida d’en adopter les angles de vue fixes. Assez tôt dans la phase de préproduction, Mikami avait également le souhait d’en faire un jeu co-op, ce qui ne se réalisa pas à cause des limitations techniques. Au terme de 3 longues années de farfouillements, tâtonnements et autres errements, RE vit enfin le jour. La suite, vous la connaissez.
Pour le premier contact avec la série, Capcom avait choisi le recours à de la FMV bien nanarde comme il fallait. C'est d'ailleurs dommage que cet aspect véritablement ridicule se soit perdu dans les opus suivants, remplacé par des dialogues plats et des accents hollywoodiens. Cette introduction nous montre les membres de l’unité d’élite STARS Alpha, envoyée pour enquêter sur la disparition de l’équipe Bravo quelques heures plus tôt. À peine descendus de l’hélico, les agents sont pris en embuscade par des dobermans zombies qui hurlent inexplicablement comme les dragons de Warcraft 2 et qui les forcent à se retrancher dans un manoir. Alors qu'ils se croient tirés d’affaire, ils entendent un bruit dans une pièce voisine…
Si on analysait Resident Evil 1 comme on analyserait un film de zombies hollywoodien, on lui défèquerait dessus à l’infini pour ses innombrables incohérences : un scénario alambiqué sans raison ; des personnages secondaires qui sont tout autant coincés que vous et qui pourtant se meuvent dans le manoir comme s’ils avaient toutes les clés ; un système de clés, blasons et autres énigmes en cascade qui rend la progression extrêmement longue et saccadée (fallait pas avoir trop envie d’aller aux toilettes dans ce manoir) ; un boss de fin qui est a priori « la forme de vie ultime » et qui part en morceaux avec une simple roquette…
La différence, c’est que RE n’est pas un film et l’a très bien compris, à l’inverse des films hollywoodiens qui eux par contre ont tendance à penser qu’une trame de JV est une bonne chose (films RE y compris, ironiquement). Dans RE, la suspension d’incrédulité fonctionne car on a toujours quelque chose à faire dans un espace relativement clos, avec la tension permanente du manque de munitions, de soins et de rubans encreurs. Les énigmes obtuses vous poussent à retenir des emplacements divers et variés pour la suite des événements et à faire attention. Le savant dosage administré par les game designers fonctionne à merveille, même plus de 20 ans après.
RE n’est pas un film, et pourtant son inspiration cinématographique est évidente, dans la musique, les bruits ambiants, les décors statiques minutieux. La qualité de ce jeu qu’on oublie souvent de mentionner sont les angles de caméra, qui entretiennent le malaise à cause d’une visibilité volontairement mauvaise.
RE est une accumulation de petites choses bien pensées qui forment un grand tout fabuleux. Ses quelques défauts (la maniabilité, son inventaire décidément trop limité) sont frustrants mais anecdotiques en comparaison. Évidemment, si l’on mettait Dylan, 12 ans, devant RE aujourd’hui, il ne comprendrait pas et nous latterait les couilles avant d’aller lancer sa 157è partie de Fortnite de la journée. Mais ça, c’est normal, car Dylan ne peut pas comprendre que l’aura de RE est aussi liée à son environnement d’origine, celles des débuts de la PS1 et de la démocratisation de la 3D, aussi appelée l’époque « la vache qu’est-ce qu’on a pu s’amuser bordel » [réf. nécessaire]. Souvenez-vous : en trois années, on se tape coup sur coup du Wipeout, du Tekken, du Final Fantasy, du Resident Evil, du Destruction Derby, du Crash Bandicoot, du Metal Gear, du Gran Turismo… La coupure avec les 16 bits 2D fut aussi brusque que fabuleuse et on ne voyait pas de fin à l’innovation. Et RE, qui n’était pas le premier survival, devint quand même le représentant du genre par excellence. Parce qu’il était au bon endroit au bon moment, parce qu’il ouvrait de nouveaux horizons et parce qu’il était bon, tout simplement.
Le remake de 2002 et sa refonte HD de 2016 rajoutent quelques petites améliorations, une maniabilité enfin acceptable et un scénario plus approfondi, avec l’inclusion notable de la pauvre Lisa Trevor.