INTERVIEW
Johan Vinet
par Zaza le Nounours & billou95,
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Penses-tu que ce genre de cinematic platformer à l'ancienne peut plaire à un public moderne ? Est-ce que tu ne crains pas que ça se limite à un public de vieux cons qui ont joué à Flashback, Prince of Persia, Another World à l'époque ? Est-ce que tu penses que les joueurs plus jeunes qui n'ont pas forcément connu tous ces titres-là peuvent s'y retrouver dans un jeu de ce type, avec ses limites, ses contraintes, et éventuellement la certaine raideur que ça implique ?
Je serais surpris de trouver un tout nouveau public et que le jeu cartonne. Je suis conscient de ce que c'est et du public de niche auquel il s'adresse. Donc pour moi, c'est déjà un succès que j'aie réussi le Kickstarter et que ça m’ait financé le développement, qu'aujourd'hui j'ai un publisher et que je vais peut-être pouvoir me verser un salaire à un moment donné, que le jeu ait de la gueule. Et c'est là que WayForward, c'est un peu à double tranchant : ils vont avoir une plus grosse portée en termes de marketing, ils vont toucher un public qui aime les jeux en 2D, mais j'ai toujours un peu peur au fond de moi que ça touche un public "trop" large, et que ça cause un backlash parce que c'est un public qui n'est pas prêt à aimer ce genre de choses.
C'est donc ça la difficulté, de faire comprendre aux gens ce que c'est vraiment comme jeu et à qui il s'adresse. Ca, c'est vraiment le plus difficile dans le développement d'un jeu, je trouve. Et c'est là où se trouve le risque au moment de la sortie, de prendre des sales critiques sur Steam parce que tu as survendu ton jeu, ou caché ce que c'était réellement, et que les gens se sentent leurrés, qu'ils y jouent et que ça ne leur convienne pas. Donc j'essaye de faire comprendre ce qu'est vraiment Lunark, par le biais des interviews, ou par la démo que je n'ai pas hésité à mettre en ligne dès que j'ai pu parce que je voulais que les gens voient ce que c'est.
Mais non, je m'attends pas à ce qu'il y ait un nouveau public, un nouvel engouement pour ce style de cinematic platformer parce que j'ai choisi de faire Lunark avec autant de contraintes. Après, il y a des cinematic platformers plus "actuels", comme Inside ou comme Somerville, qui je pense parlent plus à des joueurs modernes soit par leur esthétique, soit par les contrôles qui auront enlevé une certaine rigueur au genre, etc.
On va publier des articles avec WayForward, j'en ai écrit un justement sur la mobilité dans Lunark et ses inspirations. Prince of Persia, Flashback, Another World, ce sont des jeux qui étaient sortis à la même époque que Mario et Sonic. Et je trouve que la différence c'est que Mario est plus facile à contrôler parce qu'il ne respecte pas les lois de la physique, il est plus maniable, on peut le déplacer quand il est en l'air, il peut faire des double-jumps... On n'avait pas la même immersionà cause de ça. Le fait que ton personnage se traine un peu, ou qu'il y ait de l'inertie dans ses mouvements. font que tu dois beaucoup plus anticiper quand tu presses sur la touche pour sauter par exemple. Ça te mettait plus en connexion avec ton personnage, ça ajoutait à l'immersion que tu pouvais ressentir parce que tu avais plus l'impression de diriger un humain - pour l'époque, en tout cas. Aujourd'hui, on a des Uncharted, des jeux très réalistes - qui sont, pour moi, des héritiers des cinematic platformers d'ailleurs, mais c'est autre chose. Mais à cette époque-là en tout cas, il n'y avait rien de comparable à ça, et c'était tellement plus excitant de sauter par dessus des pics dans Prince of Persia, que de sauter par dessus des pics dans Sonic. Tu avais une autre adrénaline quand tu réussissais un saut et que tu t'agrippais à la corniche dans Flashback que dans Mario.
Dans Lunark, j'ai quand même essayé de moderniser tout ça du mieux que j'ai pu, je n'ai pas repris bêtement les contrôles exacts. Alors on aime ou on n'aime pas, mais j'ai essayé d'un peu d'être sur la ligne entre old school et moderne pour les contrôles, parce qu'il y a des choses de l'époque qui sont plus justifiables aujourd'hui. Par exemple dans Flashback, tu lançais la course avec un bouton et si tu relachais le bouton, tu continues de courir, automatiquement. Et pour faire un saut, tu appuyais vers le haut avec le même pouce qui était déjà pressé sur avant. Donc tu faisais une espèce de diagonale à la Street Fighter pour sauter au moment où tu voulais. Et pour faire une roulade c'était pareil, sauf que tu faisais ça en bas. Tu ne peux pas demander ça aux joueurs aujourd'hui, à part dans Street Fighter justement. Faire des quarts de cercle pour faire une roulade, c'est plus possible, surtout que tu devais le faire aussi à l'arrêt quand tu étais baissé. Avec des sticks analogiques, où tu allais le faire sans faire exprès, ça allait être n'importe quoi. Du coup, comme j'ai des boutons à disposition, je les ai utilisés : j'ai un bouton pour la roulade, un bouton pour sauter. Mais il y a des choses sur lesquelles je n'ai pas pu faire l'impasse, comme la différence entre le saut en avant et sauter à la verticale pour s'accrocher à une corniche par exemple.
En fait, la contrainte d’un cinematic platformer à l'ancienne, c'est que chaque action doit attendre que l'animation précédente soit finie avant de se jouer, c'est ça qui fait que tes inputs ont un délai. Par exemple pour courir dans Flashback, il fallait attendre qu'il ait fait deux enjambées pour qu'il prenne en compte ton input de saut et que là, il saute. Moi, j'ai fait en sorte que ce soit toutes les demi-enjambées, j'ai triché un peu pour que ça ait l'air plus réactif. Mais pour en revenir à sauter en avant… On m’a dit “Pourquoi tu n'utilises pas qu'un bouton de saut ?” Mettons que je sois sous une corniche, et qu’il faille faire un saut en avant : comment tu différencies à ce moment-là que tu veux sauter en avant et pas sauter pour t'accrocher à la corniche au-dessus ? En termes de level design, j'allais avoir des problèmes, et ça allait provoquer d'autres frustrations chez les joueurs. Donc j'ai conservé ce truc de différencier le saut en avant, avec ou sans élan, ou sauter tout droit pour s'accrocher à une corniche, ce qui appelle d'autres animations : dans Mario, tu sautes, ça restait toujours la même animation, le bonhomme il a les jambes écartées et tu as l'impression qu'il est en l'air. C'est différent d'un cinematic platformer, visuellement, tu lances pas la même animation pour ces deux actions-là - je ne sais pas si je suis clair ou si je me perds trop dans les détails (rires).
C'est très clair ! Mais il y a aussi cette spécificité, en tout cas sur Prince of Persia et Flashback, ce n'était pas le cas dans Another World, que tous les déplacements sont sur une grille, tous les niveaux sont découpés par cases. Ça, tu l’as gardé aussi ?
Ça, je l'ai gardé, Mais aussi par contrainte à cause de mes compétences de programmeur. Parce qu'un cinematic plaformer grid-based comme ça, c'est le jeu parfait pour un animateur : quand tu lances le code et quand tu es en train de sauter, je sais où est mon personnage au pixel près, je sais où il va arriver au pixel près. Donc à programmer, ce n'est pas si compliqué, c'est juste des cas à vérifier, quelle est la tuile qui se trouve à ton point d'arriver quand tu presses le bouton : on sait que tu es là, donc on sait que si tu fais ce saut, où tu vas pouvoir t'accrocher, et donc on voit l'animation. Il n'y a pas de physique dans le code de Lunark. C'est vraiment une succession d'animations, de positions basées sur une grille qui se suivent. En fait, c'est un faux jeu de plateforme basée sur une physique parce qu'il n'y en a pas, en fait. Il n'y en avait pas sur Flashback non plus, excepté quand tu lançais un objet, je pense qu'il faisait une espèce de réelle physique pour que l'objet que tu lances rebondisse sur un mur. Je n'ai pas ça dans Lunark, on ne peut pas lancer d'objet, mais j'ai quand même de la physique pour certains ennemis, ou les munitions qui tombent par terre, des choses comme ça. Donc je dois faire quand même un peu de code. En tout cas c'était le jeu parfait pour moi : de me baser sur une grille, ça m'a plutôt facilité les choses. Donc oui, je l’ai gardée bien volontiers.
Et en plus, ça respectait vraiment les jeux de l'époque.
Oui et puis j'aime ça. Tu sais que quand tu vas sauter, tu vas parcourir trois tiles, quand tu vas faire un saut long, tu vas en parcourir six. Si c'est trop court, tu le vois. Les jeux comme Inside, où tu es un peu plus libre dans tes mouvements, tu peux revenir en arrière dans tes sauts, c'est plus physics based, tu vas d'abord t'essayer à sauter.
Ça te permet de rationaliser aussi ton level design, quelque part.
Clairement, ça te permet d'aller plus vite. J'ai un tableau blanc à côté de moi où j'ai dessiné mon personnage et une grille, et où j'ai dessiné la longueur des sauts pour me le rappeler sans cesse, l'avoir sous les yeux quand je designe mes niveaux. Il y a aussi un élément que j'ai repris de Flashback et là, complètement pompé, mais il le fallait : quand tu cours, t'accrocher automatiquement à une corniche. Parce que ça, ça rajoute énormément au gameplay et au level design, tu peux atteindre des endroits que tu ne pouvais clairement pas atteindre dans un Prince of Persia. Donc ce genre de choses-là, je l'ai gardé, mais curieusement, en ayant pas mal joué à Flashback, il ne l'utilise pas tant que ça finalement. Peut-être qu'une ou deux fois c'est obligé de le faire et si tu n'avais pas compris jusqu'à présent, tu pouvais être coincé, mais ce n'est pas tant utilisé que ça.
Et puis tu as modernisé aussi quelques petites choses, notamment quand tu attrapes une corniche au-dessus de toi, le perso se tourne automatiquement.
Des choses comme ça, oui. Déjà, ça va plus vite aussi parce que dans Flashback, c'est une succession d'actions séparées que tu peux interrompre à tout moment. Moi, je pars du principe que si tu presses haut, c'est que tu veux monter, donc le personnage se tourne super vite - il ne se tourne même pas, en fait, il tourne en sautant. Il fait tout en une action, je voulais vraiment essayer d'enlever de la lourdeur à la mobilité du personnage pour que le joueur en souffre le moins possible, les actions vont aussi légèrement plus vite. J'ai également enlevé et adapté à ma sauce tout ce qui était gestion de l'arme, je voulais plus dégainer, se balader avec son arme… Ça ne sert à rien, en fait. C'était génial à faire dans Flashback, tu as l'air cool à te balader avec ton arme dégainée, mais tu pouvais juste marcher, pas à pas. Et quand tu dégainais ton arme en tombant, elle était déjà dégainée, c'était prêt. Maintenant, ça va tellement vite dans Lunark, tu appuies sur le bouton de tir, Leo dégaine et tire en même temps. Il garde son arme dégainée, il peut faire des roulades avec l'arme dégainée, donc si tu es poursuivi, tu peux enchaîner les combats facilement. Et dès que tu te remets à courir, il rengaine son arme, tout se fait automatiquement. J'ai vraiment voulu streamliner tout ça, l'épurer le plus possible pour que les joueurs n'aient plus à penser à ça.
Un autre petit truc, aussi : quand tu as ton arme dégainée et que tu fais une roulade dans un mur, le personnage va se prendre le mur mais il va tout de suite se tourner. C'est un détail, mais je me suis dit que si on fait une roulade avec ton arme sortie, c'est probablement qu'on est poursuivi par un ennemi donc c'est appréciable. C'est plein de petits détails pour améliorer la vie du joueur que j'ai essayé de mettre, mais il y en a tellement d'autres que j'aurais voulu faire et pour lesquels je n'ai pas eu le temps... Ça sera pour Lunark 2 !
Tout à l'heure, tu avais parlé musique et on n'avait pas eu l'occasion de rebondir. Le processus créatif global pour la réalisation, le game design, on le voit, mais pour la musique, c'est là que tu as pu avoir le plus de liberté. De quoi tu t'es inspiré ? Comment tu as bossé sur la musique du jeu ?
Ça, c'était vraiment au feeling. La musique, je la faisais vraiment quand j'étais saoulé par quelque chose d'autre, c'était ma récompense, je m'accordais un ou deux jours pour commencer à composer une musique. Souvent, ça prenait plus. Au début, je ne faisais pas une musique pour un niveau en particulier, je cherchais plus de quoi je pourrais m'inspirer, je savais que j'avais besoin d'une dizaine de tracks, donc il fallait que je produise. Ça m'est arrivé d'intervertir deux musiques en milieu de production. Mais ça, c'était vraiment mes petites récompenses, et pour ce qui est des inspirations, il y avait vraiment de tout. Pas mal de films de SF, genre Blade Runner : ces ambiances avec des synthés très Vangelis, c'était le ton que je voulais donner. D'ailleurs la première que j'ai composée, celle du Kickstarter, fait un peu penser à ça, avec le thème où j'utilise des nappes dans le style de Vangelis. Il y a eu des shows télés aussi, des atmosphères. Je ne sais pas si vous avez vu la série Severance sur Apple TV+ ? Je trouvais l'ambiance tellement particulière que ça, ça m'a vraiment inspiré pour une des pistes.
Tu es allé piocher un peu à droite à gauche, et tu as pu te donner plus de liberté pour la partie composition musicale.
Clairement, par exemple j'ai le niveau de ce que j'appelle "le tube", c'est une espèce de train aérien où là, j'avais besoin d'une musique vraiment dynamique, avec de l'impact. J'écoutais beaucoup à cette époque-là la bande son de de Furi. Il y a ce genre de sonorité, de dynamisme, que je souhaitais aussi avoir, donc cette BO m'a Inspiré cette track-là. Mais je ne sais pas, j'ai pas grand-chose de d'intéressant à raconter sur le processus musical parce que je compose depuis longtemps, mais ce n'est pas quelque chose dont je parle trop sur les réseaux sociaux ou que je mets trop en avant. J'ai un peu le syndrome de l'Imposteur pour la musique. Ça a toujours fait partie de ma vie, mais jamais professionnellement, donc je n'ai jamais voulu trop m'étaler là-dessus, et c'est une des premières choses que j'aurais voulu faire faire par quelqu'un si j'avais eu les moyens.
Un rêve que j’aurais, si le jeu marche ou que la bande son plait, ça serait de trouver des artistes pour faire des remix, comme Fez avec Disasterpeace, où il avait fait appel à d'autres artistes pour faire leurs versions à eux, ou Undertale. Ça serait vraiment le rêve, que des artistes fassent des trucs magnifiques à partir de mon pauvre travail. Je n'assume pas vraiment mes musiques, même si les gens qui les écoutent trouvent ça bien. WayForward a compris très tard que c'est moi qui les avait composées, ils pensaient que j'avais fait appel à un musicien, donc j'étais très flatté. J'attends de voir ce que les gens vont en penser.
En fait, ça reste des pistes d'accompagnement. La part belle est pas donnée aux musiques dans un cinematic platformer, c'est de la musique d'ambiance, un peu comme la musique de film, je ne l'ai pas composée pour que tu danses dessus. Mais en tout cas, j'ai pris beaucoup de plaisir à travailler dessus : chez moi, avec mon mini studio, mes synthés, des instruments à vent... Je joue du sax, de la clarinette, et j'ai un instrument électronique avec lequel tu peux jouer du synthé avec des doigtés de saxo ou de clarinette. Il a été bien pratique pour toutes les parties mélodiques, un peu synthétiseur à la Vangelis que tu entends dans Lunark.
Je serais surpris de trouver un tout nouveau public et que le jeu cartonne. Je suis conscient de ce que c'est et du public de niche auquel il s'adresse. Donc pour moi, c'est déjà un succès que j'aie réussi le Kickstarter et que ça m’ait financé le développement, qu'aujourd'hui j'ai un publisher et que je vais peut-être pouvoir me verser un salaire à un moment donné, que le jeu ait de la gueule. Et c'est là que WayForward, c'est un peu à double tranchant : ils vont avoir une plus grosse portée en termes de marketing, ils vont toucher un public qui aime les jeux en 2D, mais j'ai toujours un peu peur au fond de moi que ça touche un public "trop" large, et que ça cause un backlash parce que c'est un public qui n'est pas prêt à aimer ce genre de choses.
C'est donc ça la difficulté, de faire comprendre aux gens ce que c'est vraiment comme jeu et à qui il s'adresse. Ca, c'est vraiment le plus difficile dans le développement d'un jeu, je trouve. Et c'est là où se trouve le risque au moment de la sortie, de prendre des sales critiques sur Steam parce que tu as survendu ton jeu, ou caché ce que c'était réellement, et que les gens se sentent leurrés, qu'ils y jouent et que ça ne leur convienne pas. Donc j'essaye de faire comprendre ce qu'est vraiment Lunark, par le biais des interviews, ou par la démo que je n'ai pas hésité à mettre en ligne dès que j'ai pu parce que je voulais que les gens voient ce que c'est.
Mais non, je m'attends pas à ce qu'il y ait un nouveau public, un nouvel engouement pour ce style de cinematic platformer parce que j'ai choisi de faire Lunark avec autant de contraintes. Après, il y a des cinematic platformers plus "actuels", comme Inside ou comme Somerville, qui je pense parlent plus à des joueurs modernes soit par leur esthétique, soit par les contrôles qui auront enlevé une certaine rigueur au genre, etc.
Les Uncharted et tout ça pour moi, c'est des héritiers des cinematic platformers.
On va publier des articles avec WayForward, j'en ai écrit un justement sur la mobilité dans Lunark et ses inspirations. Prince of Persia, Flashback, Another World, ce sont des jeux qui étaient sortis à la même époque que Mario et Sonic. Et je trouve que la différence c'est que Mario est plus facile à contrôler parce qu'il ne respecte pas les lois de la physique, il est plus maniable, on peut le déplacer quand il est en l'air, il peut faire des double-jumps... On n'avait pas la même immersionà cause de ça. Le fait que ton personnage se traine un peu, ou qu'il y ait de l'inertie dans ses mouvements. font que tu dois beaucoup plus anticiper quand tu presses sur la touche pour sauter par exemple. Ça te mettait plus en connexion avec ton personnage, ça ajoutait à l'immersion que tu pouvais ressentir parce que tu avais plus l'impression de diriger un humain - pour l'époque, en tout cas. Aujourd'hui, on a des Uncharted, des jeux très réalistes - qui sont, pour moi, des héritiers des cinematic platformers d'ailleurs, mais c'est autre chose. Mais à cette époque-là en tout cas, il n'y avait rien de comparable à ça, et c'était tellement plus excitant de sauter par dessus des pics dans Prince of Persia, que de sauter par dessus des pics dans Sonic. Tu avais une autre adrénaline quand tu réussissais un saut et que tu t'agrippais à la corniche dans Flashback que dans Mario.
Dans Lunark, j'ai quand même essayé de moderniser tout ça du mieux que j'ai pu, je n'ai pas repris bêtement les contrôles exacts. Alors on aime ou on n'aime pas, mais j'ai essayé d'un peu d'être sur la ligne entre old school et moderne pour les contrôles, parce qu'il y a des choses de l'époque qui sont plus justifiables aujourd'hui. Par exemple dans Flashback, tu lançais la course avec un bouton et si tu relachais le bouton, tu continues de courir, automatiquement. Et pour faire un saut, tu appuyais vers le haut avec le même pouce qui était déjà pressé sur avant. Donc tu faisais une espèce de diagonale à la Street Fighter pour sauter au moment où tu voulais. Et pour faire une roulade c'était pareil, sauf que tu faisais ça en bas. Tu ne peux pas demander ça aux joueurs aujourd'hui, à part dans Street Fighter justement. Faire des quarts de cercle pour faire une roulade, c'est plus possible, surtout que tu devais le faire aussi à l'arrêt quand tu étais baissé. Avec des sticks analogiques, où tu allais le faire sans faire exprès, ça allait être n'importe quoi. Du coup, comme j'ai des boutons à disposition, je les ai utilisés : j'ai un bouton pour la roulade, un bouton pour sauter. Mais il y a des choses sur lesquelles je n'ai pas pu faire l'impasse, comme la différence entre le saut en avant et sauter à la verticale pour s'accrocher à une corniche par exemple.
En fait, la contrainte d’un cinematic platformer à l'ancienne, c'est que chaque action doit attendre que l'animation précédente soit finie avant de se jouer, c'est ça qui fait que tes inputs ont un délai. Par exemple pour courir dans Flashback, il fallait attendre qu'il ait fait deux enjambées pour qu'il prenne en compte ton input de saut et que là, il saute. Moi, j'ai fait en sorte que ce soit toutes les demi-enjambées, j'ai triché un peu pour que ça ait l'air plus réactif. Mais pour en revenir à sauter en avant… On m’a dit “Pourquoi tu n'utilises pas qu'un bouton de saut ?” Mettons que je sois sous une corniche, et qu’il faille faire un saut en avant : comment tu différencies à ce moment-là que tu veux sauter en avant et pas sauter pour t'accrocher à la corniche au-dessus ? En termes de level design, j'allais avoir des problèmes, et ça allait provoquer d'autres frustrations chez les joueurs. Donc j'ai conservé ce truc de différencier le saut en avant, avec ou sans élan, ou sauter tout droit pour s'accrocher à une corniche, ce qui appelle d'autres animations : dans Mario, tu sautes, ça restait toujours la même animation, le bonhomme il a les jambes écartées et tu as l'impression qu'il est en l'air. C'est différent d'un cinematic platformer, visuellement, tu lances pas la même animation pour ces deux actions-là - je ne sais pas si je suis clair ou si je me perds trop dans les détails (rires).
Il n'y a pas de physique dans le code de Lunark. C'est vraiment une succession d'animations, une succession de positions basées sur une grille qui se suivent.
C'est très clair ! Mais il y a aussi cette spécificité, en tout cas sur Prince of Persia et Flashback, ce n'était pas le cas dans Another World, que tous les déplacements sont sur une grille, tous les niveaux sont découpés par cases. Ça, tu l’as gardé aussi ?
Ça, je l'ai gardé, Mais aussi par contrainte à cause de mes compétences de programmeur. Parce qu'un cinematic plaformer grid-based comme ça, c'est le jeu parfait pour un animateur : quand tu lances le code et quand tu es en train de sauter, je sais où est mon personnage au pixel près, je sais où il va arriver au pixel près. Donc à programmer, ce n'est pas si compliqué, c'est juste des cas à vérifier, quelle est la tuile qui se trouve à ton point d'arriver quand tu presses le bouton : on sait que tu es là, donc on sait que si tu fais ce saut, où tu vas pouvoir t'accrocher, et donc on voit l'animation. Il n'y a pas de physique dans le code de Lunark. C'est vraiment une succession d'animations, de positions basées sur une grille qui se suivent. En fait, c'est un faux jeu de plateforme basée sur une physique parce qu'il n'y en a pas, en fait. Il n'y en avait pas sur Flashback non plus, excepté quand tu lançais un objet, je pense qu'il faisait une espèce de réelle physique pour que l'objet que tu lances rebondisse sur un mur. Je n'ai pas ça dans Lunark, on ne peut pas lancer d'objet, mais j'ai quand même de la physique pour certains ennemis, ou les munitions qui tombent par terre, des choses comme ça. Donc je dois faire quand même un peu de code. En tout cas c'était le jeu parfait pour moi : de me baser sur une grille, ça m'a plutôt facilité les choses. Donc oui, je l’ai gardée bien volontiers.
Et en plus, ça respectait vraiment les jeux de l'époque.
Oui et puis j'aime ça. Tu sais que quand tu vas sauter, tu vas parcourir trois tiles, quand tu vas faire un saut long, tu vas en parcourir six. Si c'est trop court, tu le vois. Les jeux comme Inside, où tu es un peu plus libre dans tes mouvements, tu peux revenir en arrière dans tes sauts, c'est plus physics based, tu vas d'abord t'essayer à sauter.
Ça te permet de rationaliser aussi ton level design, quelque part.
Clairement, ça te permet d'aller plus vite. J'ai un tableau blanc à côté de moi où j'ai dessiné mon personnage et une grille, et où j'ai dessiné la longueur des sauts pour me le rappeler sans cesse, l'avoir sous les yeux quand je designe mes niveaux. Il y a aussi un élément que j'ai repris de Flashback et là, complètement pompé, mais il le fallait : quand tu cours, t'accrocher automatiquement à une corniche. Parce que ça, ça rajoute énormément au gameplay et au level design, tu peux atteindre des endroits que tu ne pouvais clairement pas atteindre dans un Prince of Persia. Donc ce genre de choses-là, je l'ai gardé, mais curieusement, en ayant pas mal joué à Flashback, il ne l'utilise pas tant que ça finalement. Peut-être qu'une ou deux fois c'est obligé de le faire et si tu n'avais pas compris jusqu'à présent, tu pouvais être coincé, mais ce n'est pas tant utilisé que ça.
Et puis tu as modernisé aussi quelques petites choses, notamment quand tu attrapes une corniche au-dessus de toi, le perso se tourne automatiquement.
Des choses comme ça, oui. Déjà, ça va plus vite aussi parce que dans Flashback, c'est une succession d'actions séparées que tu peux interrompre à tout moment. Moi, je pars du principe que si tu presses haut, c'est que tu veux monter, donc le personnage se tourne super vite - il ne se tourne même pas, en fait, il tourne en sautant. Il fait tout en une action, je voulais vraiment essayer d'enlever de la lourdeur à la mobilité du personnage pour que le joueur en souffre le moins possible, les actions vont aussi légèrement plus vite. J'ai également enlevé et adapté à ma sauce tout ce qui était gestion de l'arme, je voulais plus dégainer, se balader avec son arme… Ça ne sert à rien, en fait. C'était génial à faire dans Flashback, tu as l'air cool à te balader avec ton arme dégainée, mais tu pouvais juste marcher, pas à pas. Et quand tu dégainais ton arme en tombant, elle était déjà dégainée, c'était prêt. Maintenant, ça va tellement vite dans Lunark, tu appuies sur le bouton de tir, Leo dégaine et tire en même temps. Il garde son arme dégainée, il peut faire des roulades avec l'arme dégainée, donc si tu es poursuivi, tu peux enchaîner les combats facilement. Et dès que tu te remets à courir, il rengaine son arme, tout se fait automatiquement. J'ai vraiment voulu streamliner tout ça, l'épurer le plus possible pour que les joueurs n'aient plus à penser à ça.
Un autre petit truc, aussi : quand tu as ton arme dégainée et que tu fais une roulade dans un mur, le personnage va se prendre le mur mais il va tout de suite se tourner. C'est un détail, mais je me suis dit que si on fait une roulade avec ton arme sortie, c'est probablement qu'on est poursuivi par un ennemi donc c'est appréciable. C'est plein de petits détails pour améliorer la vie du joueur que j'ai essayé de mettre, mais il y en a tellement d'autres que j'aurais voulu faire et pour lesquels je n'ai pas eu le temps... Ça sera pour Lunark 2 !
Tout à l'heure, tu avais parlé musique et on n'avait pas eu l'occasion de rebondir. Le processus créatif global pour la réalisation, le game design, on le voit, mais pour la musique, c'est là que tu as pu avoir le plus de liberté. De quoi tu t'es inspiré ? Comment tu as bossé sur la musique du jeu ?
Ça, c'était vraiment au feeling. La musique, je la faisais vraiment quand j'étais saoulé par quelque chose d'autre, c'était ma récompense, je m'accordais un ou deux jours pour commencer à composer une musique. Souvent, ça prenait plus. Au début, je ne faisais pas une musique pour un niveau en particulier, je cherchais plus de quoi je pourrais m'inspirer, je savais que j'avais besoin d'une dizaine de tracks, donc il fallait que je produise. Ça m'est arrivé d'intervertir deux musiques en milieu de production. Mais ça, c'était vraiment mes petites récompenses, et pour ce qui est des inspirations, il y avait vraiment de tout. Pas mal de films de SF, genre Blade Runner : ces ambiances avec des synthés très Vangelis, c'était le ton que je voulais donner. D'ailleurs la première que j'ai composée, celle du Kickstarter, fait un peu penser à ça, avec le thème où j'utilise des nappes dans le style de Vangelis. Il y a eu des shows télés aussi, des atmosphères. Je ne sais pas si vous avez vu la série Severance sur Apple TV+ ? Je trouvais l'ambiance tellement particulière que ça, ça m'a vraiment inspiré pour une des pistes.
Un rêve que j’aurais, ça serait [...] de trouver des artistes pour faire des remix.
Tu es allé piocher un peu à droite à gauche, et tu as pu te donner plus de liberté pour la partie composition musicale.
Clairement, par exemple j'ai le niveau de ce que j'appelle "le tube", c'est une espèce de train aérien où là, j'avais besoin d'une musique vraiment dynamique, avec de l'impact. J'écoutais beaucoup à cette époque-là la bande son de de Furi. Il y a ce genre de sonorité, de dynamisme, que je souhaitais aussi avoir, donc cette BO m'a Inspiré cette track-là. Mais je ne sais pas, j'ai pas grand-chose de d'intéressant à raconter sur le processus musical parce que je compose depuis longtemps, mais ce n'est pas quelque chose dont je parle trop sur les réseaux sociaux ou que je mets trop en avant. J'ai un peu le syndrome de l'Imposteur pour la musique. Ça a toujours fait partie de ma vie, mais jamais professionnellement, donc je n'ai jamais voulu trop m'étaler là-dessus, et c'est une des premières choses que j'aurais voulu faire faire par quelqu'un si j'avais eu les moyens.
Un rêve que j’aurais, si le jeu marche ou que la bande son plait, ça serait de trouver des artistes pour faire des remix, comme Fez avec Disasterpeace, où il avait fait appel à d'autres artistes pour faire leurs versions à eux, ou Undertale. Ça serait vraiment le rêve, que des artistes fassent des trucs magnifiques à partir de mon pauvre travail. Je n'assume pas vraiment mes musiques, même si les gens qui les écoutent trouvent ça bien. WayForward a compris très tard que c'est moi qui les avait composées, ils pensaient que j'avais fait appel à un musicien, donc j'étais très flatté. J'attends de voir ce que les gens vont en penser.
En fait, ça reste des pistes d'accompagnement. La part belle est pas donnée aux musiques dans un cinematic platformer, c'est de la musique d'ambiance, un peu comme la musique de film, je ne l'ai pas composée pour que tu danses dessus. Mais en tout cas, j'ai pris beaucoup de plaisir à travailler dessus : chez moi, avec mon mini studio, mes synthés, des instruments à vent... Je joue du sax, de la clarinette, et j'ai un instrument électronique avec lequel tu peux jouer du synthé avec des doigtés de saxo ou de clarinette. Il a été bien pratique pour toutes les parties mélodiques, un peu synthétiseur à la Vangelis que tu entends dans Lunark.