INTERVIEW
Johan Vinet
par Zaza le Nounours & billou95,
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T'es adoubé par Mechner !
Voilà, le seal of approval de Mechner ! Et puis Il y a eu Fumito Ueda aussi, le créateur de ICO et Shadow of The Colossus que je retrouve dans mes backers un jour. Je vois ce nom et je pensais que c'était un homonyme, mais il me contacte en MP sur Twitter pour me dire “Super ton Kickstarter !” : je n'en revenais pas. Il a aussi fait un tweet après ça, du coup j'ai eu ces deux personnes que j'ai pu mettre en tête de Kickstarter au milieu de la campagne.
Et tu n'as pas essayé de contacter Paul Cuisset où Éric Chahi ?
Si, au moins autant que les autres, mais Paul Cuisset, il était vraiment injoignable. Jordan Mechner, j'ai envoyé un message sur Facebook, sur sa page de Prince of Persia. N'ayant pas de réponse, j'avais laissé tomber, pareil pour Éric Chahi. Mais Paul, lui, ça a été plus compliqué parce qu'il n'est pas du tout présent sur les réseaux sociaux. Il a un compte Twitter, mais il est plus actif depuis longtemps.
Donc tu n'as même pas l'occasion d'aller taper à sa porte ?
Ses messages privés étaient fermés, donc non, j'ai pas eu l'occasion aussi "facilement" que les autres. Tant pis, c'était pas si grave, ça aurait été cool. Éric Chahi, j'ai appris qu'il me suivait sur Twitter, sur le tard après le Kickstarter, et j'ai ouï-dire qu'il avait trouvé le projet sympa, mais rien de direct. De ce que je sais, c'est une personne très réservée et très gentille donc je n'en attends pas plus de lui. C'est bien comme ça.
Finalement le Kickstarter a marché, comme vous l'avez vu, grâce aussi a pas mal de sites comme Factor, des médias français. Quand j'ai reçu l'approbation de Nintendo d'être un dev certifié, au milieu du Kickstarter, je n'y croyais plus. J'ai remué ciel et terre, j'ai fait marcher mes contacts de la scène indé de Montréal, pour savoir si quelqu'un avait un contact chez Nintendo.
Donc fin du Kickstarter, le soir tu sors la bouteille de champagne pour fêter ça... et dès le lendemain tu attaque et c'est parti pour des années de développement solo non-stop.
Dans les faits, j'ai pris un peu de vacances parce que ça avait été très intense, mais oui, la bouteille de champagne y est passée, c'est vrai. Idéalement j'avais envisagé deux ans de développement après le Kickstarter. Tu mets une date, mais elle ne peut pas être trop lointaine. Tous les Kickstarter le font : ils indiquent un an de développement, mais ils savent que ce n'est pas possible. Tu fais ça parce que les backers ne se projettent pas plus loin, si tu indiques une date de sortie cinq ans après la campagne, personne ne va backer ton jeu. Donc tu ne veux pas vendre trop de rêves aux gens, mais pas non plus leur mentir. Mon but, c'était aussi d'aller vite parce que financièrement, c'était tendu, je voulais vraiment tenir le délai.
Et à cette époque-là, tu n'avais rien de plus que le mock-up qui t'avait servi à faire le trailer ?
Il y avait quand même un proto, tout le move set du personnage fonctionnait. Ce qu'il me restait à faire, c'étaient les niveaux, des vrais niveaux... et puis tout le reste, comme les vrais ennemis. Il y avait un niveau qui ressemblait à la jungle de Flashback qui n'est plus là, c'était plus ou moins un niveau entier. Mais quand tu rentres dans le vrai jeu, tu te dis “ça, je ne peux pas le garder, ça ne marche pas, le design est plus bon”.
C'est une chose différente de préparer ton Kickstarter et de faire un jeu. Il y a beaucoup de gens qui font un Kickstarter "marketing" où ils sont en milieu/fin de prod et ce qu’ils montrent, c'est le jeu quasiment fini. Moi, c'est vraiment un Kickstarter de production où je devais vendre du rêve au début et après, faire le vrai jeu. Donc c'est sûr, j'ai rajouté des effets : je rajoutais des oiseaux derrière sur After Effect alors qu’ils n'étaient pas encore dans le jeu, pour que le trailer soit plus joli. Mais ils y sont vraiment maintenant, les oiseaux, je vous le promets !
Donc, on est en février 2019 et pour Info The Eternal Castle Remastered vient de sortir - je ne sais pas si tu y as joué ?
Oui, de Leonard Menchiari. Lui aussi a backé Lunark, et il a ses personnages dans Lunark parce qu'il a backé un tiers où tu peux avoir tes personnages. Il m'a demandé si je pouvais mettre ses deux héros. J'ai joué à The Eternal Castle, mais juste avec le gars, je crois que tu peux jouer avec la fille aussi. Il est plus dans le style d'Another World, je dirais.
Tu as fait pas mal de rotoscopie sur Lunark, Est-ce que tu peux nous expliquer un peu comment ça fonctionne ? Dans ton petit studio, comment tu t'es arrangé pour faire ça ?
Tout seul. Pas tout le temps, parfois j'avais un pote qui me filmait, mais ça a vraiment été à la bonne franquette, à la Jordan Mechner quand il filmait son frère sur le parking pour Prince of Persia. Au début, j'ai essayé différentes techniques parce que j'ai vite vu que ça allait prendre du temps. J'ai testé des logiciels d'animation du genre de Flash où tu pouvais animer un peu à la Another World, avec des vecteurs. Eric Chahi, avait créé son propre moteur pour que les vecteurs se déplacent de façon smooth, les uns vers les autres, un peu comme Flash te permettait d'animer à l'époque.
Mais ça demandait toujours vraiment beaucoup de boulot et je n'arrivais pas à trouver une façon d'exporter ça en pixel art de manière propre, sans anti-aliasing ou sans flouter. Je voulais vraiment un aspect qui fasse hommage, très rough, un pixel art net, sec. Donc j'ai essayé diverses techniques et au final celle que j'ai privilégiée, c'est que je me filmais avec mon iPhone et ensuite, j'importais la vidéo directement dans Photoshop, qui gère aussi les vidéos. J'avais essayé avec After Effects mais c'était une usine à gaz...
Donc finalement, dans Photoshop, tu peux faire des trucs simples comme recadrer et surtout, tu peux exporter en GIF directement. Et une fois que c'était un GIF, je diminuais le nombre de frames, parce que j’allais pas rotoscoper 60 frames/s. Donc là je suis à 30 FPS, et c'est fluide. Mais c'était quand même assez fastidieux comme opération. En moyenne, mes scènes de rotoscopie font entre 50 et 200 images, donc il y en a quelques unes qui m'ont pris une journée, d'autres qui m'ont pris trois jours. En plus il y en a dans lesquelles j'incorporais des éléments 3D aussi, je faisais des décors sous Blender.
Il y a certaines scènes, on ne voit pas que toi, tu as les éléments comme les cristaux, ce genre de choses.
C'est ça. Cette scène avec le cristal à trois branches où je le pose et je le porte, j'ai vraiment construit un cristal en carton que j'ai entouré de scotch transparent pour qu'il reflète la lumière quand je le filmais et que ça ait l’air brillant. C'était, comme on dit dans le cinéma, un prop. Par contre, les scènes où il y a des vaisseaux qui décollent, ce genre de choses, j'ai utilisé de la 3D avec toutes sortes de logiciels.
Avec Windows 10 il y a un logiciel de 3D très basique mais qui m'allait pour faire ce genre de vaisseaux aux formes simples. Sinon, j'ai principalement utilisé Blender, par exemple pour la scène où tu brises une vitre et tu descends en rappel d'un immeuble. J'ai cherché un tutoriel “comment faire une vitre brisée sur Blender” pour que ce soit réaliste quand le bonhomme pète la vitre. Ca a été beaucoup de la bidouille. J'ai pas mal les doigts dans le multimédia, comme on disait en 1998, alors j'ai un peu touché à tous ces logiciels que je maîtrise pas forcément, à part peut-être Photoshop.
Mais je savais un peu où j'allais, ça a été relativement rapide pour trouver comment faire. Et quand j'avais embrassé un choix comme celui de faire le rotoscoping à la main, je ne pouvais plus revenir en arrière : pour garder le même style, il fallait que je continue. Donc il y a des choix que j'ai sûrement un peu regrettés, mais en tout cas une fois que j'ai eu trouvé mes habitudes et mes outils, j'ai roulé avec ça.
Le fait de choisir les cinématiques en rotoscoping comme ça, ça t'a semblé être un passage obligé pour ce que tu voulais faire, ou tu avais envisagé d'autres solutions quand même avant de partir là-dessus ?
Je voulais toujours cette petite scène de récompense, quand tu fais une action importante ou quand tu finis un niveau. Pour moi, c'est une des règles non dites des cinematic platformers, je voulais tout de même avoir cette petite friandise. Pour ce qui est de la forme, je ne savais pas vraiment. Si j'avais été un bon artiste 3D, j'aurais pu le faire, utiliser un modèle 3D d'un personnage. Ou si j'avais trouvé un outil magique pour transformer de la vidéo avec le look que je recherchais précisément, un peu comme ils ont fait sur certains films, comme A Scanner Darkly avec Keanu Reeves.
Mais comme je n'ai pas trouvé un outil qui me donne ce look que je cherchais avec du pixel art très net, je suis passé finalement par l'ancienne méthode : de l'image par image fastidieux. Mais pour moi, avoir des scènes de ce type-là, c'était l'hommage obligatoire au genre que je devais absolument mettre dans Lunark.
Sur le jeu, tu fais un peu tout : le code, les graphismes, la musique... Comment tu répartis ton temps au quotidien ?
Ça a été en fonction du besoin. L'avantage de travailler seul (il n'y en a pas beaucoup), c'est que tu t'organises comme tu veux. Surtout, dans une production de jeux vidéo, tu ne travailles pas verticalement mais horizontalement. Ça veut dire que j'ai pu travailler comme venait le jeu, niveau par niveau, alors que quand tu as une équipe avec un level designer, un artiste, un programmeur, chacun rajoute sa couche en même temps. Un programmeur va travailler sur tout le jeu du début à la fin. Le level designer va faire tous ses designs au fur et à mesure, etc. Ca va aller assez vite. Moi, je pouvais faire : "pour le niveau un, je fais une semaine de design, la semaine d'après, le tile set, la semaine d'après, les NPC, etc."
Avant, j'ai écrit l'histoire, évidemment. Ça c'est la chose que j'ai dû faire en premier, un script plus ou moins fixe. J'avais des zones de flou: est-ce qu'il y aura un boss ici ? Est-ce qu’il y en aura pas ? Il y a des choses qui restaient malléable. Mais la spécificité de bosser tout seul, c'est que j'ai pu vraiment travailler niveau par niveau. Si ça me soulait de faire du code, parce que j'étais bloqué sur un bug depuis une semaine, je pouvais aller composer la musique pour me détendre, Et ça, ça a été une des choses qui m'ont permis de pas faire de burnout en autant de temps de production.
Il n'y a pas un matin où je me suis levé et où je n'étais pas motivé. Je pouvais me lasser, mais j'avais toujours quelque chose à faire de différent. Bon, il y avait quand même du code chiant. Le code, ça a été ma bête noire parce que j'ai appris ça sur le tard et c’est là où j'ai eu le plus de difficultés. Mais même quand c'était difficile, je pouvais toujours m'aérer l'esprit en faisant des animations qui étaient plus ma spécialité. Je pense que ça a été un atout dans mon cas de travailler comme ça. Je n'ai pas vraiment structuré mon emploi du temps très efficacement, on peut le dire comme ça : je me faisais un planning assez grossier, mais j'avais pas un emploi du temps aussi précis qu'un producteur dans un studio de jeux vidéo donnerait à son équipe.
Voilà, le seal of approval de Mechner ! Et puis Il y a eu Fumito Ueda aussi, le créateur de ICO et Shadow of The Colossus que je retrouve dans mes backers un jour. Je vois ce nom et je pensais que c'était un homonyme, mais il me contacte en MP sur Twitter pour me dire “Super ton Kickstarter !” : je n'en revenais pas. Il a aussi fait un tweet après ça, du coup j'ai eu ces deux personnes que j'ai pu mettre en tête de Kickstarter au milieu de la campagne.
Et tu n'as pas essayé de contacter Paul Cuisset où Éric Chahi ?
Si, au moins autant que les autres, mais Paul Cuisset, il était vraiment injoignable. Jordan Mechner, j'ai envoyé un message sur Facebook, sur sa page de Prince of Persia. N'ayant pas de réponse, j'avais laissé tomber, pareil pour Éric Chahi. Mais Paul, lui, ça a été plus compliqué parce qu'il n'est pas du tout présent sur les réseaux sociaux. Il a un compte Twitter, mais il est plus actif depuis longtemps.
Donc tu n'as même pas l'occasion d'aller taper à sa porte ?
Ses messages privés étaient fermés, donc non, j'ai pas eu l'occasion aussi "facilement" que les autres. Tant pis, c'était pas si grave, ça aurait été cool. Éric Chahi, j'ai appris qu'il me suivait sur Twitter, sur le tard après le Kickstarter, et j'ai ouï-dire qu'il avait trouvé le projet sympa, mais rien de direct. De ce que je sais, c'est une personne très réservée et très gentille donc je n'en attends pas plus de lui. C'est bien comme ça.
Finalement le Kickstarter a marché, comme vous l'avez vu, grâce aussi a pas mal de sites comme Factor, des médias français. Quand j'ai reçu l'approbation de Nintendo d'être un dev certifié, au milieu du Kickstarter, je n'y croyais plus. J'ai remué ciel et terre, j'ai fait marcher mes contacts de la scène indé de Montréal, pour savoir si quelqu'un avait un contact chez Nintendo.
Donc fin du Kickstarter, le soir tu sors la bouteille de champagne pour fêter ça... et dès le lendemain tu attaque et c'est parti pour des années de développement solo non-stop.
Dans les faits, j'ai pris un peu de vacances parce que ça avait été très intense, mais oui, la bouteille de champagne y est passée, c'est vrai. Idéalement j'avais envisagé deux ans de développement après le Kickstarter. Tu mets une date, mais elle ne peut pas être trop lointaine. Tous les Kickstarter le font : ils indiquent un an de développement, mais ils savent que ce n'est pas possible. Tu fais ça parce que les backers ne se projettent pas plus loin, si tu indiques une date de sortie cinq ans après la campagne, personne ne va backer ton jeu. Donc tu ne veux pas vendre trop de rêves aux gens, mais pas non plus leur mentir. Mon but, c'était aussi d'aller vite parce que financièrement, c'était tendu, je voulais vraiment tenir le délai.
Il y avait un niveau qui ressemblait à la jungle de Flashback qui n'est plus là, c'était plus ou moins un niveau entier.
Et à cette époque-là, tu n'avais rien de plus que le mock-up qui t'avait servi à faire le trailer ?
Il y avait quand même un proto, tout le move set du personnage fonctionnait. Ce qu'il me restait à faire, c'étaient les niveaux, des vrais niveaux... et puis tout le reste, comme les vrais ennemis. Il y avait un niveau qui ressemblait à la jungle de Flashback qui n'est plus là, c'était plus ou moins un niveau entier. Mais quand tu rentres dans le vrai jeu, tu te dis “ça, je ne peux pas le garder, ça ne marche pas, le design est plus bon”.
C'est une chose différente de préparer ton Kickstarter et de faire un jeu. Il y a beaucoup de gens qui font un Kickstarter "marketing" où ils sont en milieu/fin de prod et ce qu’ils montrent, c'est le jeu quasiment fini. Moi, c'est vraiment un Kickstarter de production où je devais vendre du rêve au début et après, faire le vrai jeu. Donc c'est sûr, j'ai rajouté des effets : je rajoutais des oiseaux derrière sur After Effect alors qu’ils n'étaient pas encore dans le jeu, pour que le trailer soit plus joli. Mais ils y sont vraiment maintenant, les oiseaux, je vous le promets !
Donc, on est en février 2019 et pour Info The Eternal Castle Remastered vient de sortir - je ne sais pas si tu y as joué ?
Oui, de Leonard Menchiari. Lui aussi a backé Lunark, et il a ses personnages dans Lunark parce qu'il a backé un tiers où tu peux avoir tes personnages. Il m'a demandé si je pouvais mettre ses deux héros. J'ai joué à The Eternal Castle, mais juste avec le gars, je crois que tu peux jouer avec la fille aussi. Il est plus dans le style d'Another World, je dirais.
Tu as fait pas mal de rotoscopie sur Lunark, Est-ce que tu peux nous expliquer un peu comment ça fonctionne ? Dans ton petit studio, comment tu t'es arrangé pour faire ça ?
Tout seul. Pas tout le temps, parfois j'avais un pote qui me filmait, mais ça a vraiment été à la bonne franquette, à la Jordan Mechner quand il filmait son frère sur le parking pour Prince of Persia. Au début, j'ai essayé différentes techniques parce que j'ai vite vu que ça allait prendre du temps. J'ai testé des logiciels d'animation du genre de Flash où tu pouvais animer un peu à la Another World, avec des vecteurs. Eric Chahi, avait créé son propre moteur pour que les vecteurs se déplacent de façon smooth, les uns vers les autres, un peu comme Flash te permettait d'animer à l'époque.
Mais ça demandait toujours vraiment beaucoup de boulot et je n'arrivais pas à trouver une façon d'exporter ça en pixel art de manière propre, sans anti-aliasing ou sans flouter. Je voulais vraiment un aspect qui fasse hommage, très rough, un pixel art net, sec. Donc j'ai essayé diverses techniques et au final celle que j'ai privilégiée, c'est que je me filmais avec mon iPhone et ensuite, j'importais la vidéo directement dans Photoshop, qui gère aussi les vidéos. J'avais essayé avec After Effects mais c'était une usine à gaz...
Donc finalement, dans Photoshop, tu peux faire des trucs simples comme recadrer et surtout, tu peux exporter en GIF directement. Et une fois que c'était un GIF, je diminuais le nombre de frames, parce que j’allais pas rotoscoper 60 frames/s. Donc là je suis à 30 FPS, et c'est fluide. Mais c'était quand même assez fastidieux comme opération. En moyenne, mes scènes de rotoscopie font entre 50 et 200 images, donc il y en a quelques unes qui m'ont pris une journée, d'autres qui m'ont pris trois jours. En plus il y en a dans lesquelles j'incorporais des éléments 3D aussi, je faisais des décors sous Blender.
Il y a certaines scènes, on ne voit pas que toi, tu as les éléments comme les cristaux, ce genre de choses.
C'est ça. Cette scène avec le cristal à trois branches où je le pose et je le porte, j'ai vraiment construit un cristal en carton que j'ai entouré de scotch transparent pour qu'il reflète la lumière quand je le filmais et que ça ait l’air brillant. C'était, comme on dit dans le cinéma, un prop. Par contre, les scènes où il y a des vaisseaux qui décollent, ce genre de choses, j'ai utilisé de la 3D avec toutes sortes de logiciels.
Avec Windows 10 il y a un logiciel de 3D très basique mais qui m'allait pour faire ce genre de vaisseaux aux formes simples. Sinon, j'ai principalement utilisé Blender, par exemple pour la scène où tu brises une vitre et tu descends en rappel d'un immeuble. J'ai cherché un tutoriel “comment faire une vitre brisée sur Blender” pour que ce soit réaliste quand le bonhomme pète la vitre. Ca a été beaucoup de la bidouille. J'ai pas mal les doigts dans le multimédia, comme on disait en 1998, alors j'ai un peu touché à tous ces logiciels que je maîtrise pas forcément, à part peut-être Photoshop.
Mais je savais un peu où j'allais, ça a été relativement rapide pour trouver comment faire. Et quand j'avais embrassé un choix comme celui de faire le rotoscoping à la main, je ne pouvais plus revenir en arrière : pour garder le même style, il fallait que je continue. Donc il y a des choix que j'ai sûrement un peu regrettés, mais en tout cas une fois que j'ai eu trouvé mes habitudes et mes outils, j'ai roulé avec ça.
Je voulais toujours cette petite scène de récompense, quand tu fais une action importante ou quand tu finis un niveau. Pour moi, ça, c'est une des règles non dites des cinematic platformers.
Le fait de choisir les cinématiques en rotoscoping comme ça, ça t'a semblé être un passage obligé pour ce que tu voulais faire, ou tu avais envisagé d'autres solutions quand même avant de partir là-dessus ?
Je voulais toujours cette petite scène de récompense, quand tu fais une action importante ou quand tu finis un niveau. Pour moi, c'est une des règles non dites des cinematic platformers, je voulais tout de même avoir cette petite friandise. Pour ce qui est de la forme, je ne savais pas vraiment. Si j'avais été un bon artiste 3D, j'aurais pu le faire, utiliser un modèle 3D d'un personnage. Ou si j'avais trouvé un outil magique pour transformer de la vidéo avec le look que je recherchais précisément, un peu comme ils ont fait sur certains films, comme A Scanner Darkly avec Keanu Reeves.
Mais comme je n'ai pas trouvé un outil qui me donne ce look que je cherchais avec du pixel art très net, je suis passé finalement par l'ancienne méthode : de l'image par image fastidieux. Mais pour moi, avoir des scènes de ce type-là, c'était l'hommage obligatoire au genre que je devais absolument mettre dans Lunark.
Sur le jeu, tu fais un peu tout : le code, les graphismes, la musique... Comment tu répartis ton temps au quotidien ?
Ça a été en fonction du besoin. L'avantage de travailler seul (il n'y en a pas beaucoup), c'est que tu t'organises comme tu veux. Surtout, dans une production de jeux vidéo, tu ne travailles pas verticalement mais horizontalement. Ça veut dire que j'ai pu travailler comme venait le jeu, niveau par niveau, alors que quand tu as une équipe avec un level designer, un artiste, un programmeur, chacun rajoute sa couche en même temps. Un programmeur va travailler sur tout le jeu du début à la fin. Le level designer va faire tous ses designs au fur et à mesure, etc. Ca va aller assez vite. Moi, je pouvais faire : "pour le niveau un, je fais une semaine de design, la semaine d'après, le tile set, la semaine d'après, les NPC, etc."
Avant, j'ai écrit l'histoire, évidemment. Ça c'est la chose que j'ai dû faire en premier, un script plus ou moins fixe. J'avais des zones de flou: est-ce qu'il y aura un boss ici ? Est-ce qu’il y en aura pas ? Il y a des choses qui restaient malléable. Mais la spécificité de bosser tout seul, c'est que j'ai pu vraiment travailler niveau par niveau. Si ça me soulait de faire du code, parce que j'étais bloqué sur un bug depuis une semaine, je pouvais aller composer la musique pour me détendre, Et ça, ça a été une des choses qui m'ont permis de pas faire de burnout en autant de temps de production.
Il n'y a pas un matin où je me suis levé et où je n'étais pas motivé. Je pouvais me lasser, mais j'avais toujours quelque chose à faire de différent. Bon, il y avait quand même du code chiant. Le code, ça a été ma bête noire parce que j'ai appris ça sur le tard et c’est là où j'ai eu le plus de difficultés. Mais même quand c'était difficile, je pouvais toujours m'aérer l'esprit en faisant des animations qui étaient plus ma spécialité. Je pense que ça a été un atout dans mon cas de travailler comme ça. Je n'ai pas vraiment structuré mon emploi du temps très efficacement, on peut le dire comme ça : je me faisais un planning assez grossier, mais j'avais pas un emploi du temps aussi précis qu'un producteur dans un studio de jeux vidéo donnerait à son équipe.