Connexion
Pour récupérer votre compte, veuillez saisir votre adresse email. Vous allez recevoir un email contenant une adresse pour récupérer votre compte.
Inscription
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation du site et de nous vendre votre âme pour un euro symbolique. Amusez vous, mais pliez vous à la charte.

Un Rédacteur Factornews vous demande :

 
INTERVIEW

Johan Vinet

Zaza le Nounours & billou95 par Zaza le Nounours & billou95,  email
En début d'année, nous avons eu l'occasion de nous entretenir longuement avec Johan Vinet, le développeur aussi sympathique que bavard de Lunark, hommage aux cinematic platformers d'antan. Après des semaines à trainer les pieds pour mettre ça au propre, nous vous proposons enfin de découvrir cette interview. Remplissez la thermos de café et installez-vous confortablement, vous allez avoir de quoi lire.
Factor : Avant de parler plus en détail de Lunark, est-ce que tu peux nous présenter un peu ton parcours ?

Johan : Je suis Français, Lyonnais à la base, je suis né en 1979. J'ai grandi avec l’Atari 2600 puis l'Atari ST sur lequel j'ai fait mes premiers pas dans le pixel art, la musique… Et c'est là que j'ai découvert les cinematic platformers avec Prince of Persia, Another World. Ensuite, je suis passé sur Megadrive où j’ai redécouvert Flashback que j'avais déjà essayé chez un ami qui l’avait sur Amiga. Ça m'a donné envie de travailler, pas forcément dans le jeu vidéo tout de suite, mais dans l'animation en tout cas. Et puis j'ai toujours été partagé entre l'informatique, l'animation, le graphic design et la musique. Et finalement, j'ai été Infographiste, ou graphic designer comme on dit ici, pendant une dizaine d'années, jusqu’en 2006 où je me suis mis à mon compte.

Là, j'ai commencé à prendre des contrats dans l'animation, donc revenir un peu aux sources de ce que j'aimais, et plus spécialement dans le pixel art. Parce que c'est quelque chose que je n'ai jamais vraiment arrêté toutes ces années : je faisais ça presque comme un loisir, j’essayais de faire des mock-ups de jeu sur Flash. Là, j’ai eu des vrais contrats avec des compagnies de jeux indépendants grâce notamment aux premiers réseaux sociaux, les blogs, ensuite Facebook puis Twitter surtout qui m'ont aidé à me faire connaître et à trouver des premiers petits boulots dans le jeu vidéo.

Je crois que mon premier jeu vidéo sur lequel j'ai travaillé, c'était en 2011-2012 et c'était un jeu Neo Geo, c'est fou, d'une compagnie allemande qui s’appelle NG-Dev Team. Le jeu s'appelait Kraut Buster. Ces gars-là, je pense qu'ils existent encore, ils prenaient des années pour créer un jeu, je sais pas où ils trouvaient l’argent pour faire ça.

On voit quelques bandes d'illuminés qui continuent de sortir des jeux pour ces consoles vingt ans après, on voit encore sortir des jeux pour Megadrive…

Ouais, ça revient vachement à la mode, avec tout ce qui a été Limited Run, retourner aux cartouches, au physique, et puis tous les homebrews qui sortent avec des jeux NES, des Jeux Game Boy, c'est vraiment cool.



Ensuite, tu es passé par Tribute Games, c'est ça ?

C'est ça, après avoir un peu remis le pied dans le jeu vidéo, j'ai commencé à laisser tomber mes boulots alimentaires d’infographiste, je faisais des logos et des catalogues, j'avais des clients récurrents, je faisais beaucoup de web design aussi. Et le web design était à un moment où il changeait énormément, on passait du web design très bitmap au web design avec tous les nouveaux frameworks qui arrivaient. Ça me saoulait un peu de devoir me mettre à ça alors que j'avais mis un pied dans ma passion, donc j'ai un peu laissé tomber tout ça et j'ai essayé d'avoir plus de contrats dans le jeu vidéo.

Et parallèlement à ça, on est parti avec ma femme et ma fille, qui avait un an et quelques à l'époque, au Canada. On ne devait rester qu’un an, on est allés à Toronto pour l'immersion anglophone et c’est ma femme qui était censée trouver un boulot. On est arrivés en septembre 2014 et en décembre, je reçois un message privé de Tribute Games qui me dit qu'ils cherchent un animateur, qu'ils ont repéré mon travail sur Twitter : j'ai pas réfléchi longtemps, j'ai accepté. Donc, on a pris nos affaires et on a déménagé au bout de six mois à Montréal. Et là, j'étais à plein temps avec eux, j'ai dû arrêter complètement tout ce que je faisais à côté parce que pour le visa, le permis de travail, je n'avais pas le droit d’avoir un travail d'indépendant à côté de mon sponsor.

Ça m'a fait un peu mal au cœur parce que je bossais sur un jeu indé qui s'appelait Rivals of Aether, un Smash Bros-like, et j'avais déjà commencé à refaire un peu les décors. Ça devait être un “gros contrat” pour moi parce que le jeu a bien marché, mais j'ai dû arrêter en cours de route, ça m'a fait de la peine. Et j'avais des clients historiques dans le jeu vidéo, comme le studio allemand Robotality avec qui j'ai fait Halfway : quand ils ont embarqué sur leur jeu d'après, Pathway, on s'était rencontrés, j'étais censé aller bosser dans leur studio en Allemagne quand j'étais encore en France. On s’est vraiment bien entendus, c'était tacite que j'allais travailler sur tous leurs jeux. Ça m'a vraiment brisé le cœur de leur dire “désolé, je peux plus bosser avec vous”. Mais je dirais que pour pas mal de clients, j'étais content de leur dire que je pouvais plus travailler avec eux.

Donc, ça a été juste Tribute. Ils m'ont pris pour travailler sur Flinthook, ils créaient une petite équipe de six personnes pour travailler dessus, ils voulaient séparer leurs équipes en deux : jusqu'à présent, ils devaient être juste quatre, ils ont embauché six personnes en plus pour bosser sur un autre jeu en parallèle de ce qu’ils faisaient à l’époque.

Donc je travaillais sur Flinthook et après sur Mercenary Kings Reloaded, une espèce de DLC pour Mercenary Kings qui était leur hit, c'est un peu ce qui les a lancés. Mais après Mercenary Kings, ça a été un peu la traversée du désert, dans le sens où on a embarqué sur un projet sans fin qui finalement a été annulé.

Si j'ai pas de limites [...] alors là, je suis perdu et je sais plus quoi faire.


C'est parfait parce que notre prochaine question, c'était de savoir pourquoi tu avais eu envie de devenir, ou de redevenir complètement indé, de créer ton propre studio Canari Games ?

Arrivé à ce moment-là, Flinthook était sorti en 2017, j'avais déjà un peu commencé à rebidouiller avec Game Maker, et puis avec PICO-8. C'est un moteur de jeu fantaisiste qui tourne sur ta bécane ou en ligne sur HTML5. Tu peux créer tes propres jeux avec des limitations très très fortes : l'écran, c'est du 128x128, il y a 16 couleurs fixes... Mais en tout cas, le nombre de lignes de code est limité. C’est une machine qui ressemble énormément à une Game Gear ou une Game Boy, avec des limites très fortes et moi, j'aime énormément ça la limitation parce que ça me rappelle l'époque de l'Atari, les palettes de couleurs limitées. Je pense que dans tous les métiers créatifs, quand t'as des limitations bien définies, c'est là que tu les exploites au max. En tout cas pour moi, c'est pas pour être prétentieux, mais c'est là que je peux être le meilleur. Si je n'ai pas de limites et qu'on me dit “tu peux utiliser autant de couleurs que tu veux, on peut mettre en Full HD”, je suis perdu et je sais plus quoi faire.

J'avais commencé à faire pour le fun des demakes de jeux connus. Je m'étais dit que j'allais m'amuser à faire des mock-ups. Ca restait graphique, je faisais pas de programmation sur PICO-8 à l'époque, je m'amusais à faire un mock-up de ce que pourrait être un Bomberman ou Flinthook sur PICO-8.

Et puis aussi... pourquoi pas Flashback sur PICO-8 ? Donc, j'ai pris les écrans de Flashback, j'ai essayé de tweaker ça pour que ça rentre dans la résolution, faire un sprite, reprendre les décors originaux puis les adapter à la palette qui est vraiment limitée... Ca, j'adore, c'était vraiment comme se demander “qu'est-ce que ça aurait pu être si à l'époque, Flashback était sorti sur Game Gear ou Game Boy, ou même Lynx ?”

Ça devait être en 2016, je pense que ça a planté la graine de travailler sur mon propre cinematic platformer. Du coup, j'ai commencé à bidouiller avec Game Maker, j'ai fait tout un move set avec un personnage qui avait toujours des tailles vraiment très petites puisque j'étais resté sur mon idée d'avoir des limitations assez fortes : la résolution de Lunark, c'est 200x112.

Après cette phase de demake, je suis parti montrer les animations de ce personnage que j'avais fait sur Twitter, en 2018. Et la réaction des gens a été encourageante. Je me disais : "personne ne va jamais vouloir jouer à un jeu avec une telle résolution" ou "les cinematic platformers", ça ne plait plus à personne". Puis j'ai commencé à en parler sur twitter et mes followers me disaient “fais ton propre jeu , vas-y !” Il y avait pas mal de retweets, et quand tu as l'habitude de poster énormément sur les réseaux sociaux, tu vois un peu l'engouement des gens, tu vois vite ce qui plaît et ce ne qui plaît pas. Je me suis dit : “il y a un petit engouement, OK...Pourquoi pas ?” Je ne me voyais plus rester à Tribute Games, ça commençait à me manquer vraiment depuis 3-4 ans de plus être indépendant. Quand t'es indépendant, tu prends tes propres décisions.

Je savais qu’après, il allait falloir un financement. Ma femme travaillait, mais ça faisait quand même un salaire en moins. Du coup, je savais que derrière il fallait que je fasse un Kickstarter, et que c'est ça qui allait vraiment lancer le projet.

Tu ne partais pas sur une page blanche, donc tu étais peut-être plus confiant de partir à ce moment-là ?

Il fallait une certaine dose de confiance, c'est sûr, parce que tu ne quittes pas ton boulot ou tu lances pas un Kickstarter si tu n'y crois pas un minimum. Par contre, je savais que ça allait être la bagarre parce que c'est un genre de jeu qui est vraiment niche. Même si tu montres trois animations sur Twitter et que ça plaît, que les gens te disent que c'est cool, de là à ce qu'ils mettent de l'argent et envisagent de l'acheter, c'est autre chose. Donc il a fallu que je prépare vraiment bien le Kickstarter en avance pour le vendre du mieux possible. J'ai quitté Tribute Games en septembre 2018 et je pensais avoir le temps de finir de préparer le Kickstarter pour octobre : je m'étais dit qu'un mois, ça suffirait. Et puis entre le trailer, avoir un prototype qui fonctionne, des beaux screenshots, de la musique… Il manquait pas mal de trucs pour faire un beau Kickstarter. Je n'ai pas été prêt avant fin novembre et on arrivait dans la pire période pour demander à des gens de sortir de l'argent, vers Noël.



Donc on m’a vivement conseillé d'attendre janvier, et j'ai dit à ma femme qu'on allait devoir continuer à manger des pâtes. J'ai lancé le Kickstarter fin janvier et je l'ai fait durer un mois. Et ça a été quelque chose ce Kickstarter quand même.

Justement, sur Kickstarter il y a énormément d’indés qui se lancent et il y en a plein qui font l'impasse sur le design et la communication autour. Tu as eu des gens qui t'ont aidé à préparer ton Kickstarter et toute la stratégie de communication ?

Vu mon background de designer graphique, ça a été. J'arrivais à produire des assets, à faire des mises en page, des trucs qui avaient un peu de gueule. Par contre en termes de stratégie, là, j'ai vraiment bossé et fait beaucoup de recherches avant même de quitter Tribute pour voir dans quoi je m'embarquais. J'ai collecté pendant des mois des données sur les Kickstarters : combien ils ont demandé, quel type de jeu ils avaient, s'ils l'ont réussi ou pas et s'ils ont échoué : pourquoi ? C'est beaucoup de gut feeling aussi, essayer de savoir ce qui a marché ou pas, juger la durée de la vidéo. Tu as plein de gens qui ont fait des talks là-dessus, ça m'a permis d'avoir un spreadsheet de cinquante campagnes, de jauger un peu combien les jeux en pixels étaient capables de récolter. Au final, je n'ai pas demandé un montant en fonction de ce que je voulais, mais plus en fonction de ce que je pensais de pouvoir récolter. Je l'ai fait un peu en me disant que je ne pourrais demander plus de 70000$ canadiens : combien de temps je peux tenir avec ça ? Quel sera le scope de mon jeu avec cette somme ?

Je me suis complètement vautré sur l'estimation de la durée de production, comme beaucoup. En amont j'avais quand même essayé d'étudier la chose pour que je ne fonce pas dans le mur et en tout cas, que je valide mon Kickstarter. Après, j'aurais espéré avoir plus pour avoir des stretch goals, comme avoir une équipe, un musicien, des gens qui m'aident pour ci, pour ça. Ca a été plus juste que ce que j'espérais.

Tu ne vis plus, c'est fou. C'étaient les 30 jours les plus intenses de ma vie .


Tu avais déjà eu un deal avec Justin Chan pour l'artwork à l'époque ?

Je l'ai quand même payé de ma poche mais comme on se connaissait il m'avait fait un prix sympa. Je l'avais pris dans l'objectif d'avoir une belle présentation graphique parce que je fais de l'illustration, mais c'est vraiment pas mon fort. Après, derrière, c'est juste de la bagarre personnelle non-stop. Tu ne vis plus, c'est fou. C'étaient les 30 jours les plus intenses de ma vie honnêtement.

Tu passes ton temps sur les réseaux sociaux.

T'essayes dans tous les sens, t'essayes et t'en fais trop, ça a été une période pas mal intense. J'ai eu le culot de contacter Jordan Mechner. J'ai essayé par Facebook, mais gentiment, je n'ai pas été non plus trop balourd. Finalement, j'ai eu un intermédiaire, un dev de Pastagames, Fabien Delpiano, il est à Montpellier et il le connaissait. Il aurait passé un message à Jordan Mechner comme quoi j'étais en train de faire un Kickstarter très inspiré par Prince of Persia et que j'apprécierais s'il pouvait en parler dans un tweet où peu importe, n'importe quoi. Je n'y croyais plus et un jour, il a tweeté un truc, sorti de nulle part du genre : “Hey, cette petite équipe fait un Kickstarter qui pourrait être un projet d'Éric Chahi”. Il a pas voulu comparer à Prince of Persia mais plus à Another World, bizarrement... mais OK, je prends ! Ce n'est pas un tweet qui a fait des millions de vues, mais ça donne un gage de qualité.
Rechercher sur Factornews