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Ces gens qui n'ont pas aimé Zelda : qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?
Le 15 mars dernier, le journaliste du Monde William Audureau demandait sur Twitter si des game designers n'ayant pas aimé le dernier Zelda pouvaient se manifester, en vue de la préparation d'un article. Deux jours plus tard, l'article paraît, et il s'intitule "Pourquoi The Legend of Zelda : Breath of the Wild fait « progresser le jeu vidéo »" ; on comprend que le pauvre William est revenu quelque peu bredouille. En même temps, si j'étais game designer, j'éviterais de trop me la ramener en critiquant le premier jeu à avoir eu 20/20 sur Jeuxvideo.com depuis 14 ans, je risquerais de voir me répondre "parce que t'aurais mieux fait toi, peut-être ?".
Heureusement, il existe une catégorie de gens scientifiquement conçus pour être insensibles à de telles remarques, et ce sont les critiques de jeux vidéo. Certains d'entre eux, au péril de leur vie - ou plutôt de leurs notifications de réseaux sociaux - ont osé braver le consensus critique autour du premier "open-world" (on trouvera un meilleur nom un jour) de Nintendo. Et nous ne parlons pas ici de gens comme ceux de The Verge, qui ne trouvent sérieusement rien de plus grave à reprocher au jeu que de ne pas leur permettre de draguer un PNJ dont l'unique trait de caractère est de faire briller ses dents quand il sourit. Non, ici, nous n'évoquerons que des critiques pertinentes, des critiques nuancées. (Un peu comme la nôtre d'ailleurs.)Commençons par la plus sévère d'entre elles, signée Willie Clark pour le site ZAM, qui commence tout de go par nommer BoTW "un des pires, si ce n'est le pire Zelda en 3D de longue date". Son principal tort ? Ne pas être un vrai Zelda. "À peu près tout ce que fait BoTW a déjà été mieux fait d'une façon ou d'une autre par un autre jeu de la série" :
Le maniement subtil de l'épée dans Skyward Sword ? Disparu. La majorité des objets classiques de la série ? Disparus. Débloquer de nouveaux objets dans les donjons ? Pareil. Sincèrement, je vois mal comment Nintendo s'est dit que c'est ça que les fans veulent ou attendent d'un jeu de la série des Zelda. Il n'y a aucun intérêt à faire de Zelda un open-world si ce dernier est aussi vide que dans BoTW, ou aussi ennuyeux à traverser. C'est presque comme si Nintendo avait oublié pourquoi les gens appréciaient la série, et avait au lieu de ça modifié son ADN pour contenter des fans d'autres séries et d'autres genres.En effet, Willie Clark ne trouve pas de plaisir à parcourir le monde "enflé" de BoTW, en particulier à cause du mécanisme d'endurance qui pour lui n'a rien à faire dans "un jeu basé sur le voyage", justement : "À un moment donné, l'escalade était devenu tellement ennuyeuse que j'allais sur les réseaux sociaux pendant que Link crapahutait mollement." Cet agacement se retrouve même dans les autres mécaniques du jeu, qui lui paraissent carrément hostiles ; certes, Clark reconnaît que "les Zelda étaient devenus trop faciles", mais estime tout de même que "Zelda n'est pas censé être Dark Souls, pour l'amour du ciel" :
Dans un geste qui va à l'encontre de presque tout ce que Nintendo avait communiqué jusque là à travers ses jeux, BoTW rend chacune de vos tâches plus difficile qu'elle ne devrait l'être. Votre inventaire est trop petit, et s'agrandit lentement. Les armes se brisent sans arrêt, y compris les bonnes ; à un passage tard dans le jeu, je me suis retrouvé à court d'épées et j'ai dû partir attaquer un fort pour en récupérer (...) Ça n'a finalement pas posé un gros problème, mais c'est du mauvais design, c'est quelque chose qui n'aurait tout simplement jamais dû se produire.
Classement global des jeux vidéo sur Metacritic, au 2 mars puis au 6 mai 2017 respectivement
Cet argument de la complexité, Willie Clark n'est pas le seul à le soulever : c'est aussi un des griefs principaux qu'a Jim Sterling, grande gueule notoire du journalisme JV anglophone, contre un jeu qu'il a par ailleurs "sincèrement apprécié", mais auquel il reproche "de faire de son mieux pour être le plus chiant possible". Lui non plus n'a pas aimé les armes qui se brisent ("Les systèmes de durabilité des armes ne sont jamais funs"), la jauge d'endurance ("si vous aviez déjà eu envie de passer des heures à observer un petit cercle vert devenir de moins en moins vert, ce jeu est fait pour vous !"), et plein d'autres choses :
Les combats qui aspirent vos ressources, les menus surchargés qui sont une plaie à naviguer, les mêmes putain de vieilles cinématiques à chaque fois qu'on ouvre, pénètre et complète un sanctuaire. Les interruptions fréquentes lorsque les monstres réapparaissent à la "lune de sang" – l'équivalent moderne de la fameuse boîte de texte de Castlevania II. Ajoutés aux armes qui se brisent et à la jauge d'endurance famélique, ces tracas qui auraient pu être sans conséquence s'accumulent en un énorme mur qui vient s'élever entre moi-même et mon plaisir de jeu.Sterling a beau être plus mesuré que Willie Clark dans sa critique, sa note de 7/10 (et son inclusion dans le Metacritic de Breath of the Wild, qui a mécaniquement fait baisser la moyenne du jeu) a provoqué une de ces petites bourrasques de caca dont la communauté des ludophiles détient le triste secret, et dont Polygon et USgamer ont eu l'occasion de se lamenter (alerte spoiler : les gens sont cons). L'autre "responsable" du "médiocre" 97% de BoTW sur Metacritic, c'est Jed Pressgrove, qui a donné 3 étoiles sur 5 au jeu dans sa critique pour Slant Magazine ; l'auteur, réputé pour ses points de vue iconoclastes, croit savoir d'où proviennent les erreurs de ce Zelda :
Breath of the Wild aurait pu prendre exemple sur Westerado: Double Barreled, qui tournait le dos aux menus d'inventaire et dont chaque écran de son open-world avait un rapport avec son thème global, à savoir démasquer un meurtrier. Mais Nintendo a cherché des réponses dans le mainstream à gros budget, et cela, avec l'impulsion créative indéniable qui subsiste dans cette firme, explique pourquoi Breath of the Wild se joue comme une combinaison contrariée de logique marketing et de stupéfiante maîtrise artistique.Les reproches de Pressgrove ressemblent beaucoup à ceux de ses deux confrères. Il n'est pas fan de la jauge d'endurance, bien qu'il ne la considère pas comme "une mauvaise chose en soi", en citant l'exemple de Nioh et son impulsion de Ki ; il n'aime pas non plus le système "façon tutoriel" de changement d'armes, ni "les features obsessionnelles-compulsives communes à beaucoup d'open-worlds" comme l'appareil photo/encyclopédie dont dispose Link. Sur ces deux points, Pressgrove trouve même qu'Horizon Zero Dawn fait mieux que Zelda. Et au moment d'aborder le scénario de BoTW, un aspect sur lequel Sterling et Clark ne se sont pas trop mouillés, Pressgrove nous montre que ce n'est pas un prince-requin musclé qui suffira à l'amadouer :
Les choix de design discutables de Breath of the Wild's auraient peut-être pu être excusés si Nintendo avait imaginé une meilleure histoire. (...) À un moment donné, un personnage nommé Mipha dit, “Sauve-là, Link. Sauve la princesse. Sauve la princesse Zelda”, et l'aspect redondant de cet échange incarne avec ridicule l'obstination du jeu à adhérer à une formule épuisée. Voilà comment Nintendo prêche des convertis au lieu de cultiver la mythologie de Zelda d'une manière plus fraîche ou plus humaine.
Capture d'écran de "Breath of the Wild - Not Enough Zelda" de Joseph Anderson
Si ces trois critiques-là ont le mérite de soulever des points que le commun des journalistes, plus enthousiaste, a préféré mettre de côté, un quatrième critique est allé beaucoup plus loin : Joseph Anderson a filmé l'intégralité de sa partie de Zelda et en a fait une vidéo d'un peu moins de deux heures (!), une analyse très poussée qui décide de partir des défauts du jeu pour réfléchir à sa structure globale. Certes, contrairement à Sterling, Clark et Pressgrove, Anderson a adoré l'exploration et particulièrement l'escalade. Mais il est moins convaincu par les quêtes annexes, à peine au niveau "des quêtes les plus récentes de World of Warcraft" ; il considère aussi que "quelque chose ne va pas du tout avec le ton de l'intrigue", censée prendre place dans un univers post-apocalyptique, mais qui est en fait un "paradis" luxuriant où les villages sont "tous prospères sans exception" et "n'ont pas besoin de murailles" pour se défendre des monstres (Nicaulas l'a d'ailleurs remarqué dans notre test). Il a été déçu par les donjons, dont il a dégommé les boss sans effort en partie grâce à son Épée de légende, et surtout par le combat final (Nicaulas l'a d'ailleurs remarqué dans nos commentaires).
Mais les deux problèmes auxquels Joseph Anderson consacre le plus de temps dans sa vidéo sont le système de combat et les sanctuaires. Ces derniers sont selon lui "le pire aspect de BoTW" : sur les 120 que compte le jeu, 21 d'entre eux, les "épreuves de force", sont "le même combat, encore et encore", d'autres sont vides à l'exception d'un coffre, sans même requérir d'effectuer une quête au préalable pour les débloquer, et Anderson en distingue encore 32 qu'il qualifie d'"horribles", fustigeant leur simplicité, la plupart d'entre eux étant basés autour d'un seul puzzle à résoudre, parfois recyclé d'un autre sanctuaire sans plus d'altération. À ceux qui arguent que l'intérêt de ces petits puzzles atomisés est de pouvoir les résoudre de plusieurs façons différentes, Anderson répond qu'"un puzzle avec trois solutions ennuyeuses au lieu d'une seule solution ennuyeuse reste un puzzle ennuyeux". Son analyse tend à rejoindre celle de Willie Clark sur ZAM :
Le problème avec les sanctuaires, c'est que les puzzles séparés de tout environnement, de toute structure de donjon, ne deviennent plus que des puzzles qu'on a mis là juste pour avoir des puzzles. Ce qui fait disparaître tout le génie de la série Zelda, cette façon de faire monter les puzzles en puissance petit à petit et d'apprendre au joueur un certain langage de puzzles à travers un donjon.S'agissant des combats, Anderson les qualifie de "fragiles et irréguliers", fragiles non pas parce que les armes se cassent (haha) mais parce que le système, à l'image de Breath of the Wild tout entier, peut trop facilement être cassé, même involontairement, et que c'est au joueur "de faire l'effort de rendre les combats agréables" en "s'imposant ses propres limites". La vidéo d'Anderson consacre de longues minutes à décortiquer les mathématiques des armures, ainsi que le comportement parfois aléatoire de certains coups, pour étayer son propos. Vous (ne) serez peut-être (pas) surpris de découvrir que l'attaque "Foncer" ("Flurry Rush" en anglais), l'équivalent du parry de Dark Souls, peut parfois être déclenchée sans même que l'ennemi ne soit en position de vous toucher.
Concluons ces litanies de complaintes comme il se doit, par une "tweetstorm" de fanboy, et pas n'importe lequel : vous rappelez-vous de Tevis Thompson, le scénariste de la BD Second Quest ? Le bonhomme s'était illustré en publiant un essai furibond contre Skyward Sword à sa sortie, où il appelait à un bouleversement complet des codes de la saga. À en croire sa réaction enthousiaste sur Twitter, il semblerait que BoTW ait finalement exaucé ses vœux. Ce qui n'empêche pas Tevis de formuler quelques reproches intéressants :
1) La trame principale trahit Zelda. Elle reconnaît sa lutte contre le rôle qui lui est échu, mais finit par se ranger du côté de la destinée. C'est vraiment pénible de la voir souffrir et se reprocher tout ce qui arrive, pour ensuite voir le jeu rester sans réponse, excepté : eh ouais, c'est comme ça et puis c'est tout. Fais ton devoir et ensuite tu pourras retourner jouer à la scientifique. Désolé que t'aies passé un siècle entier enfermée dans un cocon avec le mal incarné. (...)
2) Cette Hyrule n'a pas de souterrain ["underworld"]. Quelques grottes à peine. Ça peut sembler mineur, mais les conséquences sur notre perception du monde sont réelles. (...) C'est un extérieur sans intérieur. (...) Le jeu a pourtant quelques interactions intérieur/extérieur fascinantes : l'introduction dans la grotte de la résurrection, les créatures divines, et tout particulièrement le château final. (...) Aussi, avec des intérieurs et des souterrains, la sensation du dissimulé s'accroît et s'étend sous chaque surface. Le mystère est juste sous vos pieds. (...)
3) Le monde ne peut pas durer. C'est ce qui se produit dans la plupart des jeux open-world (quand on les a épuisés), et ce n'est pas grave. Avec Breath of the Wild, le souci vient davantage du fait que ce jeu est tellement évocateur, pour finalement s'avérer pas plus mystérieux que ça. (...) Et aussi, la difficulté s'effondre à mi-chemin, faisant disparaître vos craintes et votre créativité désespérée (ce qui explique pourquoi l'île Finalis tombe à point nommé) (...) BotW m'a laissé le quitter, libre de mes pensées. C'est un jeu remarquable. Mais maintenant je suis repu.