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Death Stranding : La corde et le bâton

Rozzo par Rozzo,  email
Développeur / Editeur : Kojima Productions
Support : Playstation 4
Hideo Kojima, c’est un bonhomme qu’on ne présente plus. Contrairement au cinéma qui est une industrie qui met beaucoup en avant l’individu, qu’il soit réalisateur, producteur ou comédien, le jeu vidéo a toujours préféré laisser ses grands noms s’effacer derrière le collectif, la structure. Toute norme a des exceptions. Hideo Kojima est l’une d’elle. Il a su, très vite, s’imposer comme une idôle, mi-Rock-Star, mi-Game Designer. Quoi qu’on pense du travail du bonhomme, cette manière qu’il a de se placer toujours à la marge, de prendre à contre-pied ou d’épouser les tendances est remarquable. Chacun de ses jeux est donc un évènement, pour la presse spécialisée, mais aussi pour la presse généraliste. Qu’on les apprécie ou non, les jeux estampillés Kojima sont des jeux d’auteur : on sent l’emprise de l’homme derrière chaque mécanique, chaque idée un peu farfelue, chaque dialogue à rallonge. Death Stranding n’échappe pas à cette main-mise et c’est justement ce qui en fait un jeu qui divise.
Après toute une campagne de comm’ absolument obscure et malgré quelques vidéos de gameplay commentées visant à expliquer le jeu, les premiers pas dans Death Stranding se font dans la confusion et l’incompréhension. On dirige Norman Reedus, mais l’homme tueur de zonzons a troqué son arbalète pour un sac à dos et des bottes. Dans un monde qui a été ravagé par une apocalypse d’une violence terrible, Sam Porter Bridges est un Porteur. Sa vie, son combat, c’est de prendre des colis dans des cités sous terres et de les amener à d’autres cités sous terre. Mais pas que : à la demande de la présidente des UCA (United Cities of America), Sam part traverser l’Amérique pour reconnecter les différentes villes entre elles. Jusque-là, la référence a Postman est évidente et le propos assez limpide.

Kojima, c'est plus fort que toi


C’était sans compter sur une « complexification kojimesque » du contexte du jeu qui tire sur le fil jusqu’à frôler l’incompréhensible. Alors, l’apocalypse (Qu’on nomme le Death Stranding) est arrivé suite à une faille qui s’est ouverte entre le monde des morts et celui des vivants. On a découvert qu’il existait une dimension parallèle appelée la Grève et qui ressemble... à une grève. Ok. Du coup des gens qui sont encore bloqués entre le monde des morts et celui des vivants restent sur terre et sont invisibles à l’oeil humain. Pour les détecter, on a mis des bébés dans des bocaux alimentés. Parce que les bébés ils arrivent à les voir. On passe les détails sur les différents niveaux de proximité à la grève (qu’on appelle des DOOMS, allez savoir pourquoi), le fait qu’on tire des balles avec notre sang et la présence de Léa Seydoux. Tout ce paragraphe pour essayer de faire comprendre à quel point le jeu tombe dans les travers habituels, poussant tous les potards du n’importe quoi à fond les ballons.



Tout est mal-expliqué, sur-expliqué, re-expliqué. Que ça soit dans ses cinématiques trop longues, ses dialogues écrits avec les pieds, son rythme asmathique, Death Stranding se noie dans sa propre narration par le biais d’intrigues à tiroir qui s’escamotent et de séquences émotions qui n’en procurent pas. Derrière chaque bonne idée narrative se cache une manière de l'expliquer "gros-sabots", lourde ou malhabile. On sent même une pointe d'ironie lorsque Del Toro et Refn apparaissent à l'écran pour raconter des choses sans queue ni-tête... Venant de cinéastes efficaces, dont l'un a même fait un film qui s'appelle "Le Guerrier Silencieux", c'est quand même assez drôle. Aurait-il pu en être autrement ? On sent bien que le japonais est ici libre de tout faire, tout tenter, tout expliquer. Malheureusement, il atteint ici ses limites, et peut-être qu'un scénariste pour l'épauler n'aurait pas été de trop... Ceux qui avaient crié au génie sur la série des Metal Gear Solid crieront une fois de plus au génie. Tant mieux pour eux. 

Mais maintenant qu’on a évacué cette narration pleine de lacunes, c’est le moment de se rassurer : Death Stranding se rattrape sur le reste. Il invite le joueur à traverser une Amérique qui a carrément des airs d’Islande. Une Amérislande qui est dévastée, dépeuplée, mais absolument magnifique. Le jeu rappelle souvent certains panoramas de Red Dead Redemption 2, avec des vistas de cartes postales, mais possède une identité forte avec ces paysages lunaires, volcaniques. La dimension apocalyptique du jeu doit beaucoup à cette lande ocre, cette absence de végétation, ces cratères et ses bâtiments en ruine. Dans cette construction de l’univers qui force le respect, on sent un rapport aux distances semblables à un jeu comme Breath Of The Wild, avec des points de repères visibles à l’horizon, suffisamment éloignés pour donner le sentiment de voyager, suffisamment proches pour ne pas s’ennuyer.

Les joies de la rando'


La beauté des environnements est épaulée par une patte graphique toujours cohérente avec l’univers. La tenue de Sam est fonctionnelle avant d’être esthétique et toute la direction artistique semble découler de cette idée. On ne verra jamais vraiment les villes souterraines, on ne pourra qu’imaginer à quoi elles peuvent ressembler. La grande majorité des conversations que l’on aura avec autrui se déroulera par le biais d’écrans, d’hologrammes, de messages, comme pour renforcer la solitude du joueur. Aux côtés des grands noms (Reedus, Seydoux, mais aussi Mikkelsen), on sent qu’un effort en motion capture a été fait sur beaucoup de personnages pour leur donner vie. Et ça marche, même si ce qu’ils racontent est trop souvent médiocre, les regarder se mouvoir durant les cinématiques est toujours un plaisir. La bande-son du jeu, avec beaucoup de musiques du groupe Low Roar, contribue à donner une ambiance, une couleur un peu froide, mêlée au sentiment permanent d’arriver trop tard dans le monde.



À notre grand soulagement, toute cette narration boiteuse et tout ce travail sur l’enrobage du jeu vise à servir un gameplay assez unique. Comme beaucoup l’avaient pressenti et comme les images l’avaient laissé entendre, Death Stranding est un jeu de randonnée. Mais il n’y a rien de péjoratif là-dedans. C’est simple, rarement oeuvre vidéo n’a autant véhiculé le sentiment de voyage. On sent le poids de nos affaires sur notre dos, on sent l’effort de Sam lorsqu’il marche, on entend nos bruits de pas qui résonnent dans les vallées. L’environnement est souvent notre principal antagoniste. Sac sur le dos, on lutte contre le terrain accidenté, contre la pluie, contre le vent, contre la neige. On tend des cordes pour descendre des falaises, on place des échelles au-dessus du vide dans des canyons. Le moindre dénivelé devient vite un obstacle, la moindre rivière peut forcer au détour. C’est dans ces moments-là, lorsque l’on avance accompagné par le son de notre propre respiration au milieu d’une plaine battue par la pluie, les deux mains sur les sangles de notre sac, que le jeu atteint sa propre perfection.

C’est dommage que comparés à ces phases de rando’, les autres aspects du gameplay tombent parfois à plat. Les phases d’infiltration, qu’elles soient au milieu des ennemis humains ou des ennemis fantômes ne semblent pas avoir bénéficié d’autant de traitement. C’est même tout l’inverse : Il est souvent bien plus simple de rentrer dans le tas que de se planquer. Parfois trop simples (dans le cas des ennemis humains) ou trop redondantes, les situations peinent à se renouveler. Passé une poignée d’heures, on ne ressent plus vraiment de danger, seulement de la frustration… C’est dommage, car on sent bien l’idée derrière de créer un gameplay émergent. 

C’est aussi bancal dans les affrontements, qui sont un retour vers les heures sombres de MGS V. Les boss-fights sont au mieux passables, au pire frustrants. Les phases en véhicules sont aussi parfois énervantes, avec des motos qui ricochent sur les parois ou des pick-ups qui se bloquent entre deux rochers. En dehors de quelques bugs imputables à l’étendue de son monde, notre personnage réagit bien, avec un bon compromis entre lourdeur naturelle et vivacité quand c’est nécessaire. Ça, c’était pour les grandes lignes, parce que, Kojima oblige, le jeu est littéralement rempli de petites mécaniques qui sont autant de friandises pour le joueur. On peut prendre notre BB (l’enfant dans un bocal) et le bercer, on peut faire pipi, notre personnage est plus rapide lorsqu’il est sous adrénaline, on boit du Monster (Oui oui, la vraie marque) pour reprendre de l’énergie, on peut envoyer des fioles de cacas sur les fantômes, on livre des pizzas, etc.

Toujours plus de Likes sur DeathBook

 
Le tour de force du jeu malgré tout, c’est sa manière de nous faire galérer dès le début, puis peu à peu de nous rendre la vie plus simple. Cette montagne où on a tant souffert lors de notre première ascension devient, une fois connectée au réseau, une promenade de santé grâce aux tyroliennes qu’on peut dresser, aux ponts qu’on a installés. On commence le jeu avec une capacité d’emport réduite et peu à peu, on nous permet d’avoir des exo-squelettes, des véhicules pour porter plus, aller plus loin. Souvent, un petit objet qu’on débloque bat les cartes du gameplay, les redistribue et le fait entrer dans une nouvelle dimension. Comme lorsqu’on débloque un petit traineau, qu’on améliore l’autonomie de notre moto ou encore lorsqu’on débloque une nouvelle arme. 

Mais s’il y a bien un aspect sur lequel le titre a surpris tout son petit monde, c’est sur sa dimension communautaire. Kojima avait déclaré vouloir faire une oeuvre qui rapproche les joueurs, en opposition à la majorité des jeux qui visent souvent à les opposer. Et au final, ça marche vraiment. Inspiré de Dark Souls, mais poussant le concept beaucoup plus loin, Death Stranding connecte les joueurs. Par exemple, si on installe un pont au-dessus d’une rivière, ce même pont apparaîtra dans la partie d’un autre Sam. Plusieurs joueurs peuvent cotiser des ressources pour construire des routes qui traversent littéralement le pays.

On se surprend même à ne plus faire que profiter des structures des autres, mais à penser à son prochain. On met en place des tyroliennes sur des endroits difficilement accessibles pour que ceux qui passent après nous ne souffrent pas. On met un générateur à cet endroit où, la dernière fois, on est tombé en panne. On peut « liker » les constructions des autres joueurs et ceux-ci peuvent liker les nôtres. On se sent vraiment utile, comme un tout petit maillon d’une grande chaîne humaine qui s’étend d’un bout à l’autre du pays. On s’attend a un concept un peu gadget comme avait pu l’être la Mother Base dans MGSV, et on se retrouve face à un ensemble de mécaniques qui transcendent le jeu.



Avis de CBL : Je suis loin d'avoir un avis contraire à celui de Rozzo. Death Stranding est un jeu bordélique aussi bien dans sa narration que dans son gameplay. Mais sans crier au génie, Death Stranding est un jeu important. Sans que le jeu oblige les joueurs à faire quoi que ce soit, ces derniers se sont mis à s'entraider au lieu de s'entretuer. Après une longue randonnée sous la pluie, tomber sur un abri construit par un autre joueur fait chaud au coeur et l'humanité est remontée un peu dans mon estime. L'aspect meta est parfait : Sam reconnecte les villes mais Hideo reconnecte les joueurs.

L'univers est aussi fascinant. On sent toujours l'influence Metal Gear avec l'obsession pour les flingues, l'équipement et les organisations paramilitaires mais le reste a été créé de toute pièce par Kojima et son équipe. Ils ont inventé une terminologie et une série de concepts fascinants. Malgré son côté AAA avec une pléthore de stars hollywoodiennes, Death Stranding est le jeu le plus personnel de Kojima. Il n'y a pas des masses de jeux qui parlent de la mort, de l'après et du deuil. Dans Death Stranding, la mort est à la fois effrayante car c'est l'ennemi mais rassurante car elle est expliquée et documentée, le tout sans mettre les pieds dans le plat en parlant de religion.

Avis de Ze_Pilot : 14h. Je m’installe dans le canapé. Kojima sonne à ma porte “hé, regarde ce que je viens de faire, c’est un jeu Kojima, que j’ai écrit et réalisé moi-même, c’est à dire Kojima”. Il est un peu lourd mais sympathique, Kojima. Je le laisse rentrer, et il s’empare immédiatement de la manette “tu vas voir c’est génial !”. 16h. Ce n’est pas vraiment génial. Je n’ose pas lui dire de peur de le froisser, mais j’ai l’impression de mater une série B.  En plus il bouffe toutes les chips. 17h. Il me laisse enfin les commandes. 17h30. Ah mais il avait raison, c’est génial ! A peine ai-je dit ces mots qu'il me reprend la manette des mains. Je râle un peu de frustration. 20h Je ne vois pas le temps passer, d’autant qu’il me laisse enfin jouer autant que je veux. Bon il donne encore des petits coups de coudes dans les côtes en lâchant des “héhé, t’as vu, il est au nord de la carte et il s’appelle North ! T’as compris ?”. Il est un peu lourd Kojima. 21h. Je pense qu’il me prend pour un imbécile. Il me répète sans arrêt les mêmes évidences avant de se taper les cuisses. Mais j’avais déjà compris la première demi-heure moi ! Ca m’agace un peu, mais le jeu est bon. 40h de jeu. Toujours pas fini. Je ne veux pas voir la fin. Kojima est parti aux toilettes se vider les 972ml de Monster qu’il a ingurgité. J’ai enfin la paix, et c’est génial. 60h. “Ah mais t’as presque fini ! Hihi” il me reprend la manette des mains. “Je vais te montrer ce que t’as pas compris !” me lance-t-il. Mais j’ai compris !!!! Rolala. 61h. La dernière heure fut pénible, mais il me rend enfin la manette et sort de mon appartement. Je vais enfin pouvoir jouer de tout mon saoul sans devoir le supporter.
Death Stranding n’est pas un jeu qui fera l’unanimité. Ceux qui connaissent l’oeuvre de Kojima et qui l’apprécient y retrouveront tout ce qu’ils adorent chez lui. Ceux qui, au contraire, le trouvent insupportable auront une raison de plus de le critiquer. Toutefois, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il a au moins le mérite de tenter des choses et d’aller au bout de ses idées. Alors certes, le jeu rate le coche sur de nombreux points, mais il arrive à surprendre sur tellement d’autres que si on ne peut pas crier au GOTY, on peut au moins constater qu’à notre époque, la créativité existe dans les AAA. Et bon sang, que c’est rassurant.
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