INTERVIEW
Gabriel WINK du Studio Chahut (Post Human W.A.R)
Post Human W.A.R est ton premier jeu "complet". Qu'est-ce qui à la base, a motivé la création de ce projet en particulier ?
L'inconscience ^^
En fait Post Human W.A.R est une très vieille idée, car c'est l'adaptation d'un jeu de plateau que j'avais créé au collège. J'ai toujours été fan de stratégie, et je voulais faire un jeu sans lancer de dés, car je ne trouve rien de plus frustrant que d'avoir une tactique parfaite et de perdre sur un mauvais coup du sort. J'ai gardé le "livre de règles" de ce jeu pendant des années dans un coin, avec l'espoir secret de l'adapter en jeu vidéo un jour. Bien entendu, quand je me suis lancé et que j'ai été rejoint par les autres, le projet a énormément évolué, et ne ressemble plus beaucoup au matériau de base.
Qu'est-ce qui fait un bon jeu de stratégie selon toi ? Quels sont les concepts tactiques que vous avez voulu travailler dans le jeu?
J'ai écrit un assez long article sur le sujet (disponible ici), que je vais essayer de synthétiser : Pour moi un bon jeu de stratégie est tout d'abord un jeu où la victoire n'est pas trop influencée par des paramètres qui ne sont pas "stratégiques" : Hasard, rapidité de mouvement (pour certains RTS où il est plus important d'être rapide que malin), ancienneté, ou pay-to-win. Une fois cela écarté, il faut trouver ensuite des mécaniques intéressantes. Pour moi l'une des meilleures pistes, et qu'on a essayé d'exploiter au maximum, c'est la gestion de l'espace. Comment placer mes troupes pour faire le max de dégâts, tout en essayant d'en prendre le moins possible ensuite ? Pour ça, il faut mettre en place toutes sortes de mécaniques d'appropriation de l'espace : attaques de zones, unités à la portée ou la vitesse de déplacements singulières, obstacles divers, terrains spéciaux, etc. Je prendrais comme exemple le trailer du jeu Into the breach, que j'attends impatiemment.
Un autre levier important est la diversité des unités, et donc des stratégies permises avec. Il ne faut pas avoir peur de faire des unités très différentes les unes des autres, pour permettre d'élargir le champ des possibles. Et si possible avec des systèmes de triangularité type papier-cailloux-ciseaux, pour que la stratégie consiste à présenter à chaque fois face à son adversaire une unité qui aura l'avantage sur la sienne.
Enfin, en ayant des grandes maps, on a essayé aussi de permettre des stratégies de gestion de l'espace, mais à plus grande échelle. C'est pas seulement "comment maximiser l'effet d'une attaque de zone", mais plutôt "je vais envoyer un bataillon au sud-est de la carte pour occuper la totalité de l'armée ennemie quelque tours. Même si je sais qu'il va se faire charcuter, ça laissera le temps au reste de mon armée de contourner le centre de la map pour aller attaquer le totem adverse dans son camp, et ainsi reprendre l'avantage."
Il y a effectivement un système de couverture et d’obstacles qui dicte énormément les mouvements, le positionnement et les endroits à défendre, avez-vous également réfléchi à un système d'attaque à revers ou de flanc pour accentuer ces mécaniques ?
Non, on y a jamais vraiment réfléchi. Je pense que c'est une idée très intéressante, mais un peu casse-gueule à mettre en place. Parce que pour faire ça bien, ça signifie définir une orientation précise pour les unités (qui actuellement sont plutôt tournées vers la droite ou la gauche selon le joueur, mais c'est uniquement cosmétique), permettre au joueur de les réorienter (ce qui signifie une action de plus pour chaque unité, là où on essaye de les limiter pour conserver la fluidité), signifier cela graphiquement et dans six directions à chaque fois, puisqu'on est sur grille hexagonale... Bref on a jamais trop envisagé ça, et en y réfléchissant je pense que c'est intéressant mais que le jeu deviendrait beaucoup plus compliqué. Peut-être une piste pour Post Human W.A.R 2 !
Tu dis que tu n’aimes pas forcément la présence d’aléatoire dans un jeu de stratégie. Est-ce pour ça qu’il n’y a pas de brouillard de guerre : le joueur peut prendre des décisions basées sur une vision complète de la situation ?
Exactement. Le brouillard de guerre est selon moi un aléatoire "décisionnel". C'est à dire qu'il n'y a pas de lancer de dé, mais en l'absence totale d'information, le joueur est obligé de prendre une décision aléatoire.
Parlons alors d'un des éléments de ton jeu qui, selon moi, s'apparente à une variante imprévisible. Dans un jeu où la planification stratégique repose sur l'anticipation des mouvements adverses, tu as introduit un système qui permet à un joueur de temporairement changer les caractéristiques d'une de ses unités en dépensant de l’énergie, ce qui est assez difficile à anticiper. Qu'est-ce qui a motivé l’inclusion d’un tel mécanisme qui ajoute une part d’incertitude?
Les joueurs peuvent effectivement modifier temporairement les caractéristique des unités en utilisant une ressource. Il faut savoir que cette mécanique a beaucoup évoluée. Dans l'une de ses premières moutures notamment, on actionnait ce boost à un tour donné, mais il n'était effectif qu'au tour suivant. Ça permettait effectivement au joueur adverse d'anticiper précisément, à chaque tour, les actions de l'autre. Mais en fait c'était surtout très chiant à jouer, ça manquait beaucoup de spontanéité. Avec le système actuel, les actions du joueur adverse sont plus imprévisibles, on a plus de marge de manoeuvre. Néanmoins il n'y a pas de hasard ni de surprise totale, car on connait la réserve de ressource de l'adversaire (et on voit combien il pourrait éventuellement en récupérer). Le risque est donc contrôlé, ça permet de rajouter beaucoup de dynamisme et de profondeur au gameplay sans trahir notre volonté originale.
Disons que c'est un mécanisme de jeu sur lequel j'ai du mal à trancher. Je comprend ce qu'il tente de faire, j'aime aussi l'idée de la course vers les caisses d'énergie présentes sur la carte, mais comme le reste du jeu ne fonctionne pas sur ce type d'incertitude, c'est parfois assez frustrant de pas pouvoir anticiper.
En fait ce système nous permet une grande variété de types de stratégies différentes, puisque la ressource pour booster ses unités et la même que pour les engager. Certains joueurs vont volontairement engager peu d'unités au début, et garder beaucoup de ressources pour les booster au bon moment, par exemple. Et puis ça permet aussi de réutiliser des unités inutiles : si on s'aperçoit que l'adversaire a une armée pleine d'unités volantes, on pourra recycler ses unités de mêlée (les sacrifier pour récupérer de la ressource), afin de booster nos archers... Bref, ça offre de la flexibilité :) Mais je comprend que ça puisse aussi être un peu déroutant.
Lors de la campagne j'ai plusieurs fois trouvé le game over lors des missions, vous teniez à faire un jeu difficile ou c'est juste que je suis nul ?
Ce fut un âpre duel entre Anthony (le game designer) et moi-même : Moi j'aime le challenge et je voulais faire quelque chose de dur, et lui voulait que la campagne soit accueillante même pour les néophytes. Il y a donc eu pas mal d'itérations sur la difficulté de chaque mission, mais globalement il a gagné et on a essayé de faire des missions pas trop difficiles, hormis peut-être les deux dernières missions de chaque campagne. Et pour mes envies de challenge, on a créé un mode expert, déblocable une fois toutes les campagnes terminées, pour rejouer les missions avec une difficulté relevée.
Ok, donc je suis nul :) Une des choses qui m'a agréablement surpris c'est le soin apporté aux finitions du jeu. Les animations, les diverses petites phrases lâchées par les unités, qui fleurent bon les STR des années 90s, l'effort fait sur la présentation des histoires.
Pour la qualité de la finition, ce qui a permis la foule de détails graphiques et sonores, c'est surtout notre inexpérience :D. En fait le cahier des charges initial du projet était colossal, avec 36 unités, des centaines de répliques, d'animations, de blagues, etc, parce que nos références étaient des jeux développés par des studios nettement plus gros que nous, et qu'on voulait faire mieux. Si on avait été plus clairvoyants au début du projet, on se serait dit "Hey, c'est bien trop ambitieux, il nous faudra au moins six ans pour faire ça, revoyons nos ambitions à la baisse". Mais à défaut d'avoir été clairvoyants on a été tenaces, et donc six ans plus tard, voilà le jeu !
A quel moment l'emballage narratif est-il apparu ? Est-ce que ça a influencé ou inspiré le développement de la partie stratégique?
Non, on a conçu l'histoire après le gameplay, et même si ce dernier a beaucoup évolué au fil du temps, il n'a quasiment jamais été influencé par le côté narratif. Ceci dit, même si l'histoire est au service de la stratégie et pas l'inverse, on a passé beaucoup de temps à la concevoir, beaucoup de brainstorming, d'écrits, de dessins, etc, pour se mettre d'accord et concevoir un univers qui nous plaise dans lequel installer le jeu.
Vous en reprendrez bien une dernière tranche ! Page 3 pour la fin !
L'inconscience ^^
En fait Post Human W.A.R est une très vieille idée, car c'est l'adaptation d'un jeu de plateau que j'avais créé au collège. J'ai toujours été fan de stratégie, et je voulais faire un jeu sans lancer de dés, car je ne trouve rien de plus frustrant que d'avoir une tactique parfaite et de perdre sur un mauvais coup du sort. J'ai gardé le "livre de règles" de ce jeu pendant des années dans un coin, avec l'espoir secret de l'adapter en jeu vidéo un jour. Bien entendu, quand je me suis lancé et que j'ai été rejoint par les autres, le projet a énormément évolué, et ne ressemble plus beaucoup au matériau de base.
Qu'est-ce qui fait un bon jeu de stratégie selon toi ? Quels sont les concepts tactiques que vous avez voulu travailler dans le jeu?
J'ai écrit un assez long article sur le sujet (disponible ici), que je vais essayer de synthétiser : Pour moi un bon jeu de stratégie est tout d'abord un jeu où la victoire n'est pas trop influencée par des paramètres qui ne sont pas "stratégiques" : Hasard, rapidité de mouvement (pour certains RTS où il est plus important d'être rapide que malin), ancienneté, ou pay-to-win. Une fois cela écarté, il faut trouver ensuite des mécaniques intéressantes. Pour moi l'une des meilleures pistes, et qu'on a essayé d'exploiter au maximum, c'est la gestion de l'espace. Comment placer mes troupes pour faire le max de dégâts, tout en essayant d'en prendre le moins possible ensuite ? Pour ça, il faut mettre en place toutes sortes de mécaniques d'appropriation de l'espace : attaques de zones, unités à la portée ou la vitesse de déplacements singulières, obstacles divers, terrains spéciaux, etc. Je prendrais comme exemple le trailer du jeu Into the breach, que j'attends impatiemment.
Un autre levier important est la diversité des unités, et donc des stratégies permises avec. Il ne faut pas avoir peur de faire des unités très différentes les unes des autres, pour permettre d'élargir le champ des possibles. Et si possible avec des systèmes de triangularité type papier-cailloux-ciseaux, pour que la stratégie consiste à présenter à chaque fois face à son adversaire une unité qui aura l'avantage sur la sienne.
Enfin, en ayant des grandes maps, on a essayé aussi de permettre des stratégies de gestion de l'espace, mais à plus grande échelle. C'est pas seulement "comment maximiser l'effet d'une attaque de zone", mais plutôt "je vais envoyer un bataillon au sud-est de la carte pour occuper la totalité de l'armée ennemie quelque tours. Même si je sais qu'il va se faire charcuter, ça laissera le temps au reste de mon armée de contourner le centre de la map pour aller attaquer le totem adverse dans son camp, et ainsi reprendre l'avantage."
Il y a effectivement un système de couverture et d’obstacles qui dicte énormément les mouvements, le positionnement et les endroits à défendre, avez-vous également réfléchi à un système d'attaque à revers ou de flanc pour accentuer ces mécaniques ?
Non, on y a jamais vraiment réfléchi. Je pense que c'est une idée très intéressante, mais un peu casse-gueule à mettre en place. Parce que pour faire ça bien, ça signifie définir une orientation précise pour les unités (qui actuellement sont plutôt tournées vers la droite ou la gauche selon le joueur, mais c'est uniquement cosmétique), permettre au joueur de les réorienter (ce qui signifie une action de plus pour chaque unité, là où on essaye de les limiter pour conserver la fluidité), signifier cela graphiquement et dans six directions à chaque fois, puisqu'on est sur grille hexagonale... Bref on a jamais trop envisagé ça, et en y réfléchissant je pense que c'est intéressant mais que le jeu deviendrait beaucoup plus compliqué. Peut-être une piste pour Post Human W.A.R 2 !
Tu dis que tu n’aimes pas forcément la présence d’aléatoire dans un jeu de stratégie. Est-ce pour ça qu’il n’y a pas de brouillard de guerre : le joueur peut prendre des décisions basées sur une vision complète de la situation ?
Exactement. Le brouillard de guerre est selon moi un aléatoire "décisionnel". C'est à dire qu'il n'y a pas de lancer de dé, mais en l'absence totale d'information, le joueur est obligé de prendre une décision aléatoire.
Parlons alors d'un des éléments de ton jeu qui, selon moi, s'apparente à une variante imprévisible. Dans un jeu où la planification stratégique repose sur l'anticipation des mouvements adverses, tu as introduit un système qui permet à un joueur de temporairement changer les caractéristiques d'une de ses unités en dépensant de l’énergie, ce qui est assez difficile à anticiper. Qu'est-ce qui a motivé l’inclusion d’un tel mécanisme qui ajoute une part d’incertitude?
Les joueurs peuvent effectivement modifier temporairement les caractéristique des unités en utilisant une ressource. Il faut savoir que cette mécanique a beaucoup évoluée. Dans l'une de ses premières moutures notamment, on actionnait ce boost à un tour donné, mais il n'était effectif qu'au tour suivant. Ça permettait effectivement au joueur adverse d'anticiper précisément, à chaque tour, les actions de l'autre. Mais en fait c'était surtout très chiant à jouer, ça manquait beaucoup de spontanéité. Avec le système actuel, les actions du joueur adverse sont plus imprévisibles, on a plus de marge de manoeuvre. Néanmoins il n'y a pas de hasard ni de surprise totale, car on connait la réserve de ressource de l'adversaire (et on voit combien il pourrait éventuellement en récupérer). Le risque est donc contrôlé, ça permet de rajouter beaucoup de dynamisme et de profondeur au gameplay sans trahir notre volonté originale.
Disons que c'est un mécanisme de jeu sur lequel j'ai du mal à trancher. Je comprend ce qu'il tente de faire, j'aime aussi l'idée de la course vers les caisses d'énergie présentes sur la carte, mais comme le reste du jeu ne fonctionne pas sur ce type d'incertitude, c'est parfois assez frustrant de pas pouvoir anticiper.
En fait ce système nous permet une grande variété de types de stratégies différentes, puisque la ressource pour booster ses unités et la même que pour les engager. Certains joueurs vont volontairement engager peu d'unités au début, et garder beaucoup de ressources pour les booster au bon moment, par exemple. Et puis ça permet aussi de réutiliser des unités inutiles : si on s'aperçoit que l'adversaire a une armée pleine d'unités volantes, on pourra recycler ses unités de mêlée (les sacrifier pour récupérer de la ressource), afin de booster nos archers... Bref, ça offre de la flexibilité :) Mais je comprend que ça puisse aussi être un peu déroutant.
Lors de la campagne j'ai plusieurs fois trouvé le game over lors des missions, vous teniez à faire un jeu difficile ou c'est juste que je suis nul ?
Ce fut un âpre duel entre Anthony (le game designer) et moi-même : Moi j'aime le challenge et je voulais faire quelque chose de dur, et lui voulait que la campagne soit accueillante même pour les néophytes. Il y a donc eu pas mal d'itérations sur la difficulté de chaque mission, mais globalement il a gagné et on a essayé de faire des missions pas trop difficiles, hormis peut-être les deux dernières missions de chaque campagne. Et pour mes envies de challenge, on a créé un mode expert, déblocable une fois toutes les campagnes terminées, pour rejouer les missions avec une difficulté relevée.
Ok, donc je suis nul :) Une des choses qui m'a agréablement surpris c'est le soin apporté aux finitions du jeu. Les animations, les diverses petites phrases lâchées par les unités, qui fleurent bon les STR des années 90s, l'effort fait sur la présentation des histoires.
Pour la qualité de la finition, ce qui a permis la foule de détails graphiques et sonores, c'est surtout notre inexpérience :D. En fait le cahier des charges initial du projet était colossal, avec 36 unités, des centaines de répliques, d'animations, de blagues, etc, parce que nos références étaient des jeux développés par des studios nettement plus gros que nous, et qu'on voulait faire mieux. Si on avait été plus clairvoyants au début du projet, on se serait dit "Hey, c'est bien trop ambitieux, il nous faudra au moins six ans pour faire ça, revoyons nos ambitions à la baisse". Mais à défaut d'avoir été clairvoyants on a été tenaces, et donc six ans plus tard, voilà le jeu !
A quel moment l'emballage narratif est-il apparu ? Est-ce que ça a influencé ou inspiré le développement de la partie stratégique?
Non, on a conçu l'histoire après le gameplay, et même si ce dernier a beaucoup évolué au fil du temps, il n'a quasiment jamais été influencé par le côté narratif. Ceci dit, même si l'histoire est au service de la stratégie et pas l'inverse, on a passé beaucoup de temps à la concevoir, beaucoup de brainstorming, d'écrits, de dessins, etc, pour se mettre d'accord et concevoir un univers qui nous plaise dans lequel installer le jeu.
Vous en reprendrez bien une dernière tranche ! Page 3 pour la fin !