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Un Rédacteur Factornews vous demande :

ARTICLE

Invisible Inc. & XCOM 2 : Le hasard fait-il bien les choses ?

Edhen par Edhen,  email
 

Sensations et plaisir de jeu.


Plus on avance dans la réflexion, et plus la part du jugement de valeur devient importante. Les sensations et le plaisir de jeu sont à mon sens quelque chose de très individuel, qu'il est difficile de généraliser. Cela repose avant tout sur la question du « Pourquoi jouer » ? (Pour passer le temps ? Pour se changer les idées ? Pour relever un challenge ?), mais aussi sur « Qu'est ce qui nous satisfait dans le jeu » ? (Satisfaction due à la maîtrise ? Dépassement de soi-même et surmonter un challenge ? Sentiment d'accomplissement qui résulte d'une réussite ? Curiosité d'en savoir plus sur l'histoire ? Recherche d'exhaustivité sur ce que le jeu a à proposer ? )
Cela revient donc à répondre à des questions extrêmement personnelles. Mais quand bien même chaque jeu ne génère pas de la satisfaction de la même manière, peut-être pouvons nous au moins déterminer quelle satisfaction il y a à retirer de ces expériences de jeu, ou quelles frustrations peuvent découler du game design.

L'humain et le jeu : résolution de puzzle.


J'aurai pu poser la question : pourquoi l'être humain aime-t-il le jeu ? Mais c'est une question risquée, car complexe. Il aurait fallu probablement l'appui des sciences sociales, d'un neurologue, d'un psychologue et de nombreux autres experts de l'être humain pour espérer obtenir un début de réponse. Alors plutôt que de poser une question, autant formuler une affirmation difficilement contestable, ne serait-ce qu'au regard de l'Histoire : l'être humain aime le jeu. Que l'on aime jouer pour gagner, ou jouer pour se divertir, cela importe peu. Jouer est un besoin, et nous apporte de la satisfaction, surtout lorsque l'on gagne. En tant qu'humain, nous avons troquer le fonctionnement animal basé sur l'instinct, à une logique qui fait appelle à la raison, la compréhension et la causalité. Nous aimons apprendre, comprendre, assimiler, accomplir, réussir… et recommencer !
Quelle que soit la forme qu'il prend, le puzzle fait appel à ces nouvelles formes d'instincts, et sa résolution apporte la satisfaction. Invisible Inc. satisfait selon moi toutes ces conditions. Il nous place dans une situation difficile, et nous donne les outils pour la démêler, contourner les obstacles et atteindre le but fixé. Certaines situations peuvent paraître insurmontables, voire injustes, mais l'expérience et la maîtrise du jeu m'ont appris qu'elles ne le sont jamais, et qu'il existe toujours des solutions.



Pour en revenir au sujet du hasard, on comprend que dans ce contexte son utilisation ne peut être que limitée. Il ne peut pas – il ne faut pas – qu'il prenne une place trop importante, sous peine de nuire à l'existence d'une solution au puzzle. Seriez-vous intéressé par une boite de puzzle sur laquelle il serait marqué « 85 % de chance que toutes les pièces soient là ! » ? Quel plaisir pourriez vous retirer à vous rendre compte à mi-chemin qu'il vous manque des pièces, parce que « c'est le jeu ma pauvre lucette ! » ? Lorsque le jeu adopte l'approche du puzzle, cela pose donc comme condition qu'il existe une solution atteignable à celui-ci, ce qui dans le cas du jeu vidéo suppose de limiter le domaine où peut intervenir le hasard. On comprend alors mieux la déclaration de Jake Solomon citée en première page, la conception "puzzle" ne convenant pas à XCOM selon lui.

A ce titre, j'apprécie particulièrement le jeu de Klei Entertainment, parce qu'il fournit tous les instruments de la réussite, et parce que l'implication du joueur est une condition indispensable à son succès. A l'inverse, on ne peut s'en prendre qu'à soit même en cas d'échec, et c'est un élément crucial pour savourer la victoire, parce qu'on ne la doit elle aussi qu'à soi-même. Ni au hasard, ni à la chance, juste à ses capacités à lire le jeu, à le comprendre, et à prendre les bonnes décisions au bon moment. Comme je l'ai mentionné précédemment, la contre-partie est qu'une fois que l'on maîtrise l'objet, on risque de perdre l'intérêt pour celui-ci assez rapidement. Mais puisqu'il m'a fallu environ 200 heures pour en arriver à ce stade, je crois que je peux dire qu'au delà de la satisfaction du jeu, j'ai aussi eu celle d'en avoir eu pour mon argent, produit de consommation oblige.

Cela signifie-t-il que le hasard, le RNG, est un mal ? Pas nécessairement.

Posture face au défi, surmonter les probabilités.


Avant d'en revenir à XCOM 2, faisons un petit crochet vers un de ses camarades lui aussi accro au hasard : Darkest Dungeon. Au lancement du jeu, le joueur reçoit un avertissement. Des choses terribles vont lui arriver, c'est inévitable. La question n'est donc plus de savoir s'il peut les éviter, mais s'il sera capable de faire au mieux dans la pire des situations. Le caractère potentiellement injuste du jeu n'est alors plus présenté comme un défaut, mais comme un trait du jeu (ou feature). Vous êtes, littéralement, mis en garde sur le fait que le jeu se veut injuste, et qu'il fait ça pour vous pousser à faire des choix, voire pire, à commettre des erreurs et à en subir les conséquences, quand bien même les moyens de surmonter vos échecs vous échapperaient. Au delà de ce postulat délicieusement cynique, il est dommage que le jeu rate l'occasion de devenir plaisant sur les nombreux aspects qui auraient pu être des qualités, et qui se révèlent au final être des défauts. Le sujet n'est pas là, je ne m'étalerai pas dessus, mais Darkest Dungeon est pour moi une déception, probablement aussi parce qu'il était trop prometteur pour répondre à mes attentes. Pour les anglophones qui ont du temps une vidéo qui résume assez bien mon opinion. Pour les anglophobes et flemmards : la prépondérance du hasard constitue un plafond aux actions du joueurs, plafond qui ne peut être dépassé que par un investissement déraisonnable en temps. La difficulté provient alors d'un combat contre la lassitude. Aveux des développeurs : de récents patchs sont venus tenter de corriger cet aspect.

Conceptuellement, XCOM 2 est donc d'un cru assez similaire. Le 100 % est une telle rareté qu'il en devient un bien précieux. La certitude doit être accueillie comme un oasis de fraîcheur, un moment de détente entre deux serrements de fesses quand vous vous apprêtez à donner l'ordre à l'un de vos soldat d'effectuer un tir qu'il ne doit rater sous aucun prétexte. Son sort, et celui de l'humanité accessoirement, est en jeu. Dans ces moments, la tension qui s'installe n'a d'égal que le soulagement qui accompagne la réussite… ou la rage de la débâcle. L'enjeu devient celui de déjouer les pronostics et surmonter les chances, que dis-je, le destin ! Le joueur est donc bien le héro de l'histoire, celui que la prophétie avait annoncé.



Et c'est là où le facteur chance prend son importance. Il donne à chacune de vos décisions beaucoup plus de poids et d'importance qu'une décision froidement calculée ne saurait contenir. Et l'issue positive ajoute une euphorie à la victoire que l'on ne peut atteindre lorsque l'on a déjà visualisé dans son esprit les étapes qui mènent à l'accomplissement d'un objectif ou à la résolution d'un problème. Dans ce dernier cas, vous ressentirez peut-être de la satisfaction. Potentiellement un certain soulagement. Mais rarement de l'euphorie.

Mais que se passe-t-il en cas de défaite ? Quelle est la signification de l'échec ? Les jeux qui contiennent du hasard sont souvent présentés selon une formule mettant en rapport risque et récompense (« risk vs reward » en anglais). Le joueur qui perd, et qui s'en plaint, est alors fréquemment pointé comme étant un mauvais parieur. Utilisons même un terme encore plus sale : un mauvais investisseur. Brrr, j'en frissonne. Comme si l'insulte suprême était celle qui relevait du domaine économique. Ce n'est plus seulement les capacités intellectuelles du joueur qui sont mises en cause, mais ses aptitudes en tant que gestionnaire. Là où les jeux vidéo dits mainstream ont donc l'habitude de mettre le joueur dans des situations sans enjeu, et prenant garde à ne surtout pas froisser son ego, les jeu qui intègrent du hasard n'hésitent pas pour leur part à piétiner le joueur en cas de défaite. Et s'il a le malheur de vouloir contourner la difficulté en ayant recours à l'indigent save scumming, ses pairs auront tôt fait de le renvoyer au rang de… casual. Aucune pitié.

L'ajout du hasard a donc cette particularité d'augmenter les enjeux, et donc l'implication émotionnelle du joueur. Et pour paraphraser le grand manitou de ce domaine : plus d'émotions = win. Mais si l'ajout du hasard représente un gain en terme de sensations provoquées par le joueur, la réduction de la portée des actions du joueur ne peut-elle pas aussi engendrer une distanciation - puisqu'il y a moins de mérite à avoir de la chance - ou même une frustration ?

Trouble fête et gâchis.


Après toutes ces expositions, il reste donc à répondre à nos questions initiales : peut-il y avoir trop d'aléatoire ? En quoi le dosage du hasard fait-il varier l'expérience de jeu ?

Nous avons vu que le hasard a comme conséquence de retirer au joueur le contrôle qu'il a sur les événements du jeu. Il ne se bat plus seulement contre une IA, ou même un autre joueur, mais contre la chance elle-même. Cependant, il en ressort une conséquence positive : la victoire n'en est que plus savoureuse. Peut-être moins méritée, mais cela est compensé par son côté improbable.
En revanche il m'apparaît certain que le RNG peut être mal employé, et engendrer deux des pires choses qui puissent arriver à un joueur : la frustration, et le sentiment de perdre son temps.

La frustration décourage, pousse à une baisse d'intérêt voire à l'abandon. Lorsque la satisfaction de la réussite se fait rare, et que le sentiment de ne pas contrôler les événements est plus présent, le jeu perd son sens. Pour demeurer un jeu, il doit contenir une participation. Plus celle-ci se réduit, moins l'implication du joueur est forte. La pire chose pour un jeu est l'indifférence. Lorsque le joueur rage, il continue de manifester quelque chose à l'endroit du jeu, il lui adresse une réponse, même si elle prend la forme d'un chapelet d'insultes. Un soupir blasé et un Alt + F4 est probablement la dernière chose que devrait provoquer un jeu chez le joueur.
Le sentiment de perdre son temps est tout aussi grave, car il implique généralement que le jeu ne valait pas l'investissement. Toutes les raisons qui poussent à jouer que nous avons listées plus haut signifient que le joueur est prêt à consacrer son temps et son énergie à un jeu, car il en attend quelque chose en retour. Sans ce retour, il ne reste plus grand-chose, et le jeu échoue à remplir le rôle qu'il a cru pouvoir occuper.



Selon moi, un autre problème qui survient lorsque l'on a recours au hasard est celui du déséquilibre des mécaniques de jeu. L'imprévisibilité n'existe pas uniquement du point de vue du joueur, mais également pour le développeur. Dans XCOM 2, les débuts de partie sont en effet très difficiles, avec énormément de contraintes et peu de moyen de les contourner ou les surmonter. Une fois ce cap passé c'est l'inverse qui se produit, le challenge disparaît face à l'avalanche de solutions dont dispose le joueur. De même, puisque c'est le facteur chance qui influe grandement sur la réussite du joueur, l'enjeu pour celui-ci - une fois la phase d'apprentissage passée - se résume à multiplier les tentatives jusqu'à obtenir le résultat escompter, et ignorer les alternatives moins certaines. Cela a pour conséquence de rendre un grand nombre de mécaniques de jeu désuettes, et de favoriser un certain style au détriment de la diversité des approches que le jeu tente d'offrir (exemple : Pour le ranger, on en vient à préférer plus fréquemment l'utilisation du shotgun à l'épée, celui-ci pouvant atteindre les 100% de chance de toucher en plus d'un score de critique élevé, là où l'épée est limitée à 80% et ne bénéficie pas des bonus de modification d'armes).

Concernant les modes de jeu (Facile/Normal/Difficile/Classique qui ont par la suite été renommés en Rookie/Vétéran/Commandant/Légende), une faible difficulté présente le risque de susciter l'ennui en cours de partie, et opter pour un challenge plus relevé a pour effet – du fait du fonctionnement des mécaniques d'ajustement de la difficulté que nous avons abordées plus tôt – de conditionner l'avancement dans la campagne au facteur chance, et donc au risque de ne pas pouvoir avancer. Ne reste alors plus que l'aspect « challenge » pour motiver le joueur à s'accrocher. Le développeur doit donc tenter de conserver une équivalence linéaire entre les obstacles que rencontrent le joueur, et les moyens dont il dispose pour les contourner. L'équilibrage est donc un travail... d'équilibriste. Et comme nous venons de le voir, dans ce domaine la réussite n'est pas totale. A ce titre, c'est là qu'intervient un autre élément perturbateur : les bugs.

Plus un jeu est exigent envers le joueur, plus le jeu (ou si vous préférez, le développeur) doit être exigent envers le jeu. Aucune personne saine d'esprit ne peut exiger de vous que vous sculptiez un bloc de marbre avec un marteau en plastique. Et c'est là tout mon problème avec XCOM 2. L'aspect impitoyable du jeu m'attire, la possibilité de perdre un soldat à tout moment me motive à peser mes décisions, et à mesurer toute prise de risque face aux récompenses. Mais voir cela balayé par un imprévu qui n'appartient pas au jeu et à ses règles me frustre au plus haut point, et m'amène à l'idée selon laquelle je perds mon temps. Car oui, la fameuse phrase "That's XCOM, baby !" permet aussi d'illustrer les multiples bugs qui parsèment le jeu, et ce depuis le précédent épisode.
Inversement, c'est pour cela que j'ai particulièrement apprécié Invisible Inc., et ce dès sa sortie : le jeu a été livré dans un état de finition proche de la perfection. J'ai rencontré une seule fois un bug d'un garde qui voyait à travers une porte, le lendemain le problème était réglé et n'a plus jamais été rencontré. L'exigence que le jeu avait envers moi n'avait d'équivalent que sa finition, et c'est ce qui m'a permis de passer autant de temps dessus.

Là où XCOM 2 se rattrape, comme le test sur Factor l'a mis en avant, c'est au niveau de la prise en compte des mods. On en revient à la philosophie de Invisible Inc., qui consiste à donner au joueur l'opportunité d'ajuster lui-même son expérience de jeu. Ainsi, en permettant l'utilisation de mods, les développeurs ont laissé à la communauté la possibilité de corriger un équilibrage qui lui semblerait défaillant. Cependant, cela ne peut se faire que sur les valeurs, et pas sur des éléments plus fondamentaux qui relèvent de choix de design. 
Une telle initiative est louable, mais je trouve étrange de voir que les joueurs puissent avoir de meilleures idées de design, parfois toutes simples mais terriblement utiles, que des gens dont c'est supposé être le travail.

Il est temps de conclure.
 
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