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To Hell with the Ugly : on ne laisse pas les Vian en carafe

miniblob par miniblob,  email  @ptiblob
Développeur / Editeur : La Poule Noire
Supports : PC / Xbox One / PS4 / Switch / PS5 / Xbox Series
Voici des munitions pour la prochaine fois qu’il vous viendra l’envie de chouiner parce qu’un boomer aura craché sur les jeux vidéo. En effet, To Hell with the Ugly est non seulement un jeu édité par Arte, mais aussi l’adaptation d’un roman d’un illlllllustre écrivain français. Excusez du peu, on trouvera rarement mieux en matière de caution culturelle. Cerise sur le gâteau, le roman en question était du genre sulfureux à sa sortie, donc vous pouvez même ressortir la rengaine de l’œuvre artistique décriée par ses contemporains, mais reconnue a posteriori, un cas d’école pour dégainer sa plus belle mauvaise foi en somme.

J’irai cracher sur vos adaptations


Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de présenter le projet derrière cet étrange objet vidéoludique. En effet, si le titre To Hell with the Ugly ne vous dit pas grand-chose, vous avez en revanche plus de chance de connaître sa déclinaison française "Et on tuera tous les affreux", un roman paru à la fin des années 40 sous la signature d’un certain Vernon Sullivan. Il s’agissait en réalité d’un des nombreux pseudonymes de Boris Vian qu’il utilisait pour écrire des pastiches de romans noirs américains. On ne va pas se lancer dans une étude littéraire du bonhomme, retenez tout de même que sa renommée était à l’époque loin de celle qu’il décrochera à titre posthume, et surtout que ses vrais faux polars avaient défrayé la chronique pour d’obscures raisons de droit, mais aussi et surtout parce qu’ils étaient truffés de scènes de sexe et de violence explicites.



Je suis bien obligé de passer à la première personne pour vous confesser que Boris Vian faisait partie de mes auteurs fétiches au moment de l’adolescence. Je me suis ouvert à la littérature en dévorant ses bouquins, mais, les années passant, c’est un amour de jeunesse que j’ai de plus en plus de mal à assumer à cause de son sexisme omniprésent. Pour s’en faire une idée, il suffit de jeter un œil aux récentes adaptations BD des romans signés Vernon Sullivan : ce sont des albums fidèles, tout à fait corrects sur la forme, mais qui figurent aussi régulièrement les violences sexuelles comme un moyen d’action légitime… C’est avec cet antécédent en tête que j’attendais, mi-curieux, mi-anxieux, l’adaptation vidéoludique pondue par La Poule Noire. Il faut dire que le seul titre à l’actif de ce studio français était loin de coller à cette atmosphère poisseuse : Edgar – Bokbok à Boulzac était au contraire un point’n click absurde, drôle et tout ce qu’il y a de plus feel good.

Les moniteurs ont tous le même pot


Heureusement, dès le premier contact avec To Hell with the Ugly, on se rend compte qu’on va au moins échapper à une représentation réalisto-cringe mascu de l’intrigue. Difficile en effet de ne pas tomber directement sous le charme de la DA du jeu : un style graphique très marqué, faussement minimaliste et fait d’aplats de couleurs vives, jouant sur le contraste entre différentes gammes de rouge et des noirs très francs. C’est beau, ça claque et ça permet au passage de rendre les images très lisibles tout en conservant une vraie identité visuelle. Il ne s’agit pas d’un simple détail : les interactions dans ces décors étant relativement limitées, on y reviendra, il fallait suffisamment se rincer l’œil pour éviter que l’ennui ne s’installe. D’ailleurs, la partie musicale signée Clément Duquesne n’est pas en reste : on a droit à une ambiance jazzy des plus réussies, et même si les puristes pourraient chipoter en faisant remarquer que ce ne sont pas vraiment les sonorités du jazz des années 40, le résultat n’en est pas moins envoûtant et totalement dans l’esprit d’un Vian mélomane.



C’est bien joli d’avoir un bel écrin, mais qu’est-ce qu’on y trouve ? Autant le dire franchement, To Hell with the Ugly ne va pas vous décoiffer par son gameplay. La plupart du temps, il se limite à un point’n click assez simpliste avec une vue de côté pour découvrir des environnements où l’on papote avec tout le monde en grappillant quelques objets au passage. Les énigmes ne vont jamais vous exploser le crâne, le but est clairement de vous dérouler une histoire linéaire par le biais de répliques bien senties. Quelques phases un peu différentes viennent apporter de la diversité, mais la plus grande qualité des passages d’infiltration par exemple réside dans leur brièveté. Les quelques combats façon tour par tour agrémenté de QTEs sont un peu plus agréables, on s’amusera par exemple à les comparer aux bastons du dernier Yakuza ou à celles de ces bons vieux Indiana Jones de LucasArts. Mais ce dernier exemple est justement à double tranchant : passée une bouffée de nostalgie, quels amateurs ou amatrices de jeux d’aventure regrettent réellement ce genre de séquence ? Il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, la diversité des situations a du bon, combinée à la relative brièveté de l’aventure (comptez environ quatre heures pour en voir le bout), elle maintient le rythme et fait en sorte qu’on n’ait jamais vraiment le temps de s’ennuyer. L’autre qualité du gameplay, c’est d’être adapté aussi bien au duo clavier/souris qu’à la manette (ou au Steam Deck si vous êtes du genre à jouer sur le trône), ce qui est encore loin d’être le cas de tous les point’n click.

Iels se rendent mieux compte


Reste un mystère autour duquel vous me voyez méticuleusement tourner depuis le début de cet article : le scénario est-il à la hauteur ? Sans déflorer les ressorts de l’intrigue, sachez qu’on y incarne Rock Bailey, un beau mec un peu benêt à qui il arrive d’étranges bricoles : il va se faire kidnapper à la sortie de son jazz club fétiche. À partir de là va débuter une enquête riche en rebondissements tous plus farfelus les uns que les autres. La Poule Noire aurait très bien pu nous proposer une relecture très premier degré de cette intrigue, au lieu de cela le studio embrasse l’absurde de plus en plus criant de la situation, quitte à égratigner au passage le blason du personnage principal et à se moquer ouvertement de son manque de jugeote. C’est là toute la force de cette adaptation : on pourrait croire qu’elle édulcore le propos en évacuant les scènes les plus trashs, en réalité, elle en exhale tout le potentiel critique. En effet, le passage par l’humour n’empêche pas à l’histoire de prendre petit à petit une autre envergure, celle d’un regard grinçant sur la culture du corps et le diktat de l’apparence. Bref, ça décoiffe, ça vous prendra certainement à revers, et c’est sans doute la meilleure façon de rendre hommage à Vian sans pour autant se laisser enfermer dans le carcan de sa postérité.

 
Avec To Hell with the Ugly, la Poule Noire nous pond une adaptation qui a le bon goût de ne pas trop se prendre au sérieux : c’est beau, c’est drôle, c’est jazzy, c’est frais, c’est absurde, et c’est suffisamment irrespectueux pour coller à l’esprit vianesque sans pour autant chercher à le mettre sous cloche.

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