TEST
The Witcher 3 : le voyage inachevé
Attendu au tournant, on peut dire que ce 3ème épisode des aventures de Geralt n'a pas déçu. Tout le monde le sait déjà, The Witcher 3 est un excellent jeu et le suivi de CD Projekt est à la hauteur des attentes. Comme on est sérieux et qu'on les aime, on a quand même écrit un truc.
La mesure du monde
Il faut un peu de temps pour réaliser l’ampleur de The Witcher 3. Après 2 ou 3 heures de jeu, arrivé à Velen, on est persuadé d’avoir achevé le premier chapitre du jeu, alors qu’il ne s’agissait en fait que d’un immense tutoriel. Quelques quêtes annexes plus tard, on finit par ouvrir sa carte pour rejoindre la grosse ville de la zone et organiser rationnellement son exploration. Ce n’est potentiellement qu’à ce moment-là qu’on découvre que cette seule zone recouvre en fait facilement l’équivalent de toute la superficie des jeux précédents.
De l'enthousiasme au découragement, notre réaction risque alors fort conditionner le rapport que chacun sera prêt à établir avec le jeu. Car il y a quelque chose de vertigineux à constater l'immensité du terrain de jeu. Il est clair que The Witcher 3 est un jeu monstrueux en termes de contenu. On peut y engloutir des dizaines d’heures par jour pendant plusieurs semaines sans en voir le bout. On peut aussi probablement y jouer des mois. Mais il se pourrait bien que le jeu permette aussi d'imaginer une autre voie, qu’il rend possible grâce à la qualité scénaristique de son univers : celle de ne jamais en finir.
Par qualité, on ne parle pas ici nécessairement d’un scénario particulièrement captivant, mais de la capacité qu’a le jeu de tout contextualiser. Des mini-activités ponctuelles à la quête principale, en passant par les contrats, les rencontres et les quêtes annexes, il y a toujours une histoire à comprendre, à lire ou à entendre. Les récits personnels et les vicissitudes des villages s’articulent avec les grands événements du monde, ses guerres et ses légendes. Se promener dans The Witcher 3 c'est donc être acteur mais aussi témoins de petits et grands changements. Le territoire est lui-même une tapisserie grandeur nature de cette histoire, avec ses lieux reculés, marais et bois hantés par les croyances et les monstres du folklore, mais aussi la grandeur toute "contemporaine" des villes et des royaumes, leurs champs de batailles réels et politiques et les préoccupations matérielles de leurs habitants.
Rares sont donc les jeux à avoir été capable de peindre un territoire aussi plein et cohérent. C'est très efficace pour nous faire plonger dans le jeu, puisque partant pour une destination précise, nous pouvons être interpelé par quelque chose (un monstre, une bâtisse ou un personnage) et trainé d’un lieu à un autre, puis d’une quête secondaire à une autre. Trois heures après, nous finissons par nous demander ce que nous avions l’intention de faire au début. Le monde de The Witcher est donc grouillant d’histoires, de chemins et de digressions qu'il nous invite sans cesse à emprunter.
Par qualité, on ne parle pas ici nécessairement d’un scénario particulièrement captivant, mais de la capacité qu’a le jeu de tout contextualiser. Des mini-activités ponctuelles à la quête principale, en passant par les contrats, les rencontres et les quêtes annexes, il y a toujours une histoire à comprendre, à lire ou à entendre. Les récits personnels et les vicissitudes des villages s’articulent avec les grands événements du monde, ses guerres et ses légendes. Se promener dans The Witcher 3 c'est donc être acteur mais aussi témoins de petits et grands changements. Le territoire est lui-même une tapisserie grandeur nature de cette histoire, avec ses lieux reculés, marais et bois hantés par les croyances et les monstres du folklore, mais aussi la grandeur toute "contemporaine" des villes et des royaumes, leurs champs de batailles réels et politiques et les préoccupations matérielles de leurs habitants.
Rares sont donc les jeux à avoir été capable de peindre un territoire aussi plein et cohérent. C'est très efficace pour nous faire plonger dans le jeu, puisque partant pour une destination précise, nous pouvons être interpelé par quelque chose (un monstre, une bâtisse ou un personnage) et trainé d’un lieu à un autre, puis d’une quête secondaire à une autre. Trois heures après, nous finissons par nous demander ce que nous avions l’intention de faire au début. Le monde de The Witcher est donc grouillant d’histoires, de chemins et de digressions qu'il nous invite sans cesse à emprunter.
Le caillou dans la botte
Heureusement que le monde est un prétexte suffisant pour suivre l’aventure, car le gameplay en lui-même risque de ne pas motiver longtemps notre progression. Non pas qu’il soit inintéressant, même si c'est sûr que certains mécanismes relèvent plus du pur emmerdement pour le joueur que d'idées géniales (l’inventaire limité, l’encombrement, aussi inutile que pénible, mais aussi un système d’alchimie et de craft bancal et des déplacements laborieux à cheval). Mais c'est surtout qu'au bout de dix heures à tuer du monstre ou de l’homme, les combats – même tendus – perdent de leur intérêt. En cause aussi un équilibrage approximatif, une IA nulle et surtout, un environnement qui n'apporte aucune variété aux affrontements. Combattre en lieu clos, sur un dénivelé, ou sur plusieurs étages, c’est demander à être victime de bug de collision ou d’IA. Rapidement, plus aucun nouvel élément de gameplay n’est introduit, sauf à considérer que faire la même chose avec une arme plus puissante et une version améliorée d’une potion compte pour variété. Même si le système de personnalisation des armes et de progression du personnage sont sympathiques, ça reste d'incidence un peu trop anecdotique pour les laborieux efforts que ça demande. Bref, avoir plein de choses à faire n’est pas nécessairement synonyme de faire plein de choses différentes.
Non pas que ce soit nécessairement un défaut d’avoir un gameplay qui n’évolue que très peu. Mais lorsqu'on doit y investir 200 heures, on se pose la question : pourquoi joue-t-on ? D’où cette idée d’inachèvement qui peut finir par pointer le bout de son nez, notamment lorsqu’après avoir accompli les quêtes principales, il reste une myriade d’activités à faire. Chacun jugera pour lui-même de l’intérêt qu’il y a de les compléter, et à quel rythme. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement moral sur le jeu, mais au contraire de supposer qu’il porte peut-être, dans sa démesure même, des possibilités de consommations variées, tout autant porteuses de sens les unes que les autres : qu'on décide de l'affronter sur une semaine, sur un an, ou d’y renoncer le temps venu.
C'est que The Witcher 3 est un jeu assez riche pour qu’on puisse l’apprécier pleinement sans même finir l’histoire principale ou voir le quart de son contenu. Les enjeux narratifs de la quête principale restent d’ailleurs assez vagues pour ne pas exiger de nous une quelconque urgence de savoir. Mais c'est surtout grâce à la qualité d'un univers qui se suffit à lui-même que le joueur peut tout autant se passer d'une histoire linéaire et de la conclusion qui l'accompagne, que des gratifications propres au jeu qui reposent sur le même principe (le fait de "gagner", de finir).
C'est que The Witcher 3 est un jeu assez riche pour qu’on puisse l’apprécier pleinement sans même finir l’histoire principale ou voir le quart de son contenu. Les enjeux narratifs de la quête principale restent d’ailleurs assez vagues pour ne pas exiger de nous une quelconque urgence de savoir. Mais c'est surtout grâce à la qualité d'un univers qui se suffit à lui-même que le joueur peut tout autant se passer d'une histoire linéaire et de la conclusion qui l'accompagne, que des gratifications propres au jeu qui reposent sur le même principe (le fait de "gagner", de finir).
Le chemin qui ne mène nulle part
Faire le deuil de cet achèvement (ou du moins ne pas en faire un objectif immédiat) suppose peut-être de faire disparaître un certain nombre d'éléments qui semblent parti-pris pour nous faire bouffer du jeu : désactiver le HUD et la minimap, résister à consulter la carte et laisser venir les différentes rencontres comme autant de mini-épisodes du sorceleur errant Geralt. On peut essayer de retrouver ainsi une progression sous la forme d'un fil narratif, en transformant les activités de jeu en péripéties éventuelles et non en objectifs à accomplir.
On voit ici se dégager la puissance potentielle d’un jeu comme The Witcher 3, capable de fabriquer un univers qui, dépassant le jeu, ne le réduit pas à des enjeux de gameplay (comme a su aussi le faire GTA 5 et son immense ville) tout en le chargeant de possibilités narratives (ce que GTA 5 ne parvient justement pas forcément à faire) qui suffisent à vouloir s’y plonger malgré un gameplay pas toujours très précis. The Witcher 3 peut aussi être vécu comme une série en expansion, où c'est l'itinéraire du joueur au sein d'un territoire, et non pas l’arc narratif ou la saison, qui en fixe les limites et le déroulé.
En un sens, il peut tout à fait rejoindre les simulateurs de promenade narrative qui laissent au joueur le soin d'interpréter et de choisir le sens de leur voyage, comme Stanley Parable, Dear Esther ou The Walking Dead. Dans ces jeux, la narration est effectivement liée au gameplay : il y est producteur d'itinéraires singuliers, dont les embranchements sont intégrés à un système de décision spatial, interprétatif ou moral. Si ce n'est pas le seul rapport possible, ni forcément le plus évident, The Witcher 3 peut lui aussi permettre au joueur de prendre les décisions qui fabriqueront son trajet et donc son propre récit, en fonction du chemin ou des quêtes dans lesquels il souhaite s'investir au dépend d'autres (système qui existe déjà en partie puisque ses décisions rendent inaccessibles certaines sections du jeu). A condition aussi qu'il accepte lui-même de ne pas tout voir ni tout faire, de ne pas avoir toutes les réponses, mais de simplement traverser un monde.
On voit ici se dégager la puissance potentielle d’un jeu comme The Witcher 3, capable de fabriquer un univers qui, dépassant le jeu, ne le réduit pas à des enjeux de gameplay (comme a su aussi le faire GTA 5 et son immense ville) tout en le chargeant de possibilités narratives (ce que GTA 5 ne parvient justement pas forcément à faire) qui suffisent à vouloir s’y plonger malgré un gameplay pas toujours très précis. The Witcher 3 peut aussi être vécu comme une série en expansion, où c'est l'itinéraire du joueur au sein d'un territoire, et non pas l’arc narratif ou la saison, qui en fixe les limites et le déroulé.
En un sens, il peut tout à fait rejoindre les simulateurs de promenade narrative qui laissent au joueur le soin d'interpréter et de choisir le sens de leur voyage, comme Stanley Parable, Dear Esther ou The Walking Dead. Dans ces jeux, la narration est effectivement liée au gameplay : il y est producteur d'itinéraires singuliers, dont les embranchements sont intégrés à un système de décision spatial, interprétatif ou moral. Si ce n'est pas le seul rapport possible, ni forcément le plus évident, The Witcher 3 peut lui aussi permettre au joueur de prendre les décisions qui fabriqueront son trajet et donc son propre récit, en fonction du chemin ou des quêtes dans lesquels il souhaite s'investir au dépend d'autres (système qui existe déjà en partie puisque ses décisions rendent inaccessibles certaines sections du jeu). A condition aussi qu'il accepte lui-même de ne pas tout voir ni tout faire, de ne pas avoir toutes les réponses, mais de simplement traverser un monde.
Un fil à la patte
Fort de cette potentielle qualité, The Witcher 3 n’en tire pourtant pas entièrement parti. Coincé entre la logique d’un Assassin’s Creed, qui suppose de donner au joueur les moyens de finir le jeu à 100%, et celle d’exploration d’un Dragon’s Dogma ou d'un Skyrim. Ce qui différencie les deux logiques, c'est un rapport au but. Dans ce dernier cas, on ne fait que traverser un univers dont on ne maitrisera pas entièrement les tenants et les aboutissants. Dans l’autre, le territoire est divisé en activités clairement définies qui nous permettent de "vider" le territoire et de finir ainsi le jeu. The Witcher 3 a du génie pour construire son univers, pour évoquer un contexte par le biais de son environnement, nous poussant vers une logique d’exploration. Mais, par ses mécanismes même, il penche aussi clairement vers le modèle d’Assassin’s Creed : le fast-travel, les informations de la carte, la minimap, le GPS, le sens witcher. Autant d'outils qui viennent désenchanter par le gameplay l'exploration de l'univers et prémâcher notre confrontation avec ce dernier, en nous permettant de tout faire sans rien rater. La gratification de trouver un secret est ainsi grandement amoindrie par la facilité à laquelle le jeu nous y mène.
Pourtant, il est curieusement impossible de s’orienter ou d’enquêter sans avoir recours à cette interface. Il n’y a aucun panneau indicateur au sein d’un univers pourtant saturé de signes et d'indications. Il est donc impossible au joueur de se passer complétement du GPS, de la carte ou de ses sens witcher pour finir les quêtes et s’orienter de lui-même dans le monde. Si bien qu’au final, il est même plus facile de trouver le secret enfoui de telle villageoise que de s’orienter de visu vers la plus grosse ville du coin. Le jeu n'offre donc pas au joueur les outils nécessaires à une exploration détachée de ses mécanismes, ni ne fait de la découverte d’un territoire inconnu le cœur de son gameplay. Le territoire, tel qu'on le parcourt, est finalement plus lié à des enjeux propres aux codes actuellement en vogue de l’open-world qu’à la cohérence de son univers. C'est un monde où en définitive, on ne découvre presque rien par soi-même, mais où on complète successivement les tâches indiquées.
Se confrontent deux visions paradoxales du game design, qui semble d'un côté vouloir libérer le joueur de certaines contraintes linéaires de la progression par l'open world, mais qui tend d'autre part à le contraindre à une manière de jouer, de peur peut-être qu'il ne rate quelque chose ou qu'il n'emploie pas cette liberté de progression et d'exploration à bon escient. C'est là les limites d'un jeu qui cherche à contrôler le rapport que le joueur doit avoir avec l'univers qu'il visite. En le privant de la possibilité de passer à côté des choses, il décharge l'exploration d'une véritable tension et la rend curieusement moins excitante, ce qui a tendance à la rendre parfois aussi triviale que de compléter une liste de courses.
Mais celà provoque aussi un autre effet pervers qui apparait à terme sur l'ensemble du jeu. En plus du découragement possible devant le nombre possible de choses à faire, le joueur qui décide de tout faire finit par "vider" le territoire de son intérêt. Il y a aussi de forte chance qu'il devienne rapidement trop puissant pour les quêtes à venir (principales et secondaires) et n'y trouve plus son intérêt dans le gameplay. Au demeurant, les ambitions open world du jeu sont donc également sapées dans le gameplay par des mécanismes de progression qui les rendent obsolètes, et même un joueur qui veut suivre la logique privilégiée par le jeu, et le finir tout entier pour profiter de tout son contenu, risque à terme de rester lui-aussi sur sa faim.
Pourtant, il est curieusement impossible de s’orienter ou d’enquêter sans avoir recours à cette interface. Il n’y a aucun panneau indicateur au sein d’un univers pourtant saturé de signes et d'indications. Il est donc impossible au joueur de se passer complétement du GPS, de la carte ou de ses sens witcher pour finir les quêtes et s’orienter de lui-même dans le monde. Si bien qu’au final, il est même plus facile de trouver le secret enfoui de telle villageoise que de s’orienter de visu vers la plus grosse ville du coin. Le jeu n'offre donc pas au joueur les outils nécessaires à une exploration détachée de ses mécanismes, ni ne fait de la découverte d’un territoire inconnu le cœur de son gameplay. Le territoire, tel qu'on le parcourt, est finalement plus lié à des enjeux propres aux codes actuellement en vogue de l’open-world qu’à la cohérence de son univers. C'est un monde où en définitive, on ne découvre presque rien par soi-même, mais où on complète successivement les tâches indiquées.
Se confrontent deux visions paradoxales du game design, qui semble d'un côté vouloir libérer le joueur de certaines contraintes linéaires de la progression par l'open world, mais qui tend d'autre part à le contraindre à une manière de jouer, de peur peut-être qu'il ne rate quelque chose ou qu'il n'emploie pas cette liberté de progression et d'exploration à bon escient. C'est là les limites d'un jeu qui cherche à contrôler le rapport que le joueur doit avoir avec l'univers qu'il visite. En le privant de la possibilité de passer à côté des choses, il décharge l'exploration d'une véritable tension et la rend curieusement moins excitante, ce qui a tendance à la rendre parfois aussi triviale que de compléter une liste de courses.
Mais celà provoque aussi un autre effet pervers qui apparait à terme sur l'ensemble du jeu. En plus du découragement possible devant le nombre possible de choses à faire, le joueur qui décide de tout faire finit par "vider" le territoire de son intérêt. Il y a aussi de forte chance qu'il devienne rapidement trop puissant pour les quêtes à venir (principales et secondaires) et n'y trouve plus son intérêt dans le gameplay. Au demeurant, les ambitions open world du jeu sont donc également sapées dans le gameplay par des mécanismes de progression qui les rendent obsolètes, et même un joueur qui veut suivre la logique privilégiée par le jeu, et le finir tout entier pour profiter de tout son contenu, risque à terme de rester lui-aussi sur sa faim.
Merci beaucoup à Fwouedd pour les screenshots de la version PC. A admirer en pleine résolution ici.
Plus grand, plus beau, plus riche, The Witcher 3 est une réussite indéniable et un jeu phénoménal en terme de contenu et de narration. Si bien qu'on ne peut s'empêcher d'en demander plus, pour pouvoir en profiter pleinement. De ce côté là, solidement attaché au gameplay des opus précédents et à une structure de jeu hérité de l'open world AAA, The Witcher 3 ne révolutionne rien. C'est clairement ce qui se fait de mieux dans le genre, mais au prix de défauts caractéristiques.