TEST
The Talos Principle
Une fois de plus Croteam, développeur des FPS décérébrés Serious Sam, s'allie à Devolver, éditeur des Hotline Miami et autre Shadow Warrior. Avec un tel passif on aurait pas forcément parié sur la subtilité de leur nouveau bébé mais c'est pourtant sous l'appellation Philosophical First Person Puzzler que ces spécialistes de l'ultraviolence vidéoludique tentent de nous vendre The Talos Principle.
Tout d'abord exit les flingues. Et exit les chatons aussi, ne les cherchez pas dans le jeu ils n'apparaissent que dans la bannière pub.Dans The Talos Principle on incarne un cyborg géomètre accro au tetris plongé dans ce qui semble être une simulation façon Matrice gréco-romaine pour manutentionnaire historien et philosophe : en positionnant correctement les balises dans le décor on fait progresser le laser jusqu'à l'interrupteur final où l'on est récompensé par un tétromino. Combiner ces tetrominos sur certaines serrures permet de débloquer de nouveaux
Ce faisant une voix de l'au-delà nommée Elohim nous guide et nous encadre (probablement le chef de chantier). Des terminaux informatiques façon M05 nous propose d'accéder à ce qui semble être les vestiges du net et de communiquer avec Milton, une IA qui va tenter de nous
On trouve également ça et là les audiologs d'Alex (la femme du contre-maitre ?) qui nous faire part de ses réflexions sur la vie et nous dévoile progressivement le contexte.
Le mythe de Sysiphe, 35 ans, ouvrier en BTP
Techniquement ça tourne impec même sur une vieille machine, et le jeu est plutôt joli.Niveau gameplay The Talos Principle est carré. Les mécaniques sont simples, et même si leur nombre est limité, la variété et la qualité du level design fait des merveilles. On enchaine les puzzles sans s'arrêter jusqu'à la migraine. La structure en hub assure une certaine liberté et une progression fluide : si on est bloqué sur un puzzle on peut tout-à-fait se contenter de passer au suivant.
Sur la soixantaine proposée, la dizaine de puzzles qui m'ont posé problème ont trouvé solution le lendemain après une bonne nuit de sommeil, ce qui est généralement signe d'un bon LD et/ou d'un joueur idiot. A défaut, les messengers - des clones/fantomes qui peuvent être invoqués via un système de tag - sont là pour vous aider à résoudre un puzzle. Cette aide reste malgré tout très ponctuelle puisqu'il faut à la fois trouver les étoiles et les messengers, ceux-ci étant limités au nombre de trois (six si vous les débloquez dans la companion app).
A ces puzzles s'ajoutent les étoiles planquées ça et là dont certaines de manières assez perverse ainsi que tout un tas d'easter eggs.
Cette alternance des phases de puzzles, de tetris, d'exploration et de chasse aux étoiles fonctionne bien et permet d'éviter le sentiment de lassitude et de systématisme inhérent au genre.
La narration fait elle aussi bien son boulot. Elle agrémente le jeu et vient rompre la monotonie du cyber-manutentionnaire de manière plaisante. La grosse voix n'intervient que ponctuellement pour nous guider ou nous réprimander et le reste de l'histoire est assurée par ces fameux ordinateurs et logs disséminés ça et là, et qui sont complètement facultatifs. Libre à vous donc de les consulter à votre rythme où même de les ignorer. Les échanges avec l'IA syndicaliste ressemblent parfois un peu trop à un dialogue de sourd digne des commentaires Factor et les options de réponse peuvent être un peu frustrantes mais l'illusion de choix et de conversation marche plutôt bien.
Ma seule réserve concerne l'absence de réel scénario. J'ai suivi scrupuleusement l'histoire tout au long du jeu tant par curiosité personnelle que par acquis de conscience et j'ai attendu l'apparition d'une intrigue et d'un rebondissement comme un joueur d'AC3 patiente 8 heures pour dépasser le tutorial. En vain.
Qui suis-je, où vais-je ? Dans quel êta j'ère ?
A ce stade du test vous devriez avoir compris que The Talos Principle est un bon first Person Puzzler. Mais quid du "Philosophical" ? Si j'ai soigneusement évité de parler du propos du jeu jusque là c'est que c'est un problème à part entière. A l'image du reste du jeu le scénario est distillé et toujours facultatif. Son interprétation reste elle aussi très libre. Ainsi plutôt que d'y voir, comme le rédacteur idiot de ce test, une puissante allégorie de la condition de l'ouvrier en bâtiment, d'autres lectures sont possibles.
Vous êtes The Child, la grosse voix qui vous guide se fait appeler Elohim (Dieu en hébreux) ou The Designer, Milton l'IA malicieuse des M05 est parfois surnommée The Serpent, et on trouve mention de cyborgs sous les noms Sheep (brebis), Samsara (le cycle de la réincarnation en sanskrit), Uriel (l'archange) etc... Et ça ne s'arrête pas là : chants grégoriens, décors en forme de ruines romaines, égyptiennes ou médiévales, extraits de philosophes classiques et modernes, d'eschatologie egyptienne, de science-fiction, de discussion existentialistes et métaphysiques...
L'avantage de ce gloubi-boulga de références religieuses, philosophiques et existentialistes en self service, c'est que le joueur est à peu près libre de piocher dedans pour cuisiner le tout à sa sauce. L'inconvénient c'est que ce ça part vraiment dans tous les sens : s'agit-il d'une référence à la religion ou à la philosophie ? Elohim est-il une métaphore du divin ou du game designer ? L'avatar est il une métaphore de l'humain ou du joueur ? Ou bien tout cela à la fois ?
Rien ne colle jamais complètement, et plutôt que d'aller jusqu'au bout avec un message fort et ouvert, destruction du quatrième mur et grosse remise en question du joueur à la clé, on se retrouver un peu dans le vague quand au réel propos du jeu avec cette multitude de pistes qui restent à l'état d'ébauches. On a vaguement l'impression que l'écriture est venue se superposer à un jeu/concept déjà existant, et que l'auteur essaye d'étaler sa culture plutôt que de se marrier avec le reste du jeu pour nous faire passer un message ou vivre une expérience précise.
Moins concis qu'un Antichamber, pas aussi malin qu'un Stanley Parable et encore loin de l'excellence d'un Portal 2, The Talos Principle parvient tout de même à se distinguer de ses influences et à proposer un mélange unique et un univers très personnel. Sa richesse, son gameplay et son level design aux petits oignons font de lui un First Person Puzzler de choix à la durée de vie très honnête (15-20h). Mais à force de noyer le joueur sous les questions existentielles et les références culturelles, les ex-psychopathes de Croteam perdent de vue leur propos et échouent pour cette fois à nous convaincre de leur reconversion en grands philosophes.