TEST
Playdate, Itch Machine
par billou95,
email @billou_95
Développeur / Editeur : Panic Teenage Engineering
Support : Playdate
Qu’est-ce qui est jaune et qui fait « pouick pouick » quand on tourne sa manivelle ? Certains seraient tentés de dire « Fastoche, c’est la 4L en panne de mon facteur ! », mais on parle bien ici de la petite console néo-rétro de Panic Inc., un développeur américain très discret et humble qui s’est d’abord fait un nom avec des applications Mac comme le lecteur MP3 Audion à la fin des années 90.
Ce n'est que 15 ans plus tard qu'on les verra se lancer dans l’édition de jeux vidéo avec l’incontournable Firewatch, même si c’est surtout Campo Santo, son développeur, qui sera mis en avant. Trois ans plus tard, c’est au tour de Untitled Goose Game de faire lui aussi un carton, toujours édité par Panic avec toujours un petit logo caché dans un coin de la boite. Le temps était venu pour eux de se lancer dans un projet encore plus grand, et pourquoi pas... une console ? Trop gros, passera pas. Pourtant en avril 2022, après trois ans d’efforts, ils sortent leur console : la Playdate.Les patrons de Panic sont lucides, et plutôt que de se lancer dans la manufacture d’une machine alors qu’ils n’y connaissent rien, ils ont préféré faire bosser des gens dont c’est le métier. Et qui de mieux que le suédois Teenage Engineering pour créer de toute pièce une console qui ne ressemble à aucune autre. C’est bien simple, la machine est à mille lieues de ce que vous imaginiez d’une console portable moderne. Déjà, elle tient dans le creux de la main. Carrée et pas plus grande qu’un choco BN (76x74x9mm), elle embarque pourtant un concentré de technologie rétro-moderne derrière une coque en plastique jaune citron rigolote avec ses trous en métal apparents. On dirait presque un prototype sorti d’un labo de physique, typiquement dans la continuité des productions de l’industriel suédois depuis maintenant 10 ans. Mais la première chose qui attire vraiment l’œil, c’est son « grand » écran SHARP Memory Display non rétroéclairé qui offre une résolution de 400x240 1-bit et qui affiche toujours quelque chose, même en veille.
De loin, on pourrait croire à un énième écran e-ink, mais le machin a une densité de pixels beaucoup plus importante qu’une liseuse, à 173ppi et surtout un taux de rafraichissement pouvant aller jusqu’à 50hz et une réflectivité accrue, ce qui en fait un candidat idéal pour une console portable à l’autonomie limitée. A l’intérieur de la bestiole, on trouve entre autres un processeur ARM Cortex-M7 de 168mhz, 16mb de RAM, une mémoire flash de 4gb, du Wi-Fi 2.4ghz, un microphone intégré et même une puce Bluetooth (hélas pas utilisée pour l’instant). Côté batterie, la console est vendue pour tenir deux semaines en veille et 8h en jeu, ce qui nous semble un peu présomptueux, on va y revenir. Enfin, on y trouve le minimum syndical pour toute petite portable qui se respecte : un accéléromètre 3 axes, une croix directionnelle, deux boutons A et B plus une pastille d’accès rapide au menu, des haut-parleurs et des prises jack TRRS et USB-C. Ah oui j’oubliais, y’a bien une excroissance sur le côté. Un petit bout de métal brossé qui, surprise, dévoile une manivelle lorsqu’on le tire de sa cachette !
Au démarrage, un petit tutoriel/mini-jeu qui fait furieusement penser à l’Aperture Desk Job du Steam Deck vous explique rapidement les différentes manières de jouer avec la machine. Après avoir configuré son réseau sans fil et son compte Playdate, la console dévoile très vite le cœur de son offre logicielle autour de son microsystème d’exploitation maison : une saison de 24 jeux aux horizons différents qui se dévoilent à la manière d’une série au rythme de deux jeux par semaine tous les lundis pendant trois mois. Lorsque l’heure est venue, un nouveau paquet-cadeau (pensez comme ceux qui suivaient les achats sur l’eShop de la 3DS) apparait sur l’écran d’accueil et une fois déballés, les jeux sont directement prêts à l’emploi. Certains utilisent toutes les fonctionnalités de la machine, d’autres juste les contrôles classiques, ou exclusivement la manivelle. L’occasion de parler prise en main de la machine, littéralement. Et le matériel est de plutôt bonne qualité. Déjà le feeling entre nos doigts est vraiment bon malgré la petitesse de l'objet. Le plastique brossé choisi par ses créateurs est agréable au toucher et donne une impression de robustesse. Au risque de décevoir les détracteurs du genre, oui, les boutons et la croix directionnelle sont très "cliquants", et il semble impossible d’effectuer des déplacements en diagonale à l’aide de cette dernière. Bon point, ils ne présentent aucun jeu apparent lorsqu'on les triture, comme ce qu'on peut voir sur certaines consoles chinoises.
Ils ne font pas non plus mal aux doigts même après une bonne heure d’utilisation. De son côté, si on aurait pu imaginer que la manivelle soit micro-crantée, il n’en est rien. Elle tourne de manière fluide, sans à-coups sur son axe métallique une fois dépliée et semble assez solide. On peut par contre douter de la fiabilité de sa poignée dans le temps, le bout de plastique jaune ayant déjà un peu de jeu et semblant un peu moins qualitatif que le reste. L'unique haut-parleur est lui surprenant de puissance et de rendu sonore, dans toutes les situations. La Playdate Cover, vendue séparément, permet de protéger sa console astucieusement façon calepin, puisqu’elle est équipée de pins et aimants qui viennent se fixer solidement dans les orifices en métal dans les coins de la machine. Quant à l’écran… mais quel écran ! Il est effectivement épatant, pour peu qu’on ne vive pas dans des catacombes. Dès que le soleil lui tombe dessus, il devient super réflectif et fait transparaitre toutes les nuances de noir et de blanc. De plus, on n’a jamais vu écran typé e-ink aussi fluide, ce qui fait pour beaucoup dans le confort de jeu. On l’a dit, les développeurs ont à leur disposition un taux de rafraichissement maximal de 50Hz, bien qu’en pratique, beaucoup de titres développés sont limités à du 30hz car développés en Lua (VS en C).
D’ailleurs les jeux, parlons-en, à commencer par la fameuse saison. Il faut voir la plupart comme des notes d’intention, on est très (trop) souvent entre la preuve de concept et le jeu apéro. Des laboratoires d’idées intéréssants pour la plupart, mais qui s’essoufflent bien trop vite pour qu’on y revienne dans le temps. A l’image de Crankin’s Time Travel Adventure du génial Keita Takahashi qui propose de suivre les aventures d’un amoureux étourdit. On contrôle sa course avec la manivelle, en tournant en avant ou en arrière et on doit éviter toutes sortes d’obstacles sur son chemin avant de retrouver sa dulcinée. C’est rigolo 5 minutes, mais on tourne très vite en rond. Certains titres offrent un peu plus de profondeur comme l’excellent Pick Pack Pup, un match-3 super léché dans lequel un toutou se retrouve empaqueteur dans un entrepôt Amazon, ou l’idle RPG addictif Inventory Hero. Mais il y a aussi énormément de jeux vite essayés, vite oubliés, la faute à un gimmick vaporeux, ou de vrais défauts de game design, qui seraient tolérés sur des projets bricolés en 3h dans une Jam, mais inacceptables ici. Des titres qui par exemple tournent en boucle autour du gimmick de la manivelle (c’est le cas de le dire), ou ceux qui vous obligent à contorsionner inutilement vos doigts autour de la machine, au défi du bon sens, pour par exemple appuyer sur A en même temps que vous tournez la manivelle. Ou enfin ceux qui n’expliquent pas ou mal un gameplay déjà mal conçu, pfff.
Heureusement pour elle, la Playdate ne compte pas que sur ces ébauches pour rebondir, car elle est bien capable d’accueillir des jeux tiers. Elle est d’ailleurs vendue comme ouverte aux développeurs de tous poils qui peuvent faire de leur Playdate un outil de développement. D’abord à l’aide d’un SDK complet pour PC ou Mac, mais aussi via Pulp, son éditeur tout-en-un en ligne qui a déjà accouché de quelques succès. Le premier site à fédérer les jeux de Playdate a été Itch.io sur sa catégorie dédiée. Mais Panic ne cesse de mettre à jour sa machine et propose depuis mars 2023 une vraie petite boutique, Catalog. Accessible en ligne ou depuis l’accueil de la console, elle compte des centaines de titres entre 3 et 10 euros. Et on y déniche de véritables petites pépites, visuellement incroyables ou juste malines dans le gameplay qu'elles développent. On peut citer par exemple Grand Tour Legends, un simulateur de Tour de France au look impeccable dans lequel on mime les coups de pédale et on gère l’endurance de notre coureur avec la manivelle, sensations garanties ! The Botanist est un visual novel dans lequel on suit les aventures d’un astronaute perdu sur une planète à la manière d’un livre pour enfant qui se déplie et dévoile plein de parallaxes et qui utilise toutes les fonctionnalités de la console, en plus d’être visuellement sublime.
Core Vault lui, se la joue Vampire Survivor de poche, mais avec un robot et ça fonctionne plutôt bien. Les amoureux de la mousse seront ravis de découvrir Root Bear qui vous met dans la peau d’un ours barman patibulaire et qui vous demande de servir des breuvages houblonnés au kilomètre en accumulant un minimum de mousse… Smolitaire lui m’a été conseillé par notre Miniblob national et rempli parfaitement son rôle de Solitaire en 1-bit, sans forcer sur la manivelle. Et comment zapper Mars After Midnight, le nouveau Lucas Pope qui vient de sortir en exclusivité sur Playdate. Un titre dans lequel on gère un centre communautaire pour extraterrestres sur Mars qui organise chaque soir des sessions cheloues. Alors bien évidemment, Catalog a, lui aussi, son lot d’expérimentations peu crédibles, qu’on aurait vite fait de se faire rembourser chez Valve, mais aussi de véritables logiciels comme un agenda, une calculatrice ou un Paint-like. Étonnamment, la communauté est super active autour de la machine. Elle propose de la curation et a même inauguré des Awards originaux l’année dernière, ce qui permet de bien entamer son aventure sur Playdate en prenant des valeurs sûres dans des catégories comme « Outstanding Technical Achievement in a Pulp Game » ou « The CRANKY Award », etc. et éviter la frustration de devoir séparer le bon grain de l'ivraie soi-même.
La qualité variable de son catalogue n’est pas la seule inquiétude qu’on a autour de la machine. Tout d’abord, son autonomie qu’on remet quand même un peu en question. Pendant notre mois de test, avec la console toujours connectée au Wi-Fi, on a tenu à peine huit jours en veille, on est loin des valeurs annoncées, et la batterie a fondu comme neige au soleil en pleine utilisation (comptez trois ou quatre heures maximum avec le volume sonore réglé à moitié). Par contre, il faut lui reconnaitre une charge ultra-rapide puisque la machine était complètement rechargée en moins d’une heure. Un autre petit regret, l’impossibilité de consulter les screenshots que l’on peut prendre en cours de partie, autrement qu'en connectant la console à un ordinateur. Enfin, la douce promesse de voir débouler l’audio Bluetooth s’éloigne de mois en mois. Panic l’avait pourtant indiquée comme « coming soon » au lancement de la machine. Et si on n'avait qu’une seule fonctionnalité à ajouter pour une V2, ça serait évidemment le rétroéclairage.
Alors à qui s’adresse la machine ? Quels qu’ils soient, les jeux ont tendance à privilégier les courtes sessions. On imagine d’ailleurs mal le prochain Final Fantasy débarquer dessus. Et ce n’est pas plus mal, la console joue parfaitement son rôle de bidule rigolo pour passer le temps « mais avec une manivelle », que ce soit pendant un trajet dans les transports en commun (où son form factor fait assurément tourner toutes les têtes), assis sur le trône, ou couché peinard dans le canapé par un dimanche après-midi pluvieux. Reste qu’à 200 euros le bidule, plus le prix des jeux à acheter en sus, la facture peut sembler élevée. Mais c'est aussi à ce prix-là que vous dégoterez peut-être le plus d’originalité et de surprises dans le jeu vidéo depuis un bon moment.