TEST
Octodad : Pouvoir au poulpe !
Qui n'a jamais rêvé de diriger un poulpe déguisé en humain lors d'une sortie familiale dominicale? Personne? Et bien chez Young Horses ils se sont dit que ça se vendrait quand même.
Handicapoulpe
Octodad était l’an dernier un projet étudiant qui suscitait une curiosité parfaitement compréhensible. Dans le genre idée absurde, le jeu se posait là : on y incarnait un poulpe se faisant passer pour un humain et pour qui chaque geste quotidien devenait un vrai défi. Notre pauvre créature, terrorisée à l’idée que sa famille (humaine quant à elle) découvre ce qu’il était vraiment, vivait dans un état de de panique permanente. Si des ventouses et un corps élastique offrent un avantage indéniable à la vie sous-marine, c’est une autre paire de manche lorsqu’il s’agit de préparer le café ou de tondre la pelouse. C'est justement ce genre de tâches frivoles que le joueur devait effectuer le plus normalement possible, en dirigeant individuellement chaque membre du corps du personnage, ce qui transformait le simple fait de rester immobile, de se tenir droit ou de marcher en défi impossible. Il pouvait alors très bien s’emmêler les tentacules dans une table ou se coller les ventouses au décor pour finir dans une situation aussi inextricable que comique.Le concept, dans la droite lignée de Surgeon Simulator ou QWOP, repose sur l'idée encore assez peu exploitée (du moins de façon volontaire) de la mauvaise maniabilité. Le but est d’accomplir des tâches relativement simples avec des commandes excessivement complexes et/ou une maniabilité inadaptée. Que ce soit pour courir, réussir une opération chirurgicale ou visiter un musée en famille, l’élément comique et la difficulté du jeu proviennent donc de l’incapacité matérielle du joueur à accomplir correctement les gestes les plus simples, lui qui est pourtant habitué à accomplir l’impossible d’un simple clic. Ce type de jeu a fort justement privilégié la comédie (à l’exception notable de Brothers : A Tale of Two Sons) et pour cause, il semble dériver directement du slapstick comedy, où les décors et le corps du héros mènent une forme de lutte burlesque constante (ce qui fait naître de nombreux malentendus et des situations embarrassantes desquelles il est difficile de s'extirper).
Dans Dadliest Catch, la suite payante du projet initial, la situation ne s’est pas améliorée. Votre corps s’étire et valse dans toute la pièce au lieu d'arborer la démarche tranquille du bon père de famille que vous êtes censé être. Votre maladresse totale et incontrôlable fait ainsi de la moindre action un grand moment de comédie lorsque, pour servir du lait à votre fille, vous faites valser le frigo dans toute la cuisine. Heureusement, cette suite ne se contente pas de vous faire revisiter la maison familiale, déjà vue dans le premier Octodad. Vous aurez l’occasion de passer un dimanche entier en famille, et même de revivre votre passé sous forme de flash-back. On n'arrête pas le progrès.
I smell something fishy
Pourtant, si le comique marche un temps, Dadliest Catch est en fait la parfaite illustration qu’en voulant faire plus, on arrive parfois à moins. Par rapport au projet originel, les situations sont certes plus variées, mais elles reposent aussi sur des mécanismes plus pénibles. Infiltrations, courses-poursuites et mini-jeux en temps limité camouflés en activités éducatives du musée remplacent la pure folie anarchique du premier opus. Bien sûr, il est toujours possible (dans une certaine mesure) de semer le chaos au supermarché ou dans l’aquarium, mais en ajoutant de vrais objectifs au jeu, des parcours, des ennemis (rare il est vrai) et une progression linéaire, le gameplay devient non seulement bien plus sage et convenu, mais aussi plus frustrant. L’échec n’est en effet plus le seul moteur du jeu, principe certe absurde mais hautement comique. Dans Surgeon Simulator ou QWOP, l’intérêt n’est pas tant de réussir que justement d’échouer, et on aurait du mal à rire si on devait in fine réussir l'opération ou le 100 mètres. D'ailleurs, la réussite de ces tâches par un joueur qui arriverait à un parfait contrôle ruinerait complétement l'effet du jeu Or dans Dadliest Catch, le système de progression bien plus marqué impose au joueur d’avancer et, souvent, il n'y a qu'une seule manière de faire qui suppose justement d'arriver à maitriser le gameplay.Le scénario aussi, en s’étoffant, ne parvient pas non plus à égaler l’absurdité de principe du premier jeu. Il se veut à tout prix explicatif (on y apprend la genèse du mariage de notre héro) et aussi plus psychologisant (et oui, même pour un jeu sur un poulpe il faut une « histoire » et des personnages) et alourdit ainsi considérablement la folie arbitraire du jeu, au départ insensée et désordonnée. L’humour emboite le pas de ce surplus de sens, il remplace le goût du non-sens par de la private joke insistante. C'est drôle parce que c'est un poulpe ! On aura compris. On pourra rire si on est indulgent, mais le ressort comique est tout de même assez rapidement épuisé. Le jeu tente alors de compenser en multipliant les clins d’yeux parodiques et culturels disséminés dans les niveaux, ce qui est sympathique, mais n'est pas la garantie d'un jeu plus intéressant.
Me, Myself and Poulpe
Cette mise au pas de l’humour par une restructuration linéaire et narrative n’est d’ailleurs pas sans comparaison avec ce qui est arrivé au burlesque US. Comme il y a eu les Marx Brothers avant et après leur signature chez la MGM (studio qui a consensualisé par le scénario leur humour en lui donnant un motif et un but, sinon un sens) il y a un Octodad avant et après sa commercialisation. Le jeu a largement perdu de son efficacité comique et provocatrice et repose désormais sur la connivence et la sympathie du joueur. Le trublion, devenu bouffon, amuse moins. D’ailleurs à la manette et sur console, il devient presque jouable, diluant ainsi un peu plus son idée de base au profit d'un récit ordonné qui laisse moins de place à l'improvisation involontaire.Reste tout de même l’idée de génie pour rattraper la sauce : en coop, le jeu retrouve sa désarticulation comique initiale, et se rapproche étonnament de Brothers : A Tale of Two Sons, lui offrant une réponse comique sous une forme inversée de schizophrénie ou d’hystérie (au sens pathologique du terme). Les deux joueurs luttent en effet l’un contre l’autre ou coopèrent dans un même corps, chacun dirigeant des membres différents. Finalement ce qu’on aime dans ce genre de jeu, ce qu’il y a de drôle (ou de tragique, c’est selon, mais quand il s’agit d’un poulpe, plutôt drôle), c’est bien voir la lutte d’un corps contre lui-même, comme c’était plus clairement le cas dans la première apparition d’Octodad : d’un côté la pulsion anarchiste incontrôlable, et de l’autre l’envie d’être un bon père. Docteur Jekyll et Mister Poulpe.
Dadliest Catch ne transforme pas l'essai, mais ayant tout donné avant même sa sortie, c'était perdu d'avance. Court et techniquement limité, basé sur une idée et un humour qui s'épuisent rapidement et un gameplay qui ne parvient à se renouveler que dans le moins bon, il montre vite ses limites. Ça reste un jeu curieux et sympathique, à prendre en promo pour jouer en coop. En ce qui concerne le solo, mieux vaut jouer sur PC et à la version gratuite du prototype avant de décider si vous en voulez vraiment plus en moins bien. Celle-ci est toujours disponible sur le site du développeur.