Ni no Kuni: La vengeance de la Sorcière céleste
Le conte est bon
Oliver est un petit garçon qui vit à Motorville avec sa maman, une musicienne au cœur fragile. Vu son âge et son gabarit, on le jurerait inoffensif. Mais la Sorcière Céleste en est persuadée : Oliver est le sauveur du monde parallèle qu’elle est consciencieusement en train de détruire. Une raison suffisante pour tenter de le noyer, mais sa maman veille au grain et se sacrifie pour le sauver. Oliver se retrouve donc seul, pleure beaucoup, jusqu’à ce qu’entre en scène Lumi, le roi des Fées, qui lui apprend l’existence du monde parallèle et de l’âme sœur de sa maman qui y est emprisonnée par Shadar, le légat de la Sorcière. Un espoir de la revoir, voire de la ressusciter.
Sans surprise, le scénario de Ni no Kuni lorgne du côté des productions Ghibli tout public, comme Totoro ou Ponyo, et laisse de côté les aspects plus crus ou violents de certaines autres, comme Mononoké. En lui-même, l’aspect enfantin de l’histoire n’est pas un problème, puisque Level-5 et Studio Ghibli souhaitaient effectivement faire un conte pour enfants. C’est plutôt la narration qui déçoit : agissant comme si tous ses joueurs étaient effectivement des gamins de 8 ans, le jeu passe son temps à tout expliquer, non seulement pour le gameplay en vous répétant plusieurs fois tout ce que vous devez faire, mais aussi pour les péripéties d’Oliver. Le moindre petit évènement donne lieu au mieux à une cinématique, au pire à une séquence de dialogues au ton trop didactique, presque insultant pour votre mémoire et votre intelligence. C’est aussi un moyen d’étirer l’histoire en longueur pour lui donner l’apparence de celle d’un RPG plutôt que celle d’un film, mais cela confère au jeu un rythme mollasson et épuisant.
Cela dit, il faut reconnaître qu’en dehors de ces redondances didactiques, l’histoire devient de plus en plus intéressante au fur et à mesure, et les dialogues sont plutôt bons, multipliant les jeux de mots pour prendre le joueur à contre-pied. Le mérite en revient à une localisation absolument impeccable, sans aucun doute la plus peaufinée qu’on ait vue depuis longtemps. En plus des doublages anglais ET japonais, tout le contenu, y compris le grimoire de plusieurs centaines de pages, est intégralement traduit en cinq langues. En se payant le luxe d’éviter les pièges d’une traduction littérale, mais également en adaptant la forme pour la rendre cohérente avec une lecture par des occidentaux. Traduire c’est écrire, et ça n’a jamais été aussi vrai.
Le conte est beau
Pourtant, ce qui frappe le plus quand on joue à Ni no Kuni, c’est évidemment son rendu visuel. D’un côté, une direction artistique et des cinématiques signées Studio Ghibli, de l’autre une mise en œuvre par Level-5 pour toutes les phases de gameplay. Et il faut le dire : les créateurs de Professeur Layton s’en sortent avec les honneurs. Evidemment, on distingue nettement les cinématiques des phases de jeu grâce à des différences visuelles notables, comme des modèles qui se découpent un peu plus (les feuilles des arbres ou les cheveux) ou des animations plus mécaniques. Mais, il faut le dire, les décors claquent. Vraiment. Sur le fond, ils ne sont pas très originaux (un désert, une forêt, un volcan, de la neige...), mais il y a cette phénoménale sensation de plonger la tête la première dans un film de Miyazaki et de vivre l’un des contes de notre enfance. A la limite, les plus tatillons regretteront certaines incrustations trop visibles qui cassent le trip, comme les brins d’herbe par exemple, mais ce serait vraiment chercher la petite bête face à un émerveillement quasi-permanent.
Pour remplir ces décors, des personnages et des monstres au chara-design globalement réussi. Si les boss sont assez classiques et impersonnels, la Sorcière Céleste et sa clique sont mémorables, et les 400 monstres que vous croiserez au fil de l’aventure sont fort sympathiques, rappelant par bien des aspects les Pokémon de notre enfance. Quant à notre héros Oliver, sa candeur un peu lourdingue est heureusement compensée par les caractères bien trempés de ses compagnons d’aventure. Si leurs gimmicks participent au faux rythme du jeu évoqué plus haut et que la plupart n’ont pas l’épaisseur des meilleurs personnages Ghibli, ils n’en restent pas moins attachants et composent une équipe qui rappellera, par certains aspects, celle du Château dans le Ciel. Dommage que tous les dialogues ne soient pas doublés, cela nous éloigne un peu de nos héros.
Un des points qui divisera peut-être les joueurs est la musique de Joe Hisaishi. Entendons-nous : toutes ses compositions pour Ni no Kuni sont, indépendamment du contexte, excellentes. Certaines se graveront dans votre mémoire, d’autant plus qu’elles sont exécutées par l’orchestre philharmonique de Tokyo. Mais plusieurs d’entre elles semblent par moment inadaptées. On pensera surtout à la musique des combats et à celle des boss, qui manquent toutes deux d’une rythmique entraînante qui motiverait le joueur et participerait au côté épique de la chose. Et l’ensemble manque sans doute un peu de variété, avec des thèmes parfois réutilisés pour toutes les parties d’une zone géographique donnée. Par exemple, on n’aurait pas craché sur une musique particulière pour les boutiques, des variations du thème de combat en fonction de la zone où on se trouve, une musique différente pour chaque boss...
Oliver l’explorateur
Mais ce qui risque de fâcher le plus, c’est le gameplay. Ni no Kuni est un RPG qui pioche ses mécanismes un peu partout chez ses glorieux prédécesseurs, des premiers Final Fantasy aux Dragon Quest en passant par les Tales of et les Pokémon, mais lorgne également du côté des Zelda, notamment Minish Cap. Explications : après avoir choisi votre mode de difficulté (facile ou normal, prenez le normal), vous progressez le long d’une trame principale à base de cœurs brisés à réparer via des fragments de bonheur, dans différents lieux que vous reliez via une (formidable) carte du monde, le tout rythmé par des combats en temps réel dans lesquels vous pourrez utiliser les compétences de votre équipe, ainsi que celles de familiers que vous aurez capturés et faits évoluer.
Jusque-là, rien d’extraordinaire. Le premier écueil vient du dirigisme abusif du jeu, qui passe son temps à vous dire quoi faire ou à vous prémâcher le travail. Même en supprimant l’affichage des objectifs sur la mini-map, on ne peut guère se perdre ou se tromper, et on a parfois la désagréable impression d’être plus dans Dora l’Exploratrice que dans un Miyazaki. Un PNJ a le cœur brisé et a besoin d’un surplus de courage ? Un autre PNJ en a à redonner quelques mètres plus loin. Vous ne pouvez entrer dans un lieu important pour la suite de l’aventure ? Faites quelques pas et une cinématique vous donnant la solution démarrera. Pour vous forcer à dépenser votre argent pour vous équiper, le jeu vous en ponctionne 10% à chaque fois que vous mourrez. Le pire restant le nombre abusif de combats. En fait, il n’est possible de gagner de l’expérience qu’en combattant, l’accomplissement de quêtes annexes n’offrant que de l’argent et des items via un système de cartes de fidélité à collectionner puis à échanger. Et comme le jeu a peur que vous arriviez devant un boss en étant sous-levellé, il vous oblige à combattre, tout le temps, que vous le vouliez ou non. Sur la carte du monde, vous vous ferez pourchasser par des bestioles en tous genres, et dans une zone donnée vous en trouverez tous les trois mètres et elles respawneront dès que vous aurez le dos tourné.
Et si encore les combats étaient intéressants... Les 10 ou 15 premières heures de jeu, où Oliver combat seul, n’offrent que des combats courts, bourrins et répétitifs. Même le principe des orbes qui vous permettent de recharger vie et magie, ou de déclencher des attaques ultimes, n’a que peu d’intérêt. A partir du moment où de nouveaux personnages et familiers le rejoignent, les choses se complexifient légèrement, puisque vous pourrez gérer une tactique d’équipe et modifier votre roster de familiers pour vous adapter aux ennemis. Mais mis à part quelques monstres spéciaux dans les quêtes annexes, rien de bien difficile ni de captivant. Le challenge ne pointe le bout de son nez qu’avec les boss et leur patterns parfois surprenants, mais surtout si vous vous pointez devant eux en étant gravement sous-levellé, ce qui semble improbable au vu du nombre de combats qu’il faut se farcir pour arriver jusqu’à eux. Vous mourrez parfois, pris par surprise par une nouvelle attaque, équipé des mauvais familiers ou abusé par le lock de la caméra ou les timers d’action, mais l’apprentissage se fait vite, les solutions sautent aux yeux et avec de la patience et de la concentration Oliver peut venir à bout de n’importe qui, même avec ses coéquipiers à terre.
Alors, Ni no Kuni serait-il un très beau film mais un jeu raté ? Certes il a des défauts qui le rendent pesant et pourront décourager les moins patients. Mais il a aussi un contenu dont la richesse se révèle après plusieurs heures de jeu, une fois que toutes les features sont débloquées. On commencera par citer l’exploration du monde qui devient un plaisir une fois qu’on est équipé des bons items qui permettent de moins subir l’apparition des combats. Les adeptes de collectionite aiguë seront aux anges avec 400 familiers à collectionner et à faire évoluer comme dans Pokémon, mais également les 300 pages du grimoire à retrouver, des recettes d’alchimie à tester, et des quêtes annexes nombreuses à défaut d’être toujours intéressantes. Le tout pour une durée de vie oscillant entre 40 et beaucoup d'heures, selon votre propension à viser le 100%. Car, malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, le jeu a un puissant goût de reviens-y : on peste, on peste, mais au final on ne lâche la manette que pour aller dormir, et pour mieux la reprendre le lendemain.