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Moons Of Madness : plongée au coeur de l’ennui

Rozzo par Rozzo,  email
Développeur / Editeur : Funcom Rock Pocket Games
Notre sale histoire commence lorsqu’une petite équipe nommée Rock Pocket Games, n’ayant fait auparavant que des jeux mobiles, est venue toquer chez Funcom. L’éditeur norvégien s’emballe vite pour un projet qui, sur le papier, semble prendre relativement peu de risques tout en promettant une expérience solide : un jeu d’aventure narratif sur Mars avec une inspiration Lovecraftienne. Chez Funcom, on aime beaucoup. The Secret World, pour ne citer que lui, est blindé de références à l’oeuvre de l’écrivain. 
Le problème, c’est qu’en dehors d’une promesse robuste (mais loin d’être révolutionnaire), tout ce que propose Moons of Madness touche beaucoup plus au royaume de la frustration qu’à celui de la peur. Détachez rapidement vos ceintures, vous pouvez encore sauter avant le décollage ! On vous aura prévenu : Mars a rarement été aussi assommante.

N'est pas mort le joueur qui à jamais s'endort...

 
Au grand désarroi des puristes que nous sommes, notre cher (quoiqu’un peu raciste) H.P. Lovecraft est un peu devenu une marque déposée. Dès qu’on a quelque chose d’un minimum flippant, avec des tentacules et un peu d’ésotérisme… Hop ! On sort H.P. du chapeau. Souvent au mépris même du mythe qui entoure l’univers de l’auteur, d'ailleurs.

Bref. Passée une introduction toute en jump-scares foireux et effets de lumières faméliques (le néon qui clignote… vraiment ?) et qui, pour le coup, fait peur, mais pas pour les bonnes raisons, on se réveille dans la peau de Shane Newehart. Shane, c'est un peu l'homme à tout faire, le bricolo de la base. Par le biais de petits papiers / fichiers / PDA qu’on ramasse un peu partout (et qu’on zappe vite tellement ils sont bidons), on comprend un peu l’univers sans surprises du jeu. Notre « aventure » se déroule sur Mars où, dans le cadre d’une mission hyper-secrète pour le compte d'une hyper-corporation, notre équipe travaille sur des recherches hyper-étranges. Bon, les recherches semblent assez banales, en fait. Mais notre Shane national, il s’en fout.



Tout commence comme une journée normale. On part en mission de routine pour réaligner des panneaux solaires, tout en parlant avec nos collègues de notre rêve étrange de la nuit passée… Soit. De toute façon, à part Declan, notre pote, les autres scientifiques de la base n’ont pas l’air très intéressants (on ne les rencontrera jamais, d'ailleurs). Les dialogues sonnent creux et on n’arrive pas à croire en l’alchimie qui relie nos personnages. Le jeu commence pourtant bien sa narration environnementale et arrive à nous poser une petite ambiance, mais Shane et ses amis viennent tout gâcher par leur transparence. Pire, le jeu se permet d’éventer le « secret » du mal qui frappe la base dès le début de la partie, nous embarquant dès lors dans une intrigue à la trame trop visible.

Au bout d’une heure de jeu, après une introduction ratée en mode « horreur » et une intrigue qu’on introduit au chausse-pied souvent au mépris de la crédibilité, un vent funeste commence à s’abattre sur nos espoirs d’aventures martiennes. Avarie de plus au plan de vol, plus subtile celle-là : on n’a déjà plus d’attachement pour le personnage que l’on incarne. Ce qui est triste pour lui, mais surtout très embêtant, puisqu’il nous reste du temps à passer avec le bougre.
 

Shane, 1m73, 2 073 kg

 
Une hyper-corporation, une mission hyper-secrète, des rêves hyper-classiques… Allez, une dernière hyperbole pour la route : Shane Newehart, il est hyper-lourd parce qu’il arrive à être super lourd de deux manières différentes.

Primo, il a la légèreté d’un 33 tonnes lancé sur une nationale. Au bout de cinq minutes, la lenteur et l’inertie du personnage annoncent un jeu qui va être frustrant jusqu’au bout. Notre héros est parfois capable d’escalader des bouts de rochers mais est inapte à franchir une foutue barrière. Ajoutez à ceci un champ de vision « tête dans le guidon » qui n’est même pas paramétrable, et on a l’impression de tout faire à deux à l’heure en raclant les murs. On a franchement le sentiment que faire un simple demi-tour va nous prendre trois défilements de souris. Et que dire de ces interactions interminables avec le moindre objet et de ces foutues piles qu’on passe beaucoup, beaucoup trop de temps à manipuler ? C’est dommage parce que l’interface en forme de PDA ainsi que le HUD intégré au casque lors des sorties hors de la base fonctionnent bien.

Secundo, il est lourd moralement. Prendre le parti d’avoir un personnage-joueur qui s’exprime, c’est un choix audacieux (audacieux, oui, on en est encore là en 2019 sur la planète jeu vidéo…). Mais encore faut-il savoir quoi lui faire dire. Et à ce niveau-là, c'est le drame : notre personnage est une machine à banalités doublée d’un générateur d'onomatopées. Même ses réactions face au danger ne sont pas crédibles, à coups de « Fuck ! No No No No ! ». On y glisse aussi la petite manie du commentaire sur tout et rien ; ainsi, lorsque l’on découvre qu’un collègue a gribouillé tout l’intérieur de sa piaule de symboles étranges, le silence semble bien plus pertinent que « Oh mon dieu… Je ne pensais pas qu’il se sentait si seul… ». C’est tout le problème de faire parler son personnage dans un FPS : on prive le joueur des réactions qu’il peut imaginer chez son personnage.
 

Enigmes à Tire(mais sans)-Larigot

 
Seulement voilà, bien que le jeu arrive encore à s’en sortir lorsqu’il propose une immersion totale dans le quotidien de notre héros, c’est lorsqu’il commence à vouloir faire travailler nos méninges que la vraie douleur émerge. Les énigmes ne sont déjà pas folichonnes en elles-mêmes (prendre et placer des batteries, charger des orbes, reconstituer des photos…), mais leur mise en place est carrément désastreuse. Leur rythme cassé s’impose trop et la durée de vie du jeu semble tellement en dépendre que l’on a bien vite l’impression de faire un escape-game entre deux jump-scares. On ne comprend jamais vraiment le « fil » de celles-ci, à mesure que l’histoire s’efface face à elles. En guidant aussi peu le joueur, le plaisir de la résolution ne laisse place qu’à de la frustration. Par souci de décence pour le moribond, on va éviter de s’étaler sur les niveaux dits « hallucinés » qui se passent dans des décors répétitifs et avec des mécanismes de clé-portes ad nauseam. C’est dommage, parce que des énigmes un peu mieux expliquées et espacées auraient pu servir la narration.



Et ce n’est pas la dimension horrifique du jeu qui va nous sauver de l'ennui. Passer après une vague de jeux qui ont donné à l'horreur une toute nouvelle dimension (Soma et Resident Evil 7, pour ne citer qu'eux) et ne proposer au joueur que des jump-scares, c’est se tirer un gros rivet dans le pied. À aucun moment le jeu ne fait peur : ses mécaniques de tension sont déjà vues et revues. De temps en temps, on sursaute… Mais la peur ne se résume pas à ça ! Même un jeu très moyen comme Layers of Fear arrivait à faire ressentir plus d'angoisse. L’enrobage graphique de l’ensemble fait le boulot, propre, mais sans folie (un comble !). Et à part des tentacules sur les murs, la direction artistique ne propose pas grand-chose. Mêmes les scènes en extérieur ne créent aucune tension, aucune angoisse. Au final, la vraie question qu'on se pose, c'est « Où diable est Lovecraft ?! » À part un bouquin qui semble être la racine du mal et des tentacules, on le cherche encore… C’est dommage, parce que Mars est un terreau fertile pour l’imagination. On aurait pu jouer la carte de la folie, forcer le joueur à faire des sorties véhiculaires, le perdre dans l’isolement… Même « jouer » Seul Sur Mars aurait été une expérience plus satisfaisante.
Moons of Madness, c’est un jeu dont on n’attendait pas grand chose et qui réussit malgré tout à décevoir. Chaque élément qu'il contient a déjà été fait mieux ailleurs. Il n'est guère qu’un melting-pot d’idées bancales, desservies par une narration mal fichue sur une planète fade. Reste en fin de partie, après 5 heures, le sentiment d’avoir joué à un jeu en pilote aussi automatique que celui des rovers dans lesquels on embarque. Un jeu dans lequel tout est construit dans la froideur, sans flammes, sans folie. Il ne mérite ni votre temps, ni votre argent. (De toute façon, la seule bonne manière de dépenser son argent ce mois-ci, c’est en achetant Disco Elysium et un bon dictionnaire français-anglais.)
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