Mirror's Edge
L'une des premières choses qui nous a marqués lors de l'annonce de Mirror's Edge à l'E3 2007, c'est son design complètement atypique : bien loin du tout venant des jeux next-gen ternes, le titre des créateurs de Battlefield est une véritable explosion de couleurs vives, une vraie bouffée d'air frais comme on n'en avait pas eu depuis un bon moment, surtout dans le monde des FPS. Mais cataloguer Mirror's Edge comme un FPS serait pourtant une grossière erreur.
Un Scrabble dans (ya) ma case (i) ?
Avant de parler du gameplay, plantons une nouvelle fois le décor pour ceux du fond qui jouent à la DS en croyant que je ne les vois pas : Mirror's Edge se déroule dans une ville fictive archi-fliquée, soi-disant pour le bien de toute la population. Dans l'absolu ça n'a pas l'air de trop mal marcher, tout est propre et tout le monde semble heureux de vivre dans la sécurité et le confort, quitte à se carrer ses libertés individuelles là où le Soleil ne brille jamais. Enfin, presque tout le monde : il y a bien quelques babloches avec les cheveux longs qui font flipper les vieux réacs dans leur confort bourgeois en employant des moyens détournés pour faire transiter les informations sans que celles-ci soient analysées dans tous les sens par la police du bon goût. Et ces moyens détournés, ce sont les Messagers, postiers des temps modernes ayant troqué leur uniforme bleu contre un jogging, leur vélo contre une paire de basquettes, et leur sacoche jaune contre... ah ben non tiens, ils ont gardé la sacoche jaune. Faith, l'héroïne, est un de ces Messagers, et elle se retrouve bien vite embarquée dans un beau merdier prenant pour point de départ l'assassinat d'un homme politique et l'accusation (à tort) de sa soeur, fliquette de son état.
Ce scénario, un peu bateau mais quand même plutôt sympa, réserve quelques petits rebondissements histoire de tenir le joueur en haleine. En revanche, première mauvaise idée des développeurs : changer de style graphique pour les cinématiques. Au lieu de faire comme tout le monde et d'utiliser le moteur 3D, ils ont préféré se la jouer dessin-animé minimaliste avec un rendu final qui rappelle les cinématiques de Flashback, aussi bien pour le graphisme que les animations. Je critique pas les cinématiques de Flashback, c'était vachement bien il y a quinze ans. Aujourd'hui par contre, c'est moche.
Paint it white
À la limite, tant pis pour les cinématiques, elles sont largement compensées par le reste du jeu qui est lui est complètement irréprochable : ça ne ressemble à rien de connu auparavant, et c'est beau, tout simplement. La distance d'affichage lors des nombreux passages en extérieur est réellement hallucinante, et donne des sensations vertigineuses quand on se balade sur les toits de cette cité. Tout le monde le sait déjà, mais le design est également parfaitement maitrisé, avec ces couleurs bien pétantes habilement distillées venant donner de la vie à cet improbable univers d'un blanc immaculé. Les intérieurs (métro, bureaux, centre commercial, et j'en passe) ne sont pas en reste, chaque niveau baignant dans une teinte de couleur qui lui est propre de façon à ce qu'on n'ait pas l'impression de traverser toujours les mêmes décors.
La partie sonore vient parfaire l'immersion : la déjà célèbre chanson Still alive ne se fait finalement entendre que durant l'intro et le générique de fin, le reste de la BO étant composé de morceaux tantôt planants, tantôt plus nerveux, selon les situations. Standing ovation également pour les bruitages : les bruits de pas, les petits cris de Faith lors des sauts et de leurs réceptions, sa respiration, et le souffle du vent dans vos oreilles quand vous piquez un sprint, tout cela renforce l'impression que pour la première fois dans un jeu, on contrôle réellement un être humain.
Cette sensation est sublimée par un body awareness qui enterre tout ce que la concurrence avait fait jusqu'à maintenant : vous voyez vos pieds, bien sûr, mais également vos bras quand vous courez, vos genoux se plient sous votre menton pour éviter de vous prendre les pieds dans une barrière lors d'un saut, vos mains prennent appui sur les murs lorsque vous vous tenez trop prêt de celui-ci... Des petits détails qui mis bout à bout immergent complètement le joueur dans cet univers.
Jump, jump, jump !
Maintenant qu'on a bien compris que le jeu est beau et immersif, il est temps de voir ce qu'il nous réserve en terme de gameplay. En gros, vous ferez toujours la même chose : vous rendre d'un point A à un point B en effectuant toutes sortes d'acrobaties pour y parvenir. Sauter, glisser, courir sur les murs, vous accrocher aux rebords, faire une roulade, la palette de mouvement est assez étendue, et tous ces mouvements sortent avec une facilité déconcertante par l'emploi de seulement deux boutons, un pour les actions hautes, l'autre pour les actions basses. Du coup, une fois qu'on a pris le coup de main, on se retrouve à enchainer les cabrioles les plus folles, sans temps mort et avec une grande fluidité, ce qui entraine bien évidemment un indéniable sentiment de satisfaction chez le joueur.
Afin de ne pas casser le rythme, les gens de DICE utilisent deux petits artifices pour guider le joueur. Le premier consiste à recentrer la vue vers le point à atteindre d'une pression sur un bouton : c'est bien pratique, et ça évite de se sentir trop perdu, surtout lors des passages sur les toits où on a le sentiment de pouvoir aller un peu où l'on veut. Le second consiste à teinter de rouge vif les éléments du décor utiles à la progression : avec cette fonction, la Runner's Vision, activée, plus de question à se poser, on fonce tout droit et guettant simplement quels objets virent au rouge. Le challenge en prend alors un grand coup dans les dents, puisqu'il n'y aura plus besoin de se creuser la tête pour savoir comment atteindre un endroit a priori inaccessible. Heureusement, cette aide est désactivable pour ceux qui n'aiment pas être trop pris par la main, et seules les portes pouvant être ouvertes d'un bon coup de coude resteront mises en valeur de la sorte.
Cours plus vite que les balles
Les choses se corsent quand les forces de l'ordre viennent se mettre dans le passage. Et autant dire que ça sera souvent le cas. Très souvent. Trop souvent même, au point par moment de ruiner complètement le plaisir de jeu.
Bien sûr, au début, il n'y a que quelques malheureux flics qui tenteront de s'interposer, avec un flingue en plastique et des bouts de donuts coincés entre les dents. Toute désarmée qu'elle est, Faith n'aura aucun mal à se débarrasser de ces importuns d'un bon coup sec sur la nuque. Ou dans les couilles. Mais bien vite, vous rencontrerez des détachements entiers du SWAT, protégés par vingt centimètres d'armure et armés de fusils à pompe ou de mitraillettes. Tout de suite, vous ferez moins les malins, car il vous faudra trouver votre chemin pour progresser, ce qui n'est pas toujours évident au premier abord, mais qui l'est encore moins quand vous vous retrouvez à slalomer entre une dizaine de flics hargneux qui vident leurs chargeurs sur votre petite personne. Autant dire que ceux qui veulent jouer le jeu à fond, en désactivant les aides visuelles et en ne tuant personne, vont recommencer certains passages des dizaines et des dizaines de fois, jusqu'à l'écœurement, le temps d'apprendre quasiment par cœur les timings d'apparition des flics.
Bien sûr, vous pouvez toujours subtiliser les flingues de vos adversaires et vous en servir pour faire le ménage. Le problème, c'est que ces phases de shoot sont dramatiquement mollassonnes, les armes ne procurent aucune sensation, les ennemis ne sont pas bien malins : bref, on s'emmerde. On sent que ces phases de baston quasi-obligatoires n'ont rien à faire là, et qu'elles ont été rajoutées pour faire plaisir aux crétins qui attendent systématiquement une dose minimale de tuerie de la part d'un jeu à la première personne, comme si DICE n'avait pas eu confiance à 100% dans son concept. Ce qui est bien dommage, car les passages de pure plate-forme marchent à merveille, tout comme les courses-poursuites, vraiment grisantes.
Il est également dommage que le jeu soit aussi court, de l'ordre de six heures à peine. Ceux qui se la joueront Gandhi en essayant de ne tuer personne et donc en recommençant certains passages un nombre incalculable de fois pourront grappiller une ou deux heures, mais pas plus, et surtout au prix de crises de nerfs et de pads fracassés dans le mur.