TEST
Like a Dragon: Infinite Wealth
par Xavor2Charme,
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Développeur / Editeur : SEGA Ryu ga Gotoku Studio
J’ai un rêve. Un rêve tout simple où Larian utilise son gameplay et sa science du dialogue dans un jeu prenant place dans leur Belgique contemporaine, où notre équipe bigarré de Wallons et de Flamands combattent pour l’union du pays en faisant de temps en temps des pauses au bar pour boire un Orval et arpenter la brocante du Jeu de Balle pour acheter de nouveaux équipements. Par pitié virez-moi ces donjons et ces dragons à la con puis sortez-le nous le grand RPG belge que le monde entier réclame ! Parce que les japonais, eux, ils le font ! Ils le font depuis des années avec des jeux comme les Persona et surtout la saga des Yakuza/Like a Dragon dont le dernier épisode, Infinite Wealth, est sorti le 25 janvier dernier sur PC et toutes les consoles sauf la Switch.
Le réenchantement du réel, c’est vraiment ce que j’adore dans certains jeux japonais. Qu’est-ce que je suis jaloux de leur jeu de train en FMV ! Nous, on a rien, tout se passe toujours dans le passé ou le futur, jamais rien dans le présent. Cette spécialité japonaise (que l’on retrouve aussi au cinéma et dans la littérature) est ce qui rend leur production vidéoludique si particulière en étant en plus totalement dénué de cynisme. Il ne s’agit pas, comme les GTA, de se moquer du réel, mais de le subvertir, de le rendre plus beau, plus magique tout en s’emparant de thématiques fortes et en s’y confrontant directement au lieu de simplement ricaner. C’est ce que font Like A Dragon et Persona (avec malgré tout des maladresses) sans se cacher derrière leur petit doigt.
Les Yakuz’Amours
La série Yakuza/Like a Dragon est donc née de la volonté du développeur de chez Sega, Toshihiro Nagoshi, de créer un jeu aux thématiques contemporaines (ils se déroulent souvent dans l’année de leur sortie) qui parlerait aux hommes adultes tout en s’appuyant à la fois sur l’héritage arcade de Sega et l’immersion totale de Shenmue. Arrive donc Yakuza premier du nom en 2005 sur PS2, un jeu de baston lourdement scénarisé tendance SpikeOut se déroulant dans le quartier chaud de Kabukicho, renommé ici Kamurocho. Le joueur incarne Kazuma Kiryu se baladant librement dans ce simili quartier de Tokyo fidèlement reproduit, le studio allant jusqu’à conclure des partenariats avec des magasins et marques japonaises afin qu’ils apparaissent dans le jeu. Ce jeu et ses multiples suites permettent alors un tourisme virtuel comme on en fait peu dans l’industrie et nous immergent totalement dans le Japon contemporain.En pratique, les joueurs et joueuses sont régulièrement interrompus par des brigands de rues sordides pour des séances jouissives de distribution de salades de phalanges et par des cinématiques superbement mises en scène qui font vibrer le cœur des hommes. Les combats deviennent au fil de la série de plus en plus fous, la recette culminant pour moi dans Yakuza 5, ses 5 personnages aux styles de bagarre différents et surtout sa tonne de Heat Actions différentes (des actions contextuelles déclenchant des cinématiques bien brutales et bien drôles en combat).
Au même titre que les pugilats, les cinématiques gonflent en qualité et en longueur, les doublages étant assurés en japonais par des professionnels impeccables voire des stars comme Takeshi Kitano dans l’épisode 6.
Les jeux s’inspirant de Shenmue, ils regorgent d’activités annexes et de mini-jeux prenant de plus en plus de place au fil des épisodes. Leur scénarisation est souvent loufoque et absurde, permettant des ruptures de ton assez franches. Ce funambulisme entre grand drama et grosse marade fait tout le sel et la sincérité de la franchise et est, je pense, uniquement possible dans le cadre d'un jeu vidéo.
La série se focalise autour de la figure de Kiryu Kazuma, orphelin au grand cœur recueilli par Shintaro Kazama, un ponte du clan Tojo, le clan de Yakuza le plus important de la région de Tokyo. Idolatrant Kazama, il rejoint lui aussi le clan, devenant yakuza à son tour pour secourir la veuve et l’orphelin, aider les commerçants du coin, jouer à la course de voiture, aux bornes d’arcades et généralement casser la gueule de tous les dirigeants du clan Tojo qui ont cru pouvoir utiliser cette organisation mafieuse pour faire des trucs de mafieux. Se rendant quand même compte douloureusement du manque de cohérence de son mode de vie, il quitte les yakuzas mais son aura et la nécessité de faire des suites l'emmènent encore et encore à se mêler des affaires du clan. Il a beau se cacher, déménager, changer de métier ou carrément effacer son existence de la surface de la terre, les emmerdes finissent toujours par le retrouver.
La saga continue avec Kiryu jusqu’au 6 avant de laisser la place à Ichiban pour Yakuza 7 que Sega renomme Like A Dragon tout court (qui est la traduction du titre original japonais de la série). Les épisodes 4, 5 et 0 proposaient déjà de se passer de Kiryu en alternant avec d’autres personnages tout aussi charismatiques mais il disparaît du casting jouable pour la première fois dans ce 7e épisode. Ichiban Kasuga devient alors le nouveau personnage central et quel personnage ! Si Kiryu est impassible, sérieux et implacable, Ichiban est déluré, extraverti et compréhensif. Il est aussi un personnage extrêmement positif et surtout gentil. Dénué de cynisme, il approche les situations comme elles viennent sans se plaindre mais sans toutefois en minimiser les difficultés et cela fait du bien dans un médium où les personnages dans le genre font cruellement défaut.
Surtout, son arrivée sonne un changement de gameplay fondamental : de jeu de baston de rue, le titre se transforme en RPG en tour par tour. Un changement qui change aussi la dynamique du personnage : Kiryu était seul contre tous, Ichiban doit compter sur les amis de son équipe de RPG.
Infinite durée de vie
C’est dans ce contexte qu’Infinite Wealth prend la suite directe de Like a Dragon. Si vous voulez vous taper l'intégralité de la saga, dernier épisode et les Judgment compris, il vous faudra 360 heures en traçant tout droit sans le contenu annexe. Et comme il est relativement dommage de commencer par cet épisode somme, je peux essayer de vous conseiller quelques pistes pour vous y mettre:Tout d'abord la méthode dite “classique”: vous faites Yakuza 0 et Kiwami 1 (qui possèdent des traductions françaises non-officielles) avant d'enchaîner directement avec Like A Dragon. Ainsi vous aurez les bases en Kiryu Kazuma, les épisodes suivants étant assez peu cités dans Like A Dragon de toute façon.
Sinon il y a la méthode radicale, c'est-à-dire commencer directement par Like A Dragon et au diable les références. Tout le monde n’a pas une vie sociale à sacrifier sur l'autel du drama mafieux japonais.
Pour terminer je vous présente la méthode Xavor Kiwami: vous commencez par le 4e épisode, qui est super et qui propose un résumé des épisodes précédents. Ensuite vous partez sur le 0, puis un bout du 5 et de Kiwami 1, vous installez Yakuza 6 pour y jouer 30 minutes parce que Like A Dragon sort à ce moment-là et puis vous faites Kiwami 2 pour patienter avant la sortie de Infinite Wealth. Tout ça pour dire que faites bien ce que vous voulez et qu’à part commencer par Yakuza 3 (qui est vieux et pas ouf) et Infinite Wealth, vous ne ferez pas de mauvais choix.
Hawai ça fait long quand même
Toute cette longue introduction était en fait un test (au sens premier du terme). Si vous y avez survécu, alors vous survivrez à l’introduction du jeu. Il s’ouvre en effet par une séquence de plusieurs heures où l’on suit Ichiban, employé modèle de l’Actiris local et héros de Yokohama, tenter de réinsérer les yakuzas en disgrâce dans une société japonaise qui n’en veut pas. Le titre prend son temps, ne réintroduit pas vraiment les personnages et se permet quelques digressions sur les techniques de drague et sur le COVID (réenchantement du réel tout ça tout ça). Ichiban tombe lui aussi en disgrâce, à cause d’un Vtuber propagateur d’infox, et finit par être envoyé à Hawaï pour y retrouver la mère qu’il n’a jamais connue. A peine le pied posé sur l'île, les grosses galères lui tombent dessus. Le jeu commence alors après sa rencontre avec un Kiryu littéralement sorti de nulle part et cela fait 5 heures que vous avez sélectionné “Nouvelle partie” dans le menu principal.Pour quelqu’un comme moi, qui a joué à beaucoup d’épisodes et adoré le précédent, retrouver les potes d’Ichiban, le suivre dans son quotidien puis à Honolulu est un petit délice. Un délice qui a ses longueurs mais un délice tout de même. Je comprendrais très bien que quelqu’un qui débarque là-dedans arrête au bout d’une heure.
La suite du jeu reprend la structure classique de la saga : on se balade dans le nouveau quartier proposé, Waikiki, on se bagarre au tour par tour contre des ennemis pittoresques et haut en couleurs, que l’on peut recruter dans notre équipe de Sujimon, pour les faire combattre dans des arènes Pokémon underground, on fait des quêtes annexes, des achats, des améliorations d’armes, des photos, du Segway, de la drague en ligne, des donjons, on améliore les jobs de ses personnages, on regarde des cinématiques et on sèche la larme qui coule sur notre joue avec son doigt lorsque Kiryu nous livre son lourd secret comme on livre des burgers dans le mini-jeu de Crazy Taxi-Uber Eats.
Le contenu est plé-tho-rique. Il est littéralement impossible de faire le jeu en ligne droite, dispersant ses objectifs dans toute la ville et je vous mets au défi de ne pas vous arrêter pour faire autre chose en chemin. C’était déjà le cas dans les épisodes précédents mais ici j’ai vraiment l’impression que la barre a été mise encore plus haut. Le cadre hawaien, avec ses magnifiques couchers de soleil (le jeu est très beau et tourne pas trop mal sur Steam Deck où il a toute sa place) et ses rues plus larges que Kamurocho ou Yokohama, invite à flâner et participe à donner à cet épisode une ambiance beaucoup plus tranquille que les jeux précédents, à l’instar d’un Sonatine de Kitano. Infinite Wealth est un jeu de la distraction, de la procrastination, qui se fout un peu que vous vous dépêchiez à faire avancer le scénario. Il est aussi un jeu à l’écriture à la fois poignante et aux situations hilarantes (je ne me remettrai jamais de la séance de caressage de mes Pokémons humains) qui donne envie de ne pas en laisser une miette.
Et soudain, le chapitre 6 arrive et le vrai jeu vidéo caché depuis le début dans Like a Dragon: Infinite Wealth se dévoile.
Majimal Crossing
Il existe dans la série quelques activités annexes devenues cultes: la partie de chasse contre un ours légendaire dans Yakuza 5, la gestion du bar à hôtesse dans Yakuza 0, la simulation de PDG dans Like a Dragon. Mais là, on arrête de déconner : après s’être fait kidnapper par une mascotte chelou sur la plage de Waikiki, Ichiban se réveille sur une île pleine de poubelles qui se révèle être une ancienne station balnéaire que des pirates-éboueurs ont décidé de transformer en décharge. Le propriétaire des lieux et ses deux mascottes des enfers vous demandent alors de reconstruire l'hôtel, de faire venir du monde et de casser la binette des éboueurs fan de Skull and Bones.Dans ce jeu déjà rempli de distraction, les équipes du Ryū ga Gotoku Studio se sont dit: “Tiens! Et si on ajoutait un simili-Animal Crossing complètement fonctionnel, complètement addictif et à la progression assez longue pour oublier le jeu de base pendant plus de 10 heures ?”. Ces gros malins nous proposent donc de la collecte de ressources à coup de batte de baseball, de la pêche ou de la capture d'insectes, afin de construire du mobilier et des bâtiments pour accueillir des visiteurs et gagner de la renommée. Le but est de pouvoir proposer, à la fin, un complexe cinq étoiles sur une île débarrassée de toutes ses poubelles. Le jeu nous laisse placer les bâtiments que l’on souhaite un peu où on veut, pour recréer notre petit Kamurocho insulaire. Au bout d’un moment nous pouvons aussi envoyer bosser nos Sujimons à la ferme et produire encore plus de ressources.
La boucle de gameplay est assez riche, hyper addictive (j’ai eu du mal à aller me coucher) et il m'a été difficile de devoir quitter l’île pour continuer le jeu tant ce petit espace de tranquillité m’a reposé. J’ai découvert My Summer Vacation 2 à l’occasion de la sortie d’une traduction anglaise non-officielle en décembre dernier et j’ai adoré son ambiance de vacances, ses grillons qui font kiss-kiss et son rythme tranquillou, que j’ai retrouvés ici, sur Dondoko Island.
Ichiban président !
Pour terminer, un petit paragraphe pour parler des thématiques du jeu. Si l’ambiance est chaleureuse, le scénario se concentre beaucoup sur la revanche des exclus contre les puissants, aborde des thèmes très prosaïques comme la hausse des loyers ou l’aide alimentaire. Certains de nos compagnons ont essayé de zigouiller Ichiban, non pas par haine mais parce qu’ils ont été contraints par d’autres de le faire, Ichiban leur proposant une voie alternative et révolutionnaire. Même Kiryu, le grand Kiryu, est ici diminué et pourchassé, et doit pour une fois s’en remettre à d’autres. Les Sujimons, ces paumés que l’on tabasse puis recrute dans une parodie de Pokémon, sont presque réhabilités par Ichiban en travaillant à la ferme et au recyclage des déchets. Reste quelques maladresses sur les stéréotypes de genre et sur la sexualité, assez étonnantes en début de jeu, malgré une tentative de discours nuancé.Je me serais donc bien passé d'une édition deluxe je-ne-sais-pas-quoi obligeant de passer à la caisse pour acceder au New Game +.
A l’instar de ce test, Like a Dragon: Infinite Wealth est interminable, foutraque, drôle, émouvant et met trois plombes à démarrer. C’est aussi un jeu passionnant qui offre énormément aux fans et habitués de la franchise. C’est une sorte de feu d’artifice promettant un avenir radieux tout en commençant enfin à faire le deuil de son passé. Ichiban confirme qu’il est un des meilleurs personnages jamais écrits dans un jeu vidéo. Il porte un discours optimiste sans être naïf, cherchant à inclure un maximum ceux qui se trouvent aux marges de la société. Allez, moi je vous laisse, je retourne sur Dondoko Island chopper la cinquième et dernière étoile.