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Final Fantasy XV : Ceci n'est pas un jeu drôle
Développeur / Editeur : Square Enix
Mettez un instant votre amertume de côté et retrouvons ensemble la passion qui nous unit. Après tout, la série des Final Fantasy est celle par laquelle beaucoup d'entre nous ont découvert le RPG japonais. Embarquons donc à bord du paquebot de la hype et laissons-nous porter sur le fleuve de nos émotions, bref accueillons comme il se doit le quinzième opus canonique de cette licence fantastique.
Chez Factor, on est de faux aigris. Sous notre carapace de cynisme battent de tendres cœurs prêts à fondre devant les mésaventures du premier petit chien autiste venu. C'est cette sensibilité à fleur de peau que nous vous livrons dans notre critique de Final Fantasy XV. Ici il ne sera pas question des bugs qui continuent d'émailler le jeu après trois mises à jour majeures, ni de certaines textures tout juste dignes de la PS3, ni des temps de chargement interminables, et encore moins des publicités intégrées qui vous donneront envie de vous empiffrer de Cup Noodles. Pour que la lecture de cet article vous délivre une expérience totale, nous vous proposons de vous mettre en condition : installez-vous près de votre cheminée, enfilez vos pantoufles, bourrez votre meilleure pipe et laissez vous bercer par la couleur émotionnelle qui a guidé la rédaction de ce qui suit.
Un parfum de musc et de cambouis
Final Fantasy XV démarre sur une idée plutôt audacieuse : l'aventure prend d'emblée la forme d'un roadtrip, d'un voyage initiatique au cours duquel le jeune prince que l'on incarne ainsi que ses trois compagnons vont gagner en maturité. Il n'y avait rien d'évident dans le fait de rendre ces personnages attachants. Un gamin gâté, une brute fort en gueule, un gestionnaire un peu coincé et un blondinet vraiment lourdingue, ça nous donne une bande d'ados attardés pas franchement sympathiques. Quand ce petit monde part à la recherche d'armes ancestrales ou d'un cristal magique pour reprendre le trône qu'ils estiment leur être dû, on ne peut pas vraiment dire qu'on se sente très concerné en tant que joueur. Difficile pourtant de reprocher à la narration de faire du surplace tant elle prend un malin plaisir à nous trimbaler.De la voiture au train en passant par le bateau, on nous embarque dans presque tous les moyens de transport possibles et imaginables. Le problème vient plutôt du fait que le but de ce voyage est souvent très flou. On ne peut pas parler d'une véritable fuite en avant puisqu'à chaque étape du voyage, on a droit à une nouvelle destination bien définie, c'est plutôt la logique de l'ensemble qui nous échappe. Et pour cause, la narration est criblée d’ellipses plus ou moins assumées. Les mises à jour ont bien tenté de nous ajouter quelques extraits du film Kingsglaive, mais ces derniers sont trop rares et trop courts pour y changer quoi que ce soit. On imagine que les futurs DLC viendront sans doute combler quelques uns de ces trous, mais la pilule reste difficile à avaler et en attendant il faut se contenter de lire des notes dispersées dans les derniers chapitres pour comprendre les motivations des différents protagonistes.
Vous avez beau incarner un monarque déchu, les considérations géopolitiques risquent bien de vous passer par dessus la tête. Rassurez-vous, elles seront remplacées par des préoccupations bien plus essentielles comme le fait de connaître les goûts culinaires de vos trois potes. Il est bien un temps question d'un mariage destiné à rétablir la paix, mais la promise se fait timide et finalement l’histoire reste centrée sur notre quatuor de mâles branchés. C'est d'ailleurs un point qui a soulevé quelques reproches, les personnages féminins sont inexistants, au mieux elles sont balancées en tant que stéréotypes : la fiancée inaccessible, la mécano sexy, la petite sœur niaise et la guerrière indépendante. Cette critique prend du plomb dans l'aile à partir du moment où on considère le groupe des quatre gaillards comme un univers clôt qui se suffit à lui même. Même la tension sexuelle qu'auraient pu amener les quelques demoiselles trouve ici de quoi se déployer. Ce Final Fantasy XV nous raconte une histoire de garçons, il s'assume comme tel et réussit plutôt bien à nous plonger dans cette douce frivolité masculine.
Army of me
Si le scénario met l'accent sur les relations au sein du petit groupe, c'est un aspect qui ne saute pas forcément tout de suite aux yeux manette en main puisqu'on dirige uniquement Noctis, le fameux prince un peu péteux, et ce même lors des combats. Ces derniers se veulent résolument tournés vers l'action et se déroulent par défaut en temps réel. Il faut dire que Noctis est un combattant d'exception puisqu'il dispose de quelques astuces magiques. En piochant dans ses PM il peut ainsi esquiver la plupart des coups et même lancer son arme et se téléporter là où elle atterrit, au choix soit sur un ennemi pour lui coller une mandale, soit sur un élément de décor pour prendre de la distance et respirer un peu. Il y a tout un système de timing et de placement qui rendent ces combats plutôt nerveux : prendre un adversaire par derrière ou esquiver son attaque à la dernière seconde permettent d'enchaîner avec des coups plus puissants. Bref, on a affaire à un Final Fantasy sous caféine qui ne prend pas de gant pour mettre au rebut les reliques du fameux système ATB.On peut apprécier cette prise de risque, mais le résultat souffre de quelques défauts. Il y a parfois des soucis de lisibilité sur le champ de bataille, notamment à cause d'une caméra un peu folle, d'éléments du décor qui viennent cacher les participants à la baston ou encore d'ennemis qui débarquent de nulle part au beau milieu du combat. Dans le même esprit, on a vraiment un minimum de contrôle sur nos compagnons, tout juste est-il possible de solliciter une compétence particulière par collègue en piochant dans une jauge dédiée. C'est rarement un problème, nos trois buddies se montrent généralement efficaces à l'exception notable de Prompto, un petit rigolo qui plonge systématiquement au cœur de la bataille alors qu'il utilise des armes à feu et qu'il a une défense en mousse. De toutes façons, quand la situation nous échappe ou si on n'accroche pas au nouveau rythme des combats, il est toujours possible d'activer le mode stratégique dans les menus. Il suffit alors de rester immobile un instant pour déclencher une pause active pendant laquelle on peut évaluer la situation, déterminer les faiblesses des ennemis, et tout simplement comprendre un peu mieux ce qui nous entoure. Malheureusement, même cette astuce ne suffit pas à rendre intelligibles les rares combats de boss, ces derniers se veulent impressionnants mais se montrent surtout brouillons et truffés de QTE indigestes.
Cet épisode a beau s'ancrer plus que ses prédécesseurs dans le réel, il ne pouvait pas faire l'impasse sur la magie. Noctis peut ainsi de temps en temps faire appel aux armes de ses ancêtres pour passer en mode super saiyan et décupler sa puissance un court instant. C'est assez bordélique à l'écran mais l'effet est plutôt classe et les attaques sont surtout diablement efficaces. On sera un peu moins indulgent vis à vis des invocations : certes elles bénéficient de mises en scène magistrales, mais elles sont peu nombreuses et surtout elles ne sont utilisables que dans des conditions totalement obscures. Finalement on ne peut pas véritablement compter dessus et elles interviennent un peu au petit bonheur la chance. Reste la magie plus classique qui a subi un sérieux lifting à l'occasion de cet épisode : désormais on synthétise les sortilèges à partir d'éléments trouvés dans la nature et on y adjoint des ingrédients pour ajouter des effets supplémentaires. C'est ainsi qu'on peut se retrouver avec des sorts de feu empoisonné ou encore de glace revivifiante. Dans un souci de vraisemblance, ces sortilèges touchent tout le monde dans la zone d'effet, y compris votre personnage et ses camarades que vous ne pouvez pas contrôler... Si cette magie peut s'avérer extrêmement puissante, il vaut mieux se contenter de l'utiliser lorsque les ennemis sont encore au loin et avant que la mêlée ne s'engage réellement, plutôt frustrant pour les joueurs qui se sentaient l'âme d'un mage noir.
Le nez dans les stats mais pas trop
L'autre point qui risque de surprendre les habitués des J-RPG tient à la faible importance de la feuille de personnage, ou plus précisément du peu d'incidence des choix du joueur sur les stats et la progression des protagonistes. Rassurez-vous, il y a bien un système d'expérience qui conditionne une montée en niveau, mais cette dernière est différée. C'est seulement en faisant un petit somme que ces fameux points d'xp glanés au cours des combats ou au fil des quêtes permettront à vos quatre gaillards de prendre des niveaux. Ça se traduit assez logiquement par un gain de puissance, mais celui-ci est automatique, a priori il n'y a pas moyen d'aiguiller un personnage vers telle ou telle caractéristique. Vous aurez un peu plus de prise sur le talent propre à chaque clampin puisque ceux-ci évoluent en fonction de l'utilisation que vous en faites. Ils ne présentent toutefois pas tous le même intérêt : autant le cuisinier du groupe vous aidera réellement à traverser certaines épreuves, autant prendre de belles photos du voyage semble un peu moins primordial...En réalité, c'est plutôt du côté des compétences qu'il faudra regarder pour commencer à personnaliser un peu son groupe. Celles-ci se présentent sous la forme de neufs arbres distincts avec chacun son domaine de prédilection : la magie, les loisirs, l'optimisation du mode stratégique, le coup de pouce aux statistiques... Une bonne partie des améliorations concernent l'ensemble du groupe, mais il est aussi possible de faire évoluer un seul personnage en lui octroyant de nouvelles compétences au combat. Pour débloquer tout ceci, on utilise des points de compétence (PC) récupérés après certaines actions ou lors des montées de niveau. Sur le papier c'est plutôt propre quoique pas très original, mais dans les faits le système a été visiblement pensé pour ne pas trop avantager les joueurs consciencieux qui prennent le temps de farmer au détriment des aventuriers pressés. En effet, les compétences ultimes demandent un investissement assez important alors qu'elles n'apportent finalement pas des bonus si incroyables que cela. Prenez l'exemple de la magie, bien entendu vos sorts seront plus puissants si vous y mettez le prix, mais le coût est tel qu'il vous faudra passer un temps considérable à amasser suffisamment de PC pour ce faire, et que le bénéfice de la compétence nouvellement acquise sera dilué dans la montée en puissance générale entraînée par cette phase de farm. En somme, le système a le mérite d'exister, mais le plus souvent, il va impacter à la marge votre façon de jouer.
Que les amateurs de chiffres se consolent, il reste bel et bien une ou deux façons de jouer avec les statistiques. La première méthode consiste tout simplement à choisir judicieusement son équipement : les armes, et surtout les accessoires permettent de modifier considérablement les attributs de ses personnages. L'autre technique est loin d'être une nouveauté dans le petit monde des J-RPG mais elle avait rarement pris autant d'importance dans un Final Fantasy, c'est la cuisine. Il y a des restaurants un peu partout, mais c'est surtout par le biais d'Ignis, votre pote pisse froid, que vous allez découvrir la gastronomie. En effet, à chaque fois que vous choisissez de camper, ce dernier se propose de passer à la marmite les ingrédients que vous avez collectés. Au delà du fait que les plats rendent plutôt bien à l'écran, ils apportent surtout des buffs temporaires parfois très puissants à l'équipe. Vous voulez être immunisé contre certains effets, augmenter votre puissance d'attaque ou vos points de vie ? La case cuisine s'imposera vite comme un passage obligé, surtout si vous comptez vous attaquer à des monstres d'un niveau supérieur au votre.
Quand tu pensais avoir une ouverture
Les toutes premières heures de jeu peuvent se montrer assez déroutantes. Il faut le temps d'apprivoiser ces différentes mécaniques, mais surtout de se familiariser avec un monde ouvert un peu particulier. On sent bien que les équipes derrière le projet ne sont pas des vétérans en la matière et qu'elles ont passé un temps considérable à réinventer la roue. Le résultat fait preuve de quelques maladresses mais se montre finalement assez original dans sa démarche. Ainsi, il est assez clair que la topographie a été conçue en amont, puis qu'ensuite on a essayé d'y organiser la progression du joueur, notamment en mettant en place le réseau routier. On se retrouve donc par exemple avec une foule de murs plus ou moins invisibles, de grands espaces plutôt déserts, et assez peu de lieux habités. Ajoutez à cela le fait que les interactions avec les PNJ se limitent au strict nécessaire, c'est à dire généralement aux quêtes, et vous obtenez un open world qui semble assez froid au premier abord. Heureusement, la dynamique de votre petit groupe fonctionne bien, vos compagnons sont de grands bavards et ce sont eux qui vont finalement insuffler de la couleur et de la vie à ce monde.De la même façon, si les environnements donnent une impression de vide au premier coup d’œil, on découvre petit à petit une jolie collection de quêtes annexes qui viennent gonfler la durée de vie. Ces dernières sont incroyablement inégales : il peut aussi bien s'agir de traquer un monstre légendaire ou de venir à bout d'un donjon que d'aller crapahuter dans les flaques pour mettre la main sur des grenouilles ou des pièges à loup. Mention spéciale aux choix d'interface ou de game design douteux qui rendent les voyages rapides inutilement compliqués ou qui vous empêchent par exemple de récupérer plusieurs quêtes de chasse à la fois. Vos incessants aller-retour auront au moins le mérite de vous donner l'occasion de découvrir d'autres activités annexes. Encore une fois, le meilleur y côtoie le médiocre : si la pêche à la ligne s'avère étonnamment sympathique, les restos routiers vous permettront de découvrir l'un des pires mini-jeux de l'histoire, l’abominable Justice Monsters Five, un ersatz de flipper visiblement imaginé par des esprits malades bien décidés à éradiquer toute trace de fun de la surface de la Terre. Malgré tous ses défauts, ce monde ouvert reste assez attachant et on se surprend à y passer plus de temps que prévu, une façon comme une autre de retarder l'inévitable moment où il faudra le quitter pour s’engouffrer dans un horrible couloir.
On en arrive forcément au point qui fâche, celui qu'on aura bien du mal à pardonner à FF XV : il s'agit de sa structure même. Si les deux premiers tiers de l'aventure nous plongent dans ce monde certes imparfait mais finalement assez plaisant, nous permettant de jongler à notre guise entre la découverte d'étendues ouvertes et l'exploration de donjons relativement variés, les choses se gâtent lorsqu'on vous colle dans un bateau pour un autre continent. À partir de ce moment là, votre liberté de mouvement va petit à petit se réduire jusqu'à ce que vous vous retrouviez coincé dans des couloirs aussi étroits qu'interminables. Un tel choix aurait peut-être été compris s'il s'accompagnait d'une narration forte et d'une montée en cadence en terme de rythme. Pas de bol, c'est tout le contraire, l'histoire est encore plus décousue et on nous installe une atmosphère lourde qui se veut stressante mais qui n'est finalement qu'agaçante. Tout le dernier tiers de l'aventure est un raté monumental, c'est à se demander s'il n'était pas initialement prévu de mettre en place un véritable univers sur ce second continent mais que l'ensemble soit passé à la trappe faute de temps ou de budget. En cela, Final Fantasy XV est un titre qui mérite l'attention des amateurs du genre et de tous les curieux, c'est une sorte de fantastique brouillon qui tente des choses, ne les réussit pas toujours, qui lance pas mal d'idées en l'air, mais en oubliant parfois de les rattraper.
Même en enfilant les lunettes d'un esthète béa et peu critique, difficile de passer à côté des défauts du titre, Final Fantasy XV n'est pas le grand jeu qu'on attendait depuis une dizaine d'année. Certes, il essaye de toutes ses forces de renouveler la formule de la série, il parvient même à se montrer assez plaisant une bonne partie du temps, mais malheureusement il termine sa route dans un triste cul-de-sac. Bref, s'il fallait retenir une émotion plutôt qu'une description clinique, il s'agirait bien de la déception qui s'impose lorsque vient l'heure du bilan.