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FAR: Changing Tides
par billou95,
email @billou_95
Développeur / Editeur : Okomotive Frontier Foundry
Sous ses airs de gentil petit "puzzler-OVNI", FAR: Lone Sails cachait un trip initiatique de fin du monde assez époustouflant. Une narration minimaliste, mais pleine de sens sur fond d'amitié entre un héros et son destrier de métal, une direction artistique entièrement dessinée à la main et surtout une bande originale adaptative tout en justesse ont rapidement conquis tout le monde à sa sortie en 2018. Les Zurichois aux commandes venaient de se faire un nom et on était curieux de voir sur quels flots ils allaient naviguer avec leur prochain jeu. Alors quand on a su que des vents favorables allaient les mener sur les traces des aventures de Lone, on a réservé notre billet en avance pour ce nouveau voyage.
Changing Tides reprend donc le concept de son aîné, à savoir la fuite en avant d'un bonhomme mutique devant se dépatouiller avec un ensemble de machineries infernales qui lui sont parfaitement inconnues, dans un monde à l'agonie. Dans cette suite, les développeurs troquent poussière et volcans pour une autre facette de l'univers désolé de FAR. Toe (c'est le petit nom du protagoniste) prend littéralement la mer dans une ancienne vallée industrielle engloutie par les eaux. Rapidement, il va acquérir les commandes d'un frêle esquif abandonné en cale sèche dans un hangar désaffecté. L'occasion pour le joueur de découvrir les premiers systèmes de navigation à disposition sur le pont du navire. D'un geste, on pousse jusqu'à hisser le mat à la verticale. Puis on grimpe jusqu'à son sommet pour tirer et fixer un cordage au pont, ce qui permet de tendre une voile de fortune. A partir de là, on enfile notre casquette de capitaine, et en avant toute. Une manette permet d'orienter la voile à 180° et de la gonfler ainsi en suivant les timides alizés. Le pavillon de marine, lui, nous indique en fonction de sa hauteur la position optimale pour capter un maximum de vent. A ce moment-là, une seconde voile se tend et nous voilà lancés à pleine vitesse !Ca parait simple, mais comme d'habitude avec Okomotive, le matos est volontairement livré sans le manuel d'instructions. Alors on tâtonne, on appuie sur tous les boutons, on pousse toutes les manettes, on regarde ce que ça produit et on apprend petit à petit à dompter notre bâtiment. En guise d'indicateur de bonne conduite, c'est la bande originale du jeu qui vient valider nos actions par des longs crescendos de contre-basse et des doux bruissements de violons.
Un indé pas que beau
On retrouve évidemment le désormais indispensable Joel Schoch à la composition qui s'est octroyé les services d'un orchestre à peine plus important que sur la première aventure. Il en ressort à nouveau un accompagnement enchanteur de tous les instants, toujours incroyablement juste dans les notes qui tombent au moment opportun pour ponctuer nos succès, mais aussi les petits drames de cette traversée fantastique. Une musique qui servira également de vecteur de lien entre l'homme et sa machine. En effet comme dans Lone Sails, on se prend d'amitié pour notre vaisseau, on cherche désespérément les mêmes ressources qu'avant pour alimenter un moteur à vapeur qu'on va très vite débloquer, de quoi le "soigner" aussi lorsqu'on fait des haltes dans les vestiges d'anciennes cités.C'est d'ailleurs lors de ces accostages téléguidés (le jeu nous bloquant volontairement le passage jusqu'à ce qu'on trouve une solution) que vont se dérouler les phases de puzzles du jeu. Okomotive fait dans le classique. Tire la chevillette, la bobinette cherra, racontait Charles Perrault. Ici, c'est un peu pareil. A de rares moments, on devra multiplier les actions dans un temps limité avec une poignée de contraintes, on ne préfère ne rien vous dévoiler de plus, mais il n'y a rien d'insurmontable.
Le sel de FAR: Changing Tides se situe ailleurs. Dans ces moments de contemplation en mer, toujours favorisés par des longueurs voulues par ses développeurs, pendant lesquelles on peut prendre le temps d'écouter ronronner les mécaniques du bateau, ou pourquoi pas se tenir sur la proue pour observer l'horizon. Facétie des créateurs, à cet instant la caméra fait un léger travelling arrière pour nous laisser profiter du majestueux spectacle. Les décors, toujours faits main, sont eux plus foisonnant et diversifiés qu'avant : usines englouties, complexes portuaires, champ d'icebergs, etc. D'étranges animaux passent parfois furtivement en fond d'image. Souvent on peut admirer une architecture recherchée entre bicoques façon Europe de l'Est et flèches angulaires ultramodernes, qu'on pourrait presque croire inspirées de City 17.
Toe ne jamais hurle
Mais on est rappelés à notre condition d'explorateur. Plus tard, on va récupérer de nouveaux équipements qui viendront démultiplier les caractéristiques de notre rafiot. D'abord en ouvrant la salle des machines dans ses entrailles, puis en fermant les écoutilles, transformant la goélette en submersible. Et FAR: Changing Tides évolue par la même, puisqu'on peut choisir la manière d'affronter certains obstacles. Une tempête de tous les diables sévit sur mer ? Il n'y a qu'à plonger et continuer sa route tranquillement (à condition d'avoir les ressources nécessaires pour alimenter la motrice). Une bouée géante nous bloque le passage ? Idem, on peut choisir de foncer dans le tas et de risquer quelques avaries ou passer en dessous. Evidemment, à choisir un chemin plutôt qu'un autre, on se prive toujours d'une belle vue (une nuit étoilée sur l'océan, une ancienne cité engloutie, etc.).Le titre a donc un petit goût de reviens-y, surtout qu'il est chapitré de manière à refaire les morceaux qu'on aurait zappé sans trop se prendre la tête. Malgré cela, le FAR nouveau n'échappe pas à quelques longueurs, en partie dues justement à une histoire deux fois plus longue que la précédente et qui dilue quelque peu ses penchants mélancoliques.
On pourrait aussi citer une poignée de moments où l'on se sent moins à l'aise qu'avant : lorsqu'on doit arrêter d'un coup sec le bateau pour aller à la pêche aux ressources, ou quand doit manoeuvrer en marche arrière. Mais finalement, on reste captivé par le jeu et la réalisation impeccable du studio Suisse. On pourrait citer quelques instants vraiment saisissants : un orage qui s'abat sur l'océan créant des creux vertigineux, on le disait la nuit étoilée véritable calme après la tempête, l'ascension d'un gigantesque phare... La caméra aussi sait se détacher au bon moment de la scène pour présenter telle ou telle chose. Et puis la monture du héros parait aussi vivante que celle du premier épisode. Déjà parce que ses systèmes de navigation sont un peu plus complexes, mais également parce qu'on ressent sa présence pendant toute la traversée. La manière dont le vent vient faire voltiger les lambeaux de voile, le ronflement délicat des engrenages et pistons qui entrainent le rameur motorisé, la machine respire, souffre, avance, et nous avec elle.
A l'image de l'original, FAR: Changing Tides est tout simplement un bel objet vidéoludique. Plus costaud dans les mécaniques qu'il déploie, le jeu met toujours en place des puzzles assez légers, plus prétextes à faire une pause entre deux exercices de navigation qu'autre chose. Et si on ressent peut-être moins le lien qui uni l'homme et son embarcation, il reste une douce ode au voyage doublée d'une expérience audiovisuelle impeccable qui nous transporte dans un monde passionnément intriguant.