TEST
Cloudpunk
par billou95,
email @billou_95
Marko Dieckmann a la tête dans les nuages depuis bien longtemps. Au début des années 2000, il tente l'aventure du MMORPG futuriste avec Face of Mankind qui sera annulé en cours de beta puis relancé plusieurs fois par une succession d'éditeurs de seconde zone avant de décéder à l'automne 2015. Ca n'entache pourtant pas la motivation du développeur allemand, celle de faire son Blade Runner à lui, une cité tout en verticalité où se côtoieraient toutes les strates d'une civilisation structurée autour de ces gigantesques tours, le tout balayé par des averses sans fin.
Ce doux rêve prend enfin forme avec Cloudpunk, un titre qui n'a plus grand-chose à voir avec le monde ouvert imaginé en 2001. Pour pouvoir produire quelque chose dans des délais raisonnables avec un budget raisonné, le programmeur a décidé de partir sur la voie du jeu d'aventure hautement narratif. Ainsi, le titre narre les tribulations de Rania, une jeune femme exilée par la force des choses et des corporations dans la ville qui ne dort jamais de Nivalis.Fraichement débarquée, elle va se trouver un job alimentaire dans l'une des sociétés de livraisons clandestines de la cité peu regardantes sur le CV des candidats : Cloudpunk. Le descriptif du poste est limpide : transbahuter des paquets d'un point A à un point B en un temps record sans jamais poser de question sur leur contenu. Accompagnée par la conscience de son défunt toutou Camus qu'elle équipe sur son HOVA, le Peugeot Partner du turfu (honnêtement, on pourrait plus le comparer au Multipla tant le design douteux de cette gamme d'utilitaires nous donne la migraine), la voilà partie dans une première nuit de travail haute en couleur.
One Night Call
Sous la dénomination de 14FC, l'énigmatique nom de code de chauffeur attribué par le non moins énigmatique régulateur de trafic Contrôle, elle va non seulement livrer des paquets des bas-fonds aux plus hautes sphères corrompues de Nivalis, mais aussi rencontrer une foule de gens qui ont tous quelque chose à dire, à la manière d'un Night Call. Avant même de commencer à parler du gameplay ou des interactions avec tout ce monde, ce qui frappe tout d'abord le joueur c'est la beauté et la relative vie qui s'échappe de Nivalis. Découpée en quartiers facilement reconnaissables les uns des autres et interconnectés par des tunnels, la ville sortie de l'imaginaire de Dieckmann reprend les codes établis par Philip K. Dick et mis en image par Ridley Scott ou encore Le Cinquième Element de Luc Besson.Des monolithes imbriqués les uns dans les autres, des fenêtres à foison qui laissent deviner une fourmilière d'humains et d'androïdes vivant empilés les uns sur les autres. Une épaisse couche de nuages pour tout ciel, un smog persistent en guise de plancher des vaches, de gigantesques panneaux LEDs, et une pluie battante donnent le ton d'une ville dont on tombe immédiatement amoureux.
Entre les immeubles, les mouvements incessants de véhicules volants organisés sur des routes et autoroutes contribuent à rendre vivant cet ogre de béton. Le look du jeu est d'autant plus frappant qu'il est animé par d'innombrables voxels. C'est indéniablement l'atout charme de Cloupunk rehaussé par une bande-son synthwave planante composée par Harry Critchley (qu'on retrouvera bientôt sur Bullet Ville) parfaitement dans le ton des longues sessions de vol en microgravité à travers la ville. Bref, le jeu sait nous mettre dans le bain et on a qu'une hâte, commencer notre aventure. Seulement, si le studio s'est donné du mal pour dépeindre une capitale futuristique détaillée et foisonnante, il a énormémement de mal à nous la raconter. Déjà, le jeu démarre sans aucune séquence d'introduction, on se retrouve dans les pattes de Rania sans qu'on nous explique d'où elle vient et pourquoi elle nous parle avec regret de sa vie d'avant, des debt corpos qui l'ont exproprié. Tout juste comprend-on qu'elle a dû revendre le corps de son chien pour payer ses dettes. Pas facile de se glisser dans la peau d'un personnage au passé si mal présenté.
Draft Punk
Ensuite, si Cloudpunk se réclame du jeu d'aventure narratif (à l'exception d'une ou deux livraisons chronométrées), il s'y prend relativement mal. Durant la dizaine d'heures qui attend le joueur, on ne comptera plus les dialogues soporifiques autour d'un sujet ou d'un autre. Et lorsqu'un petit effort est fait sur la qualité d'écriture, il en ressort au mieux des conservations passables. Seuls quelques personnages sortent vraiment du lot : Contrôle, le détective privé androïde Huxley qui parle à la troisième personne comme les héros caractéristiques du genre Private eye novel, ou encore quelques psychés références à la littérature SF (la corporation d'androïdes qui s'appellent tous Anderson et s'imaginent êtres de chair et de sang).Mais dans la grande majorité, l'écriture des personnages les plus atypiques tourne rapidement en rond, se contentant de décalquer des stéréotypes déjà vus ou lus ailleurs : l'androïde naïf qu'on emmène vers une vie d'exploitation, les géants pharmaceutiques qui sacrifient les humains pour le profit, le hacker surpuissant, la course folle des humains vers les étages les plus hauts de la ville, etc.
Le casting voix va de pair avec les entités rencontrées. Exception faite de Contrôle et Huxley, le reste est au mieux correct, mais va parfois jusqu'à l'insupportable (Pashta, le trip canin de Camus rigolo cinq minutes, mais relou passées les 5 heures de jeu). On passera sur la métahistoire téléphonée autour de CORA, une IA sentiente qui surveille la ville... qui laisse entrevoir la fin du jeu après notre première conversation. Idem pour les choix et conséquences illusoires qui offriront juste une ligne de dialogue différente quelques heures plus tard ou lors du grand final.
Par contre on s'arrête sur le désagréable modèle de conduite qui occasionne des chocs continuels avec les murs, les immeubles ou les autres véhicules contrôlé par IA qui ne fait aucun effort pour nous éviter, alors qu'on doit conjuguer avec ses décélérations inexpliquées. Les balades lourdingues n'ont donc que peu d'intérêt à part justifier ces blablas interminables et insipides. Passés les déboires pour s'arrimer sur une plateforme parking, on découvre une marche à pied fastidieuse, la faute à des soucis de perspective imposée qui font que l'on reste souvent bloqué dans le décor.
Cloudpunk emprunte à tout ce qui s'est vu et lu de science-fiction sur les 70 dernières années pour au final ne jamais se construire une identité propre, la faute à une mise en scène fastidieuse et des dialogues à l'écriture assez pauvre. On pourrait presque se consoler devant les néons de Nivalis, la seule réussite du jeu qui de loin donnerait presque envie de s'y perdre. Mais on est rapidement rattrapés par le piètre modèle de conduite qui nous sort beaucoup trop vite du pseudo-trip cyberpunk.