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Biomutant

Rozzo par Rozzo,  email
 
Lorsqu’on suit notre industrie avec un œil un minimum attentif, on finit par avoir, avec le temps, l’expérience et l’erreur, un petit « radar-à-pipeau ». Si si, vous savez, le genre de mécanisme mental qui fait « gling-gling » lorsqu’on se rend compte, au milieu d’une vidéo ou d’une présentation, que y’a comme qui dirait un petit truc qui cloche… Dire qu’on ne voyait pas le pétard mouillé arriver avec Biomutant serait un mensonge. Pourtant, on lui a laissé le bénéfice du doute et on a ouvert la porte de nos espérances.
Il faut dire qu’entre son annonce en 2017 (!) et sa sortie cette semaine, le projet s’était fait au mieux discret, au pire un poil flippant. Malgré tout, dire que Biomutant s’est fait attendre serait un peu galvaudé. Tout au plus, la curiosité qu’a suscitée le projet de Experiment 101 s’est assez vite fanée. En 2017, les deux jeux les plus importants de la décennie (en toute objectivité évidemment) que sont Disco Elysium et Outer Wilds n’étaient pas encore là, Factor n’avait pas encore été vilipendé par certains lobbys et CBL n’avait pas encore acheté sa troisième Tesla. Les temps changent et les attentes qu’on aurait pu avoir en 2017-2018 ne sont plus les mêmes qu’en 2022. 



Biomutant, avant d’être un nom de série Z, c’est avant tout un univers vendu comme « post-post-apocalyptique » par ses développeurs. Dans un futur fort fort lointain, nous autres idiots d’humains n’avons rien trouvé de mieux à faire que de scier la branche sur laquelle nous étions assis (toute ressemblance avec la situation actuelle est purement fortuite). Notre capacité a polluer dans des proportions démentielles s’est malheureusement retournée contre nous, et des cendres de notre civilisation disparue ont éclos de nouvelles formes de vies modifiées. Ces espèces dont vous faites partie donc, ont peu à peu évolué, appris le langage, le kung-fu, la mécanique, et semblent bien décidées à ne pas reproduire nos erreurs (à une ou deux guerres claniques près, on ne se refait pas !). 

Vous êtes l’un d’entre eux, et vous allez pouvoir progresser dans un monde ouvert, influencer l’avenir de celui-ci, le tout dans un jeu à la troisième personne qui alterne entre exploration, combat, et… beaucoup, beaucoup trop d’autres choses. Si sur le papier, ce postulat classique possède de solides arguments pour lui, il va très très vite se vautrer dans les grandes largeurs et nous laisser de marbre. 

Narration post-apocalyptique 

La faute au Narrateur, sorte de voix qui sait tout, commente tout, et ne parvient jamais à stopper sa logorrhée. Imaginez le narrateur de Bastion, mais mal fichu. Comme si Experiment 101 avait en horreur le silence et la contemplation, chacune de vos actions sera commentée, chacun des lieux que vous aller explorer vous sera expliqué, chaque dialogue sera doublé. Ad nauseam. 

À peine le temps de comprendre que cette voix omnisciente et omnichiante sera toujours là, que le jeu vous introduit à son système d’alignement. À vous de choisir entre la Lumière et les Ténèbres. Sorte de compas moral pour notre personnage, on revient ici à un dispositif encore plus manichéen que ne l’était celui de Fable. Ici, les dilemmes se limitent à : « Allez-vous être une grosse enflure ou un envoyé des dieux de la génétique ? ». 



La découverte du système de combat se fait également dans la douleur. Notre rongeur se voit affublé, en fonction de la classe qu’on lui a choisie, de quelques compétences qu’il va pouvoir faire évoluer au fur et à mesure de l’aventure. Entre notre capacité à aller frapper au corps-à-corps, notre petit pistolet qui tire de belles salves et nos pouvoirs psychiques, on se dit qu’on va avoir de quoi s’amuser. C’était sans compter sur la mollesse de l’ensemble : nos coups ne semblent jamais porter, leur impact est inexistant et le jeu se vautre là où un titre comme Darksiders parvenait à être brillant.

Trop de tout

Darksiders, c’est un parallèle qui peut sembler étrange, mais pourtant, c’est le maître étalon qui nous est revenu sans cesse à l’esprit manette en main. Le jeu phare de Vigil Games avait eu aussi cette démarche un peu fourre-tout, cette ambition d’utiliser une structure très Zelda-esque, son système de combat audacieux inspiré de Devil May Cry, ses phases de plateforme exigeantes, etc. 

Biomutant lui aussi est allé chercher du côté du Zelda… Breath of The Wild. Votre objectif sera de sauver l’arbre de vie en vainquant 4 giga-monstres disséminés sur une carte où vous êtes libre d’aller, de naviguer à pied, à dos de chioval, ou même en mécha. Experiment 101 semble vouloir manger à tous les râteliers, au risque de se casser les dents.

Si le design des rongeurs et de leurs adversaires est vraiment chouette, une fois de plus les limites dans l’ambition du titre se font ressentir. Le monde de Biomutant est vaste, possède plusieurs biomes, mais sans jamais se dégoter une identité propre. Beaucoup d’endroits se répètent ou manquent de points de vue clairs pour s’y repérer. Certains paysages parviennent à « cliquer » et offrent de jolies vistas, mais ils ne suffisent pas à briser une certaine monotonie. 

Cette volonté d’être partout et de tout faire est symptomatique du jeu. On va essayer d’en lister la plupart pour saisir l’ampleur de la tâche qui incombait à un studio de seulement 20 personnes. 
En plus de son dispositif de progression de personnage par le biais d’expérience, de points psi et autres ressources, il propose un système d’artisanat poussé, mais confus nous permettant de forger nos propres armes et pièces d’armures. Toute la quête principale est saupoudrée d’une guerre des clans que le joueur peut rejoindre et qui incite à la conquête de territoires ennemis pour faire progresser des ethnies qui tantôt veulent protéger la lumière, tantôt tuer l’arbre de vie. Fiou ! A trop voir s’empiler les features et autres artifices, on en ressort exsangue, avec un jeu qui n’a jamais trouvé une direction forte à assumer et à polir.

 
À trop partir dans toutes les directions, Biomutant rate malheureusement tous les virages qu’il entreprend et devient un cas d’école. Comme si THQ avait présenté à Experiment 101 une offre qu’ils ne pourraient refuser, c’est tout le scope du projet qui semble complètement aux fraises et la lucidité des deux parties aux abonnés absente. 
Si on ne peut s’empêcher d’avoir beaucoup respect devant la masse de travail abattu par une si petite équipe, on ne peut que se désoler d’une politique tarifaire excessive au vu de ce que le jeu propose : 70 € pour un jeu de cette qualité, c’est un hold-up.
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