Sur Factornews j'écris sous le pseudo CBL mais dans la vraie vie j'habite depuis bientôt 7 ans à Los Angeles et je bosse dans une boite de marketing interactif. Il s'en est passé des choses en sept ans mais grosso modo je suis devenu un barbu-tatoué-végétalien-vapoteur détenteur d'une carte verte. Mais plutôt que de s'attarder sur ma vie privée, je veux tenter d'expliquer comment travailler légalement aux Etats-Unis et y rester. Cet article est fondé sur mon expérience personnelle ainsi que sur celles d'amis qui ont fait la même expérience. Il a été écrit avant l'élection de Trump donc certaines choses risquent de changer notamment au niveau du visa H-1B.
J'insiste sur l'aspect "légalement". Aucune entreprise américaine ne vous embauchera illégalement - sous entendu sans visa de travail - mis à part si vous souhaitez tondre des pelouses ou travailler dans le bâtiment. Donc il va falloir obtenir un visa. Il en existe grosso modo trois types : les visas résidents (alias la carte verte), les visas temporaires (H, L, J, O) et les visas investisseurs. Tout cela peut sembler compliqué et c'est exactement le cas. N'entamez pas de procédures légales sans consulter un avocat ou vous allez échouer. Généralement c'est le futur employeur qui paye pour l'avocat et les frais de dossier. A noter que si vous obtenez un visa, votre conjoint(e) et vos enfants en obtiennent aussi un automatiquement et le mariage gay est reconnu aux US. Le concubinage est aussi reconnu mais c’est plus compliqué. De nombreux couples se marient juste pour que monsieur ou madame reçoive le visa.
Commençons par les visas temporaires. Les visa O-1 et O-2 sont réservés aux gens ayant un talent particulier : scientifiques, sportifs, artistes, acteurs... Il va falloir prouver que vous rentrez dans cette catégorie et qu'une entreprise aux US veut vous employer. Si vous êtes un artiste par exemple, il vous faut un portfolio bien fourni et un nom dans le métier. Il fut un temps où on pouvait bidonner en créant des fausses coupures de presse et en photoshoppant le travail des autres mais l'USCIS (United States Citizenship and Immigration Services, l'agence en charge de la paperasse pour l'immigration) utilise désormais Internet pour vérifier que vous êtes un artiste reconnu. Par exemple si vous souhaitez bosser dans l'animation, il faut sortir d'une école béton (au hasard Les Gobelins) et avoir votre nom au générique de films (longs ou courts) et/ou de séries. Une fois le visa O obtenu, vous pouvez travailler aux Etats-Unis mais uniquement dans votre domaine. Votre conjoint(e) n'a pas le droit de travailler.
Le visa J-1 est un visa un peu fourre-tout qui regroupe aussi bien les chercheurs en post-doc, les stagiaires, les profs, les jeunes filles au pair et les VIE. Dans tous les cas, la procédure est la même : il faut tout d'abord trouver un post-doc/employeur puis remplir quelques papiers. C'est un visa assez simple à obtenir et c'est probablement le seul où vous pouvez vous passer d'un avocat. Votre conjoint(e) aura le droit de travailler. Vous ne paierez pas d'impôts ! Selon le type de boulot que vous faites, vous pourrez rester jusqu'à trois ans aux Etats-Unis avec un visa J-1. Ceux qui souhaitent rester basculent sur un visa H-1B voir sur une carte verte. Comptez $400 de frais de dossier.
Le visa H-1B est celui que je connais le mieux vu que je suis resté six ans sous ce régime. Les grosses boites d'informatique comme Microsoft ou Google embauchent chaque année des milliers de nouveaux ingénieurs avec ce visa et ils viennent principalement d'Inde et de Chine mais on trouve pas mal de Français dans le lot. Pour l’obtenir, il vous faut trouver un employeur et ce dernier doit prouver que vous avez des qualifications vaguement spéciales et que vous serez payé au minimum au dessus d’un salaire défini par le gouvernement américain. Mais ce n’est pas tout. L’USCIS ne délivre que 65 000 nouveaux visas H1B par an. Les demandes sont analysées à partir d’avril donc votre dossier doit être prêt avant avril. Si l’USCIS reçoit plus de 65 000 demandes, un tirage au sort est effectué. Une fois que 65 000 visas sont validés, il faut attendre un an. Comptez environ $3000 de frais de dossier plus $1000 pour demander une procédure accélérée plus $1000 de frais d’avocat. Un visa H-1B est valable trois ans et est renouvelable. Vous pouvez le renouveler dans la même entreprise ou trouver un nouvel employeur. Vous n’êtes pas soumis à la limite des 65 000 pour un renouvellement ou un changement d’employeur mais il faut se retaper toute la paperasse et les frais. En tout, vous pouvez rester jusqu’à 6 ans sous le régime H-1B. Votre conjoint(e) n'a pas le droit de travailler.
Le visa L est réservé aux multinationales qui ont à la fois des bureaux aux Etats-Unis et à l’étranger, dans notre cas en France. Pour commencer, il faut donc bosser dans la branche française de l’entreprise pendant au moins un an. Puis il faut faire un dossier expliquant que vous êtes indispensable à la branche américaine. Il y a deux types de L : L-1A pour les chefs et L-1B pour les employées ayant des qualifications uniques. Pour prouver que vous êtes unique, les avocats ont l’habitude de gonfler un peu l’intitulé du poste et les pré-requis du genre “je code en COBOL” ou “tous les ingénieurs sont sourds et je connais le langage des signes”. Vous pouvez rester jusqu’à 7 ans avec un L-1A et 5 ans avec un L-1B. Les frais sont les mêmes que pour un H-1B. Votre conjoint(e) aura le droit de travailler.
Pour le visa investisseur (visa E-2), c’est simple : il vous “suffit” d’avoir un avocat et une montagne de blé. Le but est de prouver que vous allez créer une entreprise aux US et que vous avez assez d’argent pour survivre et payer vos employés ainsi que vous-même. En principe, un capital de $75 000 suffit mais en réalité comptez au minimum $150 000. Le visa E-2 est valable deux ans et est renouvelable un nombre infini de fois à condition que votre entreprise existe encore. Si vous investissez au moins $500 000 et que vous fournissez un travail à temps plein à au moins 10 personnes, vous pouvez prétendre à une carte verte. Avec un E-2, votre conjoint(e) aura le droit de travailler.
Une fois que vous avez obtenu votre visa, il faut aller le faire tamponner sur votre passeport. Il va falloir envoyer un mandat cash puis vous rendre au consulat américain à Paris avec un passeport biométrique valide et une enveloppe recommandée pré-remplie. Une fois sur place, vous allez remplir encore un peu de paperasse et répondre à des questions en anglais. Ils vont garder votre passeport, imprimer dessus le précieux sésame et vous le renvoyer par la poste. Vous pouvez maintenant faire une fête d’adieu et vous envoler vers les US. Sur place, vous allez passer par la douane. Ils vont vérifier votre visa et vous poser quelques questions basiques comme “qu’est-ce que vous venez faire ici ?” et “Pour qui vous travaillez ?”. Une fois aux US, évitez de déconner. Si vous commettez un crime, vous pouvez perdre votre visa (carte verte incluse) et être déporté. Conduire sous l’influence de drogue ou d’alcool est considéré comme un crime alors ne soyez pas cons et prenez un Uber/Lyft.
Le visa ultime est le visa résident ou carte verte. Vous devenez officiellement un immigrant. Il donne à vous et votre conjoint(e) globalement les mêmes droits que les Américains sans les devoirs (voter et jury). Vous pouvez entrer et sortir du territoire, trouver un boulot sans la moindre contrainte, faire venir vos parents et il est valable à vie à condition de passer au moins six mois par an sur le territoire américain et de ne pas commettre de crime. Après 5 ans de visa résident (3 si vous l’avez obtenu via un mariage), vous pouvez devenir citoyen Américain. Il est surnommé carte verte car on vous file une carte verte avec bande magnétique qui contient vos infos et que vous faites glisser dans une machine à la douane. Il y a plusieurs moyens d’en obtenir une. On a déjà évoqué celle pour les investisseurs donc étudions les autres.
Si vous trouvez l’amour de votre vie ou quelqu’un prétendant l’être, se marier avec permet d’obtenir une carte verte. Évidemment l’immigration va avoir quelques soupçons donc il va falloir prouver que ce n’est pas un mariage blanc. Vous devrez remplir un dossier et avoir un entretien avec un agent de l’immigration. Des photos de vacances et une sex tape sont un bon début mais il faut surtout prouver que vous vivez ensemble : noms sur le bail, factures, compte joint… Ne faites pas les cons et prenez un avocat. Non seulement il prendra en charge la paperasse mais il vous expliquera aussi quoi dire et quoi donner comme papiers.
Vous pouvez aussi compter sur la chance. Chaque année le gouvernement américain file 55 000 cartes vertes lors d’une loterie. L’inscription se fait en octobre et le tirage au sort a lieu en mai. L’inscription est gratuite : il vous faut juste une photo aux normes et posséder le bac. Il n’est pas nécessaire de passer par un avocat sauf si vous voulez être sûr que votre photo est bien aux normes et/ou que vous avez peur d’oublier de jouer chaque année.
Une autre manière d’obtenir une carte verte est d’être quelqu’un d’exceptionnel un peu comme le visa O. Les athlètes de très haut niveau, les acteurs mondialement célèbres et les chercheurs de renom peuvent y prétendre. Pour les chercheurs, il vous faut avoir un doctorat dans un domaine porteur (réchauffement climatique, analyse d’image, intelligence artificielle…), un ou deux post-doc et des publications dans des revues scientifiques connues. Les prix académiques aident beaucoup.
Enfin si comme dans mon cas le mariage n’est pas une option et que vous n’êtes ni chanceux ni exceptionnel, votre dernière chance est de trouver un employeur qui accepte de vous sponsoriser. C’est le processus le plus long, le plus difficile et le plus cher de tous. Comptez au minimum un an et 20 000 dollars. La première étape est de convaincre ses patrons que vous valez l’investissement. C’est un pari risqué pour les employeurs car une fois que vous avez la carte verte, vous pouvez vous barrer à tout moment. Les grosses boites type Google ou Disney sont plus enclins à filer des cartes vertes mais les listes d’attente sont souvent longues.
Mettons que vous ayez trouvé un employeur acceptant de se lancer dans l’aventure. Il faut ensuite prouver que l’entreprise ne peut pas trouver d’Américain pour faire votre boulot. Pour cela, l’entreprise doit poster une offre d’emploi pour votre boulot à l’agence du travail local, dans plusieurs journaux et dans les locaux de l’entreprise. Si après 30 jours personne n’a répondu ou que les candidats ne correspondent pas au poste, vous êtes bons. Alors comment être sûr que cela arrive ? Il y a plusieurs techniques.
L’un d’entre elle consiste à créer un bureau fictif dans un trou paumé et annoncer que le poste est basé là-bas. Une autre consiste à gonfler l’intitulé de poste en insistant sur le fait qu’il faut savoir parler français et maîtriser le protocole TUIO. Les avocats sont payés pour embellir la réalité donc ils savent faire cela très bien et font gaffe à ce que le bobard ne soit pas trop gros. Après il faut compiler le tout et constituer un dossier destiné au Department Of Labor (DOL) afin d’obtenir le PERM. C’est l’étape la plus importante. Le DOL va vérifier que l’entreprise a bien respecté les règles de concurrence avec les Américains, que le boulot n’est pas fictif, qu’il est payé correctement, que l’entreprise est viable… La procédure prend environ six mois sauf en cas d’audit. Dans ce cas comptez, jusqu’à un an de plus.
Le PERM obtenu, vous pouvez enfin remplir le formulaire I-140 pour obtenir la carte verte. A ce stade, vous êtes quasi sûr d’obtenir la carte verte. C’est une question de temps et de paperasse à remplir. Il faudra aussi filer vos empreintes digitales afin que le gouvernement vérifie que vous n’êtes pas fiché quelque part dans le monde. Une fois que l’USCIS a accusé réception de l’I-140, il n’y a plus qu’à attendre. Les délais sont très variables. Dans mon cas cela a pris 4 mois mais j’ai entendu parler de deux ans. Si vous êtes en visa H-1B, il sera renouvelé indéfiniment (même au delà des six ans) jusqu’à l’obtention de la carte verte.
Au final, la seule question qui reste est “comment trouver un boulot aux US ?”. Il faut avoir un CV à jour et traduit en anglais ainsi qu’un profil Linkedin bien rempli. N’indiquez sur votre CV ni votre âge, ni votre date de naissance, ni votre sexe, ni votre situation maritale. Juste votre adresse postale, votre adresse email et votre numéro de téléphone. Votre CV doit tenir en deux pages. Virez la partie sur vos passe-temps et mettez plutôt le paquet sur vos projets. Les entretiens se feront principalement par Skype/FaceTime/Google Hangout donc assurez vous que tout cela fonctionne correctement et qu’on vous voit bien. Il va falloir parler anglais. Si votre accent est pourri, n’essayez pas de prendre un bon accent. Ce sera encore pire. Mis à part si vous postulez pour être prof, on ne cherche pas à évaluer votre niveau d’anglais mais votre capacité à soutenir une conversation. Faites des phrases courtes et utilisez des temps simples. Soyez toujours poli, courtois et enthousiaste.
Si vous postulez pour un boulot de développeur, il y aura un entretien technique et probablement un test de code. Chez Google, il se fait en direct. D’autres boîtes vous donnent quelques jours pour le remplir. Chez Naughty Dog, on commence direct avec un test de math. Dans tous les cas, vous serez prévenu avant et vous aurez le temps de réviser. Les Américains apprécient bien plus l’expérience que les diplômes surtout pour les étrangers : mis à part pour quelques grandes écoles (et encore), il y a peu de chance pour que le recruteur ait entendu parler de votre école. Il est par contre important de connaître vos équivalences. Un DUT ou une licence est un Bachelor’s degree tandis qu’un diplôme d’ingénieur ou un master est un Master’s degree. Les scientifiques ont donc un BS (Bachelor of Science) ou un MS (Master of Science). Les docteurs ont un PhD et les docteurs en médecine ont un MD. Si vous êtes développeur, ne dites pas que vous avez un diplôme en IT (Information Technology) mais en Computer Science.
On va aussi vous demander vos références. Cela consiste à filer le nom/prénom/téléphone/email de vos précédents patrons (ceux qui vous aiment bien). Prévenez les à l’avance car ils vont être contactés et leur opinion est importante. Soyez aussi honnêtes sur votre situation et expliquez à l’employeur qu’il doit vous sponsoriser pour un visa. A l’inverse, fuyez les employeurs qui vous proposent de venir sans visa en vous promettant d’en obtenir un plus tard. Voici quelques sites web à consulter pour trouver du boulot :
Et n’oubliez pas : le pistonnage est un sport international. Si quelqu’un sur place peut passer le bon mot pour vous ou juste s’assurer que votre CV a été bien reçu, c’est tout bon pour vous. Cette personne ne le fera pas que par gaité de coeur : il est commun aux US de filer un petit bonus (entre $100 et $200) à un employé qui a recommandé un pote qui a été embauché.
Mais au fond la vraie question est de savoir si vous êtes prêt pour ce genre d'expérience. Vivre aux US signifie dire adieu à vos amis, à votre famille, à vos collègues, à votre langue maternelle, à vos habitudes et même à vous-même. Votre "vous" Français restera en France et un nouveau "vous" Américain se constituera petit à petit.