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L’histoire derrière Mother Russia Bleeds
par K.Mizol,
email @Super_Slip_Man
Niveau VI : Los Angeles
Après un nouveau passage aux Retro Gaming Days d’Evreux pour l’itération 2015, avec une place cette fois plus importante, toujours plus de gens venus tester des pans jusqu’ici inédits du jeu, une foule d’avis à prendre en compte et une amitié devenue solide avec les organisateurs, vient le très important mois de Juin 2015. Fred, Alex, Flo et Slo sont dans l’avion direction Los Angeles, aux frais de la princesse. Ils y sont attendus par Devolver et ne chômeront pas puisqu’il va s’agir de présenter à l’E3 leur titre en version jouable aux journalistes du monde entier avec en retour une exposition, par définition, mondiale. Mother Russia Bleeds fait dorénavant partie intégrante des projets du label, avec toute la mise en avant et la pression que çela implique. Pour être fin prêts, l’équipe a dû une fois de plus bosser très dur les quelques petits mois précédents, comme l’explique Frédéric : « Devolver nous ont proposé que notre démo se concentre principalement sur le niveau du club. C'est le niveau le mieux équilibré, le moins buggé, mais aussi sûrement celui qui ferait le plus parler de lui niveau presse. (Comme quoi on avait bien vu en débutant la prod’ du jeu par ce niveau (qui arrive au milieu de l'histoire je le rappelle)). Du coup, on a souhaité ajouter du contenu pour rajouter tout le côté "psychédélique" qu'on aura dans le jeu final. Il a fallu améliorer l’interface utilisateur aussi, et bien évidemment fixer plein de nouveaux bugs. En parallèle à ça, Devolver nous a mis à contribution pour capturer des séquences de jeu avec des recommandations très précises, pour qu'ils puissent faire deux trailers. Un premier pour la conférence de Sony dont l'idée était d'entremêler 4 jeux au sein d'un même trailer (EITR, Crossing Souls, Ronin et le nôtre), et un deuxième entièrement consacré à MRB. Déjà ça a fait un sacré effet de voir ces trailers avant leur diffusion. Voir le logo « Le Cartel » se faire suivre par celui de Devolver, ça fait quelque chose... Sans parler du très bon boulot fait par le monteur bossant chez eux. »Malgré la préparation, il leur a fallu un moment avant de comprendre réellement qu’ils allaient montrer leur travail au salon du jeu vidéo le plus important de l’industrie. Alex amorce : « […] me concernant, jusqu'au moment où on était dans l'avion je ne réalisais pas ce qui était en train de se passer. Il faut bien remettre les choses dans le contexte : ça faisait un an et demi que nous bossions dans nos piaules, dans l'obscurité (je dois baisser les volets quand il y a trop de soleil pour pouvoir bosser...). Et le relatif succès que nous avons eu sur le net restait quelque chose de très abstrait, tout ça ne se passait que sur nos écrans. Et nous voilà dans un avion pour Los Angeles, tous frais payés... C'était déjà dur à assimiler. » et Flo enchaîne : « Passer des Rétro Gaming Days d’Evreux à l'E3 de Los Angeles, le bond en avant fut plutôt spectaculaire ! J'ai l'habitude de suivre l'E3 tous les ans, mais là se dire que j'y serai c'était plutôt inimaginable. » Arrivés à l’aéroport, un taxi les attendait pour les amener jusqu’à un manoir que loue chaque année Devolver pour toutes leurs équipes. Une « grosse baraque vintage » avec piscine devant laquelle les membres de l’éditeur mais aussi les développeurs de tous les studios affiliés présents pour l’événement les accueillent en sirotant tranquillement l’apéro. Des vacances. Alex s’approche « […] je dis bonjour à... Dennis Wedin. Bon. Puis je fais connaissances avec les dév d'EITR, de Crossing Souls, de Shadow Warrior, du staff Devolver etc... Après les 10h de vol et le jet-lag, c'était vraiment un moment étrange, mais ça promettait ! » Flo surenchérit : « Les mecs de Devolver sont vraiment sympas, ils nous ont accueilli comme des collègues, non pas comme des "clients", ce fut vraiment plaisant de se la couler douce avec eux. »
Cette ambiance chaleureuse toute particulière avec les membres de l’éditeur et les développeurs des autres studios, tous issus de pays différents, cette unité, fera dire à Alex « C'est une famille. Il y a le papa, le tonton cool, la cousine un peu tarée... Tu en oublies complètement le contexte professionnel. Ils sont hyper détendus, nous rassurent tout le temps, nous encouragent... C'est vraiment idéal, je ne pouvais imaginer mieux. » Fred nous raconte même que d’anciens développeurs de l’écurie Devolver (qui n’avaient pas de projets à présenter lors de l’E3) étaient sur place juste pour passer du temps avec eux et faire plus ample connaissance. Chacun tissera donc des liens plus ou moins importants avec les nouveaux membres de sa famille, Alex accrochera particulièrement avec John Ribbins de Roll7 (Olli Olli, Not a Hero) et toute l'équipe de Fourattic (Crossing Souls), Flo avec Tobi Harper de Eneme Entertainment (EITR) avec qui il s’est retrouvé niveau personnalité etc. Mais bien évidemment, Dennis Wedin aura une place toute particulière pour toute l’équipe du Cartel. On pourrait le qualifier de parrain de Mother Russia Bleeds tant il fut important pour l’intégration du jeu au sein de Devolver et tant il s’impliqua dans la supervision de son développement. Fred, Flo, Alex et Slo n’ont tous que du respect et de l’amitié pour le Suédois dont la personnalité enjouée et rigolarde les a en plus tout de suite mis en confiance. « […] je me rappelle que même totalement bourré pendant une de nos soirées à L.A, dans un bus magique où tout le monde a fini complétement déchiré pendant que M.O.O.N de Hotline Miami nous servait à boire, il venait nous parler du jeu pour nous demander de retester, et nous aider en donnant son avis à nouveau. » conclut Slo.
Après la fameuse conférence pré-E3 de Sony dans laquelle Mother Russia Bleeds apparaissait pour la première fois aux côtés du logo Devolver dans le fameux trailer (et pour la première fois tout court pour bon nombre de journalistes et de joueurs du monde entier, rappelons que les conférences E3 sont diffusées sur le net en direct et suivies partout à travers la planète gamers), la team a commencé à comprendre ce dans quoi elle était embarquée, perchée derrière les mégas vidéoprojecteurs de la conférence. D’autant que cette année-là, Sony a officié une conférence historique dans laquelle le remake de Final Fantasy VII, Shenmue 3 et The Last Guardian ont été annoncés ou confirmés officiellement, des jeux que la Terre entière attend depuis des années. Mother Russia Bleeds était au milieu de tout ça, à la vue de tous. Une forte émotion pour Fred, Flo, Alex et Slo. La retombée médiatique sur internet fut immédiate et le recul sur tout ça essentiel. Fred a par exemple préféré se couper un peu du net histoire de s’enlever un peu de pression.
A l’ouverture du salon, c’est le moment de vérité qui a commencé. Les journalistes du monde entier ont eu accès à leur jeu. Ce qui représente une couverture médiatique encore plus gigantesque à travers la planète : les sites, les magazines, les chaînes vidéo internet, les chaînes de TV, on allait parler de Mother Russia Bleeds dans toutes les langues. D’autant que le stand de Devolver est très apprécié des professionnels des médias jeu vidéo puisqu’il est loin de la cohue habituelle. Ayant personnellement couvert le salon en tant que journaliste, c’est particulièrement usant. Du petit matin jusqu’au soir, on marche dans des allées interminables recouvertes d’une moquette épaisse et molle dans laquelle on s’enfonce bien trop, les décibels atteignent un volume qu’on aimerait ne jamais avoir eu à subir, on court de rendez-vous en rendez-vous où les éditeurs et développeurs balancent leur speech parfois de façon très robotique et on a des tonnes de papiers à écrire dans des délais inhumains (sans parler des fêtes qui durent toute la nuit mais qui restent non obligatoires bien entendu…). On finit complètement rincé en seulement trois jours. Depuis quelques années, sur le salon, le moment le plus reposant et le plus convivial a lieu sur le parking de l’E3. Là où Devolver Digital s’est installé dans une sorte de campement bien à eux, au calme, avec en point central un énorme barbecue/bière gratuit. Autour, tout un tas de camping-cars, chacun d’entre eux étant dédié à un de leurs jeux, avec sa propre équipe de développement dedans et une version jouable de leur titre. Le Cartel avait donc son véhicule Mother Russia Bleeds et Fred, Alex, Flo et Slo se le sont approprié en groupe de deux. Devant l’étroitesse de la roulotte et la fatigue proposée par le rythme effréné des représentations, l’organisation par roulement était essentielle. D’autant que bien évidemment, les présentations sur les stands des gros médias pour des streams en direct et autres interviews étaient aussi de la partie en parallèle. La résistance à la pression et l’Anglais chevrotant de nos quatre amis ont été mis à rude épreuve. Heureusement, la famille Devolver était là pour les mettre en confiance. Salima et Pilou de Cosmocover présents pour les briefer sur chaque journaliste à venir et leurs caractères bien à eux. Et donc les journalistes eux-mêmes, d’une manière générale plutôt détendus et enjoués devant l’environnement proposé. A partir de ce moment, Le Cartel est passé à un autre statut en tant que développeur indépendant et a beaucoup appris humainement. Même avec un Anglais bredouillé devant des gens qui viennent découvrir leur jeu, même devant un média comme Gamespot.com et son stream à faire en Live, l’important c’est la spontanéité. C’est ce que souhaite Devolver qui ne donne jamais aucune recommandation avant les présentations de ses jeux par ses équipes. On s’en fout que tu aies un accent français pourri, on s’en fout si tu bégayes un peu parfois ou que tu sues de la raie, l’important c’est que les gens te voient et te comprennent comme tu es, que ça soit humain, qu’ils sachent qu’il y a de toi dans ton jeu. Le Cartel l’a appris sur le tas et s’en sert encore aujourd’hui. Jusqu’à la sortie du titre, le coverage médiatique sur le jeu a été quasi incessant, de rendez-vous en rendez-vous, de salons en salons, et tout a finalement été fait à l’instinct.
En tant que développeurs, l’E3 est une histoire de rencontres. Globalement, Mother Russia Bleeds a été très bien reçu et chacun garde au moins un souvenir particulier de ces sessions de présentations. Flo et Slo par exemple ont été presque émus de voir débarquer Marcus - mythique journaliste français de Game One qu’ils ont tous suivi étant gamins - dans leur camping-car et kiffer sur leur jeu. Fred se souvient quant à lui d’un cas particulier « un journaliste de "Angry Gamer", du genre cinquantenaire bien viril, blasé de venir à l'E3. Au début, il soupirait en pestant contre la chaleur, et tout ce monde à l'E3. En mode pilote automatique, je commence à lui faire la présentation du jeu, puis il me fait un signe de rejet de la main me signifiant qu'il en avait marre d'entendre des présentations, et qu'il voulait juste jouer. Du coup un peu vexé, je lui passe une manette, et on se lance dans une partie en duo en lui disant : "okay okay... allons y". Et là, c'est lui qui a commencé à parler en inondant de compliments le jeu. "Pourquoi te faire chier à me faire une présentation, le jeu parle de lui-même !". La partie terminée, il avait un gros sourire fixé sur le visage et il est allé même jusqu'à simuler un baise main pour la sortie de la caravane. Deux minutes après, il tweetait un truc super positif sur le jeu. » Il y a aussi eu un groupe de journalistes dont le nom restera dans l’oubli mais pas leur session de jeu. Fred et Alex en rigolent encore : « […] c'était incroyable. Ils se sont installés dans la caravane pour tester. L'un d'entre eux était particulièrement euphorique. Pour te dire, il nous avait déjà accostés à la sortie de la conf’ Sony pour nous dire à quel point il attendait notre jeu. Et le voilà sur le canapé avec ses potes, pour un playtest à 4 joueurs. Il y avait une telle énergie lors de ce test, et tellement de fous rires, qu'on s'est mis à filmer. Ce mec était à mourir de rire. Lors de ce test, le joueur qui incarnait Boris était techniquement moins bon, et est vite devenu l'objet de vannes telles que "I've been Borised again", ou "Let me beat the shit out of Boris", ou le fameux "God damn it Boris killed me again ! You guys should have called this character "GodamnitBoris". C'était l'un des meilleurs playtests qu'on ait vécu. On regrette d'avoir paumé leur contact d'ailleurs. » Alex garde aussi une certaine émotion de sa brève rencontre avec Phil Fish (créateur de Fez à la personnalité très marquée), tandis que Slo se rappelle de journalistes quarantenaires japonais hurler de joie comme des gamins, hilares, devant leur jeu. Un grand moment.
L’E3 made in Devolver c’est aussi beaucoup de fêtes incroyables et inénarrables. Le Cartel a voulu garder ces souvenirs plus ou moins inviolés en répondant en cœur que ce qui s’est passé à Los Angeles reste à Los Angeles…
De retour en France, la reprise du travail a été de courte durée puisque quelques semaines plus tard, en août, se déroulait un autre salon international incontournable du jeu vidéo, la Gamescom en Allemagne. Bien rôdé après la folie de l’E3, Le Cartel (cette fois sans Slo) était moins stressé, plus dans la maîtrise de ce qui allait se passer et comment ça allait se passer. La Gamescom est un salon encore plus immense mais qui se déroule dans une ambiance plus carrée, plus « professionnelle », pas de barbecue ni de roulottes. Ce fut également l’occasion de faire encore plus ample connaissance avec la famille Devolver et sa tripotée de développeurs partenaires internationaux, Cosmocover et le duo infernal Pilou (le calme) /Salima (la pile électrique) ou de garder en tête encore une fois quelques rencontres. Celle avec Force Rose (Sophie Krupa), une journaliste du magazine JV et du podcast ZQSD par exemple. Fan de Streets of Rage, elle a copieusement mangé son slot de rendez-vous d’une demie heure en restant jouer à Mother Russia Bleeds pendant au moins trois heures, au point d’expliquer comment on joue aux autres journalistes et de quasi faire la présentation du jeu elle-même. Alex se remémore des prix assez amusants, comme celui remis par pxlbbq.com (une bière artisanale), des rencontres très cools avec d’autres développeurs comme la bande de copains derrière le jeu Last Fight ou Michaël Peiffert du studio Mi-Clos. Mais aussi l’immense remue-ménage dans son entourage personnel qu’a provoqué son interview par Katharina de Zoomin.tv (média hollandais). Disons que la jeune femme plantureuse a enflammé le cœur des amis d’Alex… « Après tout ce qu'on a vécu, c'était la première fois que j'avais un tel engouement de la part de mes potes. Scandaleux. »