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Interviews Kifékoi [Les Designers et les Artistes] : Charlotte, Level Designer & David, Level Artist chez Arkane Studios

Plongez dans les coulisses du jeu vidéo avec notre série d'interviews de professionnels du milieu intitulée "Kifékoi?", révélant différents parcours, les compétences et les défis qui façonnent les différents métiers de cette industrie.
Vous n’y croyiez plus ? Quand y’en a plus, y’en a encore ! Cette fois-ci, on rencontre du beau monde de chez Arkane Studios, un studio situé à Lyon dont vous avez sûrement déjà entendu parler pour ses jeux comme Dishonored, Prey ou encore Deathloop. Leur prochain titre, Marvel’s Blade, en collaboration avec Marvel Games, est toujours en cours de développement. Aujourd’hui, je tends le micro à deux personnes en même temps, parce que chez Arkane, on aime bien faire bosser les designers et les artistes ensemble.
Vous n’y croyiez plus ? Quand y’en a plus, y’en a encore ! Cette fois-ci, on rencontre du beau monde de chez Arkane Studios, un studio situé à Lyon dont vous avez sûrement déjà entendu parler pour ses jeux comme Dishonored, Prey ou encore Deathloop. Leur prochain titre, Marvel’s Blade, en collaboration avec Marvel Games, est toujours en cours de développement. Aujourd’hui, je tends le micro à deux personnes en même temps, parce que chez Arkane, on aime bien faire bosser les designers et les artistes ensemble.

(Image: l'intérieur des locaux d'Arkane Lyon)
Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter en quelques lignes, de la manière dont vous le souhaitez ?
Charlotte : Je suis un gobelin avec un Google Sheet où je collectionne les éditeurs de niveaux de jeu. Mes étagères débordent de romans de SF et de plantes tropicales. J’ai grandi à la Réunion, plus souvent sous les pluies que sous le soleil tropical, et je ne sais toujours pas utiliser correctement un chauffage malgré bientôt quinze ans passés en Europe. Ça fait quelques années que je travaille dans le jeu vidéo et à côté de ça je passe mes week-ends dans des gymnases dès sept heures du matin à coacher et arbitrer du roller derby (un sport formidable, essayez).David : Je suis David, 53 ans, senior level artist à Arkane Lyon que j’ai intégré en 2014. J’ai commencé à travailler dans le jeu vidéo en 1999 en tant qu’infographiste 2D/3D. Pendant mes études de dessin, il nous a été rapidement inculqué qu’il fallait comprendre comment fonctionnaient les choses pour pouvoir les retranscrire. Cela a attisé ma (déjà bien présente) curiosité dans la vie et c’est quelque chose que je retrouve dans le métier de level artist car on doit toujours comprendre un lieu, une situation, un objet, faire des recherches avant de réaliser un niveau de jeu.
Quels sont vos métiers actuels et comment les décririez-vous à quelqu'un qui ne travaille pas dans le milieu ?
Charlotte : Je suis level designer à Arkane ! Mon rôle est de créer les espaces dans lesquels on évolue dans un jeu (les niveaux généralement). On utilise toutes les fonctionnalités du jeu, les ennemis, les objets interactifs, les obstacles, les objectifs de mission... afin de donner une expérience cohérente et chouette à jouer. L’espace de jeu va être rythmé par tous ces éléments ainsi que par l'architecture. C’est un métier qui inclut beaucoup de collaborations avec les différentes équipes qui produisent le jeu (les environnements, la narration, les cinématiques…) pour qu’on puisse donner la meilleure version possible d’un niveau.David : Tout en suivant la direction artistique, le level artist est responsable et est chargé de définir et développer les thèmes visuels de son niveau. Que ce soit en architecture ou en matière de décors, il matérialise toutes ces intentions en niveau jouable.
À l’époque de mon arrivée, le poste s’appelait level architect et, à mon sens, il définissait mieux notre activité de construction de niveaux, car dans les grandes lignes, si on pense à un niveau de jeu, en collaborant avec le level designer sur les intentions de jeu, le level artist imagine à quoi peuvent ressembler les reliefs, la verticalité, les rues, les passages, les architectures, les landmarks, etc. Il conceptualise tout ce qui peut constituer un environnement. Il découpe alors le décor en éléments modulaires 3D (comme des briques Lego) qui sont envoyés aux environment artists sous forme de "request" (sorte de bon de commande). Puis, dans le moteur du jeu, il construit le décor avec ces pièces modulaires. Lorsqu’il y a des bâtiments dans lesquels on peut entrer, il construit également leur intérieur. Ensuite, il meuble les pièces et, pour finir, il pose tous les objets qui vont apporter de la vie. Il intervient de bout en bout dans la création du niveau.
La tâche est assez complexe à réaliser car elle doit répondre à beaucoup de contraintes : produire un environnement crédible et visuellement intéressant, tout en respectant les intérêts du jeu et les métriques, assurer une circulation fluide (horizontale et/ou verticale) qui mène au bon endroit sans que cela ne soit trop visible du joueur. En collaboration avec le level designer, le level artist essaye de faire en sorte que la frontière entre design et art soit le plus invisible possible afin de créer une meilleure immersion pour les joueurs.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler dans le milieu du jeu vidéo ? Et de faire ce métier, précisément ?
Charlotte : Quand j’avais 14 ans et en pleine période Fable et Halo, j’ai ouvert RPG Maker, un des rares outils pour créer un jeu vidéo que je connaissais à l’époque, pour trifouiller toutes les options et tenter de créer l’histoire ultime. Après trois jours passés dessus, je l’ai fermé et oublié pour toujours. Des années plus tard, quand j’étais en études aux Beaux-Arts, j’ai joué à The Last of Us et Bioshock en l’espace de quelques mois. Ça faisait déjà quelques temps que l’envie de faire des jeux me titillait mais ça a été un point de bascule. À partir de là, j’ai orienté tout mon cursus vers la création d’expériences interactives et de jeux (et si au passage ça peut créer des émotions chez les gens qui y jouent, c’est encore mieux). Le level design est venu dans un second temps, à force de travailler sur des projets et de trouver la spécialité qui me plaisait le plus.David : Lorsque j’étais étudiant en dessin, le milieu du jeu vidéo me semblait très loin (je me permets de rappeler qu’Internet n’existait pas à l’époque), même si ça commençait à se développer et que nous avions des cours pour faire des choses en point and click. Mais quelque chose m’attirait depuis longtemps dans l’univers de “l’image de synthèse” comme on l’appelait à l’époque. Quelques temps après mes études, j’étais en colocation avec un ancien camarade de classe qui avait intégré un studio de jeu tout de suite après l’école et quand j'ai vu ce qu’il faisait, cela m’a montré que des jeux auxquels j’avais pu jouer n’étaient pas tous faits à l’étranger, mais bel et bien à Lyon et j’ai alors voulu tenter ma chance. Je me suis alors rapproché de ce studio qui s’appelait Étranges Libellules puis j’ai fini par me faire embaucher pour y rester treize ans, jusqu’à la fermeture du studio en 2012.
Comment avez-vous intégré le milieu du jeu vidéo ? Pouvez-vous nous donner les étapes clés de vos parcours respectifs ?
Charlotte : Après avoir passé quelques années aux Beaux-Arts, j’avais fini par faire surtout des micro-jeux très en lien avec l’Art Game (pensez à The Graveyard, la plupart des jeux de Jason Rohrer, La Molleindustria). On était en plein dans la première Indiepocalypse (NDLR : mot-valise formé à partir de "indé" et "apocalypse" correspondant à une période de saturation du nombre de jeux indépendants qui a causé un effondrement du marché du jeu vidéo) et j’en ai profité pour conclure mes études sur un master de Game Design. La première fois, j’ai raté le concours d’entrée et j'ai passé un semestre au Canada pour me rapprocher des communautés de développeurs là-bas avant de revenir, remontée comme jamais, et prête à décrocher ma place en Master cette fois-ci. Et franchement, ça a été deux années formidables, autant intellectuellement avec tout ce que j’ai pu y apprendre, qu’humainement avec les gens que j’ai pu rencontrer là-bas. Master en poche et comme beaucoup de développeurs aujourd’hui, j’ai commencé par un stage à la fin de mes études et je me suis spécialisée au fil des mes postes dans différents studios autour de tout ce qui est level et mission design.David : J’ai un parcours un peu chaotique car le système scolaire ne me correspondait pas. Je crois que je m’y ennuyais. Après une orientation hasardeuse, j’en suis sorti à la fin du collège pour faire de la mécanique avionique. Pour cela, j’ai dû faire un an de mécanique automobile pour acquérir les bases et c’est là que je me suis rendu compte que je ne pourrais pas faire cela toute ma vie, que mon envie de dessiner, présente depuis l’enfance, prenait le dessus. J’ai donc arrêté la mécanique pour me consacrer au dessin. Et puis au hasard d’une discussion, alors que j’étais allé dépanner la voiture d’un copain, on m’a parlé de l'École Emile Cohl à Lyon. Je m’y suis rendu pour une journée portes ouvertes et lorsque je suis entré dans le bâtiment, j’avais le sentiment d’avoir enfin trouvé là l’univers que je recherchais. J’y ai fait cinq ans d’études pour sortir avec un diplôme niveau Licence de dessinateur/concepteur. Il y a quelques années, j’y suis retourné pour passer une VAE (Validation des Acquis de l'Expérience) qui m’a mené à un Master concepteur/réalisateur de jeux vidéo. Par la suite, un poste d’enseignant m’a été proposé dans cette école. J’y donne des cours depuis 2017.
En 1999, lorsque j’ai commencé à travailler en studio, à un moment où elle n’était pas encore bien enseignée dans les écoles d’art, j’ai pu apprendre la 3D sur le tas. J’ai eu de la chance qu’à cette époque ce soit encore possible car aujourd’hui, avec les formations qui sont dispensées dans les écoles d’art ou de jeu, les entreprises attendent des personnes qu'elles soient opérationnelles rapidement, même si elles sortent tout juste des études.
Dans quels studios et sur quels projets avez-vous travaillé ?
Est-ce qu'il y en a un qui vous a particulièrement marqué ou qui sort du lot et si oui, pourquoi ?
Charlotte : Au début de ma carrière en design j’ai eu la chance de pouvoir toucher un peu à tout sous le vaste titre de “game designer”. J’ai designé des jeux mobiles à Smart Tale dont certains en partenariat avec Eden Games à l’époque, conçu des outils pour de la narration systémique et aidé à concevoir une nouvelle façon de faire du jeu de gestion sans se reposer sur une économie capitaliste chez Tea for Two et leur jeu Snowtopia. Après ça, j’ai commencé à me spécialiser en level design à Moonycat et en quest design aussi chez Big Bad Wolf. Plusieurs de ces projets ne sont pas encore annoncés ou ont été annulés au fil des années mais c’est le jeu de l’industrie.
(Image: Snowtopia)
David : Le premier projet sur lequel j’ai travaillé en arrivant à Étranges Libellules était The Devil Inside. Ensuite sont venus V-Rally3, Arx Fatalis, plusieurs opus de la licence Astérix et Obélix (XXL, XXL2, Astérix aux Jeux Olympiques), Arthur et les Minimoys, Spyro : Dawn of the Dragon, Alice in Wonderland, Dragons et pas mal d’autres projets qui n’ont jamais vu le jour. À mon arrivée chez Arkane Lyon, j’ai travaillé sur Dishonored 2, puis ensuite sur Dishonored : Death of the Outsider, Wolfenstein : Cyberpilot, Deathloop et je travaille actuellement sur Marvel’s Blade.
Le projet qui m’a le plus marqué est sans nul doute Dishonored 2 et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, j’ai découvert une nouvelle façon de travailler avec la particularité du poste de level artist chez Arkane Lyon, car chez Étranges Libellules, mon poste équivalait à level artist + environment artist. Chez Arkane, ces deux métiers sont séparés. Cela permet de pousser plus loin dans leurs spécificités. Nous itérons beaucoup pendant nos recherches, ce qui nous permet d’essayer plus de choses et c’est très agréable pour affiner les idées. Et ensuite, parce que le niveau qui m’avait été confié était le Manoir Mécanique. Hormis le labyrinthe de Sokolov, j’ai dû imaginer, conceptualiser et mettre en place tous les mécanismes (en transformations et en animations) du manoir, faire en sorte que tout s’emboîte correctement pour que le joueur puisse y croire, même lorsqu’il passe derrière les murs. Mes connaissances en mécanique m’ont bien aidé sur certains points. Finalement, rien ne se perd. Chaque pièce de la maison avait sa problématique propre. C’était un petit casse-tête à résoudre pour chacune et j’ai peu dormi pendant trois ans, ah ah.
(Image: le Manoir Mécanique dans Dishonored 2)
Charlotte : Côté level design, on va surtout se focaliser sur le mission design et comment notre niveau va pouvoir supporter la ou les approches des joueuses et joueurs. On doit prévoir les différents styles de jeu, comment va se dérouler l’exploration dans notre niveau, quels cheminements vont être empruntés, quels obstacles vont être rencontrés (ennemis, plateformes, puzzles). On doit penser la difficulté de notre niveau, etc.
Côté level art, le travail se traduit surtout par la recherche sur un lieu par exemple : sa thématisation, sa fonction dans l'univers du jeu, son visuel, sa structure à la fois extérieure mais aussi intérieure, la manière dont il est meublé, etc. Ensuite, le niveau est construit dans le moteur de jeu.
David : Nous formons des binômes sur les niveaux et nous sommes toujours disponibles l’un pour l’autre. Pour faciliter nos échanges, nous sommes également proches physiquement dans le studio pour celles et ceux qui travaillent sur place.
Charlotte : Bien évidemment le binôme level designer / level artist se nourrit beaucoup du travail de l'autre. Pour consolider des intentions, avoir de nouvelles idées, s'inspirer des recherches / essais / prototypes de l'autre, et j'en passe. Donc, il y a une partie qui est "dans son coin" où on fait nos propres recherches et expérimentations, mais bien tenir informé et échanger avec son binôme reste extrêmement important.
David : Exactement, chacun est responsable de sa partie et il n’est pas toujours évident de conjuguer les contraintes de l’un avec celles de l’autre. Cela donne lieu à des discussions où chacun expose sa vision. On revient avec des propositions, on fait des tests, on en reparle et généralement, cela débouche sur des compromis dans l'objectif de satisfaire au mieux les deux parties, car nous avons tous le même but : donner du plaisir aux joueuses et aux joueurs.
Nous sommes sur un pied d’égalité et les échanges sont nécessaires. La somme de nos différentes compétences et notre complémentarité constituent ce qu’on peut appeler le level design ‘’à la sauce Arkane’’.
Et quand il s’agit d’intégrer toutes ces idées au jeu, on peut se reposer sur pas mal d’outils internes qui nous permettent de réaliser une première structure assez primitive du niveau (le blocking) et d’y scripter la plupart des choses qui vont s’y passer. C’est sur ce terrain commun qu’on va commencer à itérer avec l’équipe Level Art.

(Image : exemple de blocking)
David : Le level artist travaille principalement dans le moteur du jeu. Lors des phases de prototypage et conception 3D, on travaille avec Blender actuellement. Sinon, on utilise les outils de communication interne type Microsoft Teams, Slack, Miro, etc. Une bonne partie de notre travail est aussi la recherche de documentation. Internet et les livres sont donc nos amis. On peut également être amené à aller prendre des photos in situ pour ressentir un lieu et s’inspirer de détails particuliers lorsqu’un environnement de jeu se rapproche d’un endroit existant.
En plus de notre partenariat continu avec le pôle Level Art, on échange aussi beaucoup avec l’équipe narrative avec qui on va parler des personnages présents dans nos niveaux et de tout le contenu narratif qui pourrait s’y trouver. Ça couvre pas mal de choses, des cinématiques qui vont parsemer les missions aux simples dialogues entre personnages qu’on peut entendre au loin, voire même à tout ce qui touche à la fameuse narration environnementale et c’est là qu’on boucle le cercle en incluant les level artists ! Si ces deux pôles sont nos coéquipiers principaux, on a aussi beaucoup d’échanges avec les game designers sur la mise en place des mécaniques du jeu, dans quel contexte les intégrer et comment les utiliser au mieux. Et pour que tout cela fonctionne, on peut compter sur les différents métiers tech (tech level designer, tech artist, gameplay programmer…) qui mettent à la disposition de tout le monde beaucoup d’outils.
David : Du début à la fin d’un projet, les tâches du level artist varient et s’enchaînent. En début de projet, il y a des recherches à effectuer sur les lieux, les atmosphères, les éléments iconiques éventuels. De ces recherches découlent les premiers éléments 3D qui nous apportent ou éliminent des idées. Lorsque les lieux où se dérouleront le jeu sont établis, on croise nos recherches avec celles des level designers et la collaboration s’engage.
Une fois que le gros des décors et des bâtiments est réalisé, la phase sur l’habillage avec les plus petits éléments démarre. On appelle cette phase le set dressing, où les objets apportent la vie dans les décors et thématisent les lieux et les ambiances. Les échanges avec le level designer sont alors essentiels car les objectifs de jeu doivent rester perceptibles et le set dressing ne doit pas venir troubler la clarté du propos du jeu. En test, on peut se rendre compte que des choses ne fonctionnent pas, des objectifs sont mal perçus, un chemin pas assez visible et il faut alors corriger.
En parallèle, la collaboration avec les lighting artists est aussi importante car la mise en valeur d’une zone ou l'atténuation d’une autre peut complètement changer la perception d’un lieu. La collaboration est aussi étroite avec les environment artists car toutes les pièces modulaires finales sont faites par eux et chaque élément de décor doit être bien défini par rapport à son utilisation. Cela demande beaucoup de communication. Ils ont la responsabilité de l’aspect final des choses et de la cohérence graphique. Ils se chargent de tout ce qui est modélisation aux petits oignons, textures, shaders. Nous devons donc tous être en accord et ne rien négliger.
Mais évidemment, dans un sens plus large, on travaille également avec la Direction Artistique qui définit les lignes graphiques à suivre, les concept artist qui précisent ces lignes sur des points particuliers et sur lesquelles on peut s’appuyer, les animateurs avec qui les métriques de décors vont être définies pour que les animations soient calées sur nos besoins de verticalité ou de saut par exemple, les technical artists qui vont nous aider avec des outils qui facilitent la vie, les programmeurs qui développent tout ce dont on a besoin pour travailler et les testeurs qui nous font des retours sur la perception du jeu. Mais il y aurait encore bien d’autres corps de métier à citer car un studio de jeu est vraiment une entité organique, une vraie fourmilière où chacun a son importance.
Il se passe toujours quelque chose chaque jour, que ça soit une équipe qui dévoile une nouvelle fonctionnalité, un nouveau concept art publié ou un.e collègue level designer qui bute sur le même bug que moi. Ça représente beaucoup de communication au quotidien avec plein de gens dans le studio. C’est ça qui est intéressant aussi.
Il y a beaucoup de travail d’équipe dans mon pôle où les gens n’hésitent pas à poster leurs travaux en cours pour récupérer des avis ou soumettre une nouvelle idée de fonctionnalité cool à ajouter à nos niveaux !
David : Les semaines s’enchaînent rapidement. Elles se ressemblent sans se ressembler car les tâches changent et, si un décor peut mettre plusieurs mois à évoluer avec plusieurs phases, chaque moment a son importance. Donc, à côté du temps de production, pour ne pas perdre de vue les objectifs principaux, les semaines sont ponctuées de réunions, que ce soit sur le décor en cours, en équipe pour que les niveaux restent sur la même ligne de perception sur l’ensemble du jeu ou alors sur une vision plus générale sur l’avancée du projet.
David : Pour le level artists, le but va être de créer un environnement le plus intéressant possible, que ce soit visuellement ou architecturalement pour que le joueur ne s'ennuie pas mais aussi et surtout pour qu’il soit guidé de la manière la plus fluide possible sans qu’il le ressente pour autant. Le joueur doit pouvoir observer et analyser un lieu, en repérer un ou plusieurs notables à ses yeux et se dire qu’il pourra passer par tel ou tel chemin, se cacher à tel ou tel endroit sans que cela n'apparaisse de manière trop évidente. Il doit avoir le plaisir de la découverte.
Il peut être surpris par un endroit et se demander où il est, mais ne doit jamais se sentir perdu, atteindre un point dans le niveau sans que cela ne s’avère inutile, avoir le sentiment de pouvoir passer par un chemin alors que ce n’est pas possible.
Chez Arkane, même si on s’autorise des niveaux de jeu originaux, on s’attache à ce qu’ils restent crédibles pour que le joueur puisse se projeter et qu’il prenne du plaisir.
S’intéresser aux autres développeurs, à leurs outils et leurs façons de travailler aide beaucoup à construire sa propre expertise. J’ai appris énormément en passant du temps sur Twitter (avant que ça ne devienne X) en suivant le travail d’autres level designers, leurs recommandations de moteurs de jeu, d’éditeurs de niveaux ou juste leur partage de connaissances.
Malgré une industrie du jeu vidéo qui est souvent discrète sur ses processus de création, il y a beaucoup de ressources théoriques en ligne autour du level design ! Que ce soit des conférences ou des podcasts (comme “Level Design Lobby”), des articles ou des messages réguliers comme ceux de Tommy Norberg, on trouve facilement de la connaissance en ligne. La curiosité pour tous les sujets et tous les domaines est un excellent moteur.
David : Pour la personne qui voudrait devenir level artist, il faut une base de maîtrise de l’outil 3D, avoir des connaissances ou au moins savoir analyser une architecture et se l'approprier afin de pouvoir la retranscrire et l’adapter à un niveau de jeu tout en restant crédible et cohérent. Il faut aussi avoir l’esprit curieux et ouvert, ne pas avoir peur de recommencer plusieurs fois la même chose et être doté d'un bon sens de la communication car on est amené à échanger avec beaucoup de corps de métiers différents.
Le level artist doit répondre à beaucoup de contraintes, mais cela donne un cadre à la création dans lequel il peut laisser libre cours à son imagination. C’est passionnant.
David : J’ai dû jouer à deux ou trois jeux, mais j’avoue que c’est rare. Au cours de la production d’un titre, on est amené à le tester en entier ou à certains niveaux au fur et à mesure de l’évolution du projet. Donc, quand les jeux sortent, tout est encore frais dans mon esprit. Je reporte alors le fait d’y jouer et ensuite, je passe à autre chose.
David : C’est de la création de bout en bout. C’est une chance énorme de pouvoir créer des environnements qui doivent surprendre les joueurs qui vont y évoluer directement. On a coutume de dire que le décor est un des personnages du jeu et, pour arriver au résultat final, la diversité des étapes tout au long de la production fait qu’on ne s’ennuie jamais.
Passer des mois sur les cartes d’Age of Empires 2, pas de problème ! Relancer Stardew Valley à chaque mise à jour, j’en suis ! Et à côté de ça, avoir des sessions plus courtes sur des jeux narratifs ou d’action/aventure. J’ai adoré jouer aux Bioshock. Je me suis perdue dans Subnautica et je cherche encore à recoller les morceaux après avoir fini What Remains of Edith Finch. Parfois, j’arrive à trouver de vraies petites gemmes dans des expériences encore plus courtes ! Si vous n’avez pas encore joué à A Short Hike c’est peut être le moment de vous faire un chocolat chaud et d’y consacrer un après-midi.
David : J’ai beaucoup aimé les Last of Us, une réalisation impeccable pour une histoire qui vous retourne la tête et les tripes. J’ai passé beaucoup de temps sur Zelda: Breath of the Wild et Tears of the Kingdom. J’ai aimé explorer l’univers de Tunic. J’ai joué à Dishonored avant de rejoindre le studio et j’y ai découvert un univers qui m’a tout de suite parlé et une nouvelle façon de jouer, d’explorer les niveaux. Je suis tombé rapidement sous le charme. Et j’ai un jeu refuge dans lequel je retourne tout le temps lorsque je veux me détendre ou ne pas me prendre la tête, c’est SnowRunner, sur lequel j’ai passé un temps à peine avouable.
David : Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question. Je suis au jour le jour à ce niveau. Je pense que le jeu vidéo va évoluer en s’adaptant aux évolutions techniques. Il faut qu’il puisse avoir les moyens de faire de belles propositions et continuer à surprendre les joueurs. Et par ailleurs, j’espère qu’il y aura encore beaucoup de jeux d’Arkane Lyon !
David : Bien qu’elle commence à dater, j’aime conseiller la mini-série Chernobyl à ceux qui ne l’ont pas vu. C’est un sujet qui avait accompagné mon adolescence et peut-être touché (quoique, avec les frontières…). Des images fortes enrobées d’une musique envoûtante, pour des propos qui amènent à réfléchir. La mini-série Ripley vaut également le détour…Est-ce qu’il y a quelque chose que vous souhaiteriez ajouter ?
Charlotte : N’hésitez pas à écrire des commentaires et des avis dans les stores (Steam, Epic Games…) quand vous aimez un jeu ! On ne le dit pas assez mais c’est comme ça que vous aidez les indés à se faire connaître. Tweeter, blogguer, faire des GIF, laisser un avis sur Steam, tout ça aide énormément les petits jeux et les gens derrière qui ont passé des années dessus.
David : J’aurais envie de dire qu’il faut continuer à se faire plaisir avec les jeux, quels qu’ils soient, tant qu’on les aime. Peu importe que ce soit un titre mobile ou un AAA, qu’il soit beau ou non, qu’il soit récent ou non, l’important est de s’amuser. Il y aura toujours un jeu pour répondre aux envies de chacun.
David : Le premier projet sur lequel j’ai travaillé en arrivant à Étranges Libellules était The Devil Inside. Ensuite sont venus V-Rally3, Arx Fatalis, plusieurs opus de la licence Astérix et Obélix (XXL, XXL2, Astérix aux Jeux Olympiques), Arthur et les Minimoys, Spyro : Dawn of the Dragon, Alice in Wonderland, Dragons et pas mal d’autres projets qui n’ont jamais vu le jour. À mon arrivée chez Arkane Lyon, j’ai travaillé sur Dishonored 2, puis ensuite sur Dishonored : Death of the Outsider, Wolfenstein : Cyberpilot, Deathloop et je travaille actuellement sur Marvel’s Blade.
Le projet qui m’a le plus marqué est sans nul doute Dishonored 2 et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, j’ai découvert une nouvelle façon de travailler avec la particularité du poste de level artist chez Arkane Lyon, car chez Étranges Libellules, mon poste équivalait à level artist + environment artist. Chez Arkane, ces deux métiers sont séparés. Cela permet de pousser plus loin dans leurs spécificités. Nous itérons beaucoup pendant nos recherches, ce qui nous permet d’essayer plus de choses et c’est très agréable pour affiner les idées. Et ensuite, parce que le niveau qui m’avait été confié était le Manoir Mécanique. Hormis le labyrinthe de Sokolov, j’ai dû imaginer, conceptualiser et mettre en place tous les mécanismes (en transformations et en animations) du manoir, faire en sorte que tout s’emboîte correctement pour que le joueur puisse y croire, même lorsqu’il passe derrière les murs. Mes connaissances en mécanique m’ont bien aidé sur certains points. Finalement, rien ne se perd. Chaque pièce de la maison avait sa problématique propre. C’était un petit casse-tête à résoudre pour chacune et j’ai peu dormi pendant trois ans, ah ah.

Il paraît qu’Arkane fonctionne beaucoup avec un système d’équipes en duo (level designer + level artist) pour créer un niveau. Pouvez-vous nous expliquer l’intérêt de cette organisation et comment ça affecte votre travail ?
David : Effectivement, la création de niveaux chez Arkane est particulière car les level designers et les level artists sont en étroite collaboration pour faire évoluer et affiner le niveau tout au long de la production du jeu. Nous avons ces deux équipes qui travaillent main dans la main car elles ont des compétences et des responsabilités différentes qui se complètent. Le level designer va s’attacher à l'expérience de jeu (gameplay, codage des niveaux) et le level artist sera là pour proposer des espaces de jeu compatibles avec les intentions du level designer et assurer la partie artistique (visuels, volumes, formes, cohérence architecturale et structurelle, etc.).Charlotte : Côté level design, on va surtout se focaliser sur le mission design et comment notre niveau va pouvoir supporter la ou les approches des joueuses et joueurs. On doit prévoir les différents styles de jeu, comment va se dérouler l’exploration dans notre niveau, quels cheminements vont être empruntés, quels obstacles vont être rencontrés (ennemis, plateformes, puzzles). On doit penser la difficulté de notre niveau, etc.
Côté level art, le travail se traduit surtout par la recherche sur un lieu par exemple : sa thématisation, sa fonction dans l'univers du jeu, son visuel, sa structure à la fois extérieure mais aussi intérieure, la manière dont il est meublé, etc. Ensuite, le niveau est construit dans le moteur de jeu.
David : Nous formons des binômes sur les niveaux et nous sommes toujours disponibles l’un pour l’autre. Pour faciliter nos échanges, nous sommes également proches physiquement dans le studio pour celles et ceux qui travaillent sur place.
Charlotte : Bien évidemment le binôme level designer / level artist se nourrit beaucoup du travail de l'autre. Pour consolider des intentions, avoir de nouvelles idées, s'inspirer des recherches / essais / prototypes de l'autre, et j'en passe. Donc, il y a une partie qui est "dans son coin" où on fait nos propres recherches et expérimentations, mais bien tenir informé et échanger avec son binôme reste extrêmement important.
David : Exactement, chacun est responsable de sa partie et il n’est pas toujours évident de conjuguer les contraintes de l’un avec celles de l’autre. Cela donne lieu à des discussions où chacun expose sa vision. On revient avec des propositions, on fait des tests, on en reparle et généralement, cela débouche sur des compromis dans l'objectif de satisfaire au mieux les deux parties, car nous avons tous le même but : donner du plaisir aux joueuses et aux joueurs.
Nous sommes sur un pied d’égalité et les échanges sont nécessaires. La somme de nos différentes compétences et notre complémentarité constituent ce qu’on peut appeler le level design ‘’à la sauce Arkane’’.
Quels sont les outils (matériel, logiciels) dont vous avez besoin pour travailler ?
Charlotte : Dans mon métier, beaucoup de gens vont lire la documentation que je vais créer autour des niveaux de jeu, donc j’ai avant tout besoin de quelque chose qui rende ça lisible ! Je vais beaucoup travailler sur un logiciel de type whiteboard (comme Miro ou Figma) qui va me permettre de mettre en page beaucoup d’informations différentes, du texte, des schémas, des images… puis de mettre ça à la disposition de celles et ceux qui en auront besoin tout au long de la production du jeu. Ça veut dire aussi parfois rédiger de longs documents détaillant comment se déroule un niveau de jeu pour que nos équipes de QA (Quality Assurance) puissent avoir toutes les informations nécessaires à leurs tests.Et quand il s’agit d’intégrer toutes ces idées au jeu, on peut se reposer sur pas mal d’outils internes qui nous permettent de réaliser une première structure assez primitive du niveau (le blocking) et d’y scripter la plupart des choses qui vont s’y passer. C’est sur ce terrain commun qu’on va commencer à itérer avec l’équipe Level Art.

(Image : exemple de blocking)
David : Le level artist travaille principalement dans le moteur du jeu. Lors des phases de prototypage et conception 3D, on travaille avec Blender actuellement. Sinon, on utilise les outils de communication interne type Microsoft Teams, Slack, Miro, etc. Une bonne partie de notre travail est aussi la recherche de documentation. Internet et les livres sont donc nos amis. On peut également être amené à aller prendre des photos in situ pour ressentir un lieu et s’inspirer de détails particuliers lorsqu’un environnement de jeu se rapproche d’un endroit existant.
À quel moment intervenez-vous dans le processus de création d'un jeu vidéo ? Travaillez-vous de manière rapprochée avec d'autres corps de métier ? Si oui, lesquels ?
Charlotte : En level design, on va commencer à itérer dès la préproduction. On va mettre en place des niveaux qui vont permettre de tester les différentes mécaniques du jeu et valider l’expérience visée à la fin. Dès que le découpage du jeu est assez avancé, chaque level designer va se voir assigner ses niveaux de jeu et pouvoir se lancer dessus !En plus de notre partenariat continu avec le pôle Level Art, on échange aussi beaucoup avec l’équipe narrative avec qui on va parler des personnages présents dans nos niveaux et de tout le contenu narratif qui pourrait s’y trouver. Ça couvre pas mal de choses, des cinématiques qui vont parsemer les missions aux simples dialogues entre personnages qu’on peut entendre au loin, voire même à tout ce qui touche à la fameuse narration environnementale et c’est là qu’on boucle le cercle en incluant les level artists ! Si ces deux pôles sont nos coéquipiers principaux, on a aussi beaucoup d’échanges avec les game designers sur la mise en place des mécaniques du jeu, dans quel contexte les intégrer et comment les utiliser au mieux. Et pour que tout cela fonctionne, on peut compter sur les différents métiers tech (tech level designer, tech artist, gameplay programmer…) qui mettent à la disposition de tout le monde beaucoup d’outils.
David : Du début à la fin d’un projet, les tâches du level artist varient et s’enchaînent. En début de projet, il y a des recherches à effectuer sur les lieux, les atmosphères, les éléments iconiques éventuels. De ces recherches découlent les premiers éléments 3D qui nous apportent ou éliminent des idées. Lorsque les lieux où se dérouleront le jeu sont établis, on croise nos recherches avec celles des level designers et la collaboration s’engage.
Une fois que le gros des décors et des bâtiments est réalisé, la phase sur l’habillage avec les plus petits éléments démarre. On appelle cette phase le set dressing, où les objets apportent la vie dans les décors et thématisent les lieux et les ambiances. Les échanges avec le level designer sont alors essentiels car les objectifs de jeu doivent rester perceptibles et le set dressing ne doit pas venir troubler la clarté du propos du jeu. En test, on peut se rendre compte que des choses ne fonctionnent pas, des objectifs sont mal perçus, un chemin pas assez visible et il faut alors corriger.
En parallèle, la collaboration avec les lighting artists est aussi importante car la mise en valeur d’une zone ou l'atténuation d’une autre peut complètement changer la perception d’un lieu. La collaboration est aussi étroite avec les environment artists car toutes les pièces modulaires finales sont faites par eux et chaque élément de décor doit être bien défini par rapport à son utilisation. Cela demande beaucoup de communication. Ils ont la responsabilité de l’aspect final des choses et de la cohérence graphique. Ils se chargent de tout ce qui est modélisation aux petits oignons, textures, shaders. Nous devons donc tous être en accord et ne rien négliger.
Mais évidemment, dans un sens plus large, on travaille également avec la Direction Artistique qui définit les lignes graphiques à suivre, les concept artist qui précisent ces lignes sur des points particuliers et sur lesquelles on peut s’appuyer, les animateurs avec qui les métriques de décors vont être définies pour que les animations soient calées sur nos besoins de verticalité ou de saut par exemple, les technical artists qui vont nous aider avec des outils qui facilitent la vie, les programmeurs qui développent tout ce dont on a besoin pour travailler et les testeurs qui nous font des retours sur la perception du jeu. Mais il y aurait encore bien d’autres corps de métier à citer car un studio de jeu est vraiment une entité organique, une vraie fourmilière où chacun a son importance.
À quoi ressemble une semaine type de travail pour vous ?
Charlotte : Mes semaines changent pas mal en fonction de ce sur quoi je travaille. Quand je suis en train de faire le blocking d’un niveau par exemple (la première phase de construction d’un niveau avec des formes basiques, un peu comme des Lego), je vais y passer une grande partie de mes journées, entrecoupées de réunions avec mon pôle (les autres level designers) et d’autres équipes de production, ainsi que des réunions de studio qui nous tiennent à jour sur l’état de la production.Il se passe toujours quelque chose chaque jour, que ça soit une équipe qui dévoile une nouvelle fonctionnalité, un nouveau concept art publié ou un.e collègue level designer qui bute sur le même bug que moi. Ça représente beaucoup de communication au quotidien avec plein de gens dans le studio. C’est ça qui est intéressant aussi.
Il y a beaucoup de travail d’équipe dans mon pôle où les gens n’hésitent pas à poster leurs travaux en cours pour récupérer des avis ou soumettre une nouvelle idée de fonctionnalité cool à ajouter à nos niveaux !
David : Les semaines s’enchaînent rapidement. Elles se ressemblent sans se ressembler car les tâches changent et, si un décor peut mettre plusieurs mois à évoluer avec plusieurs phases, chaque moment a son importance. Donc, à côté du temps de production, pour ne pas perdre de vue les objectifs principaux, les semaines sont ponctuées de réunions, que ce soit sur le décor en cours, en équipe pour que les niveaux restent sur la même ligne de perception sur l’ensemble du jeu ou alors sur une vision plus générale sur l’avancée du projet.
Quels sont les plus grands défis de vos métiers respectifs, selon vous ?
Charlotte : Que tout le monde ait les mêmes informations et qu’elles soient à jour (rires) ! Ça ne paraît pas comme ça, mais une production de jeu, ça dure quelque temps et les choses changent. Une partie de mon métier, c’est aussi de m’assurer que tous les gens qui travaillent sur le même niveau que moi aient les bonnes informations et qu’on aille tous dans la même direction. Ça inclut toutes les fois où on va itérer pour trouver vraiment la meilleure expérience possible pour chaque moment du jeu.David : Pour le level artists, le but va être de créer un environnement le plus intéressant possible, que ce soit visuellement ou architecturalement pour que le joueur ne s'ennuie pas mais aussi et surtout pour qu’il soit guidé de la manière la plus fluide possible sans qu’il le ressente pour autant. Le joueur doit pouvoir observer et analyser un lieu, en repérer un ou plusieurs notables à ses yeux et se dire qu’il pourra passer par tel ou tel chemin, se cacher à tel ou tel endroit sans que cela n'apparaisse de manière trop évidente. Il doit avoir le plaisir de la découverte.
Il peut être surpris par un endroit et se demander où il est, mais ne doit jamais se sentir perdu, atteindre un point dans le niveau sans que cela ne s’avère inutile, avoir le sentiment de pouvoir passer par un chemin alors que ce n’est pas possible.
Chez Arkane, même si on s’autorise des niveaux de jeu originaux, on s’attache à ce qu’ils restent crédibles pour que le joueur puisse se projeter et qu’il prenne du plaisir.

Quels conseils, théoriques ou pratiques, pouvez-vous donner à des personnes qui souhaiteraient faire vos métiers ?
Charlotte : À moins d’être un dévelopeur isolé dans votre grenier, le jeu vidéo c’est avant tout un travail d’équipe, donc habituez-vous à bosser avec d’autres gens ! On conseille beaucoup les game jams qui permettent de créer de petits jeux sur des temps courts (généralement un week-end) mais profitez-en surtout pour faire connaissance avec d’autres devs !S’intéresser aux autres développeurs, à leurs outils et leurs façons de travailler aide beaucoup à construire sa propre expertise. J’ai appris énormément en passant du temps sur Twitter (avant que ça ne devienne X) en suivant le travail d’autres level designers, leurs recommandations de moteurs de jeu, d’éditeurs de niveaux ou juste leur partage de connaissances.
Malgré une industrie du jeu vidéo qui est souvent discrète sur ses processus de création, il y a beaucoup de ressources théoriques en ligne autour du level design ! Que ce soit des conférences ou des podcasts (comme “Level Design Lobby”), des articles ou des messages réguliers comme ceux de Tommy Norberg, on trouve facilement de la connaissance en ligne. La curiosité pour tous les sujets et tous les domaines est un excellent moteur.
David : Pour la personne qui voudrait devenir level artist, il faut une base de maîtrise de l’outil 3D, avoir des connaissances ou au moins savoir analyser une architecture et se l'approprier afin de pouvoir la retranscrire et l’adapter à un niveau de jeu tout en restant crédible et cohérent. Il faut aussi avoir l’esprit curieux et ouvert, ne pas avoir peur de recommencer plusieurs fois la même chose et être doté d'un bon sens de la communication car on est amené à échanger avec beaucoup de corps de métiers différents.
Le level artist doit répondre à beaucoup de contraintes, mais cela donne un cadre à la création dans lequel il peut laisser libre cours à son imagination. C’est passionnant.
Est-ce que vous jouez aux jeux sur lesquels vous avez travaillé ?
Charlotte : Non ça ne m’est encore jamais arrivé (rires) !David : J’ai dû jouer à deux ou trois jeux, mais j’avoue que c’est rare. Au cours de la production d’un titre, on est amené à le tester en entier ou à certains niveaux au fur et à mesure de l’évolution du projet. Donc, quand les jeux sortent, tout est encore frais dans mon esprit. Je reporte alors le fait d’y jouer et ensuite, je passe à autre chose.
Qu'est-ce que vous aimez le plus à propos de vos boulots ?
Charlotte : Littéralement créer l’espace dans lequel les gens vont pouvoir jouer ! Plein de personnes différentes vont intervenir au fil de la production d’un jeu et il faut amener leur patte à cette expérience pour la rendre plus complexe et intéressante. On va laisser ça entre les mains des joueuses et joueurs à la fin et ça deviendra leur jeu, leur expérience. C’est un peu impressionnant des fois, surtout quelques mois avant la sortie d’un jeu, mais c’est beaucoup de plaisir après de voir des gens jouer à ton travail.David : C’est de la création de bout en bout. C’est une chance énorme de pouvoir créer des environnements qui doivent surprendre les joueurs qui vont y évoluer directement. On a coutume de dire que le décor est un des personnages du jeu et, pour arriver au résultat final, la diversité des étapes tout au long de la production fait qu’on ne s’ennuie jamais.
Quels sont vos jeux préférés, si vous en avez ? Qu'est-ce vous intéresse / vous plaît le plus, dans les jeux vidéo, en tant que joueur.euse ?
Charlotte : Mes goûts sont très éclectiques. Je joue sur des jeux compétitifs en ligne depuis des années (je n’ose même pas regarder mon compteur d’heures en classé sur Overwatch) et j’ai toujours une sauvegarde de Stardew Valley à lancer sur mon PC ou ma Switch. Souvent, j’ai deux axes principaux dans mes choix de jeu : l’impact émotionnel que ça va me provoquer en jouant ou le temps que je vais pouvoir y investir.Passer des mois sur les cartes d’Age of Empires 2, pas de problème ! Relancer Stardew Valley à chaque mise à jour, j’en suis ! Et à côté de ça, avoir des sessions plus courtes sur des jeux narratifs ou d’action/aventure. J’ai adoré jouer aux Bioshock. Je me suis perdue dans Subnautica et je cherche encore à recoller les morceaux après avoir fini What Remains of Edith Finch. Parfois, j’arrive à trouver de vraies petites gemmes dans des expériences encore plus courtes ! Si vous n’avez pas encore joué à A Short Hike c’est peut être le moment de vous faire un chocolat chaud et d’y consacrer un après-midi.
David : J’ai beaucoup aimé les Last of Us, une réalisation impeccable pour une histoire qui vous retourne la tête et les tripes. J’ai passé beaucoup de temps sur Zelda: Breath of the Wild et Tears of the Kingdom. J’ai aimé explorer l’univers de Tunic. J’ai joué à Dishonored avant de rejoindre le studio et j’y ai découvert un univers qui m’a tout de suite parlé et une nouvelle façon de jouer, d’explorer les niveaux. Je suis tombé rapidement sous le charme. Et j’ai un jeu refuge dans lequel je retourne tout le temps lorsque je veux me détendre ou ne pas me prendre la tête, c’est SnowRunner, sur lequel j’ai passé un temps à peine avouable.
À quoi ressemble, selon vous, le jeu vidéo du futur / l’avenir du jeu vidéo ?
Charlotte : L’industrie traverse une crise difficile ces dernières années. À terme, j’espère que ça nous amènera un nouveau souffle créatif et une industrie plus stable et équitable. Beaucoup de personnes se lancent dans l’indé pour la première fois. Ça peut faire peur, cette future masse de jeux, mais je pense que ça va amener plein de nouveaux regards et de nouvelles idées qui influenceront toutes les strates de l’industrie.David : Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question. Je suis au jour le jour à ce niveau. Je pense que le jeu vidéo va évoluer en s’adaptant aux évolutions techniques. Il faut qu’il puisse avoir les moyens de faire de belles propositions et continuer à surprendre les joueurs. Et par ailleurs, j’espère qu’il y aura encore beaucoup de jeux d’Arkane Lyon !
Avez-vous une recommandation culturelle du moment (jeu vidéo, film, musique...) ?
Charlotte : Je suis en train de finir la saison 2 de La Diplomate, une série thriller politique portée brillamment par Keri Russell qui était déjà incroyable dans la série The Americans. La saison 1 m’avait déjà convaincue par son casting de personnages et son écriture fine qui réussit l’exploit de rendre la politique et les relations diplomatiques du duo Grande-Bretagne / USA intrigantes et intéressantes. La saison 2 est aussi puissante et n’hésite pas à nous faire verser une petite larme au détour d’une réunion d’état-major de la dernière chance.David : Bien qu’elle commence à dater, j’aime conseiller la mini-série Chernobyl à ceux qui ne l’ont pas vu. C’est un sujet qui avait accompagné mon adolescence et peut-être touché (quoique, avec les frontières…). Des images fortes enrobées d’une musique envoûtante, pour des propos qui amènent à réfléchir. La mini-série Ripley vaut également le détour…
Est-ce qu’il y a quelque chose que vous souhaiteriez ajouter ?
Un conseil ? Un message pour nos lecteurs ?
Charlotte : N’hésitez pas à écrire des commentaires et des avis dans les stores (Steam, Epic Games…) quand vous aimez un jeu ! On ne le dit pas assez mais c’est comme ça que vous aidez les indés à se faire connaître. Tweeter, blogguer, faire des GIF, laisser un avis sur Steam, tout ça aide énormément les petits jeux et les gens derrière qui ont passé des années dessus.David : J’aurais envie de dire qu’il faut continuer à se faire plaisir avec les jeux, quels qu’ils soient, tant qu’on les aime. Peu importe que ce soit un titre mobile ou un AAA, qu’il soit beau ou non, qu’il soit récent ou non, l’important est de s’amuser. Il y aura toujours un jeu pour répondre aux envies de chacun.
Si ce type d'article vous intéresse et que vous avez envie d'en lire plus, vous pouvez retrouver la liste complète des interviews sur l'article général de la série "Kifékoi".