ARTICLE
Football Manager 2016 : bienvenue au Club
par Nicaulas,
email @nicaulasfactor
Disclaimer : comme l'an dernier, il n'y a pas grand chose à dire sur cette nouvelle itération de Football Manager, et lister les quelques nouveautés ne prendrait pas énormément de temps. Si vous voulez les lire, direction la conclusion. Pour le reste, on s'est à nouveau permis un exercice de style qui n'a pas grand chose à voir avec le jeu, inspiré par de vraies citations piochées chez Les Cahiers du Football pour le fond, et d'"Avance Rapide" de Michael Marshall Smith (que vous pouvez devez lire) pour la forme.
Le temps que je me retourne vers Stark, le décor avait à nouveau changé. J’ai fermé ma gueule, mais j’étais quand même surpris. OK, le Jeamland avait ses règles, différentes du monde normal, et depuis notre entrée je les avais expérimentées en permanence. Mais comment s’habituer à un entourage qui évolue en se basant partiellement sur notre inconscient ? Stark fit semblant de ne pas remarquer mon désarroi et se contenta de pointer un escalier, ou plutôt une volée de marches descendant depuis le trottoir de la ruelle vers une porte au-dessus de laquelle vibrait un néon fatigué. « Club ». Pas « night-club » ou un nom débile genre « Le Titan », juste « Club ». « On est arrivé ? » demandais-je en anticipant un peu la réponse. « Peut-être. Ca dépend. De toute évidence il y a quelque chose à voir derrière cette porte, mais le reste dépend de toi. » Je devais encore tirer la gueule parce que Stark s’énerva un coup « Ecoute, on est dans le Jeamland, dans ta version du Jeamland pour être précis, donc ce qu’il y a derrière cette porte il n’y a que toi qui peut le savoir et le seul moyen d’être fixé c’est de la franchir. Je ne garantis pas que ce soit sans danger, mais même si tu ne le fais pas maintenant elle s’ouvrira toute seule un jour, et tout ce qui se trouve derrière aura pourri suffisamment longtemps pour te tuer. Crois-moi : mieux vaut affronter « ça », quoi que ça puisse être, dès maintenant. » Mouais. Je suis un rationnel moi, je n’agis pas trop au feeling, j’ai besoin de savoir où je mets les pieds. « Il n’y a vraiment aucun moyen d’anticiper ? De se préparer ? » Stark resta pensif un moment. Ou alors il était réellement excédé par mes questions et faisait le vide intérieurement pour ne pas me hurler dessus. Il finit par lever les yeux vers moi. « Si. Un peu. La plupart du temps, ce qu’on cache derrière les portes, ce sont deux genres de choses. Les traumatismes, bien sûr, qu’on cherche à enfouir pour en atténuer la violence. Et les sales routines. Les choses qu’on fait quotidiennement, qui nous bouffent un temps monstrueux et qu’on préfère automatiser, cloisonner, pour masquer le poids qu’elles font peser sur nos épaules. C’est ça qu’on va trouver là-dedans, Jean-Eudes. Une pièce sombre et close dans laquelle résonnent des cris et des grincements de rouages. »
Où l’on ouvre une porte
« Bordel de merde ! Un footeux. J’aurais dû m’en douter… » Stark avait l’œil, parce que sans son juron je n’aurais toujours pas compris où on était vraiment. Une fois la porte franchie, on s’était retrouvés dans une caricature de pub new-yorkais miteux, sombre, crasseux, poisseux mais assez vaste. Une banquette courrait sur trois murs, interrompue par la porte d’entrée, celle des toilettes et celle du personnel. Des tables étaient éparpillées un peu partout, quelques-unes occupées par des clients somnolents. Le mur de droite était intégralement occupé par le bar, derrière lequel roupillait un serveur. Le nombre de bouteilles laissait envisager un choix impressionnant, mais la poussière sur les étiquettes et l’absence de tableau empêchait de savoir ce qu’elles contenaient. Stark racla un tabouret et s’accouda bruyamment dans l’espoir de réveiller le serveur. Peine perdue. De toute façon, un écriteau posé sur le comptoir indiquait « PAS DE SERVICE». Super. « Qu’est-ce qu’on fait dans un bar quand on ne peut pas y boire ? » Stark sortit son paquet de clope, rapprocha un cendrier, s’en alluma une et lâcha, après deux bouffées : « Moi, rien. Toi, tu cherches. C’est chez toi ici, parle aux clients, découvre ce qu’ils font là. Plus vite tu trouveras plus vite on repartira. Et puis je t’ai déjà aidé. »
En effet, ça puait le foot. Premier indice de l’utilité du lieu, un écran accroché dans un coin du plafond diffusait des infos sur le ballon rond. L’écran était zébré et les haut-parleurs crachouillaient, mais on reconnaissait distinctement l’homme qui avait cru pouvoir vendre son équipe, monument historique du championnat, à des oligarques dictatoriaux sans récolter d’emmerdes au passage, et qui depuis se débattait dans sa propre incohérence pour essayer de sauver la face. « Je peux vous dire aujourd’hui que, normalement, on devrait annoncer une information importante en début d’année qui assurerait la pérennité du club. » Ca m’arracha un sourire, vite réprimé par l’idée que les supporters ne devaient pas trouver ça drôle du tout. Les infos enchaînèrent sur les derniers rebondissements de l’affaire de corruption au sein des instances internationales. Tous les mecs concernés se renvoyaient la balle en feignant l’innocence, c’était pitoyable. Le pire était leur chef, omniprésident depuis des décennies. Quand l’affaire avait éclaté et les secrets de polichinelle révélés officiellement après des semaines de dénégation, il avait fait semblant de tomber des nues : « Sincèrement, je ne croyais pas à la triche la semaine dernière. » La procédure avait tourné à la farce. Face aux juges qui lui demandaient si les accusations de corruption ça lui disait quelque chose, on l’avait entendu répondre « J’ai le temps de lire, de prendre des nouvelles, je suis un homme hautement informé : je pourrais aller dans les jeux télévisés. C’est vrai qu’on fout Julien Lepers dehors ? Vous avez entendu ça ? Et ça, après vingt-sept ans d’émission… » Et quand on s’inquiétait de sa fortune et de son patrimoine, en vous regardant dans les yeux et en souriant, il balançait : « Je n'ai pas perdu le sens des réalités, je n'ai pas de Ferrari, je suis seulement copropriétaire d'un pédalo sur le lac de Zurich. » Les montres de luxe distribuées à tout va ? « Quel est le problème? Leur valeur ? Mais c'est quoi la valeur? Pour moi, c'est sentimental. Mais changeons de sujet... » La culpabilisation n’avait aucune chance de marcher sur lui, vu qu’il n’avait aucune limite : « J’ai la conscience tranquille. Je suis une personne croyante et je prie, aussi. Je possède une croix en or bénie par le Pape. Je crois que j’irai un jour au paradis. En revanche, je ne crois pas qu’il y ait un enfer. Je suis en désaccord avec le Pape à ce sujet. » Son bras droit ne valait guère mieux. Promu responsable intérimaire pour la durée de la procédure, il s’était brillamment défendu d’être le chien de son maître : « Je ne suis pas corrompu. Si j'étais corrompu, je ne serais pas là. »
Sur les murs étaient scotchés des posters jaunis par des années de nicotine. Principalement des joueurs, des entraîneurs. Pas les superstars, non. Mais des légendes quand même. Des goals en casquette et polo noir. Des maillots rouges, blancs, bleus, noirs, rayés, unis, barrés… Des ballons en cuir, d’autres aux motifs si particuliers qu’ils définissaient la date du cliché aussi sûrement que les coupes de cheveux ou la présence de couleurs fluo. Certains étaient plus récents, mais semblaient artificiellement vieillis, comme pour signaler que les joueurs présentés étaient des aberrations à leurs époques respectives. Parfois, la photo présentait un plan large, une action complète mais suspendue dans le temps, mais dont la fin était inévitable pour qui se souvenait du match en question. Oui, ce ballon en cloche allait finir par redescendre dans les filets du gardien chauve immobile et médusé. Oui, ce joueur longiligne allait trouver la solution pour éliminer ses deux adversaires directs. Non, ce coup franc direct n’était pas trop loin.
Enfin, parmi les quelques clients éparpillés, un seul semblait éveillé et actif. Dans le pesant silence des lieux, on l’entendait marmonner une litanie de termes barbares tout en gribouillant des points et des flèches sur un carnet. « Ailier inversé… box-to-box… carrileros… double pivot… enganche… faux numéro 9… libéro… Makelele rôle… mezzala… neuf et demi… regista… sentinelle… stoppeur… trequartista… catenaccio… décrochage… football total… gegenpressing… horizontalité… kick‘n’rush… marquage en zone… marquage individuel… pressing… sapin de Noël… tikitaka… transition… verticalité… WM… » Suivis par une succession de chiffres a priori absurdes. « 4-3-2-1, 3-2-2-3, 3-4-2-1, 4-4-2, 4-2-3-1, 4-3-3, 3-5-2, 3-4-3… » Bien que peu engageant, il était le seul en état de me parler, et il fallait bien commencer quelque part. Je m’assis à sa table. « Monsieur ? » Aucune réponse. « Monsieur ? Vous m’entendez ? » Guère mieux. On dit que pour les « fous », leur vision du monde est normale et ce sont les autres qui sont dans l’erreur. Ce fou était en quelque sorte ma création, mais je ne maîtrisais rien, alors autant rentrer dans son délire. Il se prenait visiblement pour un grand tacticien. « Josep ? » Je crus le voir sourire, mais il ne me répondit pas. « José ? » Toujours rien. « Alex ? Carlo ? Arsène ? Diego ? Jürgen ? » Que dalle. Et soudain, l’illumination : « Marcelo ? » Il se tut instantanément, leva la tête vers moi en souriant et me répondit : « Oui mon garçon ? Je peux t’aider ? Appelle-moi coach, s’il te plaît.» Enfin. « Oui, coach. Je viens d’arriver et je suis un peu perdu. J’aimerais savoir où on est, et ce que je dois faire. » J’avais dû y aller un peu fort, son sourire s’effaça d’un coup et il rebaissa les yeux. « Ah, c’est toi le nouveau, on m’a prévenu de ton arrivée. Tu es en retard. Les règles sont les mêmes partout : tu auras une amende. – Heu… oui coach. – Tes coéquipiers sont déjà là et t’attendent de pied ferme. Et puis il va falloir que tu rencontres le président. » D'une glacière posée à ses pieds, il sortit un verre étonnamment propre, rempli d’un liquide rouge. « Bois ça. » Ca me semblait être une très mauvaise idée. « Allez mon garçon, bois-ça ! » Je voulus me retourner vers Stark pour chercher son approbation : « Dites Stark, on est d’accord que boire ce truc serait une mau… » Stark avait disparu. Je scrutais du regard tous les recoins en espérant qu’il se soit assis ailleurs, mais le bar était vide. Stark avait disparu, le serveur et les clients avaient disparu. « Qu’attends-tu mon garçon, bois ! Qu’est-ce que tu risques ? »
En effet, ça puait le foot. Premier indice de l’utilité du lieu, un écran accroché dans un coin du plafond diffusait des infos sur le ballon rond. L’écran était zébré et les haut-parleurs crachouillaient, mais on reconnaissait distinctement l’homme qui avait cru pouvoir vendre son équipe, monument historique du championnat, à des oligarques dictatoriaux sans récolter d’emmerdes au passage, et qui depuis se débattait dans sa propre incohérence pour essayer de sauver la face. « Je peux vous dire aujourd’hui que, normalement, on devrait annoncer une information importante en début d’année qui assurerait la pérennité du club. » Ca m’arracha un sourire, vite réprimé par l’idée que les supporters ne devaient pas trouver ça drôle du tout. Les infos enchaînèrent sur les derniers rebondissements de l’affaire de corruption au sein des instances internationales. Tous les mecs concernés se renvoyaient la balle en feignant l’innocence, c’était pitoyable. Le pire était leur chef, omniprésident depuis des décennies. Quand l’affaire avait éclaté et les secrets de polichinelle révélés officiellement après des semaines de dénégation, il avait fait semblant de tomber des nues : « Sincèrement, je ne croyais pas à la triche la semaine dernière. » La procédure avait tourné à la farce. Face aux juges qui lui demandaient si les accusations de corruption ça lui disait quelque chose, on l’avait entendu répondre « J’ai le temps de lire, de prendre des nouvelles, je suis un homme hautement informé : je pourrais aller dans les jeux télévisés. C’est vrai qu’on fout Julien Lepers dehors ? Vous avez entendu ça ? Et ça, après vingt-sept ans d’émission… » Et quand on s’inquiétait de sa fortune et de son patrimoine, en vous regardant dans les yeux et en souriant, il balançait : « Je n'ai pas perdu le sens des réalités, je n'ai pas de Ferrari, je suis seulement copropriétaire d'un pédalo sur le lac de Zurich. » Les montres de luxe distribuées à tout va ? « Quel est le problème? Leur valeur ? Mais c'est quoi la valeur? Pour moi, c'est sentimental. Mais changeons de sujet... » La culpabilisation n’avait aucune chance de marcher sur lui, vu qu’il n’avait aucune limite : « J’ai la conscience tranquille. Je suis une personne croyante et je prie, aussi. Je possède une croix en or bénie par le Pape. Je crois que j’irai un jour au paradis. En revanche, je ne crois pas qu’il y ait un enfer. Je suis en désaccord avec le Pape à ce sujet. » Son bras droit ne valait guère mieux. Promu responsable intérimaire pour la durée de la procédure, il s’était brillamment défendu d’être le chien de son maître : « Je ne suis pas corrompu. Si j'étais corrompu, je ne serais pas là. »
Sur les murs étaient scotchés des posters jaunis par des années de nicotine. Principalement des joueurs, des entraîneurs. Pas les superstars, non. Mais des légendes quand même. Des goals en casquette et polo noir. Des maillots rouges, blancs, bleus, noirs, rayés, unis, barrés… Des ballons en cuir, d’autres aux motifs si particuliers qu’ils définissaient la date du cliché aussi sûrement que les coupes de cheveux ou la présence de couleurs fluo. Certains étaient plus récents, mais semblaient artificiellement vieillis, comme pour signaler que les joueurs présentés étaient des aberrations à leurs époques respectives. Parfois, la photo présentait un plan large, une action complète mais suspendue dans le temps, mais dont la fin était inévitable pour qui se souvenait du match en question. Oui, ce ballon en cloche allait finir par redescendre dans les filets du gardien chauve immobile et médusé. Oui, ce joueur longiligne allait trouver la solution pour éliminer ses deux adversaires directs. Non, ce coup franc direct n’était pas trop loin.
Enfin, parmi les quelques clients éparpillés, un seul semblait éveillé et actif. Dans le pesant silence des lieux, on l’entendait marmonner une litanie de termes barbares tout en gribouillant des points et des flèches sur un carnet. « Ailier inversé… box-to-box… carrileros… double pivot… enganche… faux numéro 9… libéro… Makelele rôle… mezzala… neuf et demi… regista… sentinelle… stoppeur… trequartista… catenaccio… décrochage… football total… gegenpressing… horizontalité… kick‘n’rush… marquage en zone… marquage individuel… pressing… sapin de Noël… tikitaka… transition… verticalité… WM… » Suivis par une succession de chiffres a priori absurdes. « 4-3-2-1, 3-2-2-3, 3-4-2-1, 4-4-2, 4-2-3-1, 4-3-3, 3-5-2, 3-4-3… » Bien que peu engageant, il était le seul en état de me parler, et il fallait bien commencer quelque part. Je m’assis à sa table. « Monsieur ? » Aucune réponse. « Monsieur ? Vous m’entendez ? » Guère mieux. On dit que pour les « fous », leur vision du monde est normale et ce sont les autres qui sont dans l’erreur. Ce fou était en quelque sorte ma création, mais je ne maîtrisais rien, alors autant rentrer dans son délire. Il se prenait visiblement pour un grand tacticien. « Josep ? » Je crus le voir sourire, mais il ne me répondit pas. « José ? » Toujours rien. « Alex ? Carlo ? Arsène ? Diego ? Jürgen ? » Que dalle. Et soudain, l’illumination : « Marcelo ? » Il se tut instantanément, leva la tête vers moi en souriant et me répondit : « Oui mon garçon ? Je peux t’aider ? Appelle-moi coach, s’il te plaît.» Enfin. « Oui, coach. Je viens d’arriver et je suis un peu perdu. J’aimerais savoir où on est, et ce que je dois faire. » J’avais dû y aller un peu fort, son sourire s’effaça d’un coup et il rebaissa les yeux. « Ah, c’est toi le nouveau, on m’a prévenu de ton arrivée. Tu es en retard. Les règles sont les mêmes partout : tu auras une amende. – Heu… oui coach. – Tes coéquipiers sont déjà là et t’attendent de pied ferme. Et puis il va falloir que tu rencontres le président. » D'une glacière posée à ses pieds, il sortit un verre étonnamment propre, rempli d’un liquide rouge. « Bois ça. » Ca me semblait être une très mauvaise idée. « Allez mon garçon, bois-ça ! » Je voulus me retourner vers Stark pour chercher son approbation : « Dites Stark, on est d’accord que boire ce truc serait une mau… » Stark avait disparu. Je scrutais du regard tous les recoins en espérant qu’il se soit assis ailleurs, mais le bar était vide. Stark avait disparu, le serveur et les clients avaient disparu. « Qu’attends-tu mon garçon, bois ! Qu’est-ce que tu risques ? »
Où l’on boit un coup
Le goût n’était pas désagréable, et je ne sentis aucun effet sur le moment. Marcelo me regardait à nouveau en souriant et repris la parole. « Tu vas voir, on n’a aucun problème pendant l’utilisation, on ne sent quasiment rien mais tu ne pourras plus t’en passer. Si tu veux une nouvelle dose viens me voir, je suis toujours là. Pour toi ça sera gratuit. Je suis sûr que tu vas bien t’amuser, mon garçon. » Aucun effet… En fait si, quelque chose avait changé : je me sentais bien, et il y avait du bruit. Des verres qu’on racle et qui s’entrechoquent, des rires, des cris, une musique en fond. Les clients s’étaient réveillés et avaient été rejoints par quelques autres. Toute une partie du bar était même occupée exclusivement par des filles, qui n’avaient évidemment aucun problème à tenir tête aux autres clients, que ce soit à la picole (même face au gars qui enquillait les whisky coca) ou sur la tchatche. Marcelo se replongea dans son carnet, et ce fut comme si je n’avais jamais existé pour lui. A la table d’à côté, un mec avec une perruque (enfin, j’espère que c’était une perruque) tapait la réclame en parlant à toute vitesse, espérant sans doute trouver un pigeon qui lui payerait une dose. « J’ai l’air fou, mais je ne le suis pas. C’est juste les cheveux ! D’ailleurs mon père est chauve, j’ai peur de devenir comme lui. Mais j’ai trouvé un moyen de sauver mes cheveux. J’ai rencontré ce mec-là, il a mis au point un traitement spécial : il te prend des cellules de la hanche qu’il réimplante. Je vais le faire. Dans une dizaine d’années, il aura même la solution pour les gens qui ont déjà perdu leurs cheveux. Vous devriez essayer ! » Euh… Non ? Il avait l’air de planer super haut, parlait pendant dix minutes des matches de Coupe d’Angleterre avant de lever les yeux au ciel en crispant la bouche, comme s’il venait de se remémorer un mauvais souvenir. Et en effet : « Pour moi, la magie de la Cup a été rompue quand mon pénis a été coupé puis recousu lors d'un après-midi peu romantique à Bournemouth, l'an dernier. »
Ce fût alors la révélation : tous ces gens, je les connaissais. J’étais incapable de leur donner spontanément un nom, mais leurs visages, leurs voix, leurs allures résonnaient familièrement. Comme la caricature d’homme d’affaires noir, assis silencieusement deux tables plus loin mais qui n’attendait visiblement qu’une seule chose : qu’on lui adresse la parole pour qu’il puisse se lancer dans un monologue. Le temps de lui dire bonjour et de m’asseoir et il était parti au quart de tour, m’accueillant par une phrase interminable qu’il aurait pu résumer par « Bonjour. » Comment aurais-je pu me tromper ? « Pape ? » Un large sourire se dessina sur son visage et il déclara qu’il était absolument ravi que quelqu’un le reconnaisse enfin. Il enchaîna : « Je veux dire : avant moi, il n’y a jamais eu de Noir président de club, avec moi, il n’y avait personne et, après moi, c’est toujours le désert absolu. C’est une anomalie, car le football européen ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans l’apport des Africains. » Pas forcément tort, le bougre, mais il allait un peu vite en besogne : son mandat n’avait pas été particulièrement couronné de succès. Mais il ne fallait surtout pas le lui faire remarquer, il se braquait instantanément : « Dans cette affaire-là, on a livré en pâture l'honneur d'un homme. Ce n'est pas mon propre sort qui compte, mais mon entourage qui a été durement touché : ma famille, mes amis, le continent africain, les jeunes des quartiers difficiles dont on dit qu'il faut faire quelque chose pour eux et qui me voient comme une espèce de modèle. » Et il changeait de sujet. Sûr d’avoir tout compris à la vie, ses discours étaient émaillés de maximes débiles, du style « Si tu as un tank et que l'autre a des ciseaux, et que tu perds quand même à la sortie, ça ne sert à rien de te battre contre une montagne ». Le genre de mec à te balancer, très sérieusement, « Je crois que l'humanité est en danger. C'est un des plus grands combats de ma vie. » ou encore « Quand on a la certitude d’être quelqu’un de bien, on est en paix avec soi-même. » La promotion de son autobiographie avait été un grand moment. « C'est un hymne à la vie. Avec de l'espoir pour tous ceux qui se cherchent, des bouts de recettes de parcours de vie. Tout le monde amène une brique pour se construire, avec beaucoup d'humilité. » D’humilité, hein ? Et puis d’un seul coup, ces beaux discours lénifiants cédaient la place au fond de sa pensée, nettement moins peace and love : « La France est hypocrite et lâche. Parfois, je me dis qu’en ayant été envahis par les Allemands, on serait mieux dirigé aujourd’hui. », ou encore « Les épouses, c’est facile: j’en ai eu deux. Ce qui est difficile, c’est de compter les femmes avec qui j’ai eu un enfant. J’en ai huit de six ou sept mères différentes. » Bref, je n’avais aucune envie de rester à sa table et me levais avant qu’il n'ait terminé de parler.
Dans l’espoir que Stark y soit revenu, je me dirigeais vers le bar. Aucune trace, mais le vieux monsieur au regard vitreux accoudé au zinc me disait quelque chose. Il me disait surtout que je n’avais pas envie de lui adresser la parole. Persuadé d’avoir tout vu, il lançait des sentences définitives, du style "Cela fait quarante ans que je suis dans ce milieu et j'ai compris une chose : pour faire ce métier, soit tu as des couilles, soit tu vis dans le compromis. Moi, je n'ai jamais vécu dans le compromis." L’archétype du vieux pas foncièrement méchant mais franchement sénile, tout fier de t’expliquer qu’il est « le dernier poulain de Léon Zitrone » et qui radote les mêmes histoires sans qu’on sache si elles sont vraies ou s’il a fini par croire à ses propres blagues : « Mon plus grand regret c'est d'avoir refusé Leonardi Di Caprio à mon tournoi de pétanque, j'avais déjà Starsky et Hutch et, à l'époque, il n'avait pas encore fait Titanic. » Mais des fois il faisait un peu peur, quand même : « En France, on ne sait pas faire de réformes. Si on veut avancer, l'histoire l'a prouvé, c'est au travers des révolutions. Donc, s'il faut passer par une révolution, autant le faire. » Heureusement, il s’entendait toujours répondre par d’autres vieux tout aussi ridicules un truc du style « Moi, je ne suis ni révolutionnaire ni ayatollah de quoi que ce soit. Une révolution c'est un peu le pot de fer contre le pot de terre, les élites contre les trous du cul. » Tant pis pour le bar. Par contre, adossé contre un mur, dans le no man’s land informel qui séparait le carré féminin du reste de la salle, se tenait un homme sans âge, qui semblait avoir beaucoup vécu sans pour autant être vieux, et qui semblait être de la même trempe, si ce n’est de la même famille, que Marcelo. En m’asseyant à sa table, il m’accueillit chaleureusement sans être obséquieux. J’ai eu du mal à comprendre son nom, mais je crois qu’il s’appelait Georges, ou quelque chose comme ça. Je pense que je suis resté un moment à la table de Georges, parce qu’il m’a rapidement semblé le connaître depuis toujours.
Georges faisait partie des rares clients que j’aimais bien. Déjà parce qu’il était discret et cherchait moins l’exposition que ses congénères. Et puis parce qu’il avait des principes, et de l’humour. « Une fois, j'étais avec une femme dans un bar. On a parlé toute la nuit, on a ri, flirté, je lui ai offert des verres. Et puis vers 5 heures du matin, un type est arrivé, l'a prise par le bras et l'a emmenée aux toilettes pour lui faire l'amour avant de partir avec elle. Mais ce n'est pas grave, puisque j’ai eu l'essentiel de la possession cette nuit-là. » Il refusait de transiger sur ses principes : « La culture de la gagne, je crois que c'est une escroquerie. Vouloir gagner, évidemment, ça fait partie de la compétition, mais ce sont les moyens pour y arriver qui sont les fondements du sport : l'épanouissement, le plaisir, la progression du joueur. On ne peut pas opposer la manière au résultat. Ce ne sont pas les esthètes qui sont contre le résultat, ce sont les arrivistes qui sont contre la manière. » Et souvent les résultats lui donnaient raison : « Le Brésil a Neymar. L'Argentine a Messi. Le Portugal Ronaldo. L'Allemagne a une équipe. » Et quand on lui demandait pourquoi, avec la cote qu’il avait eu dans le milieu, il n’avait jamais cédé à la tentation de gagner plus de pognon pour en dépenser encore plus, il avait toujours une réponse bien sentie. « Les autres sont beaux avec leur Mercedes ou leur Audi, mais quand un coéquipier a acheté une grosse télé, il était bien content que j'aie mon Kangoo. » Quant à savoir pourquoi il s’était retiré au fond de cette salle sombre sans chercher à reconquérir sa gloire d’antan, il avait également une réponse toute prête : « Je savais qu'à mon âge ma cote était aussi élevée qu'une Twingo de 1990. » Et puis il avait des goûts simples, Georges : « À mon avis, ce sera mon dernier club. Ici, je suis comblé. J’ai mon skateboard, mon scooter, l’école de mes enfants est à côté et ma femme partage cette vision de la vie. Quand je vais à l’entraînement en passant par les quais et que je regarde les monuments qui m'entourent, je me dis que je suis heureux. » Et toujours une anecdote de derrière les fagots pour te dire au revoir : « Après le match, une sorte de kermesse était organisée. Les Suédois nous ont fait monter sur l'estrade pour que l'on chante La Marseillaise. Mais comme nous ne connaissions pas bien les paroles, on a chanté Les Couilles de mon grand-père. Les Suédois n'y ont vu que du feu. »
Me dire au revoir ?! Déjà ? J’avais perdu toute notion du temps. Et le silence se fit. Je voulus retourner voir Marcelo pour lui demander une nouvelle dose, replonger de l’autre côté, mais tout était figé et sombre. Seule la porte du personnel, entrouverte, éclairait vaguement la pièce, l’embrasure crachant une forte lueur. On distinguait quelques bruits étouffés, comme des bips et des sifflements. Oh merde…
Ce fût alors la révélation : tous ces gens, je les connaissais. J’étais incapable de leur donner spontanément un nom, mais leurs visages, leurs voix, leurs allures résonnaient familièrement. Comme la caricature d’homme d’affaires noir, assis silencieusement deux tables plus loin mais qui n’attendait visiblement qu’une seule chose : qu’on lui adresse la parole pour qu’il puisse se lancer dans un monologue. Le temps de lui dire bonjour et de m’asseoir et il était parti au quart de tour, m’accueillant par une phrase interminable qu’il aurait pu résumer par « Bonjour. » Comment aurais-je pu me tromper ? « Pape ? » Un large sourire se dessina sur son visage et il déclara qu’il était absolument ravi que quelqu’un le reconnaisse enfin. Il enchaîna : « Je veux dire : avant moi, il n’y a jamais eu de Noir président de club, avec moi, il n’y avait personne et, après moi, c’est toujours le désert absolu. C’est une anomalie, car le football européen ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans l’apport des Africains. » Pas forcément tort, le bougre, mais il allait un peu vite en besogne : son mandat n’avait pas été particulièrement couronné de succès. Mais il ne fallait surtout pas le lui faire remarquer, il se braquait instantanément : « Dans cette affaire-là, on a livré en pâture l'honneur d'un homme. Ce n'est pas mon propre sort qui compte, mais mon entourage qui a été durement touché : ma famille, mes amis, le continent africain, les jeunes des quartiers difficiles dont on dit qu'il faut faire quelque chose pour eux et qui me voient comme une espèce de modèle. » Et il changeait de sujet. Sûr d’avoir tout compris à la vie, ses discours étaient émaillés de maximes débiles, du style « Si tu as un tank et que l'autre a des ciseaux, et que tu perds quand même à la sortie, ça ne sert à rien de te battre contre une montagne ». Le genre de mec à te balancer, très sérieusement, « Je crois que l'humanité est en danger. C'est un des plus grands combats de ma vie. » ou encore « Quand on a la certitude d’être quelqu’un de bien, on est en paix avec soi-même. » La promotion de son autobiographie avait été un grand moment. « C'est un hymne à la vie. Avec de l'espoir pour tous ceux qui se cherchent, des bouts de recettes de parcours de vie. Tout le monde amène une brique pour se construire, avec beaucoup d'humilité. » D’humilité, hein ? Et puis d’un seul coup, ces beaux discours lénifiants cédaient la place au fond de sa pensée, nettement moins peace and love : « La France est hypocrite et lâche. Parfois, je me dis qu’en ayant été envahis par les Allemands, on serait mieux dirigé aujourd’hui. », ou encore « Les épouses, c’est facile: j’en ai eu deux. Ce qui est difficile, c’est de compter les femmes avec qui j’ai eu un enfant. J’en ai huit de six ou sept mères différentes. » Bref, je n’avais aucune envie de rester à sa table et me levais avant qu’il n'ait terminé de parler.
Dans l’espoir que Stark y soit revenu, je me dirigeais vers le bar. Aucune trace, mais le vieux monsieur au regard vitreux accoudé au zinc me disait quelque chose. Il me disait surtout que je n’avais pas envie de lui adresser la parole. Persuadé d’avoir tout vu, il lançait des sentences définitives, du style "Cela fait quarante ans que je suis dans ce milieu et j'ai compris une chose : pour faire ce métier, soit tu as des couilles, soit tu vis dans le compromis. Moi, je n'ai jamais vécu dans le compromis." L’archétype du vieux pas foncièrement méchant mais franchement sénile, tout fier de t’expliquer qu’il est « le dernier poulain de Léon Zitrone » et qui radote les mêmes histoires sans qu’on sache si elles sont vraies ou s’il a fini par croire à ses propres blagues : « Mon plus grand regret c'est d'avoir refusé Leonardi Di Caprio à mon tournoi de pétanque, j'avais déjà Starsky et Hutch et, à l'époque, il n'avait pas encore fait Titanic. » Mais des fois il faisait un peu peur, quand même : « En France, on ne sait pas faire de réformes. Si on veut avancer, l'histoire l'a prouvé, c'est au travers des révolutions. Donc, s'il faut passer par une révolution, autant le faire. » Heureusement, il s’entendait toujours répondre par d’autres vieux tout aussi ridicules un truc du style « Moi, je ne suis ni révolutionnaire ni ayatollah de quoi que ce soit. Une révolution c'est un peu le pot de fer contre le pot de terre, les élites contre les trous du cul. » Tant pis pour le bar. Par contre, adossé contre un mur, dans le no man’s land informel qui séparait le carré féminin du reste de la salle, se tenait un homme sans âge, qui semblait avoir beaucoup vécu sans pour autant être vieux, et qui semblait être de la même trempe, si ce n’est de la même famille, que Marcelo. En m’asseyant à sa table, il m’accueillit chaleureusement sans être obséquieux. J’ai eu du mal à comprendre son nom, mais je crois qu’il s’appelait Georges, ou quelque chose comme ça. Je pense que je suis resté un moment à la table de Georges, parce qu’il m’a rapidement semblé le connaître depuis toujours.
Georges faisait partie des rares clients que j’aimais bien. Déjà parce qu’il était discret et cherchait moins l’exposition que ses congénères. Et puis parce qu’il avait des principes, et de l’humour. « Une fois, j'étais avec une femme dans un bar. On a parlé toute la nuit, on a ri, flirté, je lui ai offert des verres. Et puis vers 5 heures du matin, un type est arrivé, l'a prise par le bras et l'a emmenée aux toilettes pour lui faire l'amour avant de partir avec elle. Mais ce n'est pas grave, puisque j’ai eu l'essentiel de la possession cette nuit-là. » Il refusait de transiger sur ses principes : « La culture de la gagne, je crois que c'est une escroquerie. Vouloir gagner, évidemment, ça fait partie de la compétition, mais ce sont les moyens pour y arriver qui sont les fondements du sport : l'épanouissement, le plaisir, la progression du joueur. On ne peut pas opposer la manière au résultat. Ce ne sont pas les esthètes qui sont contre le résultat, ce sont les arrivistes qui sont contre la manière. » Et souvent les résultats lui donnaient raison : « Le Brésil a Neymar. L'Argentine a Messi. Le Portugal Ronaldo. L'Allemagne a une équipe. » Et quand on lui demandait pourquoi, avec la cote qu’il avait eu dans le milieu, il n’avait jamais cédé à la tentation de gagner plus de pognon pour en dépenser encore plus, il avait toujours une réponse bien sentie. « Les autres sont beaux avec leur Mercedes ou leur Audi, mais quand un coéquipier a acheté une grosse télé, il était bien content que j'aie mon Kangoo. » Quant à savoir pourquoi il s’était retiré au fond de cette salle sombre sans chercher à reconquérir sa gloire d’antan, il avait également une réponse toute prête : « Je savais qu'à mon âge ma cote était aussi élevée qu'une Twingo de 1990. » Et puis il avait des goûts simples, Georges : « À mon avis, ce sera mon dernier club. Ici, je suis comblé. J’ai mon skateboard, mon scooter, l’école de mes enfants est à côté et ma femme partage cette vision de la vie. Quand je vais à l’entraînement en passant par les quais et que je regarde les monuments qui m'entourent, je me dis que je suis heureux. » Et toujours une anecdote de derrière les fagots pour te dire au revoir : « Après le match, une sorte de kermesse était organisée. Les Suédois nous ont fait monter sur l'estrade pour que l'on chante La Marseillaise. Mais comme nous ne connaissions pas bien les paroles, on a chanté Les Couilles de mon grand-père. Les Suédois n'y ont vu que du feu. »
Me dire au revoir ?! Déjà ? J’avais perdu toute notion du temps. Et le silence se fit. Je voulus retourner voir Marcelo pour lui demander une nouvelle dose, replonger de l’autre côté, mais tout était figé et sombre. Seule la porte du personnel, entrouverte, éclairait vaguement la pièce, l’embrasure crachant une forte lueur. On distinguait quelques bruits étouffés, comme des bips et des sifflements. Oh merde…
Où l’on rencontre le président
C’est à peine si j’eus à marcher pour atteindre la porte : le décor semblait de plus en plus modelable sans que je ne sois sûr que ce soit de mon fait. Peu importe : je savais déjà sur quoi j’allais tomber. Vous aussi avez peut-être deviné : une chambre d’hôpital, des tuyaux, des écrans, un vieux monsieur. Papy Nicau. Jusqu’ici j’avais eu droit aux grincements de rouages, c’était l’heure des cris. Pour l’instant il dormait sur son lit, bardé de tuyaux, mais le teint vif et l’air détendu. Il ouvrit les yeux en m’entendant entrer, se releva sur son lit, bien vivant. « Ah bah t’es enfin là p’tit con ! » OK, c’est moins flippant que ce que j’imaginais. Mais je restais quand même près de la porte. « Toujours embarqué dans Football Manager ? C’est de la drogue dure, hein ! Mais bon, ça m’a pas empêché de mourir vieux et de m’amuser jusqu’au bout. Alors comme ça, t’as repris ma partie avec Strasbourg ?
– J’ai essayé.
– Ah ! Et ça a donné quoi ?
– J’ai perdu ta finale de Coupe d’Europe.
– M’étonne pas, tiens. Je la refais en boucle depuis que je suis là et impossible d’y arriver. Le destin, j’imagine. Et ensuite ?
– Bah ensuite… j’ai continué un peu, une demi-saison, et puis le nouvel épisode est sorti.
– Et alors ?
– Bah, j’ai commencé une partie sur le nouveau.
– De quoi ? On s’en fout de ça, une partie on la vit jusqu’au bout. A quoi ça sert d’avoir un jeu qui te fait vivre une réalité fantasmée si tu abandonnes la partie aussi facilement ?
– De toute façon c’est foutu, j’ai désinstallé le jeu pour faire de la place pour le suivant, et je n’avais pas exporté ta sauvegarde.
–Tu as fait quoi ?! TU AS FAIT QUOI ?!
– J’ai… je… je suis désolé, je…
Mais Papy Nicau n’écoutait plus. Il arracha tous ses tubes, se leva et marcha dans ma direction, avec la visible et ferme intention de m’étrangler. A chaque pas vers moi, il semblait moins vivant. Son teint vira au vert puis au noir, ses orbites se creusèrent, une atroce puanteur envahit la pièce, la lumière baissa, l’air devint poisseux, presque solide… Je me ruais à l’extérieur, mais le bar était définitivement plongé dans les ténèbres. Apeuré et écœuré, je trébuchais contre une table, et ne pus contenir un crachat de sang et de bile en me relevant. « Stark ! STARK !! » Aucune réponse, si ce n’est un râle venant de derrière moi. OK, s’il était dans mon dos et venait de la chambre alors la sortie était face à moi. Avançant à tâtons, tombant encore deux ou trois fois, je finis par me cogner à la banquette et au mur. Droite ou gauche ? Tenant la banquette de la main droite, je tentais ma chance à gauche. Les râles de mon grand-père empiraient, et semblaient venir de partout à la fois. Après un court instant, la banquette céda la place au vide. La porte ! En poussant de toutes mes forces, elle s’ouvrit immédiatement, me projetant dans les marches extérieures. En rampant lamentablement, je pus remonter dans la ruelle, et comme j’avais retrouvé la lumière et que les râles avaient cessé, j’estimais être suffisamment en sécurité pour m’évanouir là, couché sur le bitume. Avant de fermer les yeux, je vis Stark s’approcher en fumant, s’asseoir à côté de moi et me prendre la main. « Je suis désolé. »
– J’ai essayé.
– Ah ! Et ça a donné quoi ?
– J’ai perdu ta finale de Coupe d’Europe.
– M’étonne pas, tiens. Je la refais en boucle depuis que je suis là et impossible d’y arriver. Le destin, j’imagine. Et ensuite ?
– Bah ensuite… j’ai continué un peu, une demi-saison, et puis le nouvel épisode est sorti.
– Et alors ?
– Bah, j’ai commencé une partie sur le nouveau.
– De quoi ? On s’en fout de ça, une partie on la vit jusqu’au bout. A quoi ça sert d’avoir un jeu qui te fait vivre une réalité fantasmée si tu abandonnes la partie aussi facilement ?
– De toute façon c’est foutu, j’ai désinstallé le jeu pour faire de la place pour le suivant, et je n’avais pas exporté ta sauvegarde.
–Tu as fait quoi ?! TU AS FAIT QUOI ?!
– J’ai… je… je suis désolé, je…
Mais Papy Nicau n’écoutait plus. Il arracha tous ses tubes, se leva et marcha dans ma direction, avec la visible et ferme intention de m’étrangler. A chaque pas vers moi, il semblait moins vivant. Son teint vira au vert puis au noir, ses orbites se creusèrent, une atroce puanteur envahit la pièce, la lumière baissa, l’air devint poisseux, presque solide… Je me ruais à l’extérieur, mais le bar était définitivement plongé dans les ténèbres. Apeuré et écœuré, je trébuchais contre une table, et ne pus contenir un crachat de sang et de bile en me relevant. « Stark ! STARK !! » Aucune réponse, si ce n’est un râle venant de derrière moi. OK, s’il était dans mon dos et venait de la chambre alors la sortie était face à moi. Avançant à tâtons, tombant encore deux ou trois fois, je finis par me cogner à la banquette et au mur. Droite ou gauche ? Tenant la banquette de la main droite, je tentais ma chance à gauche. Les râles de mon grand-père empiraient, et semblaient venir de partout à la fois. Après un court instant, la banquette céda la place au vide. La porte ! En poussant de toutes mes forces, elle s’ouvrit immédiatement, me projetant dans les marches extérieures. En rampant lamentablement, je pus remonter dans la ruelle, et comme j’avais retrouvé la lumière et que les râles avaient cessé, j’estimais être suffisamment en sécurité pour m’évanouir là, couché sur le bitume. Avant de fermer les yeux, je vis Stark s’approcher en fumant, s’asseoir à côté de moi et me prendre la main. « Je suis désolé. »
Epilogue
« Je suis désolé, Jean-Eudes. » Je sentis qu’on me retirait le casque. « Nous étions ici pour soigner votre addiction, je ne m’attendais pas à ce que votre grand-père resurgisse comme cela. » J’avais un mal de crâne terrible et l’impression d’être resté éveillé plusieurs jours. « Mais c’est une belle opportunité et un énorme progrès, Jean-Eudes : nous avons compris d’où venait votre addiction ! » OK, cool, mais j’avais juste envie de rentrer chez moi et de dormir pendant trois mois. Reprenant péniblement mes esprits, j’entendis le docteur Stark m’annoncer le tarif : « Pour cette séance, ça fera 740€, s’il vous plaît. » Combien ?! « Oui, je sais, c’est un peu plus que ce que vous envisagiez, mais comprenez-moi bien, c’est du matériel haut de gamme que nous utilisons… » Formidable. Je venais d’avoir un bad trip, mais un bad trip haut de gamme.
Comme d’habitude, l’évolution entre l’opus de l’an dernier et celui-ci est minime en ce qui concerne la version classique : la plus "grosse évolution" concerne le volet statistique, densifié grâce à un partenariat avec Opta. Soulignons cependant que, cette année, le jeu n’a pas vraiment eu besoin de patchs post-sortie pour être agréablement jouable, ce qui constitue une amélioration par rapport aux habitudes de Sports Interactive. Football Manager se dote enfin d’une version cross plateforms pour les possesseurs de tablettes, histoire d’emmener une même sauvegarde partout avec vous et ruiner votre vie sociale même quand vous êtes loin de chez vous. Au rang des manques, citons le foot féminin auquel FIFA s'est mis cette année, mais pour ça comme pour les coupes d'Europe à l'ancienne et la restauration sportive de l'U.R.S.S. on peut compter sur une communauté talentueuse qui crée des mods à foison.