TEST
World's End Club : Death loop
par billou95,
email @billou_95
Supports : Switch / Apple Arcade
Annoncé lors de la création du studio Too Kyo Games en 2018, celui qu'on appelait Death March Club a pris son temps pour sortir de terre. Pourtant, il ne nous a fallu qu'un ballon d'essai, le très bon Death Come True testé chez nous par ici, pour nous rassurer sur le talent du duo aux commandes du projet. Quelques années et un accès anticipé sur Apple Arcade plus tard, le second rejeton de Kotaro Uchikoshi (Zero Escape, AI: The Somnium Files) et Kazutaka Kodaka (Danganronpa) est enfin de sortie sur Switch et on s'est empressés de prendre notre carte de membre de ce World's End Club très spécial.
Kodaka se serait-il assagi avec l'âge ? En tout cas, World's End Club ne fait pas immédiatement l'apologie de la violence gratuite et du battle royale sanglant comme ses précédentes productions. Le scénario commence même comme une bonne petite série du sous-genre school anime. Après un petit tutoriel introductif mystérieux, on se retrouve devant une bande de gamins issus d'un collège Tokyoïte en partance pour en voyage scolaire par un beau matin d'été 1995. Quand soudain, un météore traverse le ciel et vient s'abattre sur la capitale nippone, déclenchant une incroyable vague d'énergie qui vient percuter leur minibus. Au réveil, ils se retrouvent enfermés dans ce qui ressemble à un parc d'attractions sous-marin. Piégés par l'abominable Pielope, une sorte d'anti-fée qui a bien un air de Monokuma (l'ours antagoniste de Danganronpa), ils se voient obligés de participer à un jeu de survie sadique qui mettra leur amitié à rude épreuve. Deux heures et bien des péripéties plus tard, ils arrivent enfin à échapper aux griffes du maléfique pantin et débarquent sur une plage de Kagoshima, à l'extrême sud de l'île de Kyūshū.Mais leur aventure ne fait que commencer. Le Club des Battants (c'est le petit nom de leur troupe autoproclamée) se rend vite compte qu'il y a quelque chose qui cloche. Il n'y a plus âme qui vive à des kilomètres à la ronde et d'étranges structures en forme de X trônent dans le ciel. En se baladant dans les rues désertes de la préfecture, les 11 gamins se font pourchasser par des plantes et autres animaux mutants avant de se rendre à l'évidence : le Japon a définitivement changé. Mais où sont passés tous les humains ? Et combien de temps s'est-il écoulé entre leur accident et leur réveil dans le parc ? Mais surtout, pourquoi semblent-ils tous se découvrir d'étranges pouvoirs ? Dans le doute, ils décident de repartir à pied jusqu'à Tokyo pour en avoir le coeur net et espérer y retrouver du monde. C'est là que commence un long road trip d'une bonne douzaine d'heures à travers tout un archipel au décor post-apocalyptique. A chaque nouvelle ville-étape sur la carte, la frise chronologique nous propose une séquence de jeu associée.
Le jeu nous propose par exemple des saynètes "Story" qui prennent la forme de visual novels interactifs et qui vont grosso-modo faire avancer la métahistoire et s'ouvriront possiblement sur deux choix scénaristiques possibles. On aura aussi les "Act", des phases de gameplay en 2.5D combinant action-plateforme légère et puzzles simplifiés. Ou bien encore un feu de "Camp" qui permettra d'en apprendre plus sur le passé des morveux et leurs relations au sein du groupe.
On avancera donc de rebondissement en rebondissement, en découvrant plus sur tel ou tel personnage au fur à et mesure du voyage. En effet, si tous les membres du club se sont rencontrés à Tokyo, ils viennent des quatre coins du pays. Il ne sera donc pas rare de voir une scission dans un groupe qui prendra à parti le joueur qui plante un leader muet comme une carpe : Reycho. En choisissant d'aller d'un côté ou de l'autre, on fait l'impasse (pendant un long moment) sur un autre pan du scénario et de ses possibles implications sur l'histoire et ses protagonistes.
Les amateurs des productions Spike Chunsoft le savent, leur auteur adore jouer avec la psyché de ses personnages et ce principe de choix/conséquences tout au long de la partie. Ce n'est d'ailleurs pas la seule ficelle empruntée à Danganronpa. World's End Club brise allègrement le 4e mur dans la seconde moitié du jeu et sait nous faire prendre conscience que la vie de chacun de ces superhéros en culotte courte ne tient qu'à un fil. Il diffuse aussi subtilement çà et là quelques indices sur une aventure qui se déroule non-seulement dans l'espace, mais aussi quelque part dans le temps (on dit ça, on dit rien...) Enfin surtout, son créateur est passé maître dans l'art de nous faire aimer sa distribution d'acteurs virtuels et il fait encore une fois ici des miracles.
Au fil du voyage, on apprend à les adorer ces sales gosses et comme chaque membre du club, on les suivrait jusqu'au bout du monde ! Ultra archétypés (la nerveuse haute comme trois pommes, le binoclard courageux, la jeune fille innocente, le garçon un peu rond qui n'arrête pas de parler de bouffe) et dépeints à l'écran par Take, l'illustratrice de Bravely Default et Pokémon Soleil/Lune, ils ont tous quelque chose d'attachant.
En plus de ça, chacun ramène régulièrement sa fraise sur les lieux traversés pour mettre en avant son fief. On se retrouve presque devant un guide du Routard interactif, tel héros nous parlant des légendes autour d'une ville, ses traditions culinaires, son architecture et ses monuments remarquables, etc. World's End Club est pensé pour les amoureux du japon. Mieux, il apparait comme une chouette porte d'entrée vers le pays du soleil levant pour qui souhaiterait le découvrir. Non franchement, si on s'arrêtait juste à sa narration, on vous recommanderait World's End Club les yeux fermés. Seulement voilà, si Too Kyo s'est occupé de toute la partie gribouillage et script, c'est le studio Grounding Inc. qui est responsable du développement à proprement parler. Et ce détail a toute son importance. Le studio derrière la technique de Crimson Dragon (aie !) et prochainement celle de The Good Life (outch !) ne nous surprend pas ici en rendant un travail souvent juste passable et parfois à la limite du tolérable en 2021. Si on s'attarde uniquement sur la brique gameplay action du jeu, on est déjà consternés par ces phases de plateforme ultra génériques.
Les sauts y sont asthmatiques, flottants et imprécis, tant et si bien qu'on meurt la plupart du temps parce que le jeu à décider de nous faire retomber un pixel trop loin. On y retrouve aussi un festival d'animations lentes et qui ne se cassent pas lorsqu'on essaie de lancer des actions en même temps. Du coup, on décède encore trop souvent parce qu'on a voulu aller trop vite et qu'on s'est fait rattraper par une hitbox ennemie sans pouvoir réagir... Les puzzles développés sont eux aussi ultra simplistes, un réchauffé de trucs déjà plus en vogue au milieu des années 2000. Enfin, parlons du gimmick lié aux pouvoirs des héros qui se mange en frontal toutes les mécaniques bancales citées plus haut. Le résultat est sans appel : on se bat plus contre le jeu que contre les animaux fantastiques pensés par ses auteurs. Heureusement pour nous, le jeu sauvegarde même en cours de niveau pour éviter de nous faire recommencer depuis le début. Un mode facile est même présent dans les options pour éviter le oneshot systématique, mais on aurait préféré quelque chose de plus fluide et pourquoi pas la possibilité de basculer entre les héros (qui pourtant nous suivent à la queue leu leu dans ces tableaux) pour jouer avec les effets des pouvoirs.
On est loin de l'accident industriel, ces phases d'action restent limitées dans un titre qui met surtout en avant son histoire. Mais on sait qu'on va passer un sale quart d'heure dès qu'on voit le petit logo "Act" s'afficher dans la frise. Au-delà de ça, le budget serré de la réalisation technique se fait sentir un peu partout (clipping, modèles pas bien alignés avec le sol, seams réguliers, textures pauvrettes à certains endroits, etc.). Et c'est d'autant plus rageant que le reste du jeu est excellent, bien raconté et que la mise en scène s'autorise à de rares moments des jeux de caméra façon anime du plus bel effet.
Du coup, on se demande s'il n'aurait pas été plus judicieux de réaliser le jeu uniquement en 2D. A côté de ça, le jeu se paye une bande originale de haute volée composée par Jun "No More Heroes" Fukuda et des doublages japonais excellentissimes. Des voix qui brillent encore plus lors des (trop) rares séquences de comédie musicale chantées en groupe. On ne peut par contre pas en dire autant des voix anglaises en deçà. La traduction française est elle de bonne facture avec des références urbaines très actuelles (mention spéciale au "je pense la question elle est vite répondue" sauvage en milieu de partie).
On ne peut pas faire plus clivant que World's End Club. Si vous y venez pour chercher un quelconque gameplay action un tant soi peu plaisant à jouer ou que vous êtes allergiques à la technique au rabais, circulez y'a rien à voir. Par contre, si vous êtes attirés par l'idée d'un road trip dans un Japon atypique piloté par une bande de gamins aux cheveux roses, ou que votre truc à vous, c'est les productions Kodaka (l'un n'empêche pas l'autre), vous serez surement aussi surpris que nous par le jeu. Il n'est pas parfait, mais c'est en tout cas l'un des rares titres vraiment originaux de cette année 2021 et rien que pour ça, il vaut le coup d'oeil.