TEST
Vampyr : faut-il sucer pour réussir ?
Développeur / Editeur : DONTNOD
Si la vie n’est pas facile tous les jours, la mort, elle, n’est pas facile toutes les nuits. Jonathan Reid, docteur de son état, en aurait de belles à raconter sur ce sujet. Lorsque vous faites sa connaissance, il vient de se réveiller à côté d’un charnier. À peine reprend-il ses esprits qu’il entre dans une transe et tue la première personne qui lui tombe sous les crocs. Car Jonathan ne le sait pas encore, mais il est un vampire, ou plutôt, à en croire le titre, un vampyr (avec un y, comme le film des années 30 et le supergroupe du chanteur de Kyo). Le voici condamné à errer de nuit dans le Londres de 1918 et sa galerie de crapouilles, de fripules, de types louches et de bons samaritains, le tout sur fond de grippe espagnole.
Vampyr est un TPS bâtard. Comprenez par ceci que quand vous n’êtes pas en train de dialoguer avec des gens façon Life is Strange, vous êtes en train de tabasser des ennemis dans des ruelles. Or donc, je vous le demande, comment devient-on meilleur au combat dans Vampyr ? En gagnant de l’expérience pour débloquer des compétences. Jusque là, c’est classique. Le problème, c’est que débloquer les compétences demande une bonne quantité d’XP, et que bastonner des goules et des exorcistes n’en donne qu’une quantité risible. Il y a plusieurs autres façons d’obtenir de l’expérience, mais aucune ne permet d’en gagner aussi rapidement que de sucer le sang des quidams. Théoriquement, le principe de base de Vampyr est donc le dilemme suivant : vais-je tuer des gens pour rendre le jeu plus facile ou vais-je m’abstenir, et ainsi avoir des combats plus difficiles mais aussi plus longs ? À ce dilemme s’ajoutent d’autres facteurs qui nuancent le tout.Il faut savoir que Vampyr est un monde ouvert découpé en quartiers, dont certains sont des zones neutres où evoluent des PNJ. Ce sont ces PNJ que vous avez le choix de tuer ou non.
Petit aparté : savez-vous à quel point il m’est difficile de me retenir d’écrire « sucer » toutes les deux lignes, surtout dans un contexte de ruelles obscures et de quartiers malfamés ? Il y avait tellement de blagues lourdingues à faire, dont certaines m’auraient probablement valu un « Hauts-de-France award » (ceux qui ont joué au jeu comprendront). Hélas, on est en 2018, je suis désormais un adulte, je ne peux décemment plus faire une métaphore filée de beauf. Oui, les beaufs font des métaphores filées, comme Monsieur Jourdain fait de la prose ; vraiment, quelle chose fascinante qu’un monde où Gérard-du-PMU-d’à-côté a autant de lyrisme potentiel qu’un Rimbaud, qui n’était d’ailleurs pas lui-même le dernier pour sucer, surtout vers l’aine.
Bref, chaque PNJ n’a pas qu’un physique, il a aussi un cerveau et une histoire. Histoire symbolisée par des « indices » qu’il faut débloquer en trouvant des objets connexes, discutant avec d’autres personnes ou encore en épiant leurs actions. Plus vous débloquez d’indices sur un personnage, plus l’XP que vous récoltez en le tuant est élevée. Génie du concept : en essayant de faire monter l’XP, vous en découvrez davantage sur la personne et vous empathissez avec elle. C’est d’autant plus intéressant que chaque personnage est plutôt bien écrit, et faire plus ample connaissance permet souvent de nuancer les a-priori du premier contact. On prend beaucoup de plaisir à faire la chasse aux indices, qui devient un jeu dans le jeu, d’autant que cela permet de développer un univers que la quête principale n’évoque pas tellement. Car oui, il y a aussi des quêtes secondaires données par des PNJ.
On pourrait d’ailleurs penser que le jeu n’a pas été conçu pour être joué d’une traite, c’est-à-dire uniquement en suivant la trame principale. Dans mon cas, en ayant fait presque toutes les quêtes secondaires (toutes sauf une, en vrai), la quête principale semblait bien rythmée ; mais à y réfléchir, certains aspects auraient semblé précipités si je n’avais fait que la quête principale et suivi tous les dialogues. D’autant plus que cela aurait théoriquement rendu le jeu bien plus difficile, surtout si vous choisissez de tuer directement des habitants sans attendre.
Reid is dead
Vampyr n’est donc pas parfait. Il a même d’ailleurs un certain nombre de défauts, à commencer par le poids du dilemme sus-cité dans le gameplay. En jouant comme je l’ai fait, il est possible de ne tuer aucun PNJ et d’arriver à la fin avec quelques rares pics de difficulté. Trouver des objets, tuer des ennemis, soigner des gens finit par nous laisser assez d’expérience pour pouvoir jouer convenablement, rendant l’acte de sacrifier des PNJ réellement facultatif. Pire encore : la quête principale vous met face à des choix draconiens une fois de temps en temps, et les conséquences de ces choix ont un impact sur qui restera en vie ou non dans le quartier. Malheureusement, il est impossible d’être sûr que le choix que vous faites va avoir l’effet escompté en vous basant sur ce que le jeu vous a enseigné jusque-là. Bien que cela donne un agréable sentiment d’impuissance, ça nique complètement la possibilité de faire un « perfect » volontairement.Autre chose que j’ai mentionnée ci-dessus, les PNJ peuvent tomber malades et vous avez la possibilité de les soigner. De leur santé dépend l’XP que vous en tirez, mais aussi la stabilité du quartier, qui est établie sur une échelle allant de « sain » à « hostile ». Le jeu devient, si j’ai bien compris, plus difficile à mesure que la santé baisse (ou que des PNJ meurent). Le problème de ce système est que les gens ne meurent pas de leur maladies ; on peut parfaitement laisser un type avec une pneumonie et une septicémie, ça ne fera que baisser la stabilité du quartier.
Dans la pratique, on ne ressent pas beaucoup de changements entre un quartier sain et un quartier en état critique. Par contre, si le quartier passe en état hostile, alors tout le monde meurt et les quêtes secondaires sont perdues. Personnellement, j’ai fait passer un quartier en « hostile » pour les besoins du journalisme total, et, était-ce un bug ou non, en tout cas toujours est-il qu’il a fallu que je sois bien bas dans le chevron « hostile » pour que le quartier devienne effectivement hostile.
Viens voir le docteur non n'aie pas peur
La difficulté du jeu se résume à la difficulté des combats obligatoires. Il y a de très nombreux combats dans les rues, mais il est en général assez facile de courir en ligne droite pour atteindre une zone neutre. Les combats obligatoires, eux, peuvent s’avérer assez balèzes : un ennemi avec 5 niveaux au-dessus du vôtre vous enlève au moins un tiers de votre vie en un coup. Cependant, chaque ennemi obéit à un certain nombre de patterns qui, une fois appris, sont esquivables relativement facilement. L’esquive dépendant de votre endurance, il est théoriquement possible de progresser jusqu’à la fin en n’augmentant que celle-ci pour pouvoir placer des coups une fois le pattern de l’ennemi terminé. Bien entendu, c’est une technique un peu idiote qui allonge considérablement les combats, mais cela sabote partiellement le mécanisme de meurtre de PNJ qui devrait pourtant être au centre du gameplay.Enfin, parlons de l’open-world en lui-même : il est d’une taille correcte et jouit d’une très bonne ambiance. On se balade avec plaisir dans les divers quartiers et bourgs miteux de Londres. Par contre, il est sectionné de façon très évidente en petites zones qui tendent à nanardiser légèrement le jeu. Par exemple, chaque ennemi a une « zone de combat invisible » définie. Si vous l’attirez hors de cette zone, il vous oublie et retourne vers celle-ci ! Éviemment, il est possible d’exploiter cela à votre avantage un peu trop facilement. Dans un autre registre, on regarde avec un sourire en coin les PNJ bâtifoler tranquilou alors que des goules assoifées de sang rôdent dans le jardin juste de l’autre côté du mur. Ou encore la possibilité d’utiliser certains pouvoirs de vampire alors que l’on est dans l’angle de vue d’un PNJ, et que celui-ci ne remarque rien…
Alors, vous me direz, « bon concept mal exploité » ? Certes, mais Vampyr reste un bon jeu car il a avant tout pour vocation de raconter des histoires et qu’il se débrouille plutôt bien en la matière. Par certains aspects, la quête principale n’est même pas la plus intéressante ; on suit la vie des petites gens avec autant d’intérêt qu’on suit celle des grandes. C’est d’ailleurs intéressant de voir comment les personnages jusitifent assez habilement leur présence de nuit dans un Londres en danger, ou d'écouter les dernières pensées d'une personne au moment où vous la sacrifiez.
Vampyr est un jeu pétri de petits défauts, dont l’accumulation ne parvient pas à rendre le jeu ni mauvais ni nanar. On salue l’initative de DONTNOD de tenter un gameplay un peu en-dehors des sentiers battus qui, s’il se révèle au final bancal, n’en reste pas moins intéressant et intrigant.