TEST
The Witness
par Nicaulas,
email @nicaulasfactor
Comme je disais précédemment, le seul moyen d’aborder The Witness c’est de le spoiler. Soit en expliquant le principe de base de son gameplay ce qui gâche le plaisir de l’apprentissage, soit en listant ses influences ce qui va orienter votre manière d’appréhender le jeu, soit en montrant des images qui vont gâcher le plaisir de la découverte, de l’observation et de l’émerveillement. Du coup, puisque j’ai fait le maximum pour vous préserver en repoussant ça en seconde page et en bardant la première d’avertissements, autant y aller à fond : les prochains paragraphes vont donc parler de tout le jeu sans restriction, y compris sa fin et des explications sur le fonctionnement précis des puzzles.
« Négatif, je suis un Myst en plus ouvert »
Assez sec dans son introduction qui nous drop dans les entrailles d’un fort abandonné sans explication, The Witness laisse néanmoins rapidement entrevoir au joueur sa structure globale. On est sur une île, vide d’humains mais pas de bâtiments, sur laquelle on peut se balader plus ou moins librement et qui contient un éparpillement d’énigmes liées au décor. Au bout de quelques heures, on comprend que certaines séries d’énigmes permettent d’activer des lasers, qui pointent vers la montagne qui domine l’île, et que cette dernière fera office de « dernier niveau ». A partir de là, c’est au joueur de décider dans quel ordre il souhaite activer les lasers, s’il souhaite résoudre toutes les énigmes annexes ou encore s’il a le courage de rechercher les extraits audio et vidéo qui sont les seules formes de narration « traditionnelle » présentes. La construction de l’île, découpée en zones visuellement très distinctes (on peut passer d’un désert brûlant à une forêt d’automne en quelques mètres) qui définissent les aires de jeu et qui peuvent être « finies » dans l’ordre qu’on veut, rappelle évidemment le tout premier Myst.
D’autant plus que mis à part un sound design plus épais dans The Witness (on entend nos bruits de pas, le souffle du vent ou le bruissement de l’eau), les deux jeux ont en commun une absence quasi-totale de musique. Malgré cette sécheresse auditive, le jeu est un émerveillement permanent, car l’époque des diapos interactives est heureusement révolue et The Witness apporte un soin tout particulier à la composition des plans que peut visualiser le joueur. Du moins celui qui n’a pas la gerbe en jouant aux FPS : malgré un FOV réglable le jeu semble être un Vomitron 2000 chez les personnes sensibles, et les couleurs très criardes de certaines zones n’arrangent rien. On peut également noter un léger clipping et un sévère aliasing qui nous rappellent régulièrement qu’on est dans un jeu vidéo.
Néanmoins, l’aspect global de l’île en impose, avec une patte visuelle inimitable malgré des décors très différents, et un talent indéniable pour cacher des détails partout. Dès qu’on tourne la tête, on découvre de nouveaux panoramas, de nouveaux trompe-l’œil, de nouvelles compositions visuelles dont on vous laissera juge sur l’esthétique, mais dont, encore une fois, la composition est méritoire. A tel point que le jeu se transforme bien souvent en balade contemplative, façon Dear Esther (encore une île, tiens). Une inspiration qu’on retrouve également dans le discours un poil nébuleux et cryptique, mais on y reviendra plus tard.
D’autant plus que mis à part un sound design plus épais dans The Witness (on entend nos bruits de pas, le souffle du vent ou le bruissement de l’eau), les deux jeux ont en commun une absence quasi-totale de musique. Malgré cette sécheresse auditive, le jeu est un émerveillement permanent, car l’époque des diapos interactives est heureusement révolue et The Witness apporte un soin tout particulier à la composition des plans que peut visualiser le joueur. Du moins celui qui n’a pas la gerbe en jouant aux FPS : malgré un FOV réglable le jeu semble être un Vomitron 2000 chez les personnes sensibles, et les couleurs très criardes de certaines zones n’arrangent rien. On peut également noter un léger clipping et un sévère aliasing qui nous rappellent régulièrement qu’on est dans un jeu vidéo.
Néanmoins, l’aspect global de l’île en impose, avec une patte visuelle inimitable malgré des décors très différents, et un talent indéniable pour cacher des détails partout. Dès qu’on tourne la tête, on découvre de nouveaux panoramas, de nouveaux trompe-l’œil, de nouvelles compositions visuelles dont on vous laissera juge sur l’esthétique, mais dont, encore une fois, la composition est méritoire. A tel point que le jeu se transforme bien souvent en balade contemplative, façon Dear Esther (encore une île, tiens). Une inspiration qu’on retrouve également dans le discours un poil nébuleux et cryptique, mais on y reviendra plus tard.
A quand le bundle avec le Moleskine ?
La grande force de The Witness, qui permet d’ailleurs de lui tresser des lauriers sans craindre les commentaires acerbes du style « ah bah encore un jeu indé branlo-élitiste, évidemment que ça plaît à ces bobos gauchistes », c’est son gameplay. Ou plutôt l’exceptionnelle tenue de son gameplay sur la longueur, puisque s’il est admis qu’on puisse rester hermétique aux puzzles, on se doit de reconnaître lorsque ceux-ci sont à la fois inventifs ET cohérents tout au long du jeu. Le principe de base est extrêmement simple : vous prenez un damier, sur l’une des lignes se trouve un rond qui matérialise le point de départ, sur une autre une excroissance qui représente l’arrivée, vous reliez les deux en dessinant le trajet. Simple. Evidemment, les choses se corsent rapidement avec l’ajout de contraintes qui font qu’un seul chemin est accepté. Et ce qui force l’admiration, c’est l’inventivité avec laquelle le principe de base est renouvelé tout au long du jeu. Changement de point de vue, points de passage obligés, cases à isoler, jeux de symétrie, de lumière, de couleurs, de sons, de formes… Quand on se dit qu’on a fait le tour des possibilités, une nouvelle zone vient nous retourner le cerveau avec de nouvelles règles. De fait, l’utilisation d’un carnet à côté du clavier est une nécessité absolue, la prise de note et le dessin étant d’une grande aide.
L’autre grosse particularité, c’est que l’apprentissage des mécaniques est purement informel. En dehors d’une indication visuelle des commandes au tout début du jeu (histoire que même ceux qui touchent une souris pour la première fois pensent à utiliser le clic droit), aucune des règles de résolution n’est clairement évoquée. C’est au joueur de faire preuve d’observation, de réflexion, de patience et de persévérance pour comprendre le fonctionnement d’un puzzle simple puis résoudre les autres puzzles de la zone théoriquement plus complexes. Rien de très innovant sur le principe certes, mais c’est ici rondement mené, avec une belle intégration des puzzles au décor qui fait qu’on se dirige naturellement vers eux sans pour autant qu’ils dénaturent l’esthétique globale. C’est aussi un habile moyen de pousser le joueur à explorer son environnement.
Si ce principe d’apprentissage fonctionne parfaitement 90% du temps, impossible de ne pas regretter quelques erreurs conceptuelles. Il ne s’agit pas tellement de l’extrême complexité de certains puzzles (critère qui semble dépendre des joueurs et de leurs façons respectives de raisonner) que l’absence d’un vrai feedback. J’entends par là qu’à l’exception de deux catégories de puzzles qui font clignoter en rouge les éléments incompatibles lorsque le joueur propose une mauvaise solution et le guide donc dans sa réflexion, un puzzle ne donne jamais aucun indice sur l’erreur qu’on peut commettre ni même sur la raison du succès (outre le fait que le puzzle suivant se débloque, évidemment). Il en résulte des passages frustrants où, faute d’avoir compris la totalité des règles de la zone (en particulier lorsque des puzzles « tutoriels » sont un peu trop simples et ne permettent pas d’intégrer toutes les subtilités), on reste mentalement bloqué sur une solution sans comprendre pourquoi le jeu la refuse. Mais ces passages restent très rares et n’affectent que ponctuellement une expérience de jeu par ailleurs gratifiante.
L’autre grosse particularité, c’est que l’apprentissage des mécaniques est purement informel. En dehors d’une indication visuelle des commandes au tout début du jeu (histoire que même ceux qui touchent une souris pour la première fois pensent à utiliser le clic droit), aucune des règles de résolution n’est clairement évoquée. C’est au joueur de faire preuve d’observation, de réflexion, de patience et de persévérance pour comprendre le fonctionnement d’un puzzle simple puis résoudre les autres puzzles de la zone théoriquement plus complexes. Rien de très innovant sur le principe certes, mais c’est ici rondement mené, avec une belle intégration des puzzles au décor qui fait qu’on se dirige naturellement vers eux sans pour autant qu’ils dénaturent l’esthétique globale. C’est aussi un habile moyen de pousser le joueur à explorer son environnement.
Si ce principe d’apprentissage fonctionne parfaitement 90% du temps, impossible de ne pas regretter quelques erreurs conceptuelles. Il ne s’agit pas tellement de l’extrême complexité de certains puzzles (critère qui semble dépendre des joueurs et de leurs façons respectives de raisonner) que l’absence d’un vrai feedback. J’entends par là qu’à l’exception de deux catégories de puzzles qui font clignoter en rouge les éléments incompatibles lorsque le joueur propose une mauvaise solution et le guide donc dans sa réflexion, un puzzle ne donne jamais aucun indice sur l’erreur qu’on peut commettre ni même sur la raison du succès (outre le fait que le puzzle suivant se débloque, évidemment). Il en résulte des passages frustrants où, faute d’avoir compris la totalité des règles de la zone (en particulier lorsque des puzzles « tutoriels » sont un peu trop simples et ne permettent pas d’intégrer toutes les subtilités), on reste mentalement bloqué sur une solution sans comprendre pourquoi le jeu la refuse. Mais ces passages restent très rares et n’affectent que ponctuellement une expérience de jeu par ailleurs gratifiante.
N’ayez pas honte de vous amuser
Ceux d’entre vous qui ont vu « Indie Game : The Movie » se souviennent peut-être des passages avec un Jonathan Blow visiblement très déçu lorsqu’il visionnait des vidéos de joueurs s’amusant avec le rewind de Braid au lieu de chercher à comprendre le discours qu’il voulait transmettre par son game design. Outre le fait qu’un jeu vidéo appartient autant aux joueurs qui y jouent qu’à celui qui l’a créé, on peut sérieusement questionner la capacité de Blow à transmettre efficacement ses idées à travers le gameplay, puisque des années après sa sortie il n’y a aucun consensus sur le sens à donner au discours derrière Braid (et en particulier à sa fin). The Witness « souffre » du même problème. A plusieurs reprises, on sent qu’un message précis et puissant se cache quelque part. Des thèmes forts sont abordés, comme la recherche, la science, la religion, la philosophie, d’une manière générale tout ce qui a trait à l’appréhension et la compréhension de la réalité, du monde et d’autrui.
Ceci étant, le jeu contient plus une collection de référence qu’un réel discours, au sens où rien n’est clairement construit. Les décors vont révéler des figures marquantes (femme priant à genoux se reflétant dans l’eau, branches d’arbre retraçant la découverte du feu…), mais rien n’empêche le joueur d’apprécier la beauté plastique et l’ingéniosité du trompe-l’œil sans se questionner sur son sens. Vous n’êtes pas un mauvais joueur de The Witness si vous vous contentez de contempler, ou même si vous vous amusez plus à résoudre les puzzles qu’à interpréter le jeu comme un tout. Le constat est le même pour les logs audio et vidéos qui jalonnent le parcours, collection de citations et d’extraits très divers. Les vidéos semblent avoir un intérêt particulier pour Blow puisqu’elles sont plus difficiles à trouver et qu’un espace leur est dédié au cœur de l’île, mais là encore elles manquent de contexte. Libre à vous de recoller les morceaux si vous le souhaitez, mais n’ayez pas honte d’apprécier les extraits de Richard Feynman ou Andreï Tarkovski pour ce qu’ils sont : des extraits appréciables en tant que tel…
A cet égard, les fins du jeu s’avèrent assez décevantes. La « petite » fin est relativement paresseuse puisqu’elle se contente de nous faire voler au-dessus de l’île en réinitialisant tous les puzzles, pour nous ramener au point de départ. Une sorte de version améliorée des écrans de fin de jeux 8 bits : « Félicitations, tu as fini le jeu ! Appuie sur reset pour démarrer une nouvelle partie ! » Elle reste cependant acceptable puisqu’elle a le bon goût d’être ouverte comme le reste du jeu. La fin cachée, une vidéo d’un joueur qui se « réveille » d’un dispositif de réalité virtuelle dans un studio contenant des posters de tous les décors et puzzles du jeux, a deux mérites : elle est précédée d’une série de magnifiques panoramas de l’île et elle est un peu amusante parce qu’elle retranscrit un phénomène qu’auront expérimenté les joueurs impliqués dans The Witness. A savoir le réflexe de chercher des lignes et des trompe-l’œil dans le vrai monde réel de la réalité véritable. Cela lui donne néanmoins l’allure d’une blague potache (« en fait c’était un jeu dans le jeu LOL ») qui tranche avec le sérieux affiché jusqu’alors. Trop orientée pour ne pas prescrire une interprétation globale du jeu, pas assez pour être définitive aux yeux du joueur, cette fin va probablement être analysée pendant des années comme celle de Braid, et semble valider l’idée que s’il est un formidable game designer, Jonathan Blow ne sait pas, ou ne veut pas, rendre son propos intelligible.
Ceci étant, le jeu contient plus une collection de référence qu’un réel discours, au sens où rien n’est clairement construit. Les décors vont révéler des figures marquantes (femme priant à genoux se reflétant dans l’eau, branches d’arbre retraçant la découverte du feu…), mais rien n’empêche le joueur d’apprécier la beauté plastique et l’ingéniosité du trompe-l’œil sans se questionner sur son sens. Vous n’êtes pas un mauvais joueur de The Witness si vous vous contentez de contempler, ou même si vous vous amusez plus à résoudre les puzzles qu’à interpréter le jeu comme un tout. Le constat est le même pour les logs audio et vidéos qui jalonnent le parcours, collection de citations et d’extraits très divers. Les vidéos semblent avoir un intérêt particulier pour Blow puisqu’elles sont plus difficiles à trouver et qu’un espace leur est dédié au cœur de l’île, mais là encore elles manquent de contexte. Libre à vous de recoller les morceaux si vous le souhaitez, mais n’ayez pas honte d’apprécier les extraits de Richard Feynman ou Andreï Tarkovski pour ce qu’ils sont : des extraits appréciables en tant que tel…
A cet égard, les fins du jeu s’avèrent assez décevantes. La « petite » fin est relativement paresseuse puisqu’elle se contente de nous faire voler au-dessus de l’île en réinitialisant tous les puzzles, pour nous ramener au point de départ. Une sorte de version améliorée des écrans de fin de jeux 8 bits : « Félicitations, tu as fini le jeu ! Appuie sur reset pour démarrer une nouvelle partie ! » Elle reste cependant acceptable puisqu’elle a le bon goût d’être ouverte comme le reste du jeu. La fin cachée, une vidéo d’un joueur qui se « réveille » d’un dispositif de réalité virtuelle dans un studio contenant des posters de tous les décors et puzzles du jeux, a deux mérites : elle est précédée d’une série de magnifiques panoramas de l’île et elle est un peu amusante parce qu’elle retranscrit un phénomène qu’auront expérimenté les joueurs impliqués dans The Witness. A savoir le réflexe de chercher des lignes et des trompe-l’œil dans le vrai monde réel de la réalité véritable. Cela lui donne néanmoins l’allure d’une blague potache (« en fait c’était un jeu dans le jeu LOL ») qui tranche avec le sérieux affiché jusqu’alors. Trop orientée pour ne pas prescrire une interprétation globale du jeu, pas assez pour être définitive aux yeux du joueur, cette fin va probablement être analysée pendant des années comme celle de Braid, et semble valider l’idée que s’il est un formidable game designer, Jonathan Blow ne sait pas, ou ne veut pas, rendre son propos intelligible.
En bref, chacun est libre de prendre ce qu’il veut dans The Witness. On est tenté de penser que ce n'est pas ce que voulait Jonathan Blow, mais au final peu importe.Quand on crée un jeu aussi ouvert et elliptique, rien d'étonnant à ce que les joueurs se l'approprient comme ils le souhaitent.