TEST
Debris : 20 000 lieues sous l'emmerde
Développeur / Editeur : Moonray Studios
Avec le temps et l’expérience de décennies de jeu vidéo derrière nous, on pourrait croire que certaines idées de game design passeraient automatiquement à la trappe après dix minutes de réflexion. Or, il n’en est rien. Une certaine quantité de jeux qui sortent de nos jours, pour une raison qui m’échappe et qui mériterait probablement une analyse psychologique, oublient de façon assez flagrante le concept du « jeu » vidéo. Aujourd’hui, je vous propose un cas assez singulier, celui de Debris.
Résumé succinct du scénario : vous faites partie d’une équipe de trois plongeurs sous-marins embauchés par une multinationale pour tourner une vidéo promotionnelle sur d’étranges débris de météorite, qui semblent être une source d’énergie propre révolutionnaire mais enfouie sous les eaux glacées du pôle. À peine pénétrez-vous sous la banquise que celle-ci se met à craquer de façon monstrueuse, et vous voici tous trois séparés et bloqués sous la glace. Vous devez maintenant vous réunir et remonter à la surface.
Et il effraie, votre poisson ?
Dès le début, l’une de vos collègues vous rejoint sous la forme d’une seiche-drone qu’elle contrôle à distance. Elle-même est apparemment coincée quelque part mais avec assez d’oxygène pour que ça ne soit pas préoccupant. Le drone a une double fonction, celle de lampe-torche mais aussi d’extracteur de débris météoriques dont elle se sert pour remplir les réserves d’oxygène.
Vous acquérez quasi immédiatement un fusil, double fonction lui aussi : lanceur de fusées éclairantes et lance-harpons. Ce qui est très heureux parce que les gisements de débris sont gardés par des poissons mutants qu’il faut tuer pour que le drone puisse extraire les ressources. Petit détail, tirer des harpons coûte de l’énergie, et donc de l’oxygène : chaque tir équivaut à 5 minutes d’oxygène, sachant que se prendre des dégâts en fait perdre également. Autant dire qu’il faut garder son calme et bien viser.
À partir de là commence vraiment le jeu. Vous arpentez les tunnels sous la banquise, le scénario progressant sous la forme de conversations avec votre collègue seiche et votre troisième collègue, avec lequel vous établissez le contact plus tard. Mais que peut-il bien se passer ? Mystère et boule de gomme !
La réussite de Debris, c’est que son scénario est intéressant et a une bonne progression. Dès le début, on a envie d’en savoir plus même si le mystère n’est pas nécessairement présent. Les conversations entre les trois personnages sont naturelles et les non-dits sont assez habilement éludés. Ce qui est très agréable, d’autant plus que c’est la seule raison pour laquelle vous aurez envie de finir le jeu.
Abyss repetita
Et c’est là que j’en reviens à l’introduction : Debris fait des erreurs cinglantes qui coulent (lolol) l’intérêt du jeu. Premièrement, au niveau du level design, qui est une succession de long couloirs et de salles plus ou moins grandes où l’on peut se restocker en énergie. C’est un artifice nécessaire pour faire avancer les dialogues de façon naturelle, car de tout évidence on ne peut pas suivre un scénario dialogué si le level design implique d’être concentré sur ses mouvements ou sur l’action. Corollaire : les niveaux manquent d’identité et on perd l’envie d’explorer les divers embranchements.
Second problème, de loin le plus gros : le gameplay. Le jeu vous met face à différents types d’ennemis, sur lesquels il faut faire piou-piou soit avec les fusées éclairantes, soit avec les harpons, pour les tuer ou pour les éloigner selon le cas de figure. Pas besoin d’être game designer pour imaginer que dans un jeu où tes munitions et ton capital dégâts piochent dans le temps qu’il te reste à vivre, la réactivité doit être primordiale. Eh bien dans Debris, non. On se tape un mouse lag dégueulasse, probablement voulu pour imiter la lenteur des profondeurs, et dont l’inertie annule toute vélléité de viser précisément dans les situations serrées. On finit crispé sur sa souris, à essayer de se gérer un « budget dégâts » parce qu’on sait qu’on va s’en prendre juste à cause de la lenteur.
Niveau gameplay toujours, le chemin à emprunter n’est pas forcément très clair sur la mini-carte et on en vient donc à se reposer sur le drone pour qu’il nous montre le chemin. Sauf que l’IA est conne comme une valise attardée et qu’elle va de temps en temps se foutre en plein milieu d’une horde de requins pour puiser de l’énergie dont tu n’as pas besoin. Le bouton pour rappeler le drone à toi fonctionne en général, mais perd parfois sa priorité sur l’objectif de celui-ci.
Pour finir, revenons sur le scénario. Vous vous souvenez que je vous disais que celui-ci avait une bonne progression ? C’est le cas…jusqu’aux 5 dernières minutes. Jusqu’alors, le jeu fait monter la sauce correctement. On ne comprend pas nécessairement tout ce qui se passe, mais le fil rouge reste assez bien exploité pour qu'on ne soit pas perdu. On s’attend alors à une grande révélation, à un mindfuck, bref à un truc surprenamment bon pour un jeu vidéo. Et puis, pas du tout. Post-gameplay, le jeu amorce un twist qui est ensuite asséné sèchement par l’entremise de textes blancs sur fond noir. En soi, le twist n’est pas mauvais et inviterait même à la réflexion. Le problème, c’est qu’il arrive après plusieurs heures de gameplay frustrant, à un moment où on a juste envie que ça se finisse, et qu’il tombe donc comme un cheveu dans la soupe de poisson.
Curieux cas de figure que Debris : un concept intéressant doublé d’une histoire intrigante, mais un plantage complet sur le choix du gameplay. Le jeu, ainsi que son message, seraient bien mieux passés s’ils avaient pris la forme d’un walking simulator mystérieux.