INTERVIEW
[Interview] Ken Levine - Puis il écrivit BioShock
par K.Mizol,
email @Super_Slip_Man
Après des études en art dramatique aux Etats-Unis, Ken Levine fut embauché en 1995 par le mythique studio Looking Glass pour lequel il travailla sur Thief avant de cofonder deux ans plus tard Irrational Games pour y construire leur premier coup d'essai / coup de maître : System Shock 2. S'en suivirent quelques jeux que l'histoire gardera moins en mémoire jusqu'à la sortie du légendaire BioShock en 2007 (pour le compte de 2k Games qui racheta Irrational entre temps). Ken gagna alors définitivement dans le cœur des gamers le titre honorifique de monument du jeu vidéo. Développeur star, il est de ceux qui s'occupent de l'écriture de l'histoire, du game design et de la direction des jeux sur lesquels son équipe travaille. Sa plume a d'ailleurs tapé dans l’œil d'Hollywood qui l'a convié à l'écriture d'un film. Une aura et un statut qui le mirent bien évidemment sous le feu des projecteurs pour la sortie très attendue de BioShock Infinite l'année dernière, lui aussi acclamé par la critique et le public. Récemment, après plusieurs licenciements, Irrational semble se tourner vers la création de jeux pas forcément moins ambitieux mais développés par une équipe à taille humaine et probablement distribués digitalement. Chose à laquelle Ken n'a pas souhaité répondre. Tant pis, heureusement on avait plein d'autres choses à lui demander.
Quel est le meilleur moment de ta carrière ?
Je crois que c'est la nuit de la première démo jouable de BioShock en 2007. Je pense que c'était le moment où on a vu l'impact qu'il avait sur les gens. Nous sommes ensuite allé dîner avec ma femme et Jon Chey, cofondateur d'Irrational Games, et on a réalisé que nos vies allaient changer.
Looking Glass est pour beaucoup de joueurs un genre d'âge d'or. Une période qui a formé parmi les meilleurs designers de l'industrie. Tu es d'accord avec ça ?
Bien sûr. Travailler là-bas a été une expérience formatrice pour moi. Tu parles d'un endroit pour avoir son premier job dans l'industrie ! Je serais toujours reconnaissant des gens que j'ai rencontré là-bas et qui m'ont tant appris, comme Paul Neurath, Tim Stellmach, Doug Church, Eric Brosius, Dorian Hart, et bien entendu Rob Fermier et Jon Chey (les deux autres cofondateurs d'Irrational Games). Il y a tant de gens à remercier. Mais ils m'ont pris sous leur aile et contribué à faire de moi le game designer que je suis.
Faire un jeu prend énormément de temps, plusieurs années. C'est clairement une partie de ta vie que tu mets dans un jeu. Comment tu te sens une fois que tout le travail créatif est terminé ? Lorsque les gens peuvent acheter le jeu. Est-ce difficile de passer à autre chose ? Ou est-ce facile parce que faire un jeu prend trop de temps donc tu es content de passer à autre chose ?
Habituellement quand j'ai fini de bosser sur un jeu, je suis prêt à me détendre et à ensuite passer à autre chose.
Un truc que j'aime beaucoup dans BioShock c'est sa narration, vous ne faites pas trop de scènes cinématiques. Pour moi les scènes cinématiques, c'est l'inverse de ce que devrait être un jeu vidéo. L'histoire d'un jeu doit être interactive et les cinématiques ne le sont pas. Pourquoi autant de jeux utilisent les cinématiques pour raconter leur histoire ? C'est juste parce que c'est un outil simple d'utilisation pour faire avancer l'histoire ?
Les scènes cinématiques sont un moyen de faire avancer l'histoire sans que le joueur ne "se mette en travers". Je pense que chaque développeur est différent et tous les développeurs devraient faire des jeux de la façon dont ils l'entendent.
Personnellement, les expériences qui ont contribué à me définir ont été de jouer à Ultima Underworld et au premier System Shock. Ces jeux m'ont plongé dans leur monde là où pour beaucoup d'autres jeux je me sentais simple observateur. J'ai essayé de recapturer l'expérience que j'ai eu avec ces jeux sur presque tout ce sur quoi j'ai travaillé depuis. Je ne suis pas certain de ce qui a poussé les autres membres de l'équipe (même si je soupçonne fortement Jon Chey et Rob Fermier (qui ont travaillé sur le premier System Shock) d'avoir aussi été fortement influencés par ces jeux), mais ces titres ont toujours été mon étoile du berger.
Est-ce que tu peux nous parler de ton processus d'écriture ? Tu as toujours utilisé le même pour écrire tes jeux ?
Plus je vieilli plus il change. J'avais l'habitude de m'asseoir devant le logiciel de traitement de texte et juste essayer d'écrire. Ça a conduit au syndrome de la page blanche et à beaucoup de frustration.
Maintenant je passe beaucoup de temps à pitcher l'histoire avec les autres auteurs et l'équipe narrative. Et quand il s'agit de construction de scènes, je fais presque tout mon travail quand je fais du jogging. Je prends de très longs parcours et j'enregistre des douzaines de notes sur mon iPhone. J'en ai beaucoup, du genre moi, haletant, en train de parler d'un océan avec des phares et de choses comme ça. Je ressemble à un pervers faisant des appels téléphoniques obscènes mais c'est la meilleure façon pour moi de bosser.
Je trouve qu'il est préférable de savoir ce que tu vas écrire au moment où tu t’assoies devant ton clavier. Et je sais qu'il est important de se laisser échouer, de ne pas se juger. Il y a plein de temps pour rattraper ça plus tard, quand tu relis et réécris. La plupart des scènes sur lesquelles j'ai travaillé ont été réécrite une douzaine de fois ou plus.
Quelle est la meilleure solution : mettre une histoire sur des idées de gameplay ou mettre des idées de gameplay sur une histoire ?
On commence avec le gameplay, comme on l'a toujours fait. La fonction dicte la forme, dans une certaine mesure. Je pense que c'est peut-être la raison pour laquelle nous avons été en mesure d'entremêler l'histoire et les phases de jeu, parce qu'on permet à l'histoire, qui est plus facile à faire évoluer et à changer, d'être en prise avec le game design à mesure qu'il évolue.
As-tu été récemment impressionné par un jeu pour son histoire et/ou sa narration ? Pour quelles raisons ?
Wolfenstein : The New Order m'a complètement pris par surprise. J'ai été particulièrement impressionné par (spoiler !) comment ils ont représenté les 15 ans ou plus entre la fin de la guerre et le retour du personnage principal à la conscience à l'hôpital. Très habilement fait.
Tu écris un scénario de film en ce moment (ou peut-être as-tu déjà terminé) (ndlr : Logan's Run, remake d'un film de 1976 dont le nom en français est L'âge de Cristal, adapté à l'origine d'un bouquin). C'est plus facile d'écrire un film qu'un jeu ?
Je travaille toujours dessus (en fait, c'est ce que je faisais quand j'ai reçu ton mail). C'est plus facile dans le sens où tu n'as pas besoin de te préoccuper de trucs comme "Combien d'I.A. on peut afficher à l'écran ?" ou "On fait un jeu à la première personne et on est TOUJOURS bloqué dans le point de vue de Booker/Jack." Le plus gros challenge pour moi dans l'écriture d'un scénario de film c'est qu'il s'agit d'une forme TRÈS serrée. Tu as très peu de temps pour raconter l'histoire et chaque mot compte. Genre, littéralement, CHAQUE MOT. Tout est une question d'économie. Parce que tu ne contrôles pas ce que les joueurs font dans le jeu, les jeux offrent une toile plus large, mais un pinceau moins puissant.
Travailler avec Hollywood est une option pour ton futur ?
J'adore les jeux et j'adore les films. En ce moment j'arrive à faire les deux. J'en suis très heureux.
Est-ce que je peux espérer que ton prochain jeu ne sera pas un jeu BioShock mais un truc tout nouveau ?
On travaille sur un tout nouveau concept. Le but est de faire un jeu avec un très haut niveau d'INTERACTIVITÉ et de REJOUABILITÉ dans le récit. J'ai donné une conférence à ce sujet à la GDC.
Looking Glass est pour beaucoup de joueurs un genre d'âge d'or. Une période qui a formé parmi les meilleurs designers de l'industrie. Tu es d'accord avec ça ?
Bien sûr. Travailler là-bas a été une expérience formatrice pour moi. Tu parles d'un endroit pour avoir son premier job dans l'industrie ! Je serais toujours reconnaissant des gens que j'ai rencontré là-bas et qui m'ont tant appris, comme Paul Neurath, Tim Stellmach, Doug Church, Eric Brosius, Dorian Hart, et bien entendu Rob Fermier et Jon Chey (les deux autres cofondateurs d'Irrational Games). Il y a tant de gens à remercier. Mais ils m'ont pris sous leur aile et contribué à faire de moi le game designer que je suis.
Faire un jeu prend énormément de temps, plusieurs années. C'est clairement une partie de ta vie que tu mets dans un jeu. Comment tu te sens une fois que tout le travail créatif est terminé ? Lorsque les gens peuvent acheter le jeu. Est-ce difficile de passer à autre chose ? Ou est-ce facile parce que faire un jeu prend trop de temps donc tu es content de passer à autre chose ?
Habituellement quand j'ai fini de bosser sur un jeu, je suis prêt à me détendre et à ensuite passer à autre chose.
Un truc que j'aime beaucoup dans BioShock c'est sa narration, vous ne faites pas trop de scènes cinématiques. Pour moi les scènes cinématiques, c'est l'inverse de ce que devrait être un jeu vidéo. L'histoire d'un jeu doit être interactive et les cinématiques ne le sont pas. Pourquoi autant de jeux utilisent les cinématiques pour raconter leur histoire ? C'est juste parce que c'est un outil simple d'utilisation pour faire avancer l'histoire ?
Les scènes cinématiques sont un moyen de faire avancer l'histoire sans que le joueur ne "se mette en travers". Je pense que chaque développeur est différent et tous les développeurs devraient faire des jeux de la façon dont ils l'entendent.
Personnellement, les expériences qui ont contribué à me définir ont été de jouer à Ultima Underworld et au premier System Shock. Ces jeux m'ont plongé dans leur monde là où pour beaucoup d'autres jeux je me sentais simple observateur. J'ai essayé de recapturer l'expérience que j'ai eu avec ces jeux sur presque tout ce sur quoi j'ai travaillé depuis. Je ne suis pas certain de ce qui a poussé les autres membres de l'équipe (même si je soupçonne fortement Jon Chey et Rob Fermier (qui ont travaillé sur le premier System Shock) d'avoir aussi été fortement influencés par ces jeux), mais ces titres ont toujours été mon étoile du berger.
Est-ce que tu peux nous parler de ton processus d'écriture ? Tu as toujours utilisé le même pour écrire tes jeux ?
Plus je vieilli plus il change. J'avais l'habitude de m'asseoir devant le logiciel de traitement de texte et juste essayer d'écrire. Ça a conduit au syndrome de la page blanche et à beaucoup de frustration.
Maintenant je passe beaucoup de temps à pitcher l'histoire avec les autres auteurs et l'équipe narrative. Et quand il s'agit de construction de scènes, je fais presque tout mon travail quand je fais du jogging. Je prends de très longs parcours et j'enregistre des douzaines de notes sur mon iPhone. J'en ai beaucoup, du genre moi, haletant, en train de parler d'un océan avec des phares et de choses comme ça. Je ressemble à un pervers faisant des appels téléphoniques obscènes mais c'est la meilleure façon pour moi de bosser.
Je trouve qu'il est préférable de savoir ce que tu vas écrire au moment où tu t’assoies devant ton clavier. Et je sais qu'il est important de se laisser échouer, de ne pas se juger. Il y a plein de temps pour rattraper ça plus tard, quand tu relis et réécris. La plupart des scènes sur lesquelles j'ai travaillé ont été réécrite une douzaine de fois ou plus.
Quelle est la meilleure solution : mettre une histoire sur des idées de gameplay ou mettre des idées de gameplay sur une histoire ?
On commence avec le gameplay, comme on l'a toujours fait. La fonction dicte la forme, dans une certaine mesure. Je pense que c'est peut-être la raison pour laquelle nous avons été en mesure d'entremêler l'histoire et les phases de jeu, parce qu'on permet à l'histoire, qui est plus facile à faire évoluer et à changer, d'être en prise avec le game design à mesure qu'il évolue.
As-tu été récemment impressionné par un jeu pour son histoire et/ou sa narration ? Pour quelles raisons ?
Wolfenstein : The New Order m'a complètement pris par surprise. J'ai été particulièrement impressionné par (spoiler !) comment ils ont représenté les 15 ans ou plus entre la fin de la guerre et le retour du personnage principal à la conscience à l'hôpital. Très habilement fait.
Tu écris un scénario de film en ce moment (ou peut-être as-tu déjà terminé) (ndlr : Logan's Run, remake d'un film de 1976 dont le nom en français est L'âge de Cristal, adapté à l'origine d'un bouquin). C'est plus facile d'écrire un film qu'un jeu ?
Je travaille toujours dessus (en fait, c'est ce que je faisais quand j'ai reçu ton mail). C'est plus facile dans le sens où tu n'as pas besoin de te préoccuper de trucs comme "Combien d'I.A. on peut afficher à l'écran ?" ou "On fait un jeu à la première personne et on est TOUJOURS bloqué dans le point de vue de Booker/Jack." Le plus gros challenge pour moi dans l'écriture d'un scénario de film c'est qu'il s'agit d'une forme TRÈS serrée. Tu as très peu de temps pour raconter l'histoire et chaque mot compte. Genre, littéralement, CHAQUE MOT. Tout est une question d'économie. Parce que tu ne contrôles pas ce que les joueurs font dans le jeu, les jeux offrent une toile plus large, mais un pinceau moins puissant.
Travailler avec Hollywood est une option pour ton futur ?
J'adore les jeux et j'adore les films. En ce moment j'arrive à faire les deux. J'en suis très heureux.
Est-ce que je peux espérer que ton prochain jeu ne sera pas un jeu BioShock mais un truc tout nouveau ?
On travaille sur un tout nouveau concept. Le but est de faire un jeu avec un très haut niveau d'INTERACTIVITÉ et de REJOUABILITÉ dans le récit. J'ai donné une conférence à ce sujet à la GDC.