INTERVIEW
[Interview] Cory Davis - Spec Ops, marketing et horreur
par K.Mizol,
email @Super_Slip_Man
Après s'être exercé au level design sur quelques mods, Cory Davis est rentré chez Monolith et a contribué à des titres comme l’extension de F.E.A.R. "Extraction Point", F.E.A.R. 2 et Condemned 2, avant de rejoindre le studio allemand Yager chez qui il fut le directeur créatif et le lead designer de Spec Ops : The Line. Après une petite aventure chez Spark Unlimited en tant que lead designer sur Yaiba : Ninja Gaiden Z, il cofonda très récemment avec, notamment, Toby Gard, le studio indépendant californien Tangentlemen qui prépare un certain Daedalus.
J'ai adoré Spec Ops : The Line et j'attendais depuis très longtemps un jeu de guerre qui montre réellement la guerre telle qu'elle est dans la réalité. Les ravages psychologiques qu'elle peut faire. Pourquoi avons nous du attendre autant de temps pour avoir un jeu comme celui-ci après avoir pourtant eu d'innombrables jeux de guerre avant ça ?
Il y a beaucoup de gens qui ne pensent pas que l'industrie du jeu vidéo peut aborder des sujets sérieux. Même quand nous travaillions sur Spec Ops : The Line, il y a eu des tonnes de retours de personnes qui avaient des difficultés à miser ne serait-ce qu'un centime sur ce que nous faisions. On a dû prouver que c'était possible.
Je pense qu'il est vraiment encourageant de constater que de plus en plus de jeux sont faits pour qu'on s'investisse sur l'état psychologique d'une situation au lieu de simplement essayer de construire le plus grand ego trip du monde. Presque chaque game designer à qui je parle a une idée sur la façon dont il aimerait créer quelque chose d'intéressant dans ce genre là. Ils ont besoin de liberté pour y arriver.
En tant que joueurs, nous avons besoin de parler franchement et de laisser les éditeurs, les investisseurs, les gens du marketing et les autres joueurs savoir que nous sommes intéressés par les expériences significatives ! Celles qui utilisent l'interactivité pour nous interpeller intellectuellement, émotionnellement et même moralement.
Je suis aussi un grand fan de Condemned, tu as travaillé sur sa suite que je trouve beaucoup moins réussie car beaucoup plus tournée vers l'action, avec beaucoup plus d'armes à feu. Était-ce une décision commerciale ?
Il y a toujours une pression du marketing pour ajouter plus d'action et des valeurs de production plus élevées. Une des bonnes choses sur le lancement de notre propre studio, c'est que nous sommes en mesure de prendre des décisions audacieuses sur les caractéristiques que nous choisissons de développer, et les méthodes que nous choisissons d'utiliser pour exprimer notre récit. La plupart du temps, ajouter plus de flingues ce n'est pas bonne la solution.
Est-ce qu'on peut dire qu'avec Daedalus tu reviens à tes premiers amours : l'horreur ? (Je pense à ton travail en début de carrière sur les F.E.A.R. et la suite de Condemned.)
Ouais, tu peux carrément dire ça. L'horreur a toujours eu une place particulière dans mon cœur. J'aime véritablement faire peur aux gens, et être moi-même terrifié est un de mes sentiments préférés. Je suis un accro absolu aux œuvres sombres, surréelles et terrifiantes des créateurs d'horreur classique et moderne. Il y a des choses auxquelles je meurs d'envie de m'essayer, et je suis surexcité de pouvoir le faire avec Daedalus.
Spec Ops : The Line approche aussi, d'une certaine façon, à travers la psychologie du personnage principal, l'horreur. Dans un sens plus traumatique, plus "profond"...
Ouais, c'est là-dessus que je veux vraiment travailler. Beaucoup de gens ont pour hypothèse que le genre se limite aux slashers et aux histoires de fantômes, mais je suis beaucoup plus fan de l'horreur psychologique, existentielle et cosmique. Des trucs comme les histoires de Lovecraft où ta santé mentale est mise à l'épreuve en raison de tes actions ou de tes obsessions. Ce sont les types d'histoires qui te collent vraiment à la peau. Je voyais Spec Ops : The Linecomme un jeu d'horreur psychologique dès le début du développement.
Est-ce que justement Daedalus, comme j'ai cru le comprendre, va tenter d'aborder la peur dans un sens beaucoup moins primal qu'on a l'habitude de le voir dans le jeu vidéo ? Vous mentionnez "voyage existentiel" et "horreur surréelle".
Je ne peux pas trop creuser les détails concernant Daedalus pour le moment parce qu'on a quelques annonces importantes à faire prochainement.Alors sans trop en dire, peux-tu nous donner quelques unes de vos inspirations ? C'est un thème assez intriguant et pas du tout habituel dans un jeu vidéo.
Encore une fois je ne peux pas trop en dire à ce stade, mais nos influences incluent H.P. Lovecraft, Alejandro Jodorowski, Stanley Kubrick, Philip K. Dick, Kurt Vonnegut et une myriades d'expériences personnelles qui ont alimenté notre point de vue tordu sur l'univers depuis des années.
Travailler aux côtés de Toby Gard, ça rassure ?
J'adore travailler avec Toby, il a une tonne d'expériences et c'est une source intarissable d'idées. Ça aide d'avoir déjà été à la bataille ensemble avant (ndlr : sur Yaiba : Ninja Gaiden Z), on connait mutuellement nos manières de travailler et nos personnalités. C'est génial de bosser avec quelqu'un d'aussi passionné, mais aussi talentueux et expérimenté. Toby est un des rares développeurs qui refuse de reculer face à n'importe quel challenge même si la solution implique d'apprendre un tout nouveau champ de compétences, ou de rompre le continuum espace-temps.
Vous travaillez réellement tous dans un garage, à l'ancienne ?
Eh oui. Au moment où je t'écris cette réponse, Rich (ndlr : Smith, directeur artistique de Tangentlemen, qui a travaillé sur quelques épisodes de Call of Duty, Titanfall et Yaiba : Ninja Gaiden Z) est debout sur une chaise en train d'essayer d'atteindre le ventilateur du plafond pour savoir s'il a un paramètre de puissance plus élevé. C'est moite et c'est étroit, mais on profite du nouveau paysage. J'ai une vue imprenable sur un cactus ancien, et un écureuil espiègle me rend fréquemment visite pour me passer le bonjour.
Le premier objectif en tant qu'indépendants c'est de trouver du budget ?
Il y a beaucoup de différentes possibilités de financement, en ce moment nous essayons de faire preuve de diligence raisonnable pour s'assurer que nous sommes sur la bonne voie pour ce projet. Aligner un financement est important, mais il est important que le financement n'impose pas de restriction artificielle sur ce que le projet peut être d'un point de vue artistique. Je suis convaincu que nous trouverons la bonne opportunité pour faire de Daedalus le jeu auquel nous voulons tous jouer.