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Utopiales 2019 : Coder/Décoder
Comme chaque année depuis 2011, je privilégie les Utopiales, le Festival International de Science-Fiction de Nantes, à la place de la Paris Games Week qui tombe généralement à la même date. Un choix un peu spécial pour Factornews, puisqu'il s'agit d'un événement assez peu centré sur le jeu vidéo, mais qui cette année, nous a réservé quelques belles surprises dans un autre domaine.
20 ans d’Utopiales !
C’est l’un des rendez-vous Nantais de fin d’année depuis l’an 2000 et plus particulièrement pour toutes les personnes aimant la science-fiction. A l’époque, pas de bug, mais une première édition d’Utopia, renommée l’année suivante en Utopiales. Pas de thème spécifique abordé non plus, alors que dès 2001, l’idée d’un fil rouge s’est très rapidement fait sentir, ne serait-ce que pour organiser les différents rendez-vous proposés tout au long du festival, avec comme ambition, toujours aussi forte, d’offrir au public un panorama vertigineux des possibles explorés par la science-fiction et les sciences.Et pour ne pas perdre ce public, cette 20ème édition a abordé un thème assez intéressant : Coder/Décoder. Cette thématique qui, si elle peut paraître un peu simpliste, s’est finalement révélée être d’une très grande ouverture. Comme le souligne le site officiel, les codes sont-ils seulement des systèmes plus ou moins construits, ou alors des schémas invisibles et indispensables ? Normalement là, vous vous posez la question. Mais pour vous aider, voici quelques exemples : « De la partition de La Neuvième Symphonie au C++, des IA au big data, des équations qui décrivent le monde aux algorithmes qui le transforment, du langage des abeilles à la langue des signes ou au braille, du chiffre de César à Enigma, des langues mortes à l’esperanto ou au klingon, des stéréotypes genrés aux archétypes du récit… Artistes, auteurs et autrices, scientifiques, pertinent.e.s et impertinent.e.s, vont déchiffrer pour nous les structures cachées de la société, du langage, de l’information et de la création. » Oh oui, ça part assez loin.
Comme tous les ans, les Utopiales placent la barre encore très haute, tout en oubliant personne sur le bas-côté. C’est d’ailleurs l’une des grandes forces de ce festival, dirigé par Roland Lehoucq (astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique, enseignant, auteur et vulgarisateur), qui aime faire découvrir les sciences sous plusieurs angles : littérature, sciences, BD, cinéma, arts plastiques, jeux vidéo, jeux de plateau, jeux de rôle, manga et autres activités ludique comme les Lego. De ce fait, la plupart des visiteurs ne viennent pas seul, préférant souvent venir en famille pour tenter de partager une passion avec ses enfants, ou tout simplement en couple ou amis, histoire de papoter post conférence avec un petit café.
Gros programme et beaucoup de monde
Plus le temps passe et plus ce festival prend de l’ampleur. L’équipe en charge de cette manifestation en est consciente et a cette année prévu 7400 places supplémentaires à travers divers agrandissements et création de nouvelles salles de conférences, en plus de la mise en place d’espaces de repos, d’un vestiaire et d’une réorganisation de l’espace de billetterie pour plus de fluidité. Alors évidemment, la confiance était présente et cette 20ème édition a battu un record : 100 000 visiteurs. Pour rappel, en 2001 c’était 20 000 visiteurs, puis deux fois plus en 2007, tandis que la barre des 82 000 places a été dépassée en 2016.Alors oui, c’est cool de voir que cet événement culturel attire les foules, mais année a été problématique sur certains points. Le premier et pas des moindres, c’est tout simplement un bordel monstre le vendredi 1er, ce qui a provoqué de gros embouteillage pour aller voir les différentes tables rondes, avec un système de ticket de réservation… Un changement assez brutal, quand on sait que les précédentes années n’ont jamais posé problème. Arrive-t-on à la capacité maximale de la cité des congrès de Nantes ? Probablement. Ou alors il faudra agrandir cela pour l’année prochaine ! Néanmoins, les visiteurs ont ainsi profité de 171 rendez-vous littéraires, scientifiques et artistiques, 70 films longs et courts (dont l’avant-première de Weathering with you de Makoto Shinkai), 10 expositions, d’un pôle ludique et du pôle jeux vidéo, sans oublier la journée Manga Tan (la TAN étant la RATP Nantaise). Ce n’est pas moins de 230 invités, qu’ils soient écrivains, scénaristes, dessinateurs de BD, plasticiens, cinéastes, philosophes ou chercheurs… parmi lesquels, Alain Damasio, Ada Palmer, Brandon Sanderson, Gilles Dowek, Philippe Bihouix, Agnès Florin, Virginie Raisson-Victor, Jean-Claude Mezières, Mathieu Bablet, Seth Ickerman, qui se sont succédés du 31 octobre au 4 novembre.
Mais du coup quelle était la grande star de cette année ? L’affiche absolument sublime de Mathieu Bablet. Elle a vraiment suscité de l’intérêt, dévoilant une ville de Nantes totalement « recodée », prenant en compte les défis futurs de notre ville : montée des eaux à la suite de la fonte des glaciers, urgence climatique, transition écologique… Au passage, une exposition dédiée au travail de Mathieu Bablet était disponible dès l’entrée du festival, avec des croquis et illustrations de La Belle Mort, Adrastée, Shangri-La, que je vous conseille vivement de lire. Mais, et grosses surprises, il y avait aussi deux couvertures de livres disponibles chez les copains de Third Editions. Il était donc possible de voir les couvertures de Qui est le tisseur ? L’extraordinaire Peter Paker et celle de l’édition first print de Cowboy Bebop. Deep Space Blues. Une belle surprise.
A cela, l’organisation des Utopiales a ajouté une exposition Black et Mortimer de maboule, centrée sur Le Dernier Pharaon, puis encore une autre sur le travail de Jean-Claude Mézières concernant le film Le Cinquième Élément et la BD Valerian et Laureline. Du très lourd, de même que l’excellente idée de faire devenir l’association Galactik Bricks pour une petite pause Lego, avec une brique collector.
Jeux vidéo en veille ?
Malheureusement si les Utopiales ont l’habitude de nous proposer du lourd côté jeux vidéo, ce n’était pas le cas cette année. Je pensais voir Alkemi Games pour parler un peu de Fore Tales, mais ils n’ont pas pu venir faute de temps. De même, l’habituée Jehanne Rousseau n’était pas présente, et je vous renvoie à la longue interview, Jehanne Rousseau, into the Spiders' universes, que nous avons fait avec elle fin septembre. Concrètement, aucun « gros » studio n’était présent avec des jeux, mais les invités étaient tout de même là, avec par exemple :- François Alliot, le créateur du studio Nerial (basé à Londres), développeur de Reigns, Reigns : Her Majesty, Reigns: Game of Thrones et du jeu de société Reigns: The Council.
- Benjamin Dumaz, design director chez Ubisoft, avec notamment dans son parcours à différents postes, Prince of Persia Classic (2011), Rayman Origins (2011), Assassin's Creed: Syndicate - Jack the Ripper (2015), Assassin's Creed: Unity - Dead Kings (2015), Trials Evolution: Gold Edition (2013), From Dust (2011), Rayman Legends (2013) et actuellement Design director sur Beyond Good and Evil 2.
- FibreTigre, auteur spécialisé dans la fiction interactive, que l'on connait pour son travail sur Out There (2014) et Sigma Theory (2019). A ses heures perdues, il créé aussi des espaces rooms, anime/scénarise Game of Rôles sur la JVTV, est aussi animateur du podcast mathématiques Trajectoires et co-scénariste de Intelligences Artificielles, miroirs de nos vies. Il a fait partie de la commission du Fonds d’aide au jeu vidéo du CNC.
- Game Next Door, chaîne YouTube, créée par Hugo Terra et Maxime Bardet.
- Diane Landais, une programmeuse qui a co-fondé le studio Accidental Queens en 2017, qui s'est fait connaître assez rapidement via A Normal Lost Phone.
- Pia-Victoria Jacqmart, qui après avoir fait carrière dans le journalisme, a trouvé une jolie place en tant que Lead Narrative Designer chez Cyanide, notamment pour Call of Cthulhu : The Official Video Game.
Les conférences ont abordé de chouettes sujets, notamment le phénomène des espace rooms, ou encore l’histoire en jeux, ou le détournement des codes dans le jeu vidéo. Des rendez-vous de qualité, malheureusement encore en trop petit nombre : une seule table ronde le jeudi, une autre le vendredi, trois le samedi et deux le dimanche. C’est encore bien peu et ce serait cool de changer un peu cela. Du coup, je me suis dit que j’allais me rattraper sur le pôle jeux vidéo, qui allait forcément proposer d’excellents jeux, notamment certains provenant des invités. Et bien non. Rien de tout cela. À la place, nous avons revu Seeds of Resilience (présent l’an passé), Samurai Riot et sa borne qui reviennent chaque année depuis au moins 2016, ou encore les jeux de la Game Jam organisée quelques jours plus tôt. Les nouveautés étaient donc Spirit Arena du tout petit studio Sweet Dreams Studio, un rogue like jouable seul ou en duo dispo par ici sur Steam et itch.io (et bientôt Switch). Il y avait aussi Blanc, actuellement en développement chez Casus Ludi, une aventure coopérative au stade de l’alpha avec une direction artistique en noir et blanc, que l’on reverra probablement l’an prochain et qui a un certain potentiel.
Alors évidemment, je ressors de cette édition avec un petit goût amer en bouche, celui du « ça aurait pu franchement être mieux côté jeux vidéo ». Heureusement, l’exposition de The Game Bakers concernant Haven était très belle, même si perso, j’aurais placé une borne avec une démo du jeu. Enfin, gros tacle à l’exposition « Elles font le jeu vidéo », qui aurait pu être vraiment top, mais qui s’est contenté de bien trop peu d’attention : fiches non à jour avec parfois 1 à 2 ans de retard sur le CV, mise en forme pas très jolie et franchement, le tout était à peine mis en avant. Dommage !
Heureusement, le jeu dans d’autres formes était bien mieux représenté au pôle ludique, avec des jeux de plateau et autres tables de JDR. Mais cela, nous en parleront dans un second article.
Cette 20ème édition des Utopiales a été très riche en contenu : conférences, expositions, jeux, invités, tout était là pour passer un excellent moment. Malgré les bémols d’organisation et un pôle jeux vidéo assez pauvre, cela reste une valeur sûre si vous aimez la science-fiction. Et qui sait, l’année prochaine sera peut-être encore mieux ?