TEST
What Remains of Edith Finch : 7th Heaven the videogame
Développeur / Editeur : Giant Sparrow Annapurna Interactive
La civilisation, ça commence dès la cour d'école avec le respect de trois règles simples : même en cas d'embrouille, on ne s'attaque jamais aux vêtements, ni aux parties génitales, et encore moins à la famille. On sait tous que le père du petit Jonathan picole comme un trou, que sa mère a des mœurs légères et que sa petite sœur a une tronche de raie, mais on évite habilement de lui faire remarquer. Non seulement il n'y est pour rien, mais en plus franchir cette ligne jaune reviendrait à mettre un pied dans le domaine furieusement glissant de son intimité familiale. C'est justement ce jardin défendu que nous propose d'explorer What Remains of Edith Finch.
Même si vous ne remettez pas du premier coup le studio Giant Sparrow, il est fort à parier que vous avez déjà entendu parler de son premier bébé, The Unfinished Swan. Ce titre développé conjointement avec Santa Monica Studio avait fait sa petite impression en proposant de jolies audaces formelles. Par exemple, on y débutait dans un décor blanc immaculé dans lequel on ne pouvait se repérer qu'en balançant de l'encre un peu partout, faisant ainsi apparaître les perspectives. Bref, c'était bien, c'était chouette, et on avait hâte d'y retourner. Ça tombe bien, Giant Sparrow est visiblement décidé à continuer de nous surprendre avec un What Remains of Edith Finch qui multiplie les propositions originales. Le studio quitte au passage le giron de Sony pour s'envoler aux côtés de la toute récente branche jeux vidéo d'Annapurna Pictures. On pourrait d'ailleurs voir une certaine logique dans le fait qu'un producteur de ciné choisisse un jeu narratif pour se lancer dans le milieu.
Les devoirs de mémé loir
Autant mettre les pieds dans le plat, What Remains of Edith Finch est le représentant d'un genre qui fait encore débat en tant que tel : le jeu d'aventure narratif à la première personne, parfois qualifié de First Person Walker. Ici, il est question de fouiller une grande maison pour découvrir tous les secrets de la famille Finch. On vous a déjà fait le coup avec Gone Home ? Rassurez-vous, même s'il s'en inspire certainement un peu, What Remains of Edith Finch n'a pas trop de mal à prendre de la distance par rapport à cet aîné. Pour commencer, la bâtisse est aussi vaste que tarabiscotée. Chacune des chambres dispose de son atmosphère propre, mais surtout elles ont toutes été scellées. Dans ces conditions, une bonne partie du jeu consiste à trouver les chemins dérobés ou les passages secrets qui permettent d'accéder à ces pièces, véritables capsules temporelles détentrices de l'histoire fragmentaire du clan Finch.Ce jeu de piste n'est pas laissé au hasard, le joueur n'a pas vraiment le loisir de s'éloigner de la progression qui a été balisée pour lui et fini presque par avoir l'impression d'évoluer dans des galeries. Cet aspect dirigiste trouve toutefois une explication assez simple dans le scénario : la jeune Edith se contente de suivre les traces laissées par son arrière grand-mère. Cette dernière a en effet organisé chaque chambre de cet étrange nid comme un petit mémorial à la gloire de celui ou celle qui y logeait histoire d'y entretenir leur mémoire. Car oui, dans la famille Finch on a la fâcheuse manie de mourir de façon prématurée. C'est donc un patchwork de petites histoires tragiques qui trace finalement les grandes lignes de cette saga familiale et qui nous permet de comprendre petit à petit comment Edith s'y inscrit.
La mémoire dans le pot (de chambre)
En grossissant un peu le trait, on pourrait caricaturer la structure du jeu de cette manière : Edith se balade dans la maison et dépeint le contexte sous la forme de monologues qui viennent littéralement s'inscrire dans le décor, elle découvre une nouvelle pièce et on plonge dans un récit centré sur un représentant de son arbre généalogique, puis, une fois que ce dernier s'est étoffé d'une nouvelle branche, on revient à la baraque. Ça semble aussi laborieux que monotone, heureusement il n'en est rien. Déjà, l'aventure est assez courte pour ne pas lasser, ne comptez pas plus de deux ou trois heures pour en voir le bout. Mais surtout, elle déborde de petites idées étonnantes qui viennent régulièrement titiller notre curiosité.Chaque micro-histoire prend des allures de découverte. On adopte généralement le point de vue du défunt et on est toujours immergé dans des époques, des ambiances et des contextes différents. La narration prend alors des voies détournées, le plus souvent elle passe par la manipulation d'un objet emblématique de la personne concernée. On s'éloigne du même coup du simulateur de marche pur jus puisque c'est par le gameplay que les équipes de Giant Sparrow nous impliquent dans ces tranches de vie bien perchées. C'est d'ailleurs l'une des grandes réussites du titre qui parvient à nous embarquer dans ces petits récits touchants en utilisant des procédés simples en apparence mais finalement assez immersifs.
Un récit au carré plutôt qu'un récit très carré
Vu de l'extérieur, la construction de cette narration façon poupées russes encastrées les unes dans les autres a de quoi effrayer. Pourtant le tout est savamment maîtrisé et s'avère finalement tout ce qu'il y a de plus fluide. Sans aucun doute, cette fluidité est liée à l'aspect linéaire de la progression : ce qu'on perd en liberté, on le gagne en densité et en cohérence. Il y a donc bien un aspect « visite guidée du cimetière familial » mais le rythme est assez bien pensé pour qu'on ne s'endorme jamais. Au passage, il faut bien admettre que cette structure en pelures d'oignon n'est pas uniquement là pour faire joli et qu'elle sert le propos du jeu.Ces récits entremêlés nous permettent en effet d'affirmer que What Remains of Edith Finch est avant tout une fiction qui s'intéresse à la manière dont les histoires sont racontées et transmises. C'est en quelque sorte un récit sur les récits. On a déjà vu ce genre de mise en abîme, notamment dans des jeux dits narratifs tel que The Vanishing of Ethan Carter, mais ce dernier par exemple ratait un peu le coche lorsqu'il s'agissait d'assurer une cohérence à l'ensemble et de donner corps à ses personnages. Tout le contraire d'Edith Finch qui réussi à créer un lien sentimental fort avec cette famille sans pour autant sombrer dans le pathétique.
La mort en partage
Les thèmes évoqués ne sont pas évidents à traiter : la disparition, le deuil, mais aussi l'héritage et la transmission d'une histoire familiale. Autant de questions que l'on retrouvait déjà dans The Unfinished Swan, à la différence qu'ici elles sont abordées de manière bien plus frontale. Là où on pouvait reprocher au premier jeu du studio de traiter son scénario un peu par dessus la jambe, leur deuxième titre fait tout le contraire en le mettant au centre des préoccupations (et en intégrant même au passage le background de The Unfinished Swan comme l'un des récits parmi les autres). Rassurez-vous, pas la peine de prévoir la boîte de Prozac : malgré le sérieux de son propos, What Remains of Edith Finch ne cherche pas à vous plomber le moral, il se permet même une certaine légèreté voire quelques doses d'humour.Il faut dire qu'une bonne partie des morts accidentelles de la famille Finch touchent soit des enfants, soit des adultes qui ont conservé un imaginaire incroyablement fertile (une façon gentille de dire qu'ils sont un peu zinzins...). Il y a donc forcément quelque chose de joyeusement décalé dans le fait de raviver leur mémoire. Les souvenirs qui remontent à la surface ne sont pas seulement tristes, ils sont aussi un peu fous et empreints de fantaisie. What Remains of Edith Finch nous rappelle en quelque sorte que le merveilleux n'est pas bien loin, même lorsque le sort semble nous accabler. Bref, c'est un titre parfait pour retrouver son âme d'enfant, et finalement, pour lui rendre hommage, il mérite davantage une poésie débile ou un joli coloriage qu'un test certainement trop sage.
Étoile filante partie bien trop tôt, encore tu me hantes tel un vieux château. Tous tes souvenirs en moi ont laissé une trace pire que dans mes WC. Tu m'as initié à la douce douleur, j'ai tes suppliés gravés dans mon cœur. Avec tes trois heures tu n'es pas bien long, mais par grand bonheur tu es vraiment bon.