TEST
Total War : Rome II
par Nicaulas,
email @nicaulasfactor
En un peu plus de 10 ans, la série des Total War est devenue le mastodonte incontournable des jeux de stratégie. Grâce à son mélange de batailles historiques de grande ampleur et d’une réécriture de l’Histoire empruntant aux 4X, The Creative Assembly a fidélisé une belle communauté. Après un excellent Shogun 2, c’est au tour de Rome de passer par la case « remake », avec de très grosses ambitions clairement affichées.
Senatus Populusque Romanus mais pas trop
L’histoire de Total War : Rome II démarre à l’aube de l’expansion romaine, alors que Tarquin, dernier roi du Latium, a été renversé pour instaurer une République. Rome n’est encore qu’une modeste faction, certes ambitieuse, mais devant faire face à l’agressivité des tribus montagnardes et des Gaulois, sous la menace lointaine d’une nouvelle guerre punique, avec comme spectateurs les comptoirs grecs du sud de la Botte. C’est d’ailleurs le sujet du tutoriel, qui vous met dans la peau d’un jeune chef militaire romain à l’influence grandissante et à qui le Sénat confie la tâche d’annexer les territoires Samnites et de conclure un accord commercial avec les Grecs. En deux heures bien remplies, on expérimente tous les aspects du jeu au travers de batailles et de tours de gestion économico-politique, et l’habillage profite des ambitions techniques du titre. Malheureusement, c’est aussi l’occasion de se confronter d’emblée à des défauts difficilement pardonnables, mais nous y reviendrons.
Les modes de jeu disponibles sont les grands classiques, avec un accent mis sur le mode Campagne. Doté d’un background étoffé, celui-ci vous permettra de présider aux destinées d’au moins 7 factions (selon les DLC possédés) subdivisées en au moins 13 sous-factions (selon les DLC possédés). Même si on regrette que la priorité soit donnée au futur empire romain (3 sous-factions à lui-seul) et aux reliquats de l’empire d’Alexandre (2 royaumes diadoques, 2 royaumes persiques), les quelques alternatives celtes, gauloises ou encore germaniques offrent un peu de variété. Et augmentent du même coup une durée de vie déjà importante à la base.
Pour varier les plaisirs, vous pourrez soit créer une bataille personnalisée, soit vous frotter au challenge (très) relevé des (trop) rares batailles historiques, des reconstitutions minutieuses de combats a priori perdus d’avance que seul un général d’exception pourrait renverser. En revanche, les fonctionnalités multi qui ont fait le succès de Shogun 2 sont passées à la trappe, Total War : Rome II assurant le service minimum. Seul subsiste un système de salon pour héberger/rejoindre des parties, quelques fonctionnalités pour retrouver vos amis Steam, mais guère plus.
Respect, robustesse, tout ça quoi…
En contrepartie, le jeu affiche des ambitions visuelles assez hautes. Si l’aspect global du titre respecte la tristounette charte graphique habituelle de la série (et que seul Shogun 2 avait osé enfreindre), à savoir un réalisme austère et une esthétique plutôt froide, Rome II creuse un net fossé visuel avec ses prédécesseurs, et surtout avec la concurrence. Colossale et détaillée, la carte de campagne impressionne et on en vient à regretter l’absence d’un plus grand niveau de zoom-dézoom pour en apprécier les qualités. La mer est plus que convaincante, les effets climatiques nombreux, la caméra dynamique, les évolutions des cités se matérialisent sur la carte… Dommage que certains choix de couleurs laissent circonspect, comme ce vert pastel délavé pour les plaines, ou bien les couleurs fluos des flèches de déplacement. Ou que l’habillage sonore soit si discret.
Quant aux cartes de batailles, elles sont variées et détaillées, avec entre autres un gros effort porté sur les villes, suffisamment différentes pour ne pas vous donner l’impression de conquérir les mêmes bleds tout au long de la partie, ainsi que sur le relief, la maîtrise de votre ligne de vue devenant l’élément le plus important de la bataille. Si certaines cartes importantes (les capitales, les batailles historiques…) sont bien plus grandes et soignées que les autres, tous les jeux de stratégies ne s’embarrassent pas d’un tel niveau de détail, et pour l’immersion c’est un atout. D’autant plus que, question immersion, Rome II veut en rajouter une couche en introduisant une vue « caméra cinématique ». Le principe est simple : à tout moment, vous pouvez devenir spectateur aux premières loges de la bataille, la vue se plaçant au cœur d’une unité et quasiment à hauteur d’homme. Assez efficace pour ressentir de l’intérieur le souffle épique d’une charge glaive au clair, malgré l’aspect gadget du truc.
Sachez néanmoins que Total War : Rome II est loin d’être parfaitement optimisé même sur une bonne config, en plus de manquer de finition. Les cinématiques, utilisant le moteur du jeu, contiennent quelques bugs risibles. La caméra cinématique, toute immersive qu’elle soit, nous colle sous le nez le manque d’expérience de The Creative Assembly en matière de modélisation et d’animation de combats de mêlées en gros plan. Certes, c’est une partie anecdotique du jeu, et cela revient à reprocher à Sports Interactive de mal maîtriser le rendu 3D des matches : c’est un gadget qui ne correspond en rien au cœur du jeu. On pardonnera moins aisément les étonnants soucis de stabilité (comme celui, très fréquent, où les unités freezent pendant plusieurs secondes alors que vous continuez à naviguer sans lag sur la carte ou dans les menus).
Stretch Gaule
Le premier aspect d’un Total War, c’est la gestion de vos territoires au tour par tour. De ce point de vue, on note plusieurs évolutions, à commencer par un système de régions regroupant plusieurs cités, au lieu de la myriade de cités indépendantes des précédents opus. Un système qui oblige à trouver le bon équilibre de développement entre des cités proches les unes des autres, et à penser aux conséquences de ses actes : conquérir, c’est prendre le risque de briser un équilibre fragile entre nourriture, croissance de la population, ordre social, rayonnement diplomatique et puissance militaire. Pour développer vos cités, les bâtiments se débloquent d’une part par un arbre technologique assez classique, d’autre part par la croissance de votre population. L’occasion de souligner les défauts d’ergonomie du titre, qui en cherchant à simplifier son interface a rendu difficilement accessibles (notamment via une encyclopédie en ligne ?!) certaines informations essentielles, comme le rôle des bâtiments, les caractéristiques des personnages ou les données économiques.
Chaque armée ou flotte possède son propre général avec ses propres caractéristiques, et lui reste fidèle jusqu’à la mort, accumulant au fil du temps des compétences particulières en combat de mêlée, en siège ou encore en blocus naval. Une entorse au réalisme de la saga, puisque si une armée se fait complètement wiper (général + troupes), il est possible de la recréer ex nihilo tout en conservant ses compétences précédentes. On peut néanmoins voir ça comme un arbre de technologies déguisé, une compétence martiale étant alors l’équivalent d’un bâtiment ou d’un savoir, issu d’un dur labeur et acquis ad vitam aeternam. Les généraux deviennent donc des éléments majeurs du jeu, non seulement d’un point de vue militaire, mais également sur un plan politique. Car un général victorieux peut prendre goût à la gloire et au pouvoir, et viser plus haut. Surtout s’il vient d’une famille différente de la vôtre, l’un des buts du jeu étant de favoriser votre sang pour augmenter votre prestige familial et votre légitimité à diriger. Néanmoins, ce versant politique du jeu reste inachevé, les luttes entre familles étant secondaires par rapport à l’aspect militaire et économique. Il est parfaitement possible de mener à bien une campagne sans se soucier outre mesure de vos généraux, et après avoir goûté aux intrigues délicieusement vicieuses de Crusader Kings 2, difficile de ne pas trouver ça fade.
L’aspect diplomatique est heureusement un peu plus poussé, en tous cas si vous choisissez une faction qui n’est pas estampillée SPQR. Car si les Romains auront du mal à développer autre chose que des relations commerciales, les tribus celtes et gauloises ou les royaumes diadoques sont si éparpillés et querelleurs qu’il est possible de mettre sur pied quelques manœuvres géopolitiques, comme attaquer un voisin pour se rapprocher d’un autre : l’ennemi de mon ennemi… Les tribus du « même sang » peuvent par ailleurs être intégrées dans des confédérations, créant ainsi un objectif informel assez gratifiant : celui de mettre sur pied un empire sans développer ses ressources militaires plus que ça. Notons cependant qu’en plus de quelques comportements totalement aléatoires de l’IA, le rythme du jeu s’en trouve considérablement ralenti, puisqu’il faut souvent plusieurs tours pour développer une stratégie diplomatique, et que le grand nombre de factions jouables et non-jouables à gérer occasionne des temps de chargements assez longs entre les tours.
Baston !
L’autre mamelle d’un Total War, c’est de la baston aux proportions épiques, où l’on va diriger des milliers d’unités sur la carte de campagne puis sur des champs de bataille. Commençons par noter une plus grande souplesse de manœuvres : toutes les unités peuvent désormais passer de la terre à la mer, et vice-versa. Ce qui permet désormais d’utiliser la mer comme un véritable outil stratégique conjoint à vos forces terrestres : blocus des ports, débarquement de troupes, siège simultané par terre et par mer… mais plutôt que d’offrir à tous (joueur+IA) de profiter du grand territoire romano-méditerranéen, le jeu nous contraint en limitant les points d’accès à la mer via un système binaire (plage OK, falaises va te faire mettre). D’autant plus dommage que l’IA est parfois bien vicelarde sur ses déplacements, n’hésitant pas à sacrifier des positions pour en fortifier d’autres ou vous prendre à revers.
Une IA malheureusement loin d’être aussi compétitive sur le champ de bataille. Même en mettant de côté les soucis habituels de la série comme le pathfinding, la difficulté à s’y retrouver dans les différentes options tactiques ou la propension de vos unités à ne pas respecter vos ordres, et en boostant un peu la difficulté, le challenge n’est pas toujours au rendez-vous. Les tactiques d’aggro/contournement (sacrifier une unité pour bloquer l’ennemi à un endroit et le prendre à revers avec le reste de vos troupes) fonctionnent à tous les coups ou presque, rendant un peu caduque l’utilisation du relief ou des spécificités des unités. Un petit gâchis, quand on voit le travail effectué sur les cartes. Soyons tout de même beaux joueurs : disputer une bataille reste un plaisir et une formidable source de sensations fortes, l’adrénaline de la mêlée alternant avec le pragmatisme de la mise en place tactique.
Pour le reste, une multitude de petites nouveautés ont fait leur apparition, pas toutes indispensables. Il y a par exemple le retour du choix de fin de bataille : libérer (améliore les relations avec les habitants du coin mais laisse à l’ennemi l’opportunité de se reprendre), réduire en esclavage (booste l’économie mais génère du désordre public chez vous), ou exécuter les prisonniers. Ou bien des fonctionnalités intermédiaires entre la gestion des troupes et les batailles : un système de marche forcée, qui double la distance maximale de déplacement mais réduit les aptitudes au combat, un système de fortification temporaire pour défendre des positions hors des cités, un mode pillage pour mettre les campagnes à feu et à sang et impacter l’ennemi sans l’affronter frontalement… Rien de bien révolutionnaire, mais cela participe à l’amélioration progressive de la série. Il y a beaucoup à reprocher à ce Rome II qui nous promettait tant, mais il nous offre déjà l’essentiel de ce qu’on attend d’un Total War.
Testé à partir d'une version commerciale fournie par l'éditeur.
Config. de test : Windows 8 64 bits / i5 4670K 3,4 GHz / 8 Go / Nvidia GeForce GTX 650 Ti Boost 2 Go
Sans surprise, The Creative Assembly rend une copie d’assez bonne qualité, dans la lignée des précédents épisodes. Toujours aussi riche et précis en ce qui concerne son background historique, ce nouveau Total War bénéficie en plus d’un bond en avant visuel notable. Dommage que l’expérience de jeu soit durablement ternie par une optimisation pas terrible, un manque de finition visible et des innovations un peu trop cosmétiques pour être efficaces.